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Introduction

Les feedbacks que les étudiants reçoivent dans l’enseignement supérieur génèrent-ils des émotions chez ces derniers ? Le cas échéant, de quelles émotions parle-t-on ? Quelles en sont les conséquences pour l’apprentissage ?

Depuis une quinzaine d’années, ce type de questions alimente les travaux d’une communauté de chercheurs grandissante. Il est à présent clairement établi que les étudiants ressentent effectivement des émotions dans les situations de feedback (Hill et al., 2021  ; Rowe, 2017 ; Shields, 2015). Il est également établi que ces émotions peuvent être plutôt plaisantes ou pénibles et que leur intensité s’échelonne de faible à forte (Sander & Scherer, 2019). À travers la coloration que les émotions donnent aux situations de feedback, on devine que le fait de recevoir un feedback ne se limite pas à l’enregistrement d’une nouvelle information dans sa structure cognitive, et encore moins le faire de façon neutre et passive. Il s’agit plutôt de décoder et de donner une signification bien précise à cette information, ce qui confère un caractère à la fois dynamique, complexe et subjectif à ce qu’il convient d’appeler le traitement des feedbacks (Lipnevich et al., 2016 ; Lipnevich & Panadero, 2021 ; Lipnevich & Smith, 2022 ; Panadero & Lipnevich, 2022).

Cette manière de comprendre les situations de feedback a pour intérêt majeur de placer d’emblée l’étudiant dans une posture active. Il est l’agent principal de ce traitement, et particulièrement au moment d’attribuer une signification particulière aux feedbacks, de les interpréter. La littérature scientifique nous apprend que les émotions des étudiants participent du traitement des feedbacks et, à ce titre, leur rôle suscite actuellement l’intérêt de nombreux chercheurs (Dozot & Romainville, 2022 ; Fong et al., 2018a, 2018b ; Fong & Schallert, 2022 ; Girardet, 2021 ; Goetz et al., 2018 ; Hausman et al., 2022a, 2022b, 2023 ; Molloy et al., 2019 ; Pitt, 2019 ; Poulos & Mahony, 2008 ; Ryan & Henderson, 2018 ; Värlander, 2008).

La présente étude s’inscrit pleinement dans ce courant de recherche et vise, comme nos travaux précédents (Dancot et al., 2021 ; Hausman et al., 2022a, 2022b, 2023), à mieux comprendre la manière dont les émotions émergent chez les étudiants dans le traitement des feedbacks, et leur influence sur les croyances motivationnelles et sur les stratégies d’apprentissage des étudiants. De façon plus précise, cette étude porte sur la façon dont les étudiants inscrits en année préparatoire au master en sciences de l’éducation ont perçu l’utilité d’un feedback envoyé sur leur téléphone via une application dédiée, à la suite d’une évaluation formative réalisée en ligne. Dans ce contexte, nous avons cherché à identifier les émotions vécues par les étudiants lors du traitement de ce feedback, ainsi que leur intensité. Afin de mettre au jour de potentielles pistes explicatives de la perception d’utilité du feedback et des émotions associées à son interprétation, nous avons mesuré plusieurs déterminants considérés comme pertinents dans ce processus. Parmi ces déterminants, nous avons mesuré les compétences émotionnelles (Mikolajczak, 2020a) des étudiants dans leur intégralité. Nous avons également mesuré plusieurs variables attitudinales (Genoud & Guillod, 2014) associées aux croyances motivationnelles (Berger & Büchel, 2012) des étudiants, telles que la valeur attribuée au cours, le contrôle perçu sur les activités d’apprentissage et leurs résultats ou encore, la perception de leur niveau de compétence dans le domaine ciblé. Enfin, nous avons intégré le niveau de performance obtenu au test formatif à nos variables. L’analyse de ces variables et de leurs interactions doit nous permettre de mieux comprendre comment se colore le traitement d’un feedback à distance, sur le plan émotionnel, et en quoi les croyances motivationnelles peuvent influencer ce processus.

Cadre théorique

Les feedbacks en contexte d’apprentissage

Il existe plusieurs définitions du concept de feedback dans le champ de l’éducation. C’est dans le courant des années 1980-1990, avec des travaux tels que ceux de Ramaprasad (1983), Kulhavy et Stock (1989), Sadler (1989) ou Bangert-Drowns et al. (1991) que le feedback est devenu un objet de recherche clairement identifié dans notre discipline. En effet, si le feedback est fréquemment intégré au processus de régulation et d’autorégulation des apprentissages (Butler & Winne, 1995 ; Nicol & Macfarlane-Dick, 2006), il n’en demeure pas moins un construit spécifique avec ses fonctions et ses caractéristiques propres.

Plus de quatre décennies de recherches consacrées aux feedbacks se sont donc écoulées entre les travaux mentionnés supra et nos propres travaux. Parmi les nombreuses définitions produites dans ce laps de temps, nous souscrivons à celle de Shute, selon laquelle le feedback est une « [...] information communiquée à l’apprenant, qui vise à modifier sa pensée ou son comportement dans le but d’améliorer l’apprentissage » (Shute, 2008, p. 154, notre traduction). Cette définition comporte selon nous l’avantage de situer clairement l’information comme le point nodal du feedback, tout en spécifiant que celle-ci a une visée émancipatrice pour l’apprenant à qui il appartient de l’exploiter dans une démarche de régulation ou d’autorégulation de ses apprentissages.

Cependant, alors que l’on pensait avoir tout dit ou presque du feedback après la diffusion de travaux séminaux tels que ceux de Hattie et Timperley (2007) ou de Brookhart (2008), ce concept foisonnant fait depuis quelques années l’objet d’un regain d’intérêt au sein de la communauté scientifique. Ce phénomène s’est cristallisé autour de ce que Carless et Boud (2018) ont appelé la Student Feedback Literacy. Prenant appui sur le travail réalisé par Sutton (2012), ces auteurs ont proposé un modèle théorique du traitement des feedbacks, étendant la nature du concept au processus de traitement, alors que le produit (l’information) était jusque-là considéré comme central dans la plupart des définitions. Ce modèle soutient l’engagement (pro)actif de l’apprenant et détermine quatre aptitudes clés à mobiliser pour tirer le meilleur parti des feedbacks en contexte d’apprentissage. Ces aptitudes sont : 1) la compréhension des feedbacks, 2) le jugement évaluatif, 3) la gestion des affects et 4) l’engagement d’action(s) consécutive(s) au traitement de l’information transmise par une ressource externe ou produite par l’étudiant lui-même (Carless & Boud, 2018). Depuis sa publication, ce modèle a été mobilisé dans de nombreuses recherches (Nieminen & Carless, 2023). Sa validation et son opérationnalisation se poursuivent actuellement dans divers travaux empiriques (Han & Xu, 2020 ; Little et al., 2023). Il est à noter qu’il a également vu apparaitre, en miroir, des aptitudes propres aux enseignants (Boud & Dawson, 2021 ; Carless & Winstone, 2023 ; de Kleijn, 2021).

