
Volume 5, Number 1, 2024 De la toile à l’écran : de multiples « manières d’être » From the canvas to the screen: Multiple "ways of being" Guest-edited by John Harbour
Le présent numéro de la revue Transcr(é)ation s’intéresse aux différentes « manières d’être » (terme employé par André Martin) de la peinture dans le cinéma et du cinéma dans la peinture. Les auteur·trice·s ont été encouragé·e·s à explorer des avenues jusqu’ici assez peu exploitées dans les études cinématographiques.
Table of contents (9 articles)
Introduction / Introduction
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Introduction – De la toile à l’écran : de multiples « manières d’être »
John Harbour
pp. 1–9
AbstractFR:
Le présent numéro de la revue Transcr(é)ation s’intéresse aux différentes « manières d’être » (terme employé par André Martin) de la peinture dans le cinéma et du cinéma dans la peinture. Les auteur·trice·s ont été encouragé·e·s à explorer des avenues jusqu’ici assez peu exploitées dans les études cinématographiques.
EN:
This current issue of Transcr(é)ation focuses on the different "ways of being" (a term used by André Martin) of painting in cinema and cinema in painting. The authors have been encouraged to explore avenues that have so far been relatively underexplored in film studies.
Articles / Articles
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Mouchette ou le troisième oeil : le cinématographe de Robert Bresson sous le pinceau de Jean Vimenet
Pascal Vimenet
pp. 1–39
AbstractFR:
Cette étude se propose de soumettre un cas de figure très singulier, analysé ici pour la première fois. En 1966-1967, le peintre français Jean Vimenet incarne, pour Mouchette, film de Robert Bresson, l’un des rôles principaux, celui du garde-chasse Mathieu. De l’expérience éprouvante du tournage va naître, sous forme de dessins, de toiles et de pierres peintes, ce que Vimenet appellera le « portrait d’un film ». Cette série, unique dans l’histoire de la peinture moderne et contemporaine, interroge la dialectique qui se met en place entre le travail filmique de Bresson et le travail graphique et pictural de Vimenet. Au-delà, elle engage à comprendre les transmutations et les codifications esthétiques qui vont en naître. Vimenet, en « cherchant » Bresson, découvre « le monde fantastique du cinéma jamais abordé en peinture ». Sa quête le pousse à renouer avec la problématique ancienne de la représentation de la lumière diurne, modifiée par la présence de puissants projecteurs modernes. Et, focalisant son travail autour du regard, de l’œil, du plan, de la composition du cadre et du chromatisme, il en vient à exposer, picturalement, toute la mécanique bressonienne. Du troisième œil à la rhétorique cinématographique, de la force et de la forme à la lumière et aux valeurs colorées, et comme en écho à certaines remarques de Gilles Deleuze et de Jacques Aumont, les deux disciplines s’observent en chiens de faïence.
EN:
This study proposes to present a very singular case, analyzed here for the first time. In 1966-1967, the French painter Jean Vimenet embodied, for Mouchette, a film by Robert Bresson, one of the main roles, that of the gamekeeper Mathieu. From the trying experience of the filming will be born, in the form of drawings, canvases and painted stones, what Vimenet will call the "portrait of a film". This series, unique in the history of modern and contemporary painting, questions the dialectic that is established between the film work of Bresson and the graphic and pictorial work of Vimenet. Beyond that, it engages us to understand the transmutations and aesthetic codifications that will be born. Vimenet, in "searching" for Bresson, discovers "the fantastic world of cinema never approached in painting". His quest pushes him to reconnect with the old problem of the representation of daylight, modified by the presence of powerful modern projectors. And, focusing his work around the gaze, the eye, the shot, the composition of the frame and chromatism, he ends up pictorially exposing all of Bresson’s mechanics. From the third eye to cinematographic rhetoric, from force and form to light and colour values, and as if echoing certain remarks by Gilles Deleuze and Jacques Aumont, the two disciplines observe each other like opposing statues.
