Le livre de François Duchesneau, Leibniz, le vivant et l’organisme, repose sur une intention explicite dont les ouvrages antérieurs, La physiologie des Lumières, Les modèles du vivant de Descartes à Leibniz, ont été autant d’illustrations : proposer une véritable épistémologie des modèles médicaux adoptés à l’âge classique, au-delà de l’étude ponctuelle des découvertes et des expériences ; démontrer la complexité, la diversité et la fécondité des hypothèses mécanistes en enquêtant à la frontière de la science et de la philosophie. En effet, ce que l’on peut regrouper sous le terme anachronique de biologie à l’âge classique a parfois été perçu comme le parent pauvre d’une Révolution scientifique promouvant une physique mécaniste dont les applications médicales et physiologiques sont jugées peu fécondes. Cela a notamment contribué à masquer le caractère téléologique d’une division tranchée entre la science physique et les sciences de la vie : c’est parfois dans des discours relevant de la philosophie naturelle, voire de la métaphysique, que se trouvent des indications méthodologiques qu’interrogent ou déclinent ensuite les traités de physiologie, d’anatomie ou de thérapeutique. En contribuant à combler une telle lacune, les ouvrages de François Duchesneau ont de fait construit un nouveau domaine de recherche, qui est désormais investi par les nombreux lecteurs de la Physiologie des Lumières. Au sein de cette série, Leibniz, le vivant et l’organisme prend Leibniz pour « modèle de référence » (p. 11). Une telle expression signifie d’une part que la compréhension des enjeux de la philosophie leibnizienne éclaire les contributions médicales de bien d’autres savants, en les inscrivant dans des alternatives méthodologiques qui échappent en partie si l’on s’en tient à une stricte perspective monographique. Elle signifie d’autre part, réciproquement, que les positions de Leibniz elles-mêmes ne peuvent être comprises qu’à la lumière des différents choix, tentatives et résultats de ses contemporains. C’est donc une approche doublement comparatiste qui structure tout l’ouvrage, lequel accorde une place significative à Malpighi, Hartsoeker, Stahl, Bernoulli, Conti, Vallisneri et Bourguet. Nous voudrions ici appréhender les différents enjeux d’une telle approche comparatiste, qui éclaire non seulement les études leibniziennes, mais bien au-delà, tout un pan de recherches sur les courants médicaux de l’âge classique. L’ouvrage se propose en effet très généralement de mettre en lumière des découvertes et méthodes propres au xviie siècle, souvent sous-estimées au prétexte que la biologie proprement dite n’est pas alors encore constituée comme discipline. Il se divise en six « projets d’analyse » qui examinent dans des chapitres successifs 1/ le modèle de référence qui domine les sciences médicales (autour de Marcello Malpighi et du concept de petites machines), 2/ la conception leibnizienne d’une science de la nature qui se dessine très tôt chez le philosophe allemand, 3/ le concept de « machine de la nature » chez Leibniz, et, enfin, 4/ les ressorts d’une physiologie proprement leibnizienne conçue comme une « physique spéciale », grâce à la confrontation avec les correspondants de Leibniz (Hartsoeker, Stahl, Hoffmann, Michelotti ou Bernoulli). Les deux chapitres finaux étudient quant à eux la réception des thèses et recommandations leibniziennes spécifiquement pour le problème de la génération : le chapitre IV se concentre sur Conti et Vallisneri, et le chapitre VI sur Bourguet. En premier lieu, la méthode comparatiste adoptée dans l’ouvrage de François Duchesneau apparaît comme l’unique moyen de ne pas projeter sur les textes une lecture téléologique des différentes positions en jeu. L’étude de la philosophie leibnizienne du vivant a souvent pris pour principal point de comparaison le mécanisme cartésien. On peut penser à l’ouvrage de Marie-Noëlle Dumas, ou même, sur un autre plan, à celui de Belaval, lesquels, relevant la distance …
Notes de lecture : François Duchesneau, Leibniz, le vivant et l’organisme (Paris, Vrin, 2010)[Notice]
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Raphaële Andrault
Université Paris VIII St-Denis