McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 56, numéro 1, december 2010
Sommaire (6 articles)
Articles
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The Medium is not the Message: Reconciling Reputation and Free Expression in Cases of Internet Defamation
Robert Danay
p. 1–37
RésuméEN :
In this paper the author critiques the approach to defamation over the Internet taken to date by the Canadian common law courts. In the emerging jurisprudence, the courts have relied upon untenably broad generalizations about Internet technology, repeatedly equating it with traditional broadcast media and expressing grave concerns about the corresponding threat to reputation posed by online defamation. This has led the courts to hold that when defamatory words are transmitted using the Internet, this will vitiate the availability of any qualified privilege that would otherwise have immunized the defendant from liability under traditional defamation principles, and substantially increase any resulting award of damages. The author argues that this approach results in a failure to strike the appropriate balance between free expression and the protection of reputation. The jurisprudence can also be seen as a product of a long-standing and unfortunate analytical tendency in defamation law—primarily apparent through the libel/slander distinction—whereby common law courts attach extremely divergent legal consequences to impugned statements based on indefensibly broad generalizations about the degree of danger to personal reputation posed by the medium in which the statement was communicated. Drawing inspiration from a comparison to defamation under the civil law of Quebec, the author proposes a new approach that eschews reliance upon unhelpful analogies and generalizations about particular media including the Internet, and involves the examination of impugned statements on a case-by-case basis, paying careful attention to the context in which these were actually made.
FR :
Dans cet essai, l’auteur critique l’approche adoptée par les tribunaux de common law canadiens sur la question de la diffamation sur Internet. Dans la jurisprudence émergeante, les tribunaux se sont basés sur des généralisations indéfendables quant à la technologie de l’Internet. Ils l’assimilent à de nombreuses reprises aux médias électroniques traditionnels et expriment de graves préoccupations quant à la menace correspondante que pose la diffamation en ligne pour la réputation. Cette approche a mené les tribunaux à statuer que lorsque des mots diffamatoires sont transmis sur Internet, les privilèges qualifiés qui auraient autrement immunisé le défendeur contre toute responsabilité, suivant les principes de la diffamation traditionnelle, sont viciés. Le montant des dommages-intérêts accordés augmente aussi de façon substantielle.
L’auteur soutient que cette approche ne permet pas d’établir l’équilibre approprié entre la libre expression et la protection de la réputation. La jurisprudence peut aussi être vue comme le produit d’une fâcheuse tendance analytique de longue date en matière de diffamation, tendance qui ressort surtout dans la distinction entre diffamation orale et écrite. Suivant cette tendance, les tribunaux de common law attachent des conséquences juridiques extrêmement divergentes à des déclarations en litige, selon qu’elles soient orales ou écrites. Ces conséquences sont basées sur des généralisations larges et indéfendables quant au degré de menace pour la réputation personnelle que pose le médium par lequel la déclaration a été communiquée. En s’inspirant d’une comparaison avec la diffamation en droit civil québécois, l’auteur propose une nouvelle approche qui évite les analogies et les généralisations peu utiles au sujet d’un média particulier, dont Internet. L’approche proposée implique un examen au cas par cas des déclarations contestées, prêtant une attention particulière au contexte dans lequel elles ont été énoncées.
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Technological Self-Help and Equality in Cyberspace
Jennifer A. Chandler
p. 39–75
RésuméEN :
New technologies challenge the law in many ways, for example, they extend one’s capacity to harm others and to defend oneself from harm by others. These changes require the law to decide whether we have legal rights to be free from those harms, and whether we may react against those harms extrajudicially through some form of self-help (e.g., self-defence or defence of third parties) or whether we must resort to legal mechanisms alone. These questions have been challenging to answer in the cyberspace context, where new interests and new harms have emerged. The legal limits on permissible self-defence have historically been a function of necessity and proportionality to the threat.
However, this article argues that case law and historical commentary reveal that equality between individuals is also an important policy issue underlying the limits on self-defence. The use of technologies in self-defence brings the question of equality to the fore since technologies may sometimes neutralize an inequality in strength between an attacker and a defender. A legal approach that limits resort to technological tools in self-defence would ratify and preserve that inequality.
However, the relationship between technology and human equality is complex, and this article proposes an analytical structure for understanding it. The objective is to understand which technologies promote equality while imposing the least social costs when used in self-defence. The article proposes principles (including explicit consideration of the effects on equality) for setting limits on technological self-help, and illustrates their use by applying them to several forms of cyberspace counter-strikes against hackers, phishers, spammers, and peer-to-peer networks.