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La cinéface, une problématique du mouvement, à l’extrême de la pensée
Patrick Barrès
pp. 1–25
AbstractFR:
Cette étude aborde les relations entre la peinture et le cinéma d’animation dans l’oeuvre de l’artiste français Robert Lapoujade, suivant une approche dialogique. Elle analyse les régimes de plasticité et les mécanismes de la « cinéface » picturale – un concept introduit par l’artiste pour décrire des effets de mouvement dans l’espace de la peinture – tout en explorant les modalités et les enjeux esthétiques de son transfert vers les courts-métrages d’animation, permettant ainsi la transformation de la cinéface en une cinéplastique.
EN:
This study takes a dialogical approach to the relationship between painting and animated film in the work of French artist Robert Lapoujade. It explores the regimes of plasticity and the mechanisms of pictorial "cineface" - a concept introduced by the artist to describe the effects of movement in the space of painting – while exploring the modalities and aesthetic trappings of its transfer to animated shorts, enabling the transformation from cineface into cineplasticity.
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Le dessin e(s)t l’oeuvre au sein des Collections dessins et oeuvres plastiques de la Cinémathèque française
Françoise Lémerige
pp. 1–32
AbstractFR:
En 1936, lorsqu’Henri Langlois crée la Cinémathèque française, il collecte des films, mais aussi ce que l’on appelle en France le non-film ou special collections pour les anglo-saxons, c’est à dire tout ce qui est produit autour de la conception, la fabrication, la production, la promotion et l’étude d’un film. Collectionneur insatiable et amateur d’art, il intègre au sein d’une cinémathèque un musée du Cinéma sur le modèle d’un « musée d’art », dans lequel il expose extraits de films, objets mythiques de l’histoire du cinéma, archives, affiches, matériels publicitaires, photographies, plaques de lanternes magiques, appareils de cinéma, costumes, objets, éléments de décors, dessins documents de travail ayant servi à la conception et à la réalisation des films, dessins de films d’animation et œuvres de peintres auxquels le cinéma ouvrit de nouveaux horizons. Nous verrons dans cet article que l’histoire de ces collections ne peut être dissociée de celle de leur valorisation. Nous nous appliquerons à rendre compte des enjeux archivistiques qu’engage cette politique d’acquisition et de monstration du cinéma au côté d’autres formes d’art. Nous illustrerons notre propos par le biais d’exemples significatifs mettant en évidence les multiples connexions générées par les artistes et les cinéastes entre peinture et cinéma.
EN:
In 1936, when Henri Langlois creates the French Cinemathèque, he is a film collector, but also a collector of what we call in France "non-film" (special collections), that is to say everything that surrounds the conception, fabrication, production, promotion and study of a film. He adds in his collection, resembling something of an art museum, movie extracts, mythical objects from the History of cinema, archives, posters, advertisements, photographs, magical lantern plaques, movie cameras, setting and props, etc. In this article, I would like to show all of the aforementioned are highly connected to a film's valorization.
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Des Cent Vues d’Edo de Hiroshige aux plans péridiégétiques de Yasujirô Ozu : naturalisation de l’espace et décentrement anthropologique
Quentin Barrois
pp. 1–28
AbstractFR:
Les liens entre le cinéma de Yasujirô Ozu (1903-1963) et la peinture japonaise ont été rarement abordés dans la théorie, à l’exception de David Bordwell qui a proposé une comparaison entre ses représentations urbaines et celles que pratique Hiroshige (1797-1858) dans les Cent Vues d’Edo. Nous prolongeons cette analyse pour déceler quelques préoccupations esthétiques communes, notamment la naturalisation de l’espace urbain et le décentrement des figures humaines. Si les représentations de Hiroshige sont teintées d’un dynamisme presque cinématographique, ces gestes se manifestent chez Ozu dans ses plans « péridiégétiques », dont la fonction est d’éloigner le public du centre narratif du film pour le confronter à la forte plasticité de l’image filmique.
