
Number 137, 2025 Presse et musique au xixe siècle. Poétiques, littératures et savoirs Guest-edited by Michel Duchesneau and Guillaume Pinson
Table of contents (7 articles)
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Liminaire
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Musique, journalisme et justice sociale : Paris entre les révolutions (1830-1851)
Mark Everist
pp. 13–42
AbstractFR:
L’un des moyens de propagation de la philosophie de Jean-Baptiste Joseph Fourier se fit à travers la publication de deux périodiques : La Phalange, publié de 1836 à 1843, puis La Démocratie pacifique, publié de 1843 à son arrêt au début du Second Empire en novembre 1851. Dès le début, les publications proposèrent non seulement des comptes rendus sur l’actualité des concerts et des événements scéniques, mais aussi des essais plus discursifs sur la musique. À partir de 1838, le critique Allyre Bureau est au coeur de cette activité. Il rédige deux articles par mois pendant la décennie suivante et au-delà. Les textes de ses collègues et les siens dans La Phalange et La Démocratie pacifique rapprochent la musique de la philosophie des fouriéristes. L’article analyse ces rapprochements et le discours social et musical qui se déploie au sein des deux journaux.
EN:
One way of propagating the philosophy of Jean-Baptiste Joseph Fourier was by means of two periodicals: La Phalange, published from 1836 to 1843, and La Démocratie pacifique, published from 1843 to its termination during the early Second Empire in November 1851. From the start, these publications proposed not only reports on the latest concerts and stage events, but also more discursive essays on the subject of music. Beginning in 1838, the critic Allyre Bureau was central to this activity. He wrote two articles a month during the following decade and beyond. The texts by Bureau and his colleagues in La Phalange and La Démocratie pacifique brought together music and Fourier’s philosophy. This article analyzes these rapprochements and the social and musical discourse deployed in both publications.
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Une scène lyrique populaire sur le boulevard du Temple : l’Opéra-National et la presse française (1847-1852)
Olivier Bara
pp. 43–66
AbstractFR:
Quel rôle joue la presse lors de l’ouverture de l’Opéra-National, futur Théâtre-Lyrique, sur le boulevard du Temple ? Entre 1847 et 1852, comment réagissent les journaux, généralistes ou spécialisés, face à l’effort de démocratisation que représente la troisième scène lyrique française ? Arrachés au confort des théâtres du centre de Paris, les feuilletonistes et les chroniqueurs couvrent néanmoins l’activité de la nouvelle institution lyrique, accompagnant les différentes phases de sa création. De leurs côtés, les directeurs de ce nouveau théâtre, Adolphe Adam puis Edmond Seveste, recourent massivement à la presse pour légitimer leur entreprise et lui donner toute la publicité nécessaire. Cela n’empêche pas les journaux de développer une réflexion, parfois critique, au sujet de la présence d’une maison d’opéra parmi les spectacles populaires du boulevard du Temple alias boulevard du Crime. En un moment troublé de l’histoire sociale et politique, s’esquisse une réflexion sur le « théâtre populaire », riche d’avenir.
EN:
What role did the press play during the opening of the Opéra-National, later renamed the Théâtre-Lyrique, on Boulevard du Temple? In the years between 1847 and 1852, how did both general-interest and specialized newspapers react to the democratization effort of the third French popular opera company? Torn from the comfort of theatres in downtown Paris, serial writers and columnists nevertheless covered the activity of the new popular institution, accompanying the different phases of its creation. For their part, the directors of this new theatre, Adolphe Adam followed by Edmond Seveste, made massive use of the press to legitimize their enterprise and provide it with all needed publicity. Their actions failed to prevent the newspapers from initiating a discourse, at times critical, on the presence of an opera house among the popular entertainment venues of Boulevard du Temple alias Boulevard du Crime. During a troubled time in social and political history, a debate emerged on “popular theatre”, a richly promising future concept.