FR :
Les nouvelles technologies posent de nombreux défis en droit. À titre d’exemple, elles augmentent la capacité des individus d’infliger du mal à autrui, mais aussi leur capacité à se défendre du mal. Ces changements exigent du droit de décider si nous avons ou non le droit, juridiquement parlant, d’être à l’abri du mal. Le droit doit aussi décider si nous sommes libres de réagir au mal de façon extrajudiciaire, par l’entremise d’initiatives personnelles (par exemple, l’auto-défense ou la défense des tierces parties) ou si au contraire nous devons nous en tenir aux mécanismes juridiques. Ces questions posent un défi particulier dans le contexte du cyberespace, d’où émergent de nouvelles menaces et des intérêts nouveaux. Les limites juridiques de l’autodéfense permissible dépendent historiquement de la nécessité et de la proportionnalité de la réaction face à la menace.
Cet article soutient toutefois que la jurisprudence et les commentaires historiques révèlent que l’égalité entre individus constitue aussi une question de politique importante qui sous-tend les limites de l’autodéfense. L’utilisation des technologies dans l’autodéfense porte donc au premier plan la question de l’égalité puisque la technologie peut parfois neutraliser une inégalité de force entre une personne qui attaque et une autre qui se défend. Une approche juridique qui limiterait l’utilisation d’outils technologiques dans l’autodéfense entérinerait et préserverait cette inégalité.
Pourtant, la relation entre la technologie et l’égalité entre humains est complexe. Cet article propose une structure analytique pour mieux saisir cette relation. L’objectif est de comprendre quelles technologies favorisent l’égalité tout en imposant les coûts sociaux les moins élevés lorsqu’elles sont utilisées pour l’autodéfense. L’article propose des principes pour mettre en place certaines limites aux initiatives personnelles technologiques. L’article illustre aussi l’utilisation de ces principes en les appliquant à de nombreuses formes de riposte contre les pirates informatiques, les hammeçonneurs, les polluposteurs et les réseaux pair à pair. Enfin, l’article considère explicitement les effets de ces principes sur l’égalité.
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From Norms to Facts: The Realization of Rights in Common and Civil Private Law
Helge Dedek
p. 77–114
RésuméEN :
Every legal system that ties judicial decision making to a body of preconceived norms has to face the tension between the normative formulation of the ideal and its approximation in social reality. In the parlance of the common law, it is, more concretely, the remedy that bridges the gap between the ideal and the real, or, rather, between norms and facts. In the common law world—particularly in the United Kingdom and the Commonwealth—a lively discourse has developed around the question of how rights relate to remedies. To the civilian legal scholar—used to thinking within a framework that strictly categorizes terms like substance and procedure, subjective right, action, and execution—the concept of remedy remains a mystery. The lack of “remedy” in the vocabulary of the civil law is more than just a matter of attaching different labels to functional equivalents, it is the expression of a different way of thinking about law. Only if a legal system is capable of satisfactorily transposing the abstract discourse of the law into social reality does the legal machinery fulfill its purpose: due to the pivotal importance of this translational process, the way it is cast in legal concepts thus allows for an insight into the deep structure of a legal culture, and, convergence notwithstanding, the remaining epistemological differences between the legal traditions of the West. A mixed jurisdiction must reflect upon these differences in order to understand its own condition and to define its future course.
FR :
Tout système juridique qui lie la prise de décision judiciaire à un ensemble de normes préconçues doit faire face à la tension qui existe entre la formulation normative d’un idéal et son approximation dans la réalité sociale. Dans la terminologie de la common law, c’est le remède, plus concrètement, qui palie l’écart entre l’idéal et le réel, ou plutôt, entre les normes et les faits. Dans les juridictions de common law, plus particulièrement au Royaume-Uni et au sein du Commonwealth, un vif débat est apparu sur les liens que les droits entretiennent avec les remèdes. Pour le juriste civiliste, habitué à raisonner dans un cadre qui catégorise strictement des termes tels que substance et procédure, droit subjectif, action et exécution, le concept de remède demeure un mystère. L’absence de « remèdes » dans le vocabulaire du droit civil n’est pas une simple question de nomenclature divergente pour décrire des équivalents fonctionnels. Il s’agit de l’expression d’une façon différente d’aborder le droit. L’appareil juridique n’atteindra ses objectifs que s’il est capable de transposer le discours abstrait du droit en réalité sociale. Étant donné l’importance primordiale de ce processus de transposition, son expression dans des concepts juridiques révèle la structure profonde d’une culture juridique et les différences épistémologiques qui subsistent entre les traditions juridiques occidentales, malgré leur convergence. Une juridiction mixte doit réfléchir sur ces différences afin de comprendre son propre état et de définir son parcours futur.