S’il semble tout à fait pertinent de développer de telles aptitudes chez les apprenants, ce modèle comporte certaines limitations, parmi lesquelles un certain manque de clarté et de nuances en ce qui concerne la gestion des affects. En effet, ce terme désigne l’ensemble des manifestations de nature affective chez l’individu (Mikolajczak, 2020b) et ne prend donc pas en considération des caractéristiques pourtant essentielles pour les distinguer, comme leurs déterminants, leur intensité, la durée de leur manifestation et surtout, le degré de conscience et de contrôle que l’individu peut exercer dessus. Il est dès lors difficilement concevable de retenir ce concept d’affect comme central dans la définition d’une aptitude à développer chez des apprenants, en vue de maximiser l’effet bénéfique des feedbacks sur leurs apprentissages.

Pour cette raison, nous lui préférons le concept d’émotion qui, intrinsèquement, semble répondre davantage à la logique de gestion (pro)active des manifestations de type affectif, telle que la prônent Carless et Boud dans leur postulat (2018). Ces auteurs ont intégré cette aptitude particulière dans leur modèle en raison des effets délétères des affects négatifs sur le traitement des feedbacks (Mercer & Gulseren, 2023) et donc sur la régulation et sur l’autorégulation des apprentissages. Ils recommandent dès lors aux praticiens de faire en sorte que les étudiants évitent l’expérience de tels affects et d’oeuvrer au maintien d’un équilibre affectif chez ces derniers afin de ne pas générer une attitude défensive vis-à-vis des feedbacks qu’ils leur adressent. Ces recommandations nous apparaissent pour le moins discutables sur le fond, et peu opérantes sur la forme. Nous estimons nécessaire à ce stade de les nuancer et d’en préciser quelque peu la mise en oeuvre.

Les émotions et leur gestion en contexte d’apprentissage

Comme nous l’avons évoqué précédemment, nous préférons utiliser le concept d’émotion à celui d’affect dans le contexte du traitement des feedbacks, car tous les affects ne semblent pas pertinents dans la logique de contrôle soutenue par Carless et Boud (2018). Ainsi, le tempérament, les humeurs, les émotions ou encore, les sentiments ne peuvent être considérés comme des synonymes. Chacun de ces construits possède ses propres attributs et, à cet égard, certains apparaissent plus probants que d’autres dans la mobilisation d’aptitudes consacrées à la prise en considération de la dimension affective dans les situations de feedback. Nous pensons que c’est le cas des émotions.

Le rôle des émotions dans les situations d’apprentissage constitue un objet de recherche relativement récent dans notre discipline, puisque les premiers travaux marquants dans le domaine datent – pour un nombre très restreint – des années 1990, avant de croître légèrement dans les années 2000 pour enfin connaitre un réel engouement à partir des années 2010 (Audrin, 2020). Les émotions ont donc été longtemps délaissées par la communauté scientifique en éducation, car elles étaient considérées naguère comme des éléments perturbateurs pour la pensée rationnelle qui, elle, a toujours été reconnue comme vertueuse et indissociable de l’apprentissage.

L’évolution récente du domaine nous offre à présent des connaissances tout à fait instructives quant aux émotions et à leurs fonctions. Elles jouent par exemple un rôle très utile dans certains processus, pourtant longtemps considérés comme exclusivement cognitifs, tels que le traitement d’informations, leur mémorisation ou la prise de décisions (Sander & Scherer, 2019). En outre, il apparait qu’au-delà des émotions elles-mêmes, c’est davantage ce qu’en font les individus qui détermine leur influence dans divers domaines de la vie courante. De la même manière, on sait aujourd’hui que la façon dont les apprenants parviennent ou non à gérer leurs émotions adéquatement est susceptible de soutenir ou d’entraver leurs apprentissages (Mazzietti & Sander, 2015).

Mais qu’est-ce qu’une émotion en définitive ? D’après Luminet (2002, cité dans Mikolajczak, 2020b, p. 15) « […] les émotions sont des états relativement brefs causés par un stimulus ou une situation spécifique et s’expriment aux niveaux physiologique, comportemental et subjectif ». Il s’agit donc d’un processus complexe, qui mobilise un ensemble de composantes. On y retrouve a minima une phase de déclenchement et une phase de réponse, qui s’expriment à différents niveaux (cognitif, expérientiel, physiologique, expressif, comportemental). En outre, les émotions remplissent plusieurs fonctions dont l’une des plus importantes est de préparer l’organisme à répondre aux besoins rencontrés dans des circonstances particulières. Il s’agit de la fonction adaptative des émotions (Grandjean & Scherer, 2019), dont on conviendra aisément qu’elle peut être utile, en contexte académique, pour ajuster ses stratégies d’apprentissage en fonction des résultats obtenus précédemment ou pour évaluer le caractère réaliste et atteignable des buts d’apprentissage poursuivis, en vue de les maintenir ou de les modifier, par exemple.

En contexte d’apprentissage, les émotions sont regroupées sous l’appellation d’émotions académiques (Pekrun et al., 2002 ; Pekrun & Perry, 2014) et se répartissent en différentes catégories, en fonction de la nature de l’objet ou de l’événement auxquels elles se rapportent. On trouve les émotions épistémiques, associées aux activités d’élaboration ou d’acquisition de connaissances (intérêt, confusion, surprise, ennui…), les émotions d’accomplissement, liées au déroulement des activités d’apprentissage et/ou à leurs résultats (joie, fierté, soulagement, déception, colère, anxiété…), les émotions thématiques qui portent sur le rapport que l’individu entretient avec le domaine dans lequel il est actif (enthousiasme, plaisir, dégoût…) et enfin, les émotions sociales, caractérisées par une focalisation sur les autres individus impliqués dans les situations d’apprentissage (jalousie, gratitude, envie…).

