Résumés
Mots-clés :
- récit,
- fiction,
- réalisme,
- autobiographie
Le théâtre est traversé depuis longtemps, et plus particulièrement ces dernières années, de débats concernant la légitimité de l’auteur·trice à écrire ce qu’il·elle n’est pas, n’a pas vécu, ne vivra jamais. Ces débats se cristallisent ces derniers temps autour de la question du genre. Puis-je écrire, moi, auteur de cinquante ans, a priori et pour le moment cisgenre, père de deux enfants, un texte qui mettrait en jeu une personne homosexuelle, bisexuelle ou transgenre? Ma réponse est oui. Si j’enlevais tout ce qui n’était pas moi, il ne resterait pas grand-chose de ma bibliographie. J’écris principalement du théâtre pour la jeunesse et dans ce théâtre, les jeunes filles prennent une place très importante, tant au niveau de la quantité de texte que de leur présence dans l’histoire, mais aussi parce qu’elles interrogent et renversent le monde dans lequel je les plonge. Inversement, ce qui est moi dans mes textes n’est pas important : il est déformé par le principe même de la fiction. Je suis aussi acteur, encore une fois dois-je ne jouer que des hommes hétérosexuels blancs d’un mètre soixante? Non. Tout le monde peut jouer Richard III. La question pour moi n’est pas de savoir ce que l’auteur·trice ou l’acteur·trice a le droit et n’a pas le droit d’écrire ou de jouer, mais plutôt : comment fait-on pour faire vivre sur les plateaux de théâtre français des corps, des couleurs de peau, des origines ethniques et sociales variés, des acteur·trices avec handicap sans que cela soit un acte militant, mais un acte naturel, poétique et artistique? Et comment habitue-t-on les spectateur·trices à ne plus se poser la question, à ne plus s’émouvoir ou s’irriter de ce principe? Un·e comédien·ne transgenre doit pouvoir jouer Richard III comme un·e comédien·ne noir·e doit pouvoir jouer Elmire dans Tartuffe. La problématique est sociale et dépasse le cadre même du théâtre : comment fait-on pour rendre visible ce qui est invisible en société? Je suis un homme, jamais je ne saurai ce qu’est porter un enfant. « Porter » n’est pas le bon mot, d’ailleurs : les femmes l’enveloppent, l’accueillent. Je suis un homme, je ne saurai jamais ce qu’est enfanter, donner naissance, donner la vie – je veux dire physiquement. Comment écrire alors la naissance? Un·e écrivain·e peut-il·elle écrire ce qu’il·elle n’a pas vécu? Pour moi, la réponse est encore une fois oui. Tout est possible en écriture, l’important étant de mettre en osmose le fond, la forme de ce qu’on veut écrire et la raison pour laquelle on veut écrire. Je voulais écrire un texte proche de la réalité dans une mouvance d’autofiction. La vérité en littérature n’existe pas, elle est forcément biaisée par, justement, le principe de la fiction. Dans Gros, tout n’est pas dit et il y a, dans certains passages, une sorte de réalité augmentée pour provoquer, chez celui·celle qui lit, écoute ou regarde, une émotion; pour déclencher un rire, du dégoût, de l’empathie. Mon premier vrai souvenir remonte à mes trois ans, peut-être, et à un repas qui n’en finit plus parce que je ne veux rien avaler; je vois très bien le mobilier, la place de mon père, j’ai le souvenir des sons du téléviseur, une idée assez précise des lumières du salon. Avant trois ans, c’est physiologique, c’est le vide, et je ne voulais pas combler ce vide par de l’imaginaire et du supposé. J’étais donc bloqué dans mon processus d’écriture. Bloqué dès le début, finalement. Écrire un texte, c’est provoquer la chance et le hasard. Au cours d’un déménagement, nous avons perdu le carnet de santé de notre fils. Je suis d’un …
Parties annexes
Bibliographie
- LEVEY, Sylvain (2020), Gros, Montreuil, Éditions théâtrales.