
McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 70, numéro 1, january 2025
Sommaire (4 articles)
Articles
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Entre affirmations française et britannique de souveraineté, le titre ancestral autochtone en jeu
Ghislain Otis
p. 1–52
RésuméFR :
Une grande partie du Canada a été colonisée par la France bien avant l’arrivée des Britanniques au milieu du XVIIIe siècle. Cet article aborde le problème de l’impact de l’affirmation de souveraineté française sur le régime du titre ancestral autochtone reconnu par le droit canadien d’origine britannique. Dans la première partie, l’auteur fait d’abord ressortir une tendance jurisprudentielle consistant à considérer la situation territoriale autochtone qui existait au moment de l’affirmation de souveraineté britannique, plutôt qu’au moment de la prise de possession française, aux fins de l’application du critère du contrôle exclusif sur lequel repose la reconnaissance d’un titre ancestral. Il montre ensuite que cette approche risque de faire échouer les revendications de titre ancestral émanant de peuples dont les ancêtres ont perdu le contrôle exclusif de leur territoire pendant le régime colonial français.
Dans la seconde partie, l’auteur s’attache à démontrer que le droit canadien d’origine britannique n’exige pas la preuve d’un contrôle exclusif du territoire par les Autochtones après l’affirmation de souveraineté française. Il avance que la jurisprudence actuelle repose sur une méconnaissance de l’articulation juridique des titres coloniaux successifs de la France et de la Grande-Bretagne au Canada. En effet, le titre affirmé par la Couronne française constitue le fondement juridique de celui que la Grande-Bretagne a acquis par succession d’État à la faveur des traités franco-britanniques de 1713 et de 1763. Or, exiger la preuve du contrôle exclusif autochtone malgré l’affirmation de souveraineté française est incompatible avec la reconnaissance du titre affirmé par Versailles. Ainsi, en plus de priver de droits territoriaux des peuples autochtones dont le sort aura voulu qu’ils soient d’abord colonisés par la France, cette impasse sur la souveraineté française va à l’encontre des postulats du droit colonial britannique qui consacre le caractère dérivé de la souveraineté de la Couronne sur les territoires canadiens originairement revendiqués par la France. L’auteur conclut que, lorsqu’elle aura à trancher la question, la Cour suprême du Canada devrait par conséquent décider que, dans ce qui fut la Nouvelle-France, c’est le contrôle territorial autochtone antérieur à l’affirmation de souveraineté française qui fondera le titre ancestral.
EN :
Much of Canada was colonized by France long before the arrival of the British in the mid-eighteenth century. This article examines how France’s assertion of sovereignty impacts the regime of Aboriginal title recognized under Canadian law of British origin. In the first section, the author highlights a jurisprudential trend that assesses Indigenous territorial control at the time of British sovereignty’s assertion, rather than during French occupation, when applying the criterion of exclusive control—a key factor in recognizing Aboriginal title. They then illustrate how this approach risks undermining claims to ancestral title by Indigenous peoples whose ancestors lost exclusive control of their territory under the French colonial regime.
In the second section, the author aims to demonstrate that Canadian law of British origin does not require proof of exclusive control by Indigenous peoples following the assertion of French sovereignty. They argue that current case law is based on a misunderstanding of the legal articulation of the successive colonial titles of France and Great Britain in Canada. Indeed, the title asserted by the French Crown forms the legal foundation of the rights Great Britain acquired through state succession under the Franco-British treaties of 1713 and 1763. However, to demand proof of exclusive Indigenous control—despite the assertion of French sovereignty—is incompatible with the recognition of the title asserted by Versailles. Thus, in addition to depriving French-colonized Indigenous peoples of their territorial rights, this impasse on French sovereignty runs counter to the postulates of British colonial law, which enshrines the derivative nature of the Crown's sovereignty over the Canadian territories originally claimed by France. The author concludes that when the time comes, the Supreme Court of Canada should decide that, in what was New France, it is Indigenous territorial control prior to the assertion of French sovereignty that should form the basis for ancestral title.
