La mondialisation, qui se caractérise par des changements sociaux, juridiques et économiques, soulève une série de questions nouvelles en droit de la famille au point d’entraîner une véritable mutation de ce champ. La mondialisation se caractérise tout d’abord par une circulation transfrontalière accrue des populations qui rend les familles de plus en plus transnationales dans leur composition. Dans ce contexte, l’une des questions auxquelles font face les tribunaux est celle de la reconnaissance des institutions de droit étranger, notamment en ce qui a trait aux mariages ou divorces religieux, et des effets juridiques des contrats transnationaux de gestation pour autrui. La mondialisation se caractérise aussi par la multiplication des régimes juridiques, notamment des régimes de protection des droits de la personne. Ces normes jouent un rôle de plus en plus important dans la résolution des questions touchant au droit de la famille. Les normes de protection contre la discrimination en raison du genre ou de l’orientation sexuelle ont ainsi reconfiguré les droits de la famille nationaux fondés sur le modèle hétérosexuel de la famille. La mondialisation renvoie finalement à l’extension mondiale du modèle économique néolibéral, qui influence aussi le droit de la famille. La Banque mondiale, qui est l’un des vecteurs principaux du néolibéralisme, est aujourd’hui investie dans les politiques de développement qui prennent en considération la famille et les inégalités de genre qui y persistent. Ainsi, les rapports de la Banque préconisent des réformes juridiques en matière de mariage, de divorce, de politiques sociales (les congés de maternité, par exemple) et de violences faites aux femmes, qui sont censées démanteler les normes discriminatoires et assurer une croissance économique inclusive. Pourtant, l’étude du droit de la famille est souvent délaissée dans les analyses portant sur les mutations juridiques liées à la mondialisation. Dans Legalized Families in the Era of Bordered Globalization, Daphna Hacker, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Tel-Aviv en Israël, comble cette lacune. Il s’agit à notre connaissance du premier ouvrage juridique qui entreprend d’étudier de manière systématique et dans une perspective interdisciplinaire les mutations qui affectent la famille et le droit qui la régit dans l’espace transnational. Le présent essai décrit les différents thèmes et les principaux arguments de ce livre riche en réflexions, avant de souligner ses apports à l’analyse du droit de la famille, d’une part, et à l’étude de la mondialisation et du droit, d’autre part. Cet essai se conclut en proposant une réflexion plus critique et des pistes de réflexion supplémentaires. L’un de ces commentaires concerne les liens entre l’économie politique et le droit de la famille. L’ouvrage attire certes l’attention sur les conséquences du néolibéralisme sur les familles et le droit, mais ne fait qu’effleurer ce sujet important et d’actualité, qui mériterait d’être davantage exploré par les juristes et les sociologues. L’ouvrage s’intéresse principalement à deux questions : comment la famille — au sens sociologique du terme — est-elle transformée dans un espace mondialisé? Comment le droit influence-t-il les familles et perpétue-t-il des hiérarchies sociales? Les deux premiers chapitres décrivent le cadre analytique choisi pour étudier ces questions. Hacker utilise le concept de « bordered globalization » qui renvoie au jeu complexe des multiples « frontières » dans le contexte de la mondialisation. Selon elle, la mondialisation se caractérise simultanément par l’ouverture des États à la circulation des personnes, des capitaux et des idées, et par l’importance des frontières étatiques et du droit national pour la formation des identités et de la vie familiale. En utilisant le terme « border », Hacker étudie également la création et la persistance des frontières symboliques, culturelles et sociales — tels la …
Familles, inégalités et droit dans un espace mondialiséRecension critique de Daphna Hacker, Legalized Families in the Era of Globalization (Cambridge, UK: Cambridge University Press, 2017), pp 386. ISBN 9781316535004[Notice]
L’auteure est chercheuse affiliée à l’Institut Max-Planck de droit international privé et comparé et chercheuse invitée à la Faculté de droit et à la Faculté des sciences sociales et sciences humaines de l’Université Northeastern. Elle est aussi chargée de cours au MIT.
Citation: (2018) 64:2 McGill LJ 401
Référence : (2018) 64:2 RD McGill 401