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Issu d’un colloque qui s’est tenu les 7 et 8 octobre 2021 à la Grande Bibliothèque, le généreux collectif, dirigé par Louise Bienvenue et François-Olivier Dorais, marque une étape importante dans le renouveau de l’historiographie au Québec.
Partant de l’invisibilisation des femmes dans la profession, la direction de l’ouvrage a convié des chercheuses et des chercheurs de différentes disciplines à repérer des femmes qui ont fait de l’histoire, ont choisi des sujets historiques ou ont mis en valeur des femmes qui ont contribué à l’histoire de leur société. Il n’était donc pas question de se limiter à la figure de l’historienne universitaire, très tardive dans ce cadre, mais plutôt de mettre en évidence les médias, les lieux et les activités par lesquelles des femmes ont pu « se faire historiennes », et cela, depuis le xixe siècle. À cet égard, l’ouvrage a double vocation en participant également à l’histoire des femmes. Comptant plus de 500 pages et 7 parties thématiques qui structurent 19 chapitres, l’ouvrage conduit progressivement le lectorat vers l’entrée des femmes à l’université en tant qu’historiennes professionnelles.
Dans la première partie, Laure Conan est « revisitée par l’histoire » : Sophie Imbeault et Caroline Ménard retracent son réseau et ses stratégies de publication, tandis que Micheline Cambron souligne ses exigences méthodologiques mises au profit d’une union entre l’histoire et la littérature. C’est dans la presse que les femmes vont vulgariser l’histoire ou par le métier de journaliste qu’elles vont aborder l’histoire, ce qui sera la trajectoire d’Hélène Pelletier-Baillargeon (Maude Goulet-Ménard et Louise Bienvenue). Outre les journaux comme Le Devoir et sa page féminine (Chantal Savoie), ce sont aussi les périodiques religieux qui accueillent des textes d’autrices. Pierre Hébert « démasque » ainsi Marie Aymond dans le Petit Messager du Très-Saint-Sacrement. Dans cette partie placée sous la rubrique « L’Histoire gardienne de la foi », Louise Bienvenue décrit la collaboration de Marie-Claire Daveluy avec soeur Maria Mondoux, « historienne et archiviste ». Cette dernière fonction ouvre une voie importante à la pratique de l’histoire pour les femmes qui est confirmée dans la quatrième partie consacrée à l’Institut d’histoire de l’Amérique française avec sa revue (Karine Hébert et Julien Goyette) et à Juliette Lalonde-Rémillard, nièce du chanoine Groulx, dévouée à sa personne et à ses oeuvres. François-Olivier Dorais souligne ici le caractère essentiel de l’« intendance scientifique en histoire » qui pourrait s’appliquer à bien d’autres historiens. C’est là un pan fondamental de l’histoire des femmes en sciences, très investigué actuellement, aussi bien en sciences humaines et sociales qu’en sciences dures.
L’histoire sert également la cause dans le cas des infirmières auxquelles s’intéresse Alexandre Klein et dans celui des femmes patriotes sorties de l’ombre par des féministes avant les années 80. Mathieu Arsenault souligne leur apport à la dénonciation des « biais interprétatifs des discours dominants » (p. 304).
Le collectif a le mérite d’intégrer des études sur le Canada français. On y découvre Georgette Lamoureux, amatrice, qui rédige à compte d’autrice une histoire d’Ottawa (Stéphanie St-Pierre). Du côté de l’Acadie, la docteure en histoire Marguerite Michaud souligne le rôle des femmes dans l’histoire de la survie du peuple acadien. Pour sa part, Philippe Volpé ouvre là une recherche passionnante sur cette surdiplômée qui n’a jamais obtenu la reconnaissance professionnelle à la hauteur de ses compétences.
Au fil de la lecture se dessinent des itinéraires de femmes éduquées qui ont fréquenté les couvents à tout le moins et même beaucoup plus, jusqu’au doctorat pour quelques-unes. Les sciences auxiliaires de l’histoire les accueillent sur le pas de la porte de la discipline. Cependant, elles demeurent majoritairement célibataires et doivent assurer leur subsistance, à moins d’être indépendantes de fortune.
Enfin, le parcours des premières professeures d’université, retracé à partir de leur curriculum et de leurs écrits ou reposant sur des entrevues, permet de comprendre les difficultés de la transition et les défis que représentent pour des femmes laïques, mères de famille, le fait de terminer un doctorat et d’intégrer un univers professionnel majoritairement masculin et sexiste. Il est bon de retrouver ces chercheuses que l’on a connues depuis le début des années 80 et de voir le chemin parcouru et celui qui reste encore à faire pour les femmes dans ce métier.
Ce colloque conviait donc à un vaste chantier. Dans l’ouvrage sous la direction de Bienvenue et Dorais, on le précise d’emblée : « Il a surtout l’ambition d’ouvrir une réflexion large sur l’écosystème de la production du savoir historique et sa dissémination dans le tissu social » (p. 2). Cependant, comme on le mentionne dans le chapitre intitulé « Mise en perspective », ces femmes, qui n’ont guère osé critiquer l’Église catholique ni sortir du projet nationaliste, n’ont pas attiré les historiennes féministes dans un premier temps, celles-ci cherchant plus à mettre en avant des pionnières. Néanmoins, une autre catégorie d’historiennes, absentes ici, mériterait des recherches systématiques suivant les orientations définies par cet ouvrage : les religieuses. Elles ont laissé des biographies, des monographies institutionnelles d’envergure. Un portrait de groupe s’impose, me semble-t-il. On ne peut qu’espérer plus tard des comparaisons entre différentes disciplines.