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Judicial Review of Rulemaking
Douglas Sarro
p. 53–94
RésuméEN :
Recently, there has been a push for courts to review rules made by the executive for substantive reasonableness. While reasonableness review may foster better-informed regulation, it also risks giving vested interests disproportionate influence over rulemaking. By flooding rulemakers with analyses emphasizing regulation’s costs and uncertainties about its benefits, to which rulemakers must then respond so as to survive reasonableness review, these interests can slow down and frustrate regulation designed to benefit the public. Courts could mitigate this risk, however, by applying reasonableness review in a way that recognizes the uncertainty that attends the rulemaking process—including the limits it imposes on rulemakers’ ability to refute alternative analyses of new rules’ likely costs and benefits. This does not mean acquiescing in arbitrary decision-making. To the extent rules’ effects are uncertain at adoption, courts can encourage rulemakers to revisit these rules post-implementation. Properly designed, reasonableness review can foster informed regulation that responds to new evidence and is less easily diverted from public-oriented objectives.
FR :
Récemment, des pressions ont été exercées pour que les tribunaux examinent les règles édictées par l’exécutif sous l’angle de leur caractère raisonnable sur le fond. Si le contrôle du caractère raisonnable peut favoriser une réglementation mieux informée, il risque également de conférer aux intérêts en place une influence disproportionnée sur l’élaboration des règles. En inondant les législateurs d’analyses soulignant les coûts de la réglementation et les incertitudes quant à ses avantages, auxquelles les décideurs administratifs doivent ensuite répondre afin de survivre au contrôle du caractère raisonnable, ces intérêts peuvent ralentir et faire échouer la réglementation conçue pour le bien du public. Les tribunaux pourraient toutefois atténuer ce risque en appliquant le contrôle du caractère raisonnable d’une manière qui reconnaisse l’incertitude qui accompagne le processus d’élaboration des règles, y compris les limites qu'il impose à la capacité des décideurs à réfuter les analyses alternatives des coûts et avantages probables des nouvelles règles. Cela ne signifie pas qu’il faille accepter des décisions arbitraires. Dans la mesure où les effets des règles sont incertains au moment de leur adoption, les tribunaux peuvent encourager les décideurs à réexaminer ces règles après leur mise en oeuvre. Correctement conçu, le contrôle du caractère raisonnable peut favoriser une réglementation éclairée qui répond aux nouvelles données et qui est moins facilement détournée des objectifs publics.
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Words that Wound and Laws that Silence: Offence, Harm, and Legal Limits on Discriminatory Expression
Anthony Sangiuliano et Mark Friedman
p. 95–137
RésuméEN :
This article analyzes when expression is discriminatory and when discriminatory expression should be legally prohibited. It reaches theoretical conclusions about these matters by examining the recent Ward v. Quebec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) judgment of the Supreme Court of Canada. In Ward, the Court determined that a comedian’s jokes that ridiculed the appearance of a disabled boy did not constitute discriminatory expression because of disability. In any event, there was no reason to prohibit them under Quebec’s Charter of Human Rights and Freedoms that could outweigh the countervailing reason to protect the comedian’s freedom of expression. We argue that there are two weaknesses in the Court’s opinion. First, the Court adopted a conception of how to define expression as discriminatory expression that is inconsistent with standard approaches to this issue in law and the philosophical literature on the ethics of antidiscrimination. Second, while the Court held that only the imperative to prevent harm gives a reason to prohibit discriminatory expression, as opposed to preventing offence, it relied on an impoverished conception of harm that was restricted to the societal harm of hate speech. There are reasons to prohibit discriminatory expression to prevent other types of harms.
