FR:
« La cosmogonie est le plus ancien des genres littéraires » : tels sont les mots, empruntés au poète français Paul Valéry (1871-1945), sur lesquels s’ouvre le recueil bilingue zapotèque-espagnol Guie’ yaase’ / Olivo Negro (2004) de la poétesse Natalia Toledo. Dès le titre et la citation en exergue, le recueil se place sous le signe des racines – avec l’image de l’arbre – et du cosmos, interrogeant les mythes fondateurs de l’histoire du peuple zapotèque binnizá dans une perspective poétique. S’ils sont originaires de l’Isthme de Tehuantepec, dans la région de Oaxaca au Mexique, les binnizá sont aussi appelés « gens-nuage ». Ce lien cosmique apparaît dans la poésie de Natalia Toledo, associé à l’image récurrente de la chute qui s’en est suivie, comme métaphore de la colonisation et du déracinement imposé. Pour les binnizá, c’est l’aveuglement qui domine, par la dépossession de leur terre et migration forcée au cours de l’Histoire, mais aussi par le poids de l’oubli et de la honte. Dès lors, à partir de la réécriture de ce mythe originel, il s’agit pour Toledo d’inviter à une reconfiguration du regard et des représentations zapotèques, et d’affirmer la survivance de sa culture et de son peuple. Loin de disparaître, ses racines se sont nourries et propagées depuis la colonisation : à partir de la citation de Paul Valéry, elle dessine alors une « constellation » littéraire dans laquelle elle inscrit sa poésie. Grâce à l’image des racines et des constellations, nous verrons que la réécriture des mythes fondateurs permet une réappropriation décoloniale des représentations et l’affirmation d’une poésie cosmique, mouvante, et visionnaire.
EN:
“Cosmogony is the oldest of literary genres”: these are the words, borrowed from the French poet Paul Valéry (1871-1945), with which the bilingual Zapotec-Spanish collection Guie’ yaase’ / Olivo Negro (2004) opens by the poet Natalia Toledo. From the title and the opening quote, the collection places itself under the sign of roots – with the image of the tree – and the cosmos, questioning the founding myths of the history of the Binnizá Zapotec people from a poetic perspective. Although they originate from the Isthmus of Tehuantepec, in the Oaxaca region of Mexico, the binnizá are also called “cloud people”. This cosmic link appears in the poetry of Natalia Toledo, associated with the recurring image of the fall that followed, as a metaphor for colonization and the uprooting: dispossessed of their land and forced to migration throughout History, but also to oblivion and shame, it is blindness that dominates. From then on for the poet, from the rewriting of traditional myths, it is a question of inviting a reconfiguration of the Zapotec gaze and representations, and of affirming the survival of her culture and her people. Far from disappearing, its roots have been nourished and propagated since colonization: based on the quote from Paul Valéry, she then draws a literary “constellation” in which she inscribes her poetry. We will see that from the image of roots and constellations, the rewriting of founding myths allows a decolonial reappropriation of representations and the affirmation of a cosmic, moving, and visionary poetry.