Cela fait bien quarante ans que Bruce Trigger a déconstruit le mythe de l’ « Âge héroïque » du Canada. L’histoire de la Nouvelle-France avant 1663 reste malgré tout peu présente dans les travaux plus récents, si on excepte les biographies sur Champlain. Le livre de Helen Dewar réexamine cette époque marquée par la mainmise des compagnies à partir de nouvelles sources et élargit sa focale au-delà de l’Amérique du Nord pour inclure tout l’Atlantique français, concept qui prend ici tout son sens. Comme l’auteur le souligne, « the study of the beginnings of a French imperial presence in North America demands an Atlantic approach » (p. 4). C’est seulement en prenant bien en compte les différentes manières avec lesquelles le pouvoir s’est constitué — et été contesté — des deux côtés de l’Atlantique que nous pouvons arriver à un portrait plus fidèle du passé. Dewar vise juste en entremêlant quatre champs historiographiques importants mais faisant trop souvent cavaliers seuls : l’histoire de la formation de l’État moderne, l’histoire de l’expansion européenne outremer, l’histoire légale de l’impérialisme et l’histoire des premières grandes organisations capitalistes (p. 7). En résulte un ouvrage ambitieux constituant autant un travail intellectuel de haute volée qu’un intéressant survol des premiers temps de la Nouvelle-France. Les chapitres 2 et 3 plongent dans les combats juridiques menés pour l’accès au commerce nord-américain en révélant comment les conflits de l’ancienne France pouvaient traverser jusqu’en Nouvelle-France et vice versa. S’insérant dans la lignée d’historiens comme Michael Breen, Amalia Kessler, Julie Hardwick, Francesca Trivellato, Zoë Schneider et Laurie Wood, qui ont mis l’accent sur l’importance du recours aux tribunaux dans la société française, Dewar montre comment les cours, « the most highly developed governmental institutions », servaient à contester le pouvoir, « drawing metropolitan authorities into overseas spaces » (p. 63). C’est dans ces chapitres que Dewar fait l’utilisation des sources la plus originale en ayant recours à des poursuites civiles peu étudiées témoignant des pouvoirs et privilèges en Nouvelle-France. Il était plus que temps qu’un tel examen soit réalisé. Si les historiens de l’Atlantique anglais ont depuis longtemps reconnu le rôle clé du droit dans la construction des empires outremer, les études sur le rôle du juridique dans la formation du monde impérial français étaient absentes jusqu’à relativement récemment. Avec Dewar, nous sommes loin de la représentation traditionnelle d’une Nouvelle-France comme vaste colonie continentale au coeur d’un lointain empire. À la place, la Nouvelle-France au cours de cette période était principalement une construction légale échafaudée autour de prétentions concurrentes destinées à consolider les revendications des parties diverses de la métropole. Plus loin, l’auteure définit la Nouvelle-France autant comme un espace maritime que territorial. Sa valeur pour un Henri de Montmorency, amiral de France aussi bien que vice-roi de Nouvelle-France, découlait du contrôle et de la supervision qu’il pouvait exercer sur le commerce maritime en gestation. Ce ne sont pas les possibilités de peuplement ou l’extraction de biens commercialisables qui l’intéressaient, mais plutôt la capacité de perpétuer sa mainmise sur « what was the most sought-after resource by European powers : movement, of both subjects and goods » (p. 103). En adoptant une optique atlantique, la vraie valeur de la Nouvelle-France se révèle être une « part of an expansive maritime policy that aimed to strengthen French standing in Europe and consolidate maritime authority in France itself » (p. 122). Ce concept est parfois omis par les historiens des débuts du Canada, qui tendent à se concentrer surtout sur les colons gravitant autour de l’Habitation de Québec. La Nouvelle-France était bien sûr avant tout un espace …
Helen Dewar, Disputing New France. Companies, Law, and Sovereignty in the French Atlantic, 1598-1663, Montréal/Kingston, McGill-Queen’s University Press, Coll. « McGill-Queen’s French Atlantic Worlds Series », no 7, 2022, 368 p.[Notice]
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Michael J. LaMonica
Candidat au doctorat en histoire à l’Université McGillTraduction de l’anglais par
Emmanuel Bernier