FR :
Cet article analyse les conditions dans lesquelles une expression peut être qualifiée de discriminatoire et les circonstances justifiant son interdiction légale. Il s’appuie sur l’arrêt récent Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) rendu par la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les propos humoristiques ridiculisant l’apparence d’un jeune garçon en situation de handicap ne constituaient pas une expression discriminatoire fondée sur le handicap. En tout état de cause, elle a estimé qu’aucun motif ne justifiait leur interdiction en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pouvant primer sur l’impératif fondamental de protection de la liberté d’expression. Nous soutenons que cette décision repose sur deux faiblesses majeures. D’une part, la Cour adopte une conception restrictive de l’expression discriminatoire, en décalage avec les approches généralement admises tant en droit qu’en philosophie morale de l’antidiscrimination. D’autre part, en limitant la justification d’une interdiction aux seuls préjudices sociétaux résultant des discours de haine, la Cour s’appuie sur une conception réductrice du préjudice, écartant d’autres formes de torts pouvant néanmoins légitimer des restrictions à l’expression discriminatoire.
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Risks, Benefits, Opportunities, and Electronic Formalities in the Law of Wills: A Comparative Approach
Margaret Isabel Hall, Tina Cockburn, Bridget J. Crawford, Rosie Harding et Kelly Purser
p. 139–172
RésuméEN :
Traditional “formalities” in the law of wills—including formal requirements for revocation by destruction—contemplate paper documents, wet signatures, and testators and witnesses in the physical presence of one another. Unless these traditional requirements have been modified by legislation, wills made using one or more electronic formalities will not meet the formal requirements for a valid will. Traditional wills formalities have become something of an outlier as the use of electronic text, records, signatures, and witnessing has become routine in many spheres, including for the creation and storage of valid legal agreements. The special nature of wills, and their consequent vulnerability to fraud and reliance on documentary evidence of intent, has been cited as a justification for retaining traditional formalities. This article examines the risks, benefits, and opportunities associated with electronic formalities, as well as their implications for wills storage, the assessment of testamentary capacity, and related issues. It also evaluates the adequacy of dispensing provisions as an alternative to electronic formalities. The article includes contributions by coauthors in four common law jurisdictions—England and Wales, British Columbia, Queensland, and New York—with a discussion of how the risks, benefits, and opportunities presented by electronic formalities and wills have been perceived and balanced within each of these jurisdictions.
FR :
Les « formalités » traditionnelles du droit des testaments — y compris les exigences formelles liées à la révocation du testament par destruction — impliquent des documents papier, des signatures manuscrites, et des testateurs et témoins physiquement présents les uns avec les autres. À moins que ces exigences traditionnelles n’aient été modifiées par la législation, les testaments rédigés à l’aide d’une ou plusieurs formalités électroniques ne rempliront pas les conditions formelles requises pour un testament valide. Les formalités traditionnelles des testaments font désormais figure d’exception considérant l’utilisation de textes, d’enregistrements, de signatures et de témoins électroniques qui est devenue courante dans de nombreux domaines, y compris pour la création et le stockage d’accords juridiques valides. Or, la nature particulière des testaments, et leur vulnérabilité conséquente à la fraude, ainsi que leur dépendance aux preuves écrites de l’intention du testateur ont été invoquées pour justifier le maintien des formalités traditionnelles. Cet article examine les risques, les avantages et les opportunités liés aux formalités électroniques, ainsi que les répercussions de leur utilisation sur la conservation des testaments, l’évaluation de la capacité testamentaire et d’autres questions connexes. Il évalue également la pertinence des dispensing provisions comme alternative aux formalités électroniques. L’article comprend des contributions de co-auteurs issus de quatre juridictions de common law — l’Angleterre et le Pays de Galles, la Colombie-Britannique, le Queensland et New York — ainsi qu’une discussion sur la façon dont les risques, les avantages et les opportunités présentés par les formalités électroniques et les testaments ont été perçus et équilibrés au sein de chacune de ces juridictions.