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La musique au Mercure de France (1890-1914). Portrait et défis d’un discours interdisciplinaire
Michel Duchesneau and Federico Lazzaro
pp. 67–101
AbstractFR:
Cet article propose un panorama de la présence de la musique dans la revue littéraire le Mercure de France alors que le milieu musical français est en ébullition. Dans les pages de la revue, Jean Marnold se fera ainsi le relais du scandale qui a suivi l’échec de Maurice Ravel au Prix de Rome, comme il jouera un rôle déterminant dans l’essor d’une violente polémique entourant la création de la Société musicale indépendante. La musique occupera ainsi un espace important, soit plus de 700 textes entre 1890 et 1914, apportant un éclairage sur la vie musicale et les enjeux qui l’animent à l’époque. Le wagnérisme sera l’un des sujets de prédilection des critiques musicaux de la revue comme en témoigne d’ailleurs l’enquête sur l’influence allemande sur le monde intellectuel français réalisée par la revue en 1902. Mais ce qui est probablement le plus marquant, c’est l’importance du réseau symboliste qui s’établit autour de la revue et qui trouvera sa voie musicale à travers le soutien à un compositeur oublié, Gabriel Fabre, dont la musique fait la délectation des cercles mondains au tournant du xxe siècle. Le Mercure de France est ainsi une source exceptionnelle pour l’étude de la réception de la musique dont le caractère interdisciplinaire en fait toute la richesse.
EN:
This article offers a panorama of the presence of music in the literary review Mercure de France during an effervescent period for French musical life. In the pages of the review, Jean Marnold built on the scandal following Maurice Ravel’s failure at the Prix de Rome, as this played a decisive role in the spread of a violent polemic surrounding the creation of the Société musicale indépendante. Music thus occupied an important space—over 700 texts between 1890 and 1914—that shed light on the music scene and the issues driving it at the time. Wagnerism was the favourite subject of the review’s music critics as evidenced, moreover, by the inquiry into German influence on French intellectual life conducted by the review in 1902. But probably the most significant factor is the symbolist network established around the review, which found its musical direction through support for a forgotten composer, Gabriel Fabre, whose music charmed fashionable circles at the turn of the twentieth century. The Mercure de France is therefore an exceptional source for studying the reception of music whose richness lies in its interdisciplinary character.
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La critique musicale au féminin sous la Troisième République : Judith Gautier et la critique en contrepoint
Isabelle Perreault
pp. 103–124
AbstractFR:
Dans l’optique de poser un jalon dans le chantier de recherche qu’ouvre le corpus de la critique musicale des femmes, c’est à la trajectoire de Judith Gautier que cet article s’intéresse, non pour dégager une manière féminine exemplaire d’écrire la musique, mais pour identifier un ensemble d’indices à partir desquels on pourra envisager cette occurrence singulière au sein d’une histoire de la critique musicale au féminin. Fille de Théophile Gautier, Judith se distingue par sa passion pour les oeuvres de Wagner, se qualifiant même de sa « meilleure disciple », jusqu’à devenir l’une de ses plus ferventes défenseures en France. Grâce à la relation avec son père, et afin de s’affranchir de son mariage malheureux avec Catulle Mendès, elle parvient à établir sa légitimité en développant une approche poétique et impressionniste de la critique, approche cependant éclairée par une connaissance intime des oeuvres, avec lesquelles ses articles dialoguent à la manière d’un contrepoint. Ce positionnement lui permet non seulement de contourner les frontières de genre dans un champ professionnel masculin, mais aussi de contribuer activement à la réception et à la promotion de l’oeuvre wagnérienne en France. L’article entend ainsi proposer une réflexion sur les stratégies d’autonomisation d’une femme critique musicale, et interroger les rapports de genre dans la construction d’une autorité critique au féminin dans une période qui instaure et institutionnalise la fonction de critique musicale au sein du journal.
