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Disputatio

Les limites du consentement comme conversation[Notice]

  • Marie-Hélène Desmeules

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  • Marie-Hélène Desmeules
    Professeure de philosophie et d’éthique appliquée, Université de Sherbrooke

Dans La Conversation des sexes, Manon Garcia propose de répondre à une question des plus actuelles. Que doit être le consentement sexuel s’il se veut un outil d’émancipation pour nos sexualités ? Autrement dit, que doit-il être s’il doit nous permettre de « penser un avenir à la fois égalitaire, libéré et joyeux de l’éros » ? Bien qu’elle y consacre par ailleurs plusieurs chapitres, Manon Garcia a un projet qui dépasse la question de savoir si le consentement doit être la norme juridique d’après laquelle nous jugeons de la légalité de nos interactions sexuelles. C’est sur le chemin éthique de l’épanouissement sexuel qu’elle mène son investigation. Si cette question a bel et bien déjà été posée, ce qui est plus rare, c’est de le faire suivant la stratégie choisie par Manon Garcia. En effet, les critiques du consentement sexuel portent habituellement non sur le consentement lui-même, mais sur un ensemble de conditions l’entourant — comme le manque de désir, les rapports de pouvoir, l’absence de négociation préalable au consentement, etc. Manon Garcia s’intéresse certes à ces conditions, et toujours en faisant preuve de nuances. Mais l’originalité de son propos consiste à prendre à bras-le-corps le consentement lui-même, afin d’en proposer une définition plus à même d’en faire un outil d’émancipation pour nos sexualités. C’est ainsi qu’elle en vient à une autre « voie » du consentement, « celle, nous dit-elle, du sentir ensemble, celle du consentement comme accord et comme respect de l’autre ». Elle ne souhaite donc pas rejeter la notion même de consentement, y voyant encore la « promesse d’un érotisme entre égaux ». Seulement, ce consentement est repensé comme « conversation ». Qu’entend alors l’autrice par « conversation » ? Elle précise qu’elle ne se réduit pas au désir et qu’elle participe d’une conception positive de l’autonomie, suivant laquelle il s’agit d’agir dans le monde et non pas seulement d’empêcher les agressions d’autrui. Par ailleurs, elle refuse, contrairement à Quill Kukla, de parler de négociation sexuelle, afin de ne pas céder à l’idée d’une sexualité comme « champ de bataille » des désirs, où chaque personne chercherait à y maximiser le sien, parfois contre celui de ses partenaires. La conversation, au contraire, dépasserait ce chacun pour soi et viserait donc une forme de réciprocité et de respect mutuel entre les partenaires. Elle mettrait ainsi en oeuvre l’idée qu’on ne peut réussir une relation sexuelle sans l’autre, et surtout sans l’épanouissement de l’autre. Garcia insiste beaucoup sur ces points, car elle y voit la voie vers l’épanouissement de nos sexualités. Le propos de Manon Garcia est extrêmement juste à bien des égards. Deux éléments de son analyse posent cependant à mes yeux quelques problèmes. D’une part, la solution proposée, qui consiste à redéfinir le consentement comme conversation, impose un nouveau régime normatif qui est susceptible d’agir contre nos épanouissements sexuels. D’autre part, bien qu’une critique de la définition juridique actuelle du consentement sexuel soit bienvenue, cette critique me semble reposer, dans La Conversation des sexes, sur une interprétation erronée de ce qu’est le consentement affirmatif en droit. Il y a lieu de se demander si la conversation sexuelle est vraiment un modèle adéquat pour nos épanouissements sexuels. J’en doute, parce que le régime normatif de la conversation — c’est-à-dire les normes que toute conversation doit respecter pour être réussie ne concourt pas nécessairement à nos sexualités, et dans certains cas me semble susceptible de leur nuire. Il est vrai que certaines des normes d’une conversation réussie contribuent à nos épanouissements sexuels, et c’est d’ailleurs pour celles-ci que Manon Garcia la mobilise. C’est le cas …

Parties annexes