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Publié à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, cet ouvrage est arrivé à point nommé afin de comprendre la double morale sexuelle existante entre les hommes et les femmes. L’autrice y poursuit deux objectifs : montrer combien cette double morale persiste au xxie siècle et proposer « des solutions pour que notre monde devienne moins violent et plus juste » (p. 13). L’ouvrage présenté ici comprend une introduction, 9 chapitres et 433 notes de bas de page qui tiennent lieu de références.
Dans son « Introduction », Florence Montreynaud définit la double morale comme un code différent appliqué aux femmes et aux hommes qui, en exprimant leur désir sexuel, sont jugés inéquitablement : « un homme est valorisé et une femme dégradée : il est un don Juan et elle une salope » (p. 7). Cette double morale sexuelle repose sur la construction des identités de genre où les hommes sont avantagés : « Faut le comprendre, c’est un homme, il a des besoins » (p. 11). De plus, l’autrice déplore que, malgré l’égalité formelle entre les sexes inscrite dans les lois, la situation d’infériorité, de soumission ou de vulnérabilité des femmes persiste encore dans la sexualité.
Dans le chapitre intitulé « La double morale sexuelle », l’autrice retrace l’histoire de la contestation de ce code discriminatoire. Au Moyen Âge, des poètes mettent en scène des femmes qui revendiquent le droit de se conduire sexuellement comme les hommes; au xviiie siècle, les écrivains français Marivaux et Diderot dénoncent cette injustice à travers la voix de personnages féminins; au xixe siècle, Alexis de Tocqueville examine les moeurs des États-Unis où, « chez eux, le séducteur est aussi déshonoré que sa victime » (p. 18). Montreynaud rappelle d’abord les écrits de Christine de Pisan, Madame de Staël, les ouvrières saint-simoniennes, Alexandra David-Néel, Madeleine Vernet ainsi que ceux de Josephine Butler, d’Elizabeth Wolstenholme et d’Helene Stöcker, « qui revendique la liberté sexuelle des femmes, avec le droit à l’avortement et l’éducation sexuelle » (p. 22). Puis Montreynaud s’intéresse à la pensée d’Alexandra Kollontaï, où sont liées la sexualité et la politique. Concernant le xxe siècle, l’autrice présente les analyses de Madeleine Pelletier, d’Anaïs Nin et de Ludivine Bantigny, qui regrettent également cette double morale sexuelle.
Abordant le mythe de la libération sexuelle au xxe siècle, l’autrice affirme qu’elle a surtout profité aux hommes puisqu’ils pensent désormais que toutes les femmes sont disponibles sexuellement pour les satisfaire. Elle souligne que la réplique conceptuelle à ce machisme est venue de la part des féministes Nicole-Claude Mathieu, Geneviève Fraisse et Christine Delphy, qui ont étudié les notions de consentement et de sexualité. Montreynaud réfère à la première enquête menée en France en 2002 qui a révélé que « l’ensemble de ces violences se déploie selon un continuum qui va de l’insulte sexiste au meurtre » (p. 33).
Ensuite, dans le chapitre « L’asymétrie du langage », Montreynaud réfléchit sur la sexualité imprégnée du vocabulaire masculin où il n’y a pas d’équivalent féminin, par exemple : « ça me fait bander [ou débander] », « ça me casse les couilles ». Par ailleurs, le terme « pute » a la cote lorsque les femmes « revendiquent leur libre arbitre ou expriment le désir de décider de leur propre vie : autrement dit, un comportement non sexuel déclenche des insultes sexuelles » (p. 49).
Puis, dans le chapitre intitulé « Injustices à tout âge », l’autrice précise que, à l’adolescence, la masturbation fréquente chez les garçons est normale, alors que chez les filles, elle est taboue et considérée comme de la saleté. Par ailleurs, la virginité chez les jeunes filles est favorisée par l’éducation traditionnelle, alors qu’être « puceau » chez un garçon devient une injure. Seules les filles-mères sont considérées comme des « perdues », ce qui n’est pas le cas des garçons qui les ont mises enceintes. L’âgisme est abordé avec l’apparition des rides et des rondeurs corporelles perçues négativement chez les femmes âgées, mais positivement chez les hommes âgés. À l’aide de statistiques, l’autrice traite le harcèlement sexuel au travail, les viols incestueux et les prêtres agresseurs sexuels de l’Église catholique. Enfin, elle s’interroge sur la liberté féminine dans ce contexte inéquitable (p. 91).
D’ailleurs, dans le chapitre « Le désir insulté », Montreynaud souligne des expressions attribuées aux hommes hyperactifs sexuellement dans les notices nécrologiques : « aimant la gastronomie, le plaisir de vivre et les femmes », toutes élogieuses, alors qu’à l’inverse, on imagine mal une politicienne être qualifiée de « croqueuse d’hommes » (p. 94). L’autrice déplore en outre l’absence de mots féminins pour signifier l’« amant incomparable », comme si les hommes étaient les seuls experts en matière de sexualité : « une femme désirante est ravalée au statut d’une chatte ou d’une chienne “ en chaleur ” » (p. 99). Montreynaud se préoccupe aussi des hommes violents sexuellement, qui profitent de l’indulgence populaire, alors que le trop grand désir éprouvé par certaines femmes est associé à la nymphomanie, qualifiée de trouble mental. Enfin, le droit de changer d’avis au cours de rapports sexuels fait également problème puisque les machos sont durs avec les « allumeuses » dont le droit au consentement libre, éclairé et continu est nié.
De plus, dans le chapitre intitulé « L’indigne sentence », l’autrice démontre que les femmes doivent presque toujours assumer seules une grossesse hors mariage ou un avortement malgré les progrès de la contraception. De nos jours encore, le déshonneur s’abat sur la famille, ce qui justifie l’éducation différente donnée aux filles et aux fils. Montreynaud invite également à choisir les mots pertinents pour parler des violences sexuelles masculines puisque les termes employés « contribuent à façonner un monde de justice et d’égalité » (p. 117). Ainsi, il faut dire : « Elle a été violée » et non « Elle s’est fait violer », ce qui signifie que la femme était volontaire. L’autrice décrit aussi les failles du système judiciaire (p. 123) :
Dans le monde entier, les violeurs, dans leur quasi-totalité, ne sont pas condamnés. En revanche, presque toutes les victimes endurent des souffrances supplémentaires, sous forme de persécutions, d’un bannissement de la communauté, d’un rejet par leur groupe familial ou amical : elles subissent donc et le viol et le châtiment.
Enfin, Montreynaud considère que « [l]e seul coupable, c’est l’agresseur » et qu’il faut le désigner comme tel, car c’est « l’unique moyen de faire évoluer les mentalités » (p. 131).
Au surplus, dans le chapitre « La réputation, une affaire de genre », Montreynaud commence en distinguant que, pour l’homme, la réputation « concerne la compétence professionnelle, la célébrité, l’honorabilité morale » (p. 135), alors que, pour la femme, la réputation est liée au sexuel, « d’où le souci permanent de la conserver bonne » (p. 135). L’autrice précise d’abord que, dans « réputation », il y a « pute ». Puis elle explore la dynamique du refus et de l’insulte des femmes qui résistent aux hommes, ceux-ci ne supportant pas d’avoir été rejetés. Il s’ensuit une colère où des violences sexuelles, calquées sur la pornocriminalité, sont commises par les garçons et les hommes qui font leur éducation sexuelle dans Internet. De plus, Montreynaud s’intéresse à la vengeance pornographique souvent utilisée comme une arme par les machos qui ne tolèrent pas qu’une femme rompe une relation. Enfin, l’autrice croit que les femmes doivent avoir une très grande force intérieure pour départager l’estime de soi de l’opinion d’autrui et pour argumenter contre les injonctions machistes de l’environnement familial et social (p. 160).
L’autrice examine ensuite, dans le chapitre intitulé « Le corps féminin agressé », la dynamique de soumission féminine et souligne que les filles et les femmes acceptent souvent « les violences, les ruses, les complicités, les images obtenues sous la contrainte ou par un subterfuge » pour paraître « libérées », « à l’aise avec leur corps » (p. 164). En niant leur désir et en se comportant de manière à susciter le désir des hommes, elles s’offrent plutôt comme proie et victime de sextorsion. À cet égard, l’autrice exhorte les femmes à prendre conscience du travail nécessaire pour se libérer des stéréotypes et de la soumission féminine.
Puis, dans le chapitre appelé « Vers une morale sexuelle unique », Montreynaud s’interroge sur la manière de concilier la liberté individuelle et le conditionnement social dès lors que les jeunes femmes s’alignent sur les modèles véhiculés par les vedettes ou leurs amies. L’autrice invite ainsi les filles et les femmes à réfléchir avant de se mouler à l’hypersexualisation de leur corps. Ensuite, elle recommande « de leur apprendre comment riposter, rendre la pareille, monter un réseau de solidarité, menacer à titre préventif, ou toute autre tactique volontariste » (p. 191). Elle ajoute que se respecter soi-même, « c’est plutôt prendre soin de soi, prendre conscience de sa dignité, et en imposer le respect aux autres » (p. 193). L’autrice traite également du mouvement #MeToo, qui a lancé le slogan « La honte doit changer de camp », en répliquant qu’il est prématuré de penser qu’elle a réellement changé de camp. Néanmoins, en passant de la honte à la colère, des femmes victimes transforment leur sentiment négatif en énergie combative pour demander justice : « Il s’agit pour elles de protéger d’éventuelles prochaines victimes en prenant la parole » (p. 202). Enfin, Montreynaud estime que vivre sans peur est un droit fondamental. De plus, « [l]e machisme n’est pas une fatalité, mais le produit d’une histoire » (p. 212). Il n’est donc pas inné mais appris, et il est urgent d’éduquer les garçons : « En refusant les normes machistes. En cessant de valoriser la violence, de la confondre avec l’honneur et le courage. En respectant les autres comme soi-même. En respectant l’humanité en chacun·e de nous » (p. 213).
En outre, l’autrice réaffirme les valeurs défendues par des femmes telles que « [n]ous voulons une vie libre » (p. 219) et « une seule morale pour les deux sexes » (p. 220) dans le chapitre « L’égalité changera le monde ». Néanmoins, cette nouvelle morale ne sera possible, pense-t-elle, qu’en se débarrassant « des normes genrées et des injonctions esthétiques » (p. 222). Montreynaud propose également de changer le vocabulaire usuel des schémas patriarcaux, comme l’a fait Ursula Le Guin. L’autrice a aussi recours à Andrea Dworkin qui envisage que « [l]a sexualité ne serait plus limitée au plan génital, aliénée et déformée par le cadre dominant, pornographique et machiste de la sexualité » (p. 224). De plus, elle mentionne les propos de Rebecca Whisnant (p. 232) :
Dans ce monde, toutes les femmes voient leurs corps comme beaux, aucun homme n’est conçu pour voir le sien comme une arme, et les gens prennent part aux activités sexuelles seulement quand (et aussi parce que) ils s’attendent à y prendre plaisir, à s’y sentir honorés et comblés.
Enfin, Montreynaud cite le témoignage de la jeune Française Julie Gauthier, arrivant au parc du Mont-Royal à Montréal pour jouer du djembé, où elle observe « [u]ne tranquillité jouissive qui donne envie de croire en la possibilité d’une société où les rapports de sexe sont simples, “ dépassionnés ”, non agressifs, consentants, respectueux et amoureux » (p. 236).
Ce livre bien structuré, bien documenté et bien écrit, représentant tout à fait « l’air du temps », m’a paru difficile à lire, mais il se révèle nécessaire. Il a fait remonter en moi l’immense souffrance qui m’habite lorsque je constate toutes ces violences sexuelles machistes passées et présentes pour tant de femmes partout au monde. J’ai peur pour ma petite-fille de 4 ans, Livia. Heureusement que Montreynaud soumet des solutions pour que les filles et les femmes puissent vivre une sexualité égalitaire dès maintenant.