Plusieurs études attestent de l’expérience de ces émotions académiques par les étudiants à différents moments de leur parcours d’apprentissage, avec des effets relativement nuancés. Si les émotions positives[1] sont généralement liées à de meilleures performances, notamment parce qu’elles agissent favorablement sur la motivation des apprenants, les émotions négatives n’ont pas toujours l’effet inverse (Rowe & Fitness, 2018). Certaines émotions désagréables agissent en réalité comme des impulsions qui (re)mobilisent les étudiants dans les activités d’apprentissage (Fischer et al., 2020). En outre, l’absence d’émotions ou, plus exactement, le recours à un contrôle inhibiteur de l’expression des émotions, ou leur négation ne semblent pas favoriser de meilleures performances chez les apprenants (Govaerts & Grégoire, 2008 ; Pekrun et al., 2007).

Ces quelques constats indiquent que le rôle des émotions dans la façon dont les étudiants apprennent, notamment quand ils reçoivent, analysent et utilisent les feedbacks, est loin d’être évident à saisir, d’autant plus qu’il ne dépend pas uniquement de leur nature agréable ou désagréable. La Control-Value Theory de Pekrun (2006) adjoint des caractéristiques complémentaires à la valence des émotions, pour mieux saisir leur fonctionnement et leurs implications. Les émotions sont également activantes ou désactivantes : elles poussent l’individu à (ré)agir ou non. En contexte d’apprentissage, cette activation peut être rapprochée des principales théories motivationnelles, dans lesquelles les comportements des apprenants répondent à des besoins à assouvir (Ryan & Deci, 2000) et/ou à des buts personnels à atteindre (Dweck, 1986). Ainsi, une émotion désagréable peut soutenir l’apprentissage ou sa régulation, si elle est activante et permet à l’individu qui l’éprouve de se (re)mobiliser à travers la mise en oeuvre de stratégies d’apprentissage qui doivent lui permettre d’atteindre ses objectifs. Dès lors, un contrôle excessif du processus émotionnel visant à éviter de vivre certaines émotions ou à les refouler une fois qu’elles sont apparues peut s’avérer contre-productif pour l’apprenant qui ne s’engagerait alors dans aucune démarche d’ajustement par rapport à la situation ou à l’événement ayant déclenché l’épisode émotionnel. Il semble donc préférable de chercher à comprendre ses émotions et à les utiliser en tant que ressources.

Ces derniers éléments nous ramènent à la gestion des affects ou, plus exactement, à la gestion des émotions dans le cadre de la Student Feedback Literacy (Carless & Boud, 2018). Dans leur article, les auteurs ne décrivent pas cette aptitude particulière et n’expliquent pas non plus comment s’y prendre. Les questions de savoir de quelle manière les étudiants peuvent gérer leurs émotions lorsqu’ils reçoivent puis interprètent des feedbacks, et avec quels bénéfices, restent donc assez ouvertes. Cela étant, de plus en plus de travaux éclairent ce processus et nous apprennent, notamment, que les feedbacks suscitent bien des émotions chez les étudiants (Girardet, 2021), qu’elles sont fortement liées au contexte dans lequel le feedback est fourni (Lipnevich & Smith, 2022) et qu’elles peuvent soutenir ou entraver leur traitement (Pitt & Norton, 2017 ; Winstone et al., 2017), notamment à travers leur impact sur le sentiment d’efficacité personnelle et/ou sur l’estime de soi des étudiants (Hill et al., 2021 ; Shields, 2015). Les études qui visent à identifier plus finement les mécanismes spécifiques par lesquels ces émotions affectent positivement ou négativement le traitement des feedbacks sont plutôt rares (Goetz et al., 2018).

Dans le cadre de nos recherches, nous avons pu mettre en évidence le fait que les étudiants qui interprétaient un feedback négatif de façon vertueuse y parvenaient en engageant diverses stratégies de régulation émotionnelle dans ces situations, visant notamment à diminuer l’intensité des émotions et à nuancer le feedback reçu en le comparant au point de vue d’une autre source (Hausman et al., 2023). La capacité des étudiants à réguler leurs émotions, et plus particulièrement leurs émotions négatives comme le suggèrent Carless et Boud (2018), fait partie d’un large éventail d’aptitudes relatives à la gestion des émotions. Celles-ci sont aujourd’hui reconnues sous la dénomination de compétences émotionnelles (Brasseur et al., 2013).

Initialement proposées par Saarni (1988, cité dans Mikolajczak, 2020a), les compétences émotionnelles représentent, en quelque sorte, l’évolution du concept d’intelligence émotionnelle, popularisé en 1995 par Goleman et développé depuis par nombre d’auteurs (Mayer et al. 2004). Mikolajczak définit les compétences émotionnelles comme « […] la façon dont les individus identifient, comprennent, expriment, régulent et utilisent leurs émotions et celles d’autrui » (2020a, p. 7). Ces dix compétences sont complémentaires et leur maitrise se décline en trois niveaux, qui répondent à une logique taxonomique. Le premier est celui de la maitrise de connaissances liées au processus émotionnel. Ces connaissances peuvent ensuite évoluer progressivement vers l’habileté de l’individu à les utiliser lors d’un épisode émotionnel (Sander & Scherer, 2019), puis vers leur intégration au sein de ses dispositions personnelles. Ce niveau supérieur de maitrise des compétences émotionnelles permet à l’individu de les mobiliser spontanément, et notamment, de manière anticipative.

Plutôt que pour leur lien avec l’intelligence émotionnelle, nous préférons recourir aux compétences émotionnelles pour leur nature incrémentielle et les perspectives d’apprentissage que l’on peut y associer. En 2011, Nelis et ses collègues ont mis sur pied un dispositif de formation relativement court, dans lequel des participants ont travaillé durant 18 heures (réparties en différents modules) au développement de leurs compétences émotionnelles. La recherche réalisée sur l’effet de cette formation a mis en évidence un apprentissage et une progression dans la maitrise des compétences émotionnelles pour tous les participants. Elle a observé des effets positifs aux niveaux physique (amélioration de l’hygiène de vie), psychologique (amélioration du bien-être), social (amélioration des relations) et professionnel (amélioration de l’employabilité). Des traits de personnalité, pourtant particulièrement stables, ont également évolué chez les participants (p. ex., diminution du pessimisme), et ce, jusqu’à six mois après la clôture du dispositif. Or, ces traits de personnalité influencent la façon dont les étudiants réagissent aux feedbacks qui leur sont proposés, et le pessimisme en particulier apparait comme un frein à leur traitement constructif (Lipnevich et al., 2021). En contexte académique, Leroy et ses collaborateurs (2012) ont réalisé des études expérimentales qui leur ont permis de mettre en évidence l’intérêt pour les étudiants de développer leurs compétences émotionnelles et, en particulier, la stratégie de régulation émotionnelle dite de réévaluation cognitive (Gross, 1998). Cette stratégie a été reconnue comme favorable aux performances et au maintien de l’enthousiasme des étudiants dans l’exécution des tâches qui leur étaient assignées ainsi qu’à la résistance aux distractions susceptibles de générer des émotions agréables à court terme, mais aussi d’engendrer des émotions désagréables à long terme.