EN:
To mark a milestone on the research path opened by the body of female music criticism, this article examines the trajectory of Judith Gautier, not to highlight a feminine manner of writing about music, but to identify a set of clues that can serve to envision this singular occurrence in the history of music criticism by women. The daughter of Théophile Gautier, Judith was distinguished by her passion for the works of Wagner, describing herself as his “best disciple” and becoming, as a result, one of his most ardent defenders in France. Thanks to her relationship to her father, and to break free from her unhappy marriage to Catulle Mendès, she managed to establish her legitimacy by developing a poetic and impressionistic approach to criticism, an approach informed, however, by a thorough knowledge of Wagner’s works and expressed in her articles as a counterpoint dialogue. This positioning allowed her not only to bypass gender boundaries in a traditional male profession, but also to actively contribute to the reception and promotion of Wagner’s works in France. From this perspective, the present article proposes to reflect on the empowerment strategies of a female music critic and examine gender relations in the construction of a female critical authority in a period that established and institutionalized the function of music criticism in the review.
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Les stratégies médiatiques d’Émile Zola et Alfred Bruneau dans la presse
Olivier Sauvage
pp. 125–147
AbstractFR:
Ayant fait ses premières armes dans la presse, Émile Zola sut utiliser sa plume de critique pour défendre avec fougue ses conceptions littéraires. Lorsqu’il devint librettiste et collabora avec le musicien Alfred Bruneau, les journaux furent là encore considérés comme une vitrine permettant de diffuser ses vues naturalistes en matière de musique et d’opéra, d’autant que Bruneau était lui-même critique musical. La lecture attentive des textes critiques de l’un et de l’autre renseigne sur les stratégies discursives déployées par eux afin de prendre position dans les débats esthétiques de la fin du xixe siècle et du début du xxe. Malgré des différences de ton et quelques spécificités, les deux artistes surent conjuguer leurs efforts pour promouvoir leur théâtre lyrique.
EN:
Thanks to an early career in journalism, Émile Zola knew how to use his critic’s pen to passionately defend his literary conceptions. When he became a librettist and was collaborating with the musician Alfred Bruneau, newspapers were still considered a showcase for disseminating his naturalistic views on music and opera, especially given that Bruneau was himself a music critic. A careful reading of both men’s critical writings provides information on the discursive strategies they deployed to position themselves in the aesthetic debates of the late nineteenth and early twentieth century. Despite differences in tone and a few specifics, the two artists successfully combined their efforts to promote their lyrical theatre.
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Écouter la musique dans la presse quotidienne. Poétique médiatique et partitions musicales à la fin du xixe siècle
Guillaume Pinson
pp. 149–170
AbstractFR:
Cet article se penche sur la présence de nombreuses partitions musicales publiées dans la presse quotidienne du xixe siècle français. Issu d’un échantillon de 13 journaux, un corpus de près de 1000 partitions permet de réfléchir à cette présence de « l’écriture » musicale au sein de l’écriture périodique, pour montrer notamment quels rôles et fonctions ces partitions peuvent remplir. L’auteur propose d’y voir une sorte de langage proprement médiatique, qui récupère la pratique ancienne du « petit format » (partitions vendues bon marché depuis le début du siècle) au sein de la quotidienneté, tout en établissant des relations de proximité et d’échanges avec certaines poétiques médiatiques, comme le feuilleton, le récit d’actualité ou encore la chronique populaire.
EN:
This article focuses on the presence of numerous music scores published in the nineteenth-century French press. Lifted from a sample of 13 newspapers, a body of close to 1000 scores allows for a discussion of the presence of musical “writing” in periodical literature to demonstrate, notably, the roles and functions of these scores. The author proposes to see in them a kind of specifically media language that revisits the old practice of the “small format” (affordable scores sold since early in the century) for everyday use, while establishing relations of proximity and exchange with certain media poetics such as serials, news items or opinion pieces.