EN:
Links between the cinema of Yasujirô Ozu (1903-1963) and Japanese painting have rarely been approached in theory, with the exception of David Bordwell who proposed a parallel between his representation of urbanity and that practiced by Hiroshige (1797-1858) in One Hundred Famous Views of Edo. We extend this analysis to identify a few shared aesthetic concerns, notably the naturalisation of urban space and the decentring of human figures. If Hiroshige's representations are tinged with an almost cinematographic dynamism, Ozu’s work expresses these gestures through his "peridiegetic" shots, the function of which is to separate the audience from the narrative center of the film in order to confront it with the strong plasticity of the film picture.
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Entre inspiration et imprégnation tactile : oeuvre burtonienne et réflexion picturale
Tatiana Horbaczewski
pp. 1–24
AbstractFR:
L’oeuvre de Tim Burton entretient une relation particulièrement riche avec la peinture. Ce dialogue, entre le cinéma burtonien et le troisième art, se déploie à travers une dépendance créatrice du réalisateur avec le pictural, des équivalences visuelles, des citations explicites, une analyse des jeux de lumière et de couleur, mais également autour de la question de l’« aura » de l'oeuvre. Ces croisements interartistiques seront examinés par le biais de l’analyse de film couplée à l'histoire de l’art et à sa théorisation. Un concept traverse néanmoins cette étude comparative : l’haptique. Si les films sont objectivement faits pour être vus, ceux de Tim Burton rappellent constamment qu’ils sont, tout comme la peinture, le fruit d’un travail, non pas seulement optique, mais avant tout tactile. Même si l’oeuvre a pour but d’être vue de loin, sa conception s’est faite « de près », dans une relation tactile entre créateur et création. Le cinéma burtonien convoque quelque chose d’artisanal, voire de « manuel » : les traces de ses mains sont parfois visibles à l’image. Spectatoriellement, les deux pendants de la tentation tactile de la peinture se trouvent cinématographiquement incarnés : le désir de toucher la toile avec le doigt, et celui de toucher son sujet avec le regard.
EN:
Tim Burton's work has a particularly rich relationship with painting. This dialogue, between Burtonian cinema and the pictorial art, unfolds through the director’s creative dependence on the pictorial, through visual equivalences, explicit quotations, an analysis of light and color, but also around the question of the “aura” of the work. These interartistic crossings will be examined through film analysis, coupled with art history and its theorization. A concept nevertheless runs through this comparative study: haptics. If films are objectively made to be seen, those of Tim Burton constantly remind us that they are, just like painting, the fruit of work, not only optical, but above all tactile. Even if the work is intended to be seen from afar, its conception was done “up close”, in a tactile relationship between creator and creation. Burtonian cinema evokes something artisanal, even “manual”: the traces of his hands are sometimes visible in the image. Spectatorially, the two counterparts of painting’s tactile temptation are cinematically embodied: the desire to touch the canvas with the finger, and the desire to touch one's subject with the gaze.
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Le portrait : transfiguration de la seconde chance : étude de cas de quelques films de l’ère classique hollywoodienne
Baptiste André
pp. 1–19
AbstractFR:
L’article se propose d’observer un phénomène récurrent au sein des productions hollywoodiennes classiques, et plus particulièrement entre 1944 et 1948. En effet, plusieurs films utilisent le portrait comme un élément narratif essentiel au déroulement de leur trame. Le motif d’un portrait peint agit comme un objet à valeur esthétique forte, il est l’épicentre, la condition même, d’un retour à soi (en l’occurrence aux personnages) et d’une possibilité d’une seconde chance. Récits entremêlés, acteurs et actrices qui passent d’un film à l’autre, sont alors autant de symptômes vers lesquels le portrait peint converge. Cette constellation qui se répète dans un corpus singulier nous pousse à voir dans le portrait un objet dont les propriétés picturales transfigurent le medium cinématographique et attire notre attention sur une autre façon d’être au monde, celle d’une seconde fois, d’une nouvelle présence. L’article a ainsi pour champ de recherche et d’analyse les conditions de cette transfiguration, les moyens de ses apparitions et ses conséquences sur le médium et les récits qu’elle habite.
