Jean-Philippe Carlos, François-Albert Angers. Le rebelle traditionaliste, Montréal, Boréal, 2023, 416 p.

À bien des égards, la rédaction d’une biographie peut se révéler un exercice périlleux en histoire. L’aspect forcément téléologique du genre ou le risque de sombrer dans l’exceptionnalisme de son sujet sont quelques-uns des écueils qui guettent les historiens et historiennes qui pourraient se laisser tenter de relever un tel défi. Dans cet ouvrage, tiré de sa thèse de doctorat soutenue en 2020 à l’Université de Sherbrooke, Jean-Philippe Carlos évite ces écueils dans cette belle biographie intellectuelle qu’il propose d’un penseur traditionaliste qui a laissé sa marque dans les débats de société au Québec durant le XX^e siècle : François-Albert Angers. Les contributions et les réalisations d’Angers, chercheur prolifique et intellectuel engagé, sont nombreuses. Professeur de sciences économiques à l’École des hautes études commerciales de Montréal entre 1938 et 1974, où il devient professeur émérite en 1980, Angers est considéré comme un pionnier des sciences économiques au Québec. Il fut notamment directeur de la revue L’Actualité économique (1938-1948), directeur de l’Institut d’économie appliquée de l’École des hautes études commerciales (1949-1969) et président de la Société canadienne de science économique (1968-1971). En 1980, il reçoit le prix Léon-Gérin, qui reconnaît la carrière exceptionnelle d’un chercheur dans les sciences humaines. Les contributions de François-Albert Angers à la vie intellectuelle de la société canadienne-française ne se limitent toutefois pas au seul monde universitaire, tant s’en faut. Il fut également des plus actifs dans le monde des idées et son engagement l’a amené à s’impliquer activement au sein de divers organismes et organisations. Directeur de la Ligue d’action nationale (1954-1985) et de sa revue, L’Action nationale (1959-1968), Angers fut aussi président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (1969-1973), président-fondateur du Mouvement Québec français (1972-1980) et vice-président du Mouvement national des Québécois (1973-1977). Pour son biographe, il ne fait pas de doute que François-Albert Angers est « une figure méconnue de l’histoire du Québec » (p. 9) dont l’engagement, qui se déploie de multiples façons, se compare pourtant favorablement à celui d’un Lionel Groulx, d’un André Laurendeau ou encore d’un Georges-Henri Lévesque, sur lesquels l’historiographie a consacré maintes études. Au point où Carlos considère que « la présence d’Angers, dans les débats de société qu’a connus le Québec, de la crise économique des années 1930 au référendum sur la souveraineté de 1980, a littéralement “échappé” à l’attention des historiens » (p. 9), un tort, si ce n’est une tare, qu’il entend corriger par la parution de cet ouvrage dont l’objectif premier est de mieux comprendre comment il a contribué « à la transformation du discours traditionaliste et nationaliste avant, pendant et après la Révolution tranquille » (p. 14). Par cette biographie intellectuelle, l’auteur nous transporte dans la vie intellectuelle du Québec, traversée par des conflits, des discussions et des échanges passionnés et passionnants tout à la fois. L’ouvrage est divisé en cinq grands chapitres, complétés par un épilogue, qui permettent à l’auteur de couvrir l’ensemble de la vie de François-Albert Angers pour mieux s’intéresser à certains moments ou débats de société où celui-ci s’est signalé, tirant profit de son capital, qu’il soit social ou symbolique. Polémiste de talent, intellectuel engagé, François-Albert Angers a produit durant sa longue et prolifique carrière des milliers de textes sur une multitude de sujets, prenant part de plain-pied aux affaires de la Cité, intéressé tout particulièrement par les questions concernant la « reconquête économique du Canada français », le coopératisme et la langue française. Par le truchement de plusieurs des textes d’Angers qu’il cite abondamment dans son ouvrage, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, Carlos nous invite à suivre le polémiste au fil de son parcours, et …