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Écriture doctrinale[Notice]

  • Vincent Forray

Professeur, École de droit, Institut d’études politiques de Paris. La version originale de ce texte a été acceptée et intégrée au McGill Companion to Law lors d’une réunion en avril 2013. Dans un ouvrage publié antérieurement au présent texte, mais écrit après celui-ci, l’analyse de l’écriture doctrinale a contribué à la mise au jour de ce qui a été appelé « décriture du droit » (Vincent Forray et Sébastien Pimont, Décrire le droit… et le transformer : essai sur la décriture du droit, Paris, Dalloz, 2017).

Citation: (2020) 66:1 McGill LJ 59

Référence : (2020) 66:1 RD McGill 59

L’expression « écriture doctrinale » ne renvoie à aucun contenu substantiel du droit civil ou de la common law. Elle ne constitue pas un concept juridique. Elle ne figure même pas au rang des habitudes linguistiques des juristes. Sa présence ici doit donc être expliquée. L’« écriture doctrinale » a été choisie, et figure ainsi dans certains travaux, pour désigner une activité particulière de production de textes qui ont en commun de vouloir présenter le droit au lecteur. Traités, manuels, monographies, articles de revues, dictionnaires et encyclopédies juridiques en sont des formes canoniques; cours de droit, course packs, sites et blogues sur Internet en sont des formes plus inhabituelles ou récentes. Dans chaque cas, le texte constitue un intermédiaire entre les sources du droit et le lecteur. Il importe peu de savoir ce que l’on entend ici par « sources du droit ». Elles peuvent être perçues du point de vue positiviste, c’est-à-dire selon leur forme (règles, jugements), ou bien du point de vue pluraliste (n’importe quelle manifestation normative est susceptible de sécréter du droit). Dans tous les cas, l’écriture doctrinale produit un texte chargé de rendre intelligible le droit dont il parle. Le phénomène est peu étudié comme tel; cependant il constitue une détermination cruciale des ordres juridiques contemporains. À cet égard, le mot « doctrinal » ne doit pas induire en erreur. Il ne signifie pas que l’activité en question a seulement lieu dans les traditions qui reconnaissent l’existence d’une doctrine juridique. Rappelons que le sens juridique du mot « doctrine » se dégage dans le courant du XIXe siècle, en droit civil, pour indiquer les opinions et, en général, les travaux par lesquels les juristes — pris alors comme auteurs — exposent le droit. Plus spécifiquement encore, par la suite, la doctrine est perçue comme une « autorité » incarnée par la communauté des juristes universitaires qui donnent au droit sa forme savante. Elle assemble le droit positif dans des propositions synthétiques, souvent qualifiées de théories générales, et réalise ainsi une médiation entre la loi et la jurisprudence. En ce sens, la doctrine demeure une spécificité des systèmes civilistes. Pour autant, parlant d’écriture doctrinale, il ne s’agit pas de se livrer à une réflexion sur la doctrine. Il s’agit de prendre en considération dans la pensée juridique l’activité pratiquée par tous ceux qui entendent rendre compte du droit au travers d’un texte, quel que soit par ailleurs le statut de ce texte. Ainsi, le mot « doctrinal » veut simplement indiquer que l’activité en question est engagée par des auteurs qui ne disposent pas, alors, du pouvoir de créer du droit. Ils se bornent à établir une représentation du droit fixée par l’écriture. On dira que l’écriture doctrinale est une modalité formelle du droit. En ce sens, une telle activité existe en common law. Il existe des textes académiques (scholarship, commentaries, treatises, handbooks…) indicatifs du droit. Il faut y ajouter la construction de théories juridiques qui prétendent capturer le réel; qui tentent, comme le dit Stephen Smith, de « correspondre aux données qu’elles s’efforcent d’expliquer ». L’horizon de l’écriture doctrinale doit encore être élargi afin que l’ensemble du phénomène soit appréhendable. Le juge travaille lui aussi à indiquer le droit tel qu’il est dans le cours de la décision qu’il prend. Il mobilise les précédents et représente les règles ou les statutes dans son propre texte sans prétendre les créer. Le travail judiciaire implique une progression à partir d’un état du droit stabilisé qu’il indique. Il faut au jugement des points fixes que la rédaction de la décision se …

Parties annexes