Il est donc permis de penser que les compétences émotionnelles constituent une réponse prometteuse à la question de savoir de quelle manière les étudiants universitaires peuvent procéder à un traitement constructif des feedbacks qui leur sont proposés, y compris en ce qui concerne la dimension affective de ce processus. Cela a d’autant plus d’intérêt que les épisodes émotionnels suscités par le traitement des feedbacks alimentent constamment ce que Malecka et ses collègues (2022) ont appelé « l’histoire personnelle des étudiants avec les feedbacks » (notre traduction) et qui détermine la manière dont ces mêmes étudiants perçoivent les feedbacks durant leur parcours universitaire. En ce sens, il apparait important de définir en quoi les compétences émotionnelles peuvent aider les étudiants à faire des situations de feedback, de belles histoires.

Les objectifs de l’étude et les hypothèses de recherche

Notre étude poursuivait des ambitions multiples. Nous souhaitions tout d’abord vérifier que les étudiants éprouvent des émotions académiques lors du traitement de feedbacks à l’université, en examinant le cas d’un feedback délivré à distance, via une application dédiée, à la suite d’une évaluation formative et facultative. Le cas échéant, nous prévoyions de les caractériser à partir de leur valence, de leur temporalité, de leur potentiel d’activation et de leur intensité. En outre, un objectif majeur de l’étude était de mesurer et de décrire les compétences émotionnelles des étudiants. Nous souhaitions déterminer l’existence, ou non, d’un lien entre le niveau des compétences émotionnelles des étudiants et l’intensité des émotions qu’ils ont vécues dans la situation de feedback concernée. Le feedback étant l’une de nos préoccupations principales, nous avons également cherché à déterminer l’existence d’un lien entre les compétences émotionnelles et la perception que les étudiants avaient de l’utilité du feedback ciblé. En vue de cerner l’importance de ce lien, nous avons testé d’autres variables, elles aussi susceptibles d’influencer la perception d’utilité du feedback. Nous avons ainsi analysé le résultat obtenu au test correspondant, la valeur attribuée au cours, la perception de contrôlabilité dans le cours et le sentiment de compétence des étudiants dans le domaine concerné.

Ces objectifs se traduisent par les hypothèses suivantes, qui ont été vérifiées dans une approche quantitative :

  1. Le traitement du feedback génère des émotions chez les étudiants.

  2. Le niveau des compétences émotionnelles est positivement corrélé avec l’intensité des émotions ressenties lors de la réception du dernier feedback formatif du cours.

  3. Le niveau des compétences émotionnelles est positivement corrélé avec la perception d’utilité du feedback.

  4. Le niveau des compétences émotionnelles est positivement corrélé avec les différentes composantes des croyances motivationnelles des étudiants, à savoir la valeur attribuée au cours, la perception de contrôlabilité et le sentiment de compétence dans la discipline.

Méthodologie

Le cadre éthique

Cette recherche s’inscrit dans l’analyse de l’usage de l’application FB4You, approuvée par le comité d’éthique de la Faculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l’Éducation de l’Université de Liège (Belgique), sous la référence 2021-104.

Le contexte de l’étude

Cette étude a été menée durant le second quadrimestre de l’année académique 2021-2022, dans le cadre du cours intitulé « Question d’évaluation », figurant au programme de l’année préparatoire au master en sciences de l’éducation à l’Université de Liège (Belgique). Ce master est proposé en horaire décalé de façon à pouvoir accueillir un public d’étudiants qui exercerait une activité professionnelle en journée. En conséquence, les étudiants inscrits dans cette année d’études présentent des caractéristiques démographiques variées, tant au niveau de l’âge et de la situation familiale que de l’activité et l’expérience professionnelle. Par exemple, si certains étudiants poursuivent ce cursus dans la continuité d’un bachelier les destinant à devenir enseignants, d’autres travaillent déjà dans le domaine de l’éducation, et sont alors en reprise d’études.

En marge des séances de cours, les étudiants inscrits se sont vu proposer six tests formatifs à réaliser en ligne, sur la plateforme Eduflow. La participation à ces tests était facultative. Ils portaient systématiquement sur les contenus présentés lors de la séance précédente et se présentaient à chaque fois sous la forme de cinq à six questions de type vrai-faux. Le barème d’évaluation était d’un point octroyé par réponse correcte, un point retiré par réponse incorrecte et aucun gain ou retrait de point en cas d’omission[2]. Après chaque réponse, la plateforme indiquait si elle était correcte ou incorrecte au participant, sans score ou autre élément de correction. Quelques jours plus tard, un feedback plus élaboré était proposé aux étudiants via l’application FB4You. Il s’agit d’une application que nous avons développée en interne, au sein de notre laboratoire. Elle vise essentiellement à diffuser des feedbacks semi-automatisés aux étudiants, via leur téléphone. Les résultats associés à un test sont importés dans l’application et l’enseignant peut ensuite les intégrer en tout ou partie au feedback et les commenter librement, de façon générale et/ou plus ciblée selon les catégories de performances établies. En outre, les étudiants ont accès à leur score global et par parties, le cas échéant, ainsi qu’à la position que ce score leur confère au sein de la cohorte.

Dans le cadre de cette étude, nous avons interrogé les étudiants à la fin du cours, sur le dernier feedback qu’ils ont reçu dans ce contexte, après le dernier test formatif. Nous avons choisi de nous concentrer sur ce feedback, car notre démarche s’inscrit dans le contexte plus large de l’analyse du déploiement de l’application FB4You d’une part[3], et parce que les épisodes émotionnels sont toujours associés à un événement spécifique d’autre part. Nous avons également estimé que le dernier feedback permettait aux étudiants de développer une certaine habitude de consultation et de compréhension, mais aussi qu’il serait plus facile pour eux de se remémorer ce moment lors de leur participation à notre étude.

Le dernier test a été mis en ligne le 1er mai 2022 sur la plateforme Eduflow. Il était composé de six questions. Le 13 mai, les participants ont reçu leur feedback via FB4You. Celui-ci comprenait les informations suivantes :

  • le score individuel au test (sur 20) ;

  • le classement individuel au sein de la cohorte sous forme chiffrée et sous forme graphique avec la distribution des étudiants[4] par niveau de performance ;

  • un commentaire général de l’enseignant précisant la séance de cours et le test auxquels se rapportait le feedback ;

  • un commentaire particulier de l’enseignant, différent selon le résultat obtenu (inférieur à 10 sur 20 ou égal/supérieur) :

    • Commentaire d’encouragement pour les étudiants qui ont obtenu moins de 10 sur 20 : dans son commentaire, l’enseignant soulignait l’investissement des étudiants dans le cours, à travers leur participation au test. Il tâchait également de les rassurer quant à la probabilité de réussir l’examen.

    • Commentaire pour les étudiants ayant obtenu au moins 10 sur 20 : l’enseignant félicitait ces étudiants pour leur investissement et pour leur résultat. Il les encourageait également en leur confirmant qu’ils étaient sur une trajectoire de réussite en vue de l’examen.

Le questionnaire

Pour atteindre nos objectifs, nous avons soumis un questionnaire en ligne aux étudiants à la fin du cours, via l’outil Qualtrics. C’est le titulaire du cours qui a envoyé cette invitation par courriel aux étudiants. Le courriel reprenait les objectifs de l’étude ainsi qu’un lien d’accès direct au questionnaire en ligne. Les étudiants ont eu l’occasion de répondre au questionnaire durant trois semaines, du 13 mai au 3 juin 2022. Le questionnaire comprenait 122 items dans sa version complète ; on a estimé à 30 minutes le temps nécessaire pour le remplir. Pour encourager les étudiants à y répondre, un « incitant » leur était proposé, soit une place de cinéma. Afin de permettre à un maximum d’étudiants de répondre au questionnaire, et notamment à la partie consacrée à la mesure des compétences émotionnelles, nous n’avons pas conditionné la participation à notre étude à la passation du dernier test formatif. Les répondants qui se trouvaient dans ce cas de figure pouvaient donc répondre aux six premières parties (sur dix).

Les dimensions constitutives du questionnaire ont été mesurées en fonction d’items issus en tout ou en partie de différents outils francophones existants et validés par des études antérieures. Pour chacune des échelles ou des sous-échelles retenues, nous avons respecté les modalités de réponses définies par leurs auteurs. Le détail des dimensions investiguées et, le cas échéant, l’outil de mesure original sont mentionnés dans la description du questionnaire, présenté ci-après :

  1. Les données sociodémographiques : genre, âge, première inscription au cours ou non.

  2. Le niveau des compétences émotionnelles : Nous avons utilisé le Profil de compétences émotionnelles (Brasseur et al., 2013) dans son intégralité. Cet outil permet de mesurer le niveau des cinq dimensions constitutives des compétences émotionnelles des individus pour le versant intrapersonnel et pour le versant interpersonnel, chacune de ces dix dimensions étant mesurée par cinq items. Le questionnaire original comportait 50 items auxquels les participants ont répondu en choisissant une valeur comprise entre 1 et 5 sur une échelle de Likert (1 signifiant que l’affirmation évoquée ne se vérifie jamais et 5 signifiant à l’inverse que c’est très fréquent). L’outil original a été testé et validé auprès de six échantillons différents, rassemblant 5 676 sujets dont l’âge était compris entre 15 à 84 ans et qui évoluaient dans des contextes socioprofessionnels diversifiés, dont celui des études supérieures.

  3. Les croyances motivationnelles : En nous basant sur la théorie de Pekrun (2006) concernant les émotions académiques, nous avons choisi de mesurer trois dimensions relatives aux croyances motivationnelles qui nous ont paru appropriées pour décrire les dimensions de contrôle et de valeur. Nous avons mobilisé une partie de l’échelle d’attitude socioaffective de Genoud et Guillod (2014)[5]. Parmi les différentes sous-échelles proposées, nous avons estimé pertinent d’utiliser la valeur, la contrôlabilité et le niveau de compétence perçus. Ces dimensions étaient évaluées par cinq items pour la valeur et la contrôlabilité, et par six items pour le sentiment de compétence. Les modalités de réponse étaient des échelles de Likert en six points allant de 0 à 5 (0 signifiait « pas du tout d’accord » et 5 signifiait « tout à fait d’accord »). Nous avons repris les items originaux, tout en veillant à remplacer l’objet des différentes affirmations par le sujet du cours lorsque c’était nécessaire.

  4. La participation aux tests formatifs du cours : choix du nombre de tests présentés, entre 0 et 6.

  5. La participation au dernier test formatif du cours : oui ou non.

  6. Les raisons relatives à la (non) participation au dernier test formatif du cours : 15 raisons potentiellement liées à la passation du test et 15 autres raisons pouvant expliquer l’absence de participation au même test étaient proposées aux répondants. Ces raisons recouvraient des aspects tant organisationnels que motivationnels. Les modalités de réponse étaient des échelles de Likert en cinq points, relatives au degré d’influence de la raison invoquée sur le choix de l’étudiant (1 pour une influence nulle et 5 pour une influence forte). Les étudiants devaient donc répondre à l’une ou à l’autre partie selon leur participation à l’épreuve ou non. Pour les répondants qui n’avaient pas fait le dernier test, le questionnaire s’arrêtait après cette sixième partie.

  7. Le score obtenu au dernier test formatif du cours : choix d’une valeur comprise entre 0 et 20.

  8. Les modalité(s) de feedback consultée(s) : mention du ou des canaux par lequel le feedback relatif au test a été consulté (Eduflow, FB4You ou les deux).

  9. La perception des émotions : 15 émotions académiques (principalement des émotions d’accomplissement) étaient proposées aux étudiants : joie, honte, tristesse, fierté, satisfaction, colère, soulagement, déception, gratitude, espoir, anxiété, enthousiasme, désespoir, confusion et intérêt. Ils devaient sélectionner l’intensité avec laquelle ils estimaient avoir vécu chacune d’entre elles, selon une échelle de Likert en cinq points, allant de 0 à 4 (0 étant associé à une intensité nulle – et donc au fait que l’émotion n’a pas été ressentie – et 4 qu’elle a été ressentie de façon importante).

  10. La perception de l’utilité du feedback : La perception d’utilité du feedback proposé via FB4You a été mesurée suivant la sous-échelle de Calone et Lafontaine (2018), qui ont comparé l’effet de feedbacks normatifs et élaborés sur la performance et le sentiment de compétence d’élèves de l’enseignement obligatoire. Celle-ci était constituée de cinq affirmations vis-à-vis desquelles les répondants devaient se positionner sur une échelle de Likert en quatre points (1 signifiant « pas du tout d’accord », et 4 « tout à fait d’accord »).

Analyses

Interroger les étudiants uniquement sur le dernier feedback du cours a eu deux conséquences directes sur la participation à l’étude. Le nombre de répondants était doublement restreint, car tous n’avaient pas participé au dernier test d’une part, et une partie d’entre eux n’a pu répondre à l’ensemble du questionnaire étant donné que les participants au test n’ont pas nécessairement tous consulté leur feedback dans FB4You.

Nous souhaitions initialement réaliser des analyses factorielles exploratoires entre les différentes dimensions du questionnaire afin de déterminer de quelle façon elles pouvaient interagir entre elles dans le traitement du feedback ciblé. Cependant, le nombre de répondants ne nous a pas permis de faire ce type d’analyses. Nous avons alors entrepris de réaliser une analyse essentiellement descriptive des données collectées, en exploitant les fréquences des réponses et en testant les corrélations potentielles entre les construits mesurés. En outre, bien qu’ils aient été validés par leurs auteurs dans la littérature, nous avons recalculé les indices de consistance interne (omégas) des différentes (sous) échelles empruntées à la littérature. L’ensemble des analyses statistiques a été réalisé avec le logiciel SAS 9.4.

Résultats

La participation au dernier test formatif

28 étudiants ont pris part au dernier test formatif. Cela représente moins du quart (21,9 %) des 128 étudiants qui ont fait l’examen du cours à la fin du semestre. Parmi les participants, 12 ont obtenu un score supérieur ou égal à 10 sur 20 tandis que 16 ont obtenu un score inférieur au seuil de césure, soit 10 sur 20. Le score moyen était de 11,6 sur 20.

Le feedback distribué via FB4You a été envoyé à ces 28 étudiants. 24 d’entre eux l’ont effectivement reçu sur leur téléphone[6] et 21 l’ont consulté au moins une fois[7]. Ce feedback a été consulté en moyenne trois fois par étudiant, pour un maximum de sept fois par la même personne.

Les réponses au questionnaire et les caractéristiques sociodémographiques des répondants

52 étudiants ont répondu au questionnaire. Parmi eux, nous dénombrons 47 femmes et 5 hommes. 27 (51,9 %) d’entre eux étaient âgés de 20 à 24 ans, 9 (17,3 %) se situaient entre 25 et 29 ans, 3 (5,77 %) entre 30 et 34 ans, 5 (9,62 %) entre 35 et 39 ans, 4 (7,69 %) entre 40 et 44 ans et 4 (7,69 %) avaient 45 ans ou plus. Il s’agissait de la première inscription au cours pour 45 d’entre eux (94,23 %), et au moins de la seconde fois pour les 7 autres (13,46 %).

Parmi les 52 répondants, 23 étudiants (44,23 %) ont fait le test tandis que 29 (55,77 %) ne l’ont pas fait. Sur les 23 participants au test, 12 étudiants (52,17 %) ont consulté leur feedback dans FB4You.

La mesure des compétences émotionnelles

Le tableau 1 ci-après présente le détail des scores moyens obtenus pour les cinq compétences au niveau global, pour le volet intrapersonnel et pour le volet interpersonnel.

Nous pouvons constater que le niveau des compétences émotionnelles des étudiants est en moyenne de 3,4 sur 5 et que les compétences interpersonnelles (3,5) obtiennent un score légèrement plus élevé que les compétences intrapersonnelles (3,3).

Tableau 1

Scores relatifs aux compétences émotionnelles

Scores relatifs aux compétences émotionnelles

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Les étudiants sont tout à fait capables d’identifier (3,5), de comprendre (3,6), d’exprimer (3,3) et d’utiliser (3,6) leurs propres émotions. Ils obtiennent cependant un score moindre pour la régulation émotionnelle (2,6). Cette compétence est la moins bien maitrisée dans l’ensemble de nos mesures.

Sur le plan interpersonnel, les étudiants obtiennent les scores de 3,9 pour l’identification, de 3,7 pour la compréhension, de 4 pour l’expression et de 3,1 pour la régulation des émotions des autres individus. C’est l’utilisation des émotions vécues par des tiers qui obtient le score le plus faible (2,7).

Concernant les liens entre les compétences émotionnelles et d’autres construits, nous n’avons pu mettre en évidence aucun lien significatif avec l’âge, le genre, le score au test, la perception de contrôlabilité ou le sentiment de compétence. Cependant, nous avons identifié une corrélation positive avec la valeur attribuée au cours (r = 0,294 ; p = 0,034). Par conséquent la quatrième hypothèse n’est que partiellement vérifiée, car parmi les trois variables inhérentes aux croyances motivationnelles, seule la valeur attribuée au cours est liée au développement des compétences émotionnelles.

Les croyances motivationnelles

Les scores relatifs aux croyances motivationnelles des répondants sont repris dans le tableau 2, ci-dessous.

Tableau 2

Scores relatifs aux croyances motivationnelles

Scores relatifs aux croyances motivationnelles

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Les étudiants semblent considérer le cours comme relativement important (3,7). Ils semblent aussi estimer que leurs apprentissages et leurs performances dépendent bien d’eux et de leur travail (3,6), sans forcément s’estimer capables de réussir brillamment dans cette matière, car le sentiment de compétence est la variable avec le score le plus faible (2,3).

Dans la section précédente, nous avons fait état de la corrélation positive entre la valeur du cours et les compétences émotionnelles. Nous avons également testé l’existence de liens entre les croyances motivationnelles et le score obtenu au test, le nombre de tests réalisés ou encore la participation au dernier test. Nous n’avons pu mettre en évidence aucune corrélation entre ces variables. Toutefois, plusieurs liens se sont révélés significatifs avec l’expérience de certaines émotions académiques. Nous les détaillons dans la section suivante.

Les émotions vécues à la réception du feedback

Les émotions vécues par les étudiants et leur intensité moyenne sont reprises dans le tableau 3 ci-après. Nous les présentons dans l’ordre de l’intensité moyenne calculée pour chacune d’entre elles. 22 étudiants ont répondu à cette partie du questionnaire.

Tableau 3

Résultats au test et émotions vécues par les participants lors de la réception du feedback correspondant (n = 22)

Résultats au test et émotions vécues par les participants lors de la réception du feedback correspondant (n = 22)

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La variété des émotions expérimentées

En premier lieu, nous constatons que les étudiants ont ressenti en moyenne sept émotions différentes lors du traitement du feedback relatif au dernier test formatif du cours. Outre cette moyenne, une grande différence interindividuelle apparait entre les répondants : l’un d’entre eux n’a ressenti que de la colère, tandis qu’un autre a indiqué une intensité d’au moins 1 sur 4 pour chacune des 15 émotions proposées.

Au niveau des fréquences, les émotions les plus souvent ressenties sont l’intérêt (n = 17), l’espoir et l’anxiété (n = 15). Viennent ensuite la gratitude (n = 14), la joie, la fierté et la satisfaction (n = 13), puis le soulagement et l’enthousiasme (n = 12). Les émotions les moins souvent rapportées sont la colère (n = 4), le désespoir et la confusion (n = 6). Il est intéressant d’observer que l’émotion la plus fréquemment expérimentée est une émotion épistémique et non pas une émotion d’accomplissement. Suivent deux émotions d’accomplissement anticipatives. Si elles diffèrent nettement en ce qui concerne la valence, elles renvoient chacune à une temporalité ultérieure dont on peut raisonnablement penser qu’il s’agit de l’examen. De plus, les trois émotions les plus souvent rapportées sont activantes, c’est-à-dire qu’elles poussent l’individu à se mettre en action. Ces différents constats suggèrent que les étudiants ont bien perçu la fonction formative du feedback et qu’ils l’ont appréhendée comme une occasion d’apprendre et de progresser en vue d’une échéance à venir, aux enjeux sans doute plus élevés.

Concernant l’intensité de ces émotions, elle est plutôt modérée en moyenne (1,4 sur 4). Cela peut être partiellement expliqué par le caractère formatif et facultatif du test et, par conséquent, par la faiblesse de l’enjeu que les étudiants ont pu lui prêter. En outre, comme c’était le cas pour le nombre d’émotions éprouvées, des disparités interindividuelles importantes apparaissent à travers les écarts-types qui vont jusqu’à 1,3 pour la gratitude, par exemple.

À partir de ces résultats, nous pouvons considérer que la première hypothèse est vérifiée et que le feedback engendre bien des épisodes émotionnels chez les étudiants. Ils se caractérisent dans ce contexte par une intensité limitée, mais présentent par ailleurs une certaine complexité chez les étudiants, tant le nombre d’émotions vécues simultanément semble important.

L’influence de la note

Les étudiants qui ont réussi le test (n = 16) ont en commun d’avoir ressenti de la fierté, de la joie et de la satisfaction. Parmi les étudiants qui ont échoué (n = 7), on ne trouve ni joie, ni satisfaction, ni soulagement, ni fierté, ni gratitude, ni enthousiasme, mais un peu d’espoir (n = 3) et d’intérêt (n = 4). Ces étudiants ressentent surtout des émotions déplaisantes, notamment de la déception (n = 5), de la honte (n = 4), de l’anxiété (n = 3), de la tristesse (n = 2) et du désespoir (n = 1).

Les corrélations testées entre l’intensité des émotions et les autres variables du questionnaire se sont avérées non significatives sauf avec le score obtenu au test. Celui-ci est corrélé positivement avec 7 des 15 émotions académiques proposées dans le questionnaire. Le tableau 4 ci-après, en fait état. On y observe notamment que, bien qu’elles soient toutes significatives, elles ne sont pas équivalentes pour autant.

Tableau 4

Corrélations entre le score au test et les émotions académiques

Corrélations entre le score au test et les émotions académiques

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Le score au test, qui, dans le contexte de notre étude, détermine fortement la valence du feedback, semble avoir été un critère important dans le déclenchement d’épisodes émotionnels liés au traitement du feedback. Parmi l’ensemble des émotions agréables proposées dans le questionnaire, seul l’intérêt ne présente pas de corrélation significative avec le score obtenu au test. Cela semble indiquer que cette émotion épistémique soit davantage suscitée par le traitement d’informations plus complexes à interpréter pour les étudiants. Bien qu’il s’agisse de la corrélation la moins forte parmi celles qui se sont avérées significatives, notons la présence dans ce tableau de la gratitude (seule émotion sociale parmi les propositions), qui atteste potentiellement d’une forme de reconnaissance des étudiants envers l’enseignant ou envers un pair qui aurait fourni une aide pour préparer le test. Les six autres sont des émotions d’accomplissement, logiquement orientées vers le résultat du test et ses implications. Parmi celles-ci, l’espoir et l’enthousiasme renvoient à une échéance ultérieure qui, dans le cas du cours concerné, est l’examen de fin d’année.

L’absence de lien avec les compétences émotionnelles

Aucune des corrélations établies entre les compétences émotionnelles et l’intensité des émotions vécues par les répondants n’est statistiquement significative. Dès lors, nous ne pouvons valider la deuxième hypothèse, selon laquelle le niveau d’intensité des émotions vécues durant l’interprétation du feedback est lié au niveau des compétences émotionnelles des étudiants.

Les liens avec les croyances motivationnelles

Nous avons également réalisé des tests de corrélation entre l’intensité des émotions ressenties lors du traitement du feedback et la valeur attribuée au cours, la perception de contrôlabilité et le sentiment de compétence des étudiants.

La valeur attribuée au cours n’est significativement corrélée avec aucune des 15 émotions académiques reprises dans le questionnaire. La perception de contrôlabilité est quant à elle négativement corrélée avec la honte (r = -0,462 ; p = 0,046) et avec le désespoir (r = -0,612 ; p = 0,005). Autrement dit, plus les étudiants estiment que leur performance est liée à leur engagement, moins ils ressentent de honte et de désespoir lors du traitement du feedback subséquent. Le sentiment de compétence est négativement corrélé avec la tristesse (r = -0,540 ; p = 0,021) et le désespoir (r = -0,709 ; p = 0,001). Donc, plus les étudiants se sentent compétents dans la discipline concernée, moins ils éprouvent de tristesse et de désespoir lors du traitement du feedback ciblé. Ces liens sont probablement médiatisés par d’autres variables telles que le score au test, l’effort investi dans la préparation ou le système attributionnel des étudiants, par exemple. Cependant, nous n’avons pas pu mener les analyses nécessaires à la vérification de ces pistes.

L’utilité du feedback reçu via FB4You

En moyenne, la perception d’utilité du feedback associé au dernier test (ϖ = 0,7561) est de 2,93 sur 5 avec un écart-type de 0,6 (n = 12).

Outre le niveau de perception déterminé par la sous-échelle de Calone et Lafontaine (2018), nous avions intégré plusieurs items personnels[8] au questionnaire. Parmi ceux-ci, les répondants indiquent notamment que le feedback renforce leur autonomie pour étudier (3,5 sur 5 en moyenne) et qu’il les encourage (3,1 sur 5 en moyenne). Ces deux items sont significativement corrélés avec les compétences émotionnelles à hauteur de 0,601 (p = 0,039) pour l’autonomie et de 0,066 (p = 0,018) pour l’encouragement. Nous pouvons supposer que plus les compétences émotionnelles des étudiants sont élevées, plus ils sont en mesure de percevoir les bénéfices des feedbacks en réponse à leurs besoins d’autonomie et d’affiliation.

Au-delà des deux corrélations évoquées supra, nous n’avons pu mettre en évidence aucune corrélation significative entre la perception d’utilité du feedback (en tant que variable unifiée) et les compétences émotionnelles, le score au test ou les différentes composantes des croyances motivationnelles que nous avons mesurées. La troisième hypothèse, selon laquelle la perception d’utilité du feedback serait liée aux compétences émotionnelles, n’est donc pas vérifiée.

Discussion

Les émotions associées au feedback

L’intensité moyenne des émotions vécues par les répondants lors du traitement du feedback est de 1,4 sur 4. Si l’on s’en réfère à la théorie de Pekrun (2006), l’intensité des émotions académiques est principalement associée à la valeur de l’activité. Plus la perception de valeur est forte, plus intensément l’émotion sera vécue. Compte tenu de la nature formative du test et du caractère facultatif de sa passation, le résultat obtenu semble cohérent avec la hauteur de l’enjeu. Il est probable que cette intensité ait été plus importante dans le cas d’un feedback portant sur une épreuve sommative, voire certificative.

Par ailleurs, le type de feedback proposé à la suite de cette évaluation peut aussi constituer une piste plausible pour expliquer ce faible niveau d’intensité émotionnelle. En effet, le caractère généraliste et normatif de ce feedback peut limiter l’engagement des étudiants dans son analyse, car il comporte en réalité peu d’éléments directement actionnables pour réguler leurs apprentissages (Winstone et al., 2017). Or, si les informations ne proposent pas de stratégies aux étudiants pour qu’ils puissent ajuster leurs comportements d’apprentissage, et qu’ils ne possèdent pas eux-mêmes de telles stratégies, il est probable que le feedback soit traité de manière limitée (Jonsson, 2013). Ainsi, Winstone et ses collègues (2021) ont constaté un traitement particulièrement sommaire de feedbacks similaires, proposés aux étudiants sur une plateforme institutionnelle.

Contrairement à leur intensité, la diversité des émotions associées au feedback est plutôt inattendue. Bien que nous soyons conscients qu’un même épisode émotionnel peut englober plusieurs émotions, leur nombre moyen dans le contexte de cette étude nous parait particulièrement élevé. Nous pensons que cela s’explique en partie par la présentation directe de ces émotions aux étudiants dans le questionnaire. Nous aurions probablement obtenu une diversité moins importante si nous avions posé la question de façon ouverte. En outre, la diversité du nombre d’émotions vécues par les étudiants mérite également d’être soulignée. En effet, au-delà d’une moyenne de sept émotions par étudiant, plusieurs d’entre eux ont déclaré en avoir ressenti quatre ou cinq, tandis que d’autres en évoquent neuf ou dix. Les scores obtenus par les étudiants pour la compétence d’identification de leurs propres émotions indiquent que ces chiffres n’ont rien de fantasque, mais que nous pouvons vraisemblablement leur accorder de l’intérêt. Ce constat atteste de la subjectivité, mais aussi de la complexité des épisodes émotionnels que les étudiants vivent dans les situations de feedback, notamment, et nous invite encore davantage à nous questionner sur la façon dont les enseignants peuvent soutenir les étudiants dans la gestion de ces émotions, à travers leurs pratiques.

Enfin, nous avons observé que le prédicteur le plus convaincant pour expliquer les réponses émotionnelles au traitement du feedback reste, parmi ceux que nous avons mesurés, le score au test. Alors que nous n’avons observé que peu de corrélations significatives entre les croyances motivationnelles et les émotions vécues par les étudiants, le score s’est avéré nettement plus prégnant à cet égard. Cependant, le feedback lui-même mettant en évidence ce score et proposant peu d’éléments actionnables au niveau des commentaires, il est compréhensible que les étudiants se soient focalisés sur cette information. En 2008, Lipnevich et Smith ont montré que les scores ou les grades renvoyaient les étudiants à leur perception de soi et, ce faisant, étaient de nature à générer des réponses sur le plan affectif. En outre, ce résultat est cohérent avec des études qui ont cherché à comparer l’effet des scores et des commentaires sur le traitement des feedbacks, qui attestent notamment de la captation des ressources cognitives des étudiants par les premiers au détriment des seconds lorsqu’ils étaient proposés ensemble (Lipnevich & Smith, 2009).

Le niveau des compétences émotionnelles

Le niveau moyen des compétences émotionnelles des répondants (3,4) correspond étroitement à celui qu’ont identifié Brasseur et al. (2013) lors de la validation de leur questionnaire, avec un public d’adultes d’âges variés. La moyenne générale que ces auteurs avaient obtenue était en effet de 3,38 sur 5. Cela atteste donc d’une certaine normalité du niveau des compétences émotionnelles des étudiants qui ont pris part à cette étude.

Par ailleurs, ces auteurs ont observé des scores en moyenne légèrement inférieurs pour le versant intrapersonnel comparativement au versant interpersonnel, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes. Nous avons également observé cette légère différence dans notre échantillon. Cela étant, il est important de noter qu’il s’agit d’une tendance globale, mais que certains étudiants présentent toutefois un niveau de compétence plus important pour le volet intrapersonnel.

Un troisième constat interpellant est celui de la similarité avec l’étude originale de Brasseur et al. (2013) quant aux compétences d’identification, de compréhension et d’expression des émotions d’autrui. Ces compétences obtiennent ici les meilleurs scores, comme chez les auteurs du questionnaire. En outre, les compétences