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Chroniques : Dramaturgie

Sur la route[Notice]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Quand une logique de la fuite ou de la quête se substitue au conflit d’espaces qui caractérise le théâtre de convention, l’espace scénique « n’est plus conçu comme une coquille à l’intérieur de laquelle certains arrangements sont permis », mais comme un entre-deux, un sas entre deux espaces hors scène, évoqués ou racontés par les personnages. La dramatisation de cet espace prend fréquemment la forme du voyage, du déplacement. Le « retour » dans un espace antérieur sera ainsi un retour en arrière ; la fuite en avant vers un espace nouveau sera une projection dans l’avenir. L’auteur dramatique saisit alors le moment où se réalise le déplacement et il construit un lieu neutre, entre un ici révolu et un ailleurs qui n’est ni atteint ni même parfois déterminé. Du même coup, l’action dramatique s’inscrit dans un temps suspendu, entre un passé que l’on fuit et un avenir incertain. Cette forme de spatialisation est généralement liée au travail de la mémoire, quand l’anamnèse menace, douloureuse. L’anamnèse survient tout de même parfois, soit sur le mode de l’objet qui resurgit, soit par l’aveu d’une faute trouble. Le voyage permet ainsi l’éclosion ou l’énoncé des désirs ou des fantasmes ; il manifeste une conscience en crise, qui privilégie le doute et l’incertitude de l’entre-deux plutôt que la vérité de l’Histoire et l’exigence du présent. La dramatisation du voyage a souvent pour effet premier de libérer les auteurs des entraves de la fiction. Le voyage devient un montage temporel ; il engendre un rapport flou à la vérité, en autorisant le mensonge et la création d’identités nouvelles, voire de mythes personnels, qui viennent contrebalancer les effets de l’anamnèse. Ainsi la cantatrice Patricia Paquette a-t-elle quitté son Dolbeau natal pour faire carrière à Montréal, puis avant de quitter Montréal pour l’Europe, où selon ce que nous en dit sa mère, elle n’a jamais fait qu’une carrière de liste B, la carrière d’une cantatrice qui n’est guère une tête d’affiche, mais une remplaçante de qualité. C’est déjà une grande carrière, mais ce n’est pas la fin du monde. Devenue Patricia Pasquetti, elle a perdu une partie de son identité et de son âme. Elle ne retrouve son accent et sa langue que comme des jouets pittoresques, au cours de ses brèves visites à Montréal. Celle qui, dans les années 1970 et 1980, était une militante nationaliste, s’est peu à peu dépolitisée, dénonçant ce qu’elle juge désormais comme une vision « étroite », acceptant aussi bien l’Ordre du Québec que l’Ordre du Canada et méprisant les carrières « locales » de sa fille et de sa mère, toutes deux comédiennes, comme celle de son ex-mari, baryton à l’Opéra de Montréal. On croirait entendre la dernière entrevue télévisée de Robert Lepage, d’ailleurs évoqué dans la pièce en même temps que Céline Dion et le Cirque du Soleil. L’auteur n’a jamais craint la polémique, on le sait. Tel est le personnage créé par Michel Tremblay dans sa plus récente pièce, L’état des lieux, créée le 23 avril dernier au Théâtre du Nouveau Monde dans une mise en scène d’André Brassard. Le rôle emprunte à la mémoire d’Albani (Emma Lajeunesse), première artiste québécoise à connaître ce type de carrière. Au moment où commence la pièce, Patricia Pasquetti est de retour à Montréal, où l’attendent sa mère Estelle et sa fille Michèle. Elle y revient parfois, quand il faut digérer les mauvaises critiques du Monde et du Figaro. Or, cette fois encore, elle a fait un « couac » à l’Opéra de la Bastille et elle est revenue cuver sa déception chez elle. Reste, lui dit sa mère, …

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