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De Genève à Doha : genèse et évolution du traitement spécial et différencié des pays en développement dans le droit de l’OMC
Charles-Emmanuel Côté
p. 115–176
RésuméFR :
Cet article a pour objectif de documenter la genèse et l’évolution du traitement différencié en droit international économique, avec en filigrane une discussion sur le droit international du développement, afin d’éclaircir les transformations qu’il a pu subir. Cette étude s’impose au vu du redéploiement du concept de développement dans l’action des organisations internationales ainsi que dans la perspective des négociations en cours à l’OMC dans le cadre du cycle de Doha. Elle s’impose aussi parce que le traitement différencié s’est matérialisé en droit international de l’environnement, sous l’appellation nouvelle des « responsabilités communes mais différenciées ». Signe d’une incontestable vitalité juridique, le concept de traitement différentié continue de s’insinuer dans la pratique conventionnelle des États et dans de nouvelles sphères du droit international comme celle relative à la diversité des expressions culturelles.
L’auteur rappelle d’abord l’émergence du concept de traitement différencié dans l’enceinte des Nations Unies. Ensuite, la réception du concept dans le droit du système commercial multilatéral est analysée, de ses origines à la création de l’OMC. L’application du traitement différencié par les membres de l’OMC est ensuite étudiée avec une attention particulière pour le Système généralisé de préférences (SGP) qui est l’une de ses principales modalités d’application. Finalement, les perspectives d’évolution du concept de traitement différencié sont esquissées à la lumière des négociations qui se déroulent actuellement dans le cadre du cycle de Doha.
EN :
This article documents the origins and evolution of differential treatment in international economic law, using a discussion of international development law as a backdrop, in order to shed light on the transformations that this concept has undergone. This study is mandated not only because the concept of development has been redeployed in the work of international organizations, but also because of the perspective adopted in the current Doha Round of WTO negotiations. It is also mandated because differential treatment has materialized in international environmental law under the new label of “common but differentiated responsibilities.” An undeniable sign of juridical vitality, the concept of differential treatment continues to seep into the customary practices of states and into new areas of international law, such as areas relating to the diversity of cultural expressions.
The author begins by outlining the emergence of the concept of differential treatment within the United Nations. He then analyzes how the concept was received in the law of the multilateral commercial system, from its origins to the creation of the WTO, and goes on to examine the application of differential treatment by WTO members, paying special attention to the Generalized System of Preferences, which is one of its main modes of application. Finally, the author outlines the prospects for the evolution of differential treatment in light of the current Doha Round of negotiations.
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De Stockholm à Copenhague : genèse et évolution des responsabilités communes mais différenciées dans le droit international de l’environnement
Kristin Bartenstein
p. 177–228
RésuméFR :
Dès les années 1960, les inégalités économiques flagrantes ont inspiré les pays du tiers-monde, qui souhaitaient un rattrapage économique, à exiger l’instauration d’un nouvel ordre économique international. Le droit a réagi aux inégalités économiques par le développement du concept de traitement différencié au regard des obligations conventionnelles respectives des États. Depuis les années 1970, une conscience environnementale s’est ajoutée à la conscience économique et sociale de la communauté internationale. C’est dans ce contexte que le concept des « responsabilités communes mais différenciées » a été formulé.
Cet article a pour objectif d’analyser la genèse et l’évolution des responsabilités communes mais différenciées en droit international de l’environnement tout en attirant l’attention sur les contrastes les plus frappants par rapport au traitement différencié et plus favorable du système commercial multilatéral et les responsabilités communes mais différenciées du droit international de l’environnement. L’auteur souhaite ainsi poser un premier jalon à une analyse véritablement transversale du traitement différencié.
L’émergence du concept des responsabilités communes mais différenciées, déclenchée par la Conférence de Stockholm de 1972, et sa réception dans les traités sur l’environnement feront l’objet de la première partie qui analysera aussi la nature juridique du concept. Ses fondements seront ensuite étudiés en passant en revue les considérations pratiques et éthiques qui ont présidé à son émergence et qui justifient toujours son utilisation. Enfin, ses différentes articulations dans les traités sur l’environnement seront examinées en procédant à leur classification.
EN :
During the 1960s and 1970s, considerable economic inequalities led third world countries, seeking economic development, to demand that a new international economic order be established. The law responded to these economic inequalities by developing the concept of differential treatment with regard to the respective treaty obligations of the states. Since the 1970s, the international community, which already exhibited economic and social consciousness, also developed greater environmental awareness. It was in this context that the concept of “common but differentiated responsibilities” was formulated.
The aim of this article is to analyze the origins and evolution of common but differentiated responsibilities in international environmental law, while drawing attention to the most striking contrasts in respect to the special and differential treatment of the multilateral trading system and the common but differentiated responsibilities of international environmental law. The author hopes to lay the foundations for a truly crosscutting analysis of differential treatment.
Part one retraces the first appearance of the concept of common but differentiated responsibilities, which was set in motion at the 1972 Stockholm Conference, as well as its reception in environmental treaties. In this section, the author also analyzes the discussion surrounding the legal nature of the concept. Part two addresses the basis of the concept by reviewing the practical and ethical considerations that oversaw its emergence and still justify its use. Finally, part three classifies and examines its various manifestations in different environmental treaties.