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ChroniquesPoésie

La troisième étape[Notice]

  • Nelson Charest

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  • Nelson Charest
    Université d’Ottawa

La première étape de la vie est très courte, mais déterminante : le bébé n’est que rythme, il apprend la gauche et la droite. L’enfance est la deuxième étape, beaucoup plus longue ; on ouvre la boîte de Pandore et on gère l’explosion qui s’en suit. La puberté vient ensuite et nous n’en sortons jamais ; elle nous « survit » : Dans le recueil d’Annie Lafleur, après les réminiscences de l’adolescence racontées sous le signe de la sororité, la « puberté » se voit constamment reportée comme quelque chose encore à venir, qui n’est pas (complètement) advenu. Et c’est ainsi que le recueil, qui lui-même « clôt un cycle » (quatrième de couverture), se termine par une « clochette » et par le vers excipit suivant : « C’est l’été qui commence quand le printemps se mélange. » (P, 133) Vincent Lambert, pour sa part, quitte son « poème » en se déclarant « ouvert » comme peuvent l’être un magasin ou un dépanneur où il reste encore quelque lumière : « je vais rester ouvert encore un peu ». Notre époque vit cette conscience et cette lucidité de se savoir dans un processus bien imparfait, mais sans terme, où la maturité ne vient jamais totalement. Ne reste alors que cette possibilité, de « rester ouvert encore un peu », la possibilité de reconnaître l’inachèvement de nos vies : La vie n’est qu’une suite de « oups », de repentirs sur nos bêtises. Voilà qui touche particulièrement la poésie et sa langue « noble », son inspiration « haute », rendues caduques aujourd’hui, inopérantes. L’adolescence est cette époque où on a besoin de se situer, d’avoir sa cabane-maison en haut d’un arbre, près du ciel. Le « qui suis-je ? » et le « où suis-je ? » s’entremêlent, l’enfant d’hier a besoin de connaître ses repères : Mais là où la poésie de notre temps fait plus que se complaire dans son insuffisance, c’est lorsqu’elle pose un regard sur le monde environnant, avec intransigeance et sans compromis, pour lui annoncer que ses prétentions sont vaines. L’époque se vit sur un pied d’alerte, on vient d’arriver et on doit déjà repartir, l’humain peine à trouver un seul lieu qui lui ressemble et la terre nous est étrangère alors que nous l’habitons. La toponymie n’est plus une histoire qu’on peut raconter, avec des personnages, des actions et des détails, les lieux sont commerciaux, on va sur « la rue du Walmart » ou sur le « boulevard du Best Buy » plus que nulle part ailleurs. Les lieux ne nous appartiennent plus, et il nous prend l’envie d’acheter les entreprises, d’avoir « notre » Maxi bien à nous, dans notre cour arrière ou notre sous-sol. On avance, on chemine, les étapes se succèdent et pourtant « on n’arrive jamais », aucun lieu pour se poser, où on pourra se dire « ici, je me reconnais ». Le seul lieu qu’il nous reste, c’est peut-être la Terre : Ainsi, la crise de la puberté ne se referme jamais et reste ouverte, se reconnaître et se situer étant deux entreprises in-finies. Et si le cosmos était ainsi fait, lui aussi ? Le cosmos en forme d’inachèvement, en forme d’étape transitoire qui ne s’achève jamais et qui fait de cet inachèvement une respiration, un climat dont il faut prendre le pouls régulièrement, pour s’assurer qu’il bat encore. Et bien sûr, nous sommes les habitants pubères de ce cosmos, nous célébrons nos bévues dans l’oubli des conséquences, nous sommes à deux doigts d’une mort et nous dansons : Cette troisième étape, forcément …

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