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ChroniquesRoman

Souffrances de qualité

  • Pierre-Olivier Bouchard

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  • Pierre-Olivier Bouchard
    Cégep Garneau

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Couverture de Virginia Pesemapeo Bordeleau, Volume 49, numéro 2 (146), hiver 2024, p. 9-164, Voix et Images

Cet automne, j’ai donné à lire à mes étudiants des passages d’Expo habitat de Marie-Hélène Voyer. Ce sont des étudiants de «Français 101 », tout juste sortis du secondaire et, pour certains, fraîchement sortis de leur région. Alors que je circulais pour recueillir les réponses ou apaiser les angoisses de ceux ou celles que la poésie pétrifie, j’ai remarqué une étudiante qui annotait énergiquement son recueil. Deux vers – « beaucoup d’espace/pour manquer d’air » (EH, 12) – sont soulignés. Un coeur est tracé autour du poème. L’étudiante me regarde : « J’ai grandi en campagne, jusqu’à l’âge de dix-sept ans. C’est ma vie qu’elle décrit dans ce poème-là. Y’a rien à faire en région, tout le monde se connaît et tout le monde se juge. C’est beau, mais c’est lourd. C’est vraiment lourd. » Plus encore qu’Expo habitat, Lait cru pose un regard brutal sur « l’indépassable campagne » (EH, 14) qui est à la fois l’enfer et le purgatoire du narrateur. Roman de toutes les détresses, de tous les instincts et de toutes les pulsions, même les plus ravageuses, le texte de Steve Poutré lève le coeur en même temps qu’il lui fait mal. On ne saurait mieux le dire que l’étudiante de mon cours de 101 : c’est beau, mais c’est lourd. Bien qu’un narrateur y relate divers événements de son enfance à la campagne, il ne se passe pas grand-chose entre la première et la dernière page de Lait cru. Ou plutôt, si, il se passe énormément de choses, mais c’est en réalité toujours la même : du morcellement. Tout, mais principalement ce qui est vivant ou qui l’a déjà été, est découpé, déchiré, déchiqueté, etc. Le narrateur est obsédé par les morceaux et les bouts – d’animaux, d’humains, de nourriture, d’arbres – et cette obsession se retrouve d’une manière ou d’une autre au coeur de chacun des courts chapitres qui composent le récit. Celui intitulé « La recette », ironiquement, exemplifie cette formule qui se répète encore et encore, en montrant comment le narrateur réalise une « galette de bouette » à partir des restes de son repas de la veille, mélangés aux restes du repas de l’avant-veille : Le délire de morcellement du narrateur s’incarne presque sur chaque page et la liste des bêtes et des individus qui sont ainsi déconstruits pourrait s’allonger presque indéfiniment : mains d’enfants dans un tonneau, pattes de poussins écrasées, foetus de poussins dans leur oeuf, oeil de chat qui pendouille sur le nerf optique, cornes de bovins brûlées pour éviter qu’elles ne repoussent, trou dans la patte d’une vache, peaux de lapin, crânes de lapin, oreilles de lapin… Cette dimension du texte est si fondamentale qu’en prenant conscience de son importance on se retrouve en mesure de prévoir les événements. Par exemple, dans le chapitre intitulé « Les truites » (LC, 175), le narrateur relate un voyage de pêche avec son grand-père maternel. Il est question de vers de terre (alerte au divulgâcheur : ils seront coupés en deux) et de truites (nouvelle alerte au divulgâcheur : leurs yeux seront arrachés pour servir d’appât). Une dizaine de pages plus loin, le chapitre « Les lapins » fonctionne de la même manière et s’ouvre sur la phrase suivante : « Dépecer un lapin est très facile » (LC, 187). Inutile de relater la suite. L’obsession du narrateur pour les « morceaux » n’est pas nommée comme telle, ce n’est pas le véritable sujet du texte, ni la justification de l’assemblage de courts chapitres qui constitue le livre. …

Parties annexes