EN:
This article aims to examine a recurring phenomenon within classic Hollywood productions, specifically between 1944 and 1948. During this period, several films use the motif of the painted portrait as a crucial narrative element. The portrait functions as an aesthetically significant object, serving as the epicenter and condition for the characters' return to themselves and the possibility of a second chance. Interwoven narratives, actors and actresses who switch from one film to another, emerge as symptoms towards which the painted portrait converges. This recurring constellation within a particular corpus suggests that the portrait possesses pictorial properties that transfigure the cinematic medium, drawing attention to an alternative way of being in the world—a second presence. The article thus explores the conditions of this transfiguration, the ways of its appearances, and its impact on the medium and the narratives it inhabits.
Entretiens et témoignages / Interviews and testimonies
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Entrevues avec Florence Miailhe et Solweig von Kleist
Françoise Lémerige
pp. 1–21
AbstractFR:
Afin d’illustrer nos propos tenus dans l’article « Le dessin e(s)t l’oeuvre : Collections dessins et oeuvres plastiques de la Cinémathèque française » proposé dans ce numéro, nous avons choisi d’interviewer deux donatrices, témoignant des liens entretenus entre la peinture et le cinéma, ayant un parcours inverse : Florence Miailhe, peintre devenue cinéaste pratiquant la « peinture animée » et Solweig von Kleist, cinéaste puis plasticienne pluridisciplinaire explorant les liens entre les arts plastiques et le film d’animation expérimental. Ces enrichissements récents témoignent de la volonté de la Cinémathèque française d’intégrer dans ses collections des éléments à la croisée des deux arts, convoquant différentes matérialités plastiques, liant indissociablement peinture et cinéma au sein des collections patrimoniales de la Cinémathèque française.
EN:
In order to contextualize our article « Le dessin e(s)t l’œuvre : Collections dessins et œuvres plastiques de la Cinémathèque française » published in this issue, we have conducted interviews with two participants, hoping to highlight the relationship between painting and cinema. They have had an opposite background - Florence Miailhe, as a painter who became a film director of "animated painting"; Solweig von Kleist as a film director who then turned to pluridisciplinary arts and experimental animation. These dialogues are a testimony to Cinémathèque française's desire to integrate in its collection elements that are between the arts.
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La peinture dans ma pratique du cinéma d’animation
Thomas Corriveau
pp. 1–15
AbstractFR:
Il y a plus de quarante ans, je me suis dirigé vers ce que j’imaginais être une carrière exclusivement consacrée à la pratique de la peinture. Au cours de mes études universitaires, et ce à mon grand étonnement, je me suis intéressé au cinéma d’animation, au point de développer une démarche artistique qui puisse conjuguer la création d’oeuvres picturales et la production de films. J’ai peint en me basant amplement sur des concepts empruntés au cinéma et j’ai conçu des films comme s’il s’agissait de tableaux. En replongeant dans la genèse des films que j’ai réalisés entre 1981 et aujourd’hui, je propose ici quelques pistes de réflexion sur les interactions permanentes et fructueuses entre ces deux champs de création dans mon oeuvre.
EN:
More than forty years ago, I headed towards what I imagined would be a career devoted exclusively to the practice of painting. During my university studies, to my great surprise, I became interested in animated film, to the point of developing an artistic approach that could combine the creation of pictorial works and the production of films. My paintings were based largely on concepts borrowed from cinema and I made films as if they were paintings. Looking back at the genesis of the films I made between 1981 and today, I offer here some avenues for reflection on the constant and fruitful interactions between these two fields of creation in my work.