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Disputatio

Peut-on délibérer dans une démocratie de masse ?Une autre division politique du travail délibératif[Notice]

  • Théophile Pénigaud

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  • Théophile Pénigaud
    ENS Lyon

Ce dernier point conduit l’auteur à ferrailler contre une partie de son propre camp, l’intérêt pour les conditions d’une délibération exemplaire ayant pu conduire à « abandonner la démocratie de masse à son sort ». Réaliser la démocratie délibérative ne saurait revenir à multiplier les forums locaux où la délibération peut avoir lieu en face-à-face. Un intérêt croissant s’est manifesté pour les mini-publics, des groupes de citoyens représentatifs de la diversité sociale (sélectionnés au moyen d’un tirage au sort stratifié), documentés et délibérant en présence de facilitateurs veillant à l’égalité des prises de parole. Ceux-ci ne sauraient pourtant ni simuler ni orienter la délibération de toutes et tous par le truchement inévitable des médias de masse, dont le caractère sui generis impose une conceptualisation, une institutionnalisation et des formes de régulation spécifiques. Dans le sillage de Jürgen Habermas, Simone Chambers et du « tournant systémique » de la démocratie délibérative — mais de façon plus directrice et propositionnelle — l’auteur s’efforce ainsi de spécifier les conditions exigeantes d’une délibération médiatisée inclusive et égalitaire. La démocratie n’est pas la procédure permettant d’organiser la passation pacifique du pouvoir. Elle ne se résume ni à l’élection ni à la règle de majorité. Le vote n’est pas une condition suffisante pour rendre la décision légitime. Encore faut-il que les votes soient informés, autonomes et qu’ils visent le bien commun plutôt que l’intérêt particulier d’un groupe (ou d’une majorité) pour que la démocratie conserve sa valeur : c’est à la délibération publique (dans un contexte éducatif et social suffisamment favorable) qu’il revient de réunir ces conditions. Loin de toute idéalisation, l’auteur reconnaît que la délibération ne rendra pas forcément les citoyens meilleurs ou plus respectueux ni les décisions plus acceptables ou rationnelles. En revanche, elle « rend les conditions du jugement politique moins inégales » (p. 130). La visée d’une démocratie délibérative se distingue là d’autant plus nettement de celle d’une démocratie participative : elle n’est pas de rendre égaux les citoyens en tant que participants ou orateurs, mais d’égaliser les conditions de formation de leur jugement politique, de les rendre égaux, donc, en tant qu’auditeurs, futurs électeurs ou public mobilisé — une exigence considérable pesant sur la structuration médiatique d’un débat public démocratique ouvert, contradictoire et orienté par le souci d’une répartition égalitaire des bénéfices de l’association politique. L’ouvrage concentre ainsi ses analyses sur les conditions de formation d’un jugement politique autonome et informé. La démocratie est bien le gouvernement du peuple par le peuple si chaque citoyen est politiquement autonome et l’égal des autres de ce point de vue, c’est-à-dire s’il « est autant qu’eux, et autant que possible, l’auteur des décisions s’imposant à tous » (p. 91). Elle est le gouvernement du peuple pour le peuple si l’autonomie de jugement tend à égaliser l’influence de chacun sur les choix collectifs et, ce faisant, lui permet de veiller à la répartition égalitaire des bénéfices escomptés de la décision prise. Si la démocratie délibérative est justifiée, c’est donc par une « compréhension exigeante de l’égalité politique » (p. 169). Dans un contexte où l’idée de démocratie délibérative s’est trouvée dévoyée en France par l’exécutif, qui en trahit une compréhension émotiviste — comme s’il suffisait de laisser les citoyens s’exprimer ou d’ouvrir des espaces d’expression pour en réaliser les attendus — Délibérer entre égaux apparaît comme une lecture incontournable. Comme je suis convaincu pour l’essentiel par l’argumentation de l’auteur et par les orientations réformatrices qui s’en dégagent, je ne peux que formuler des scrupules dont j’espère qu’il pourra lui aussi les partager. Je me demanderai d’abord si le recours à la notion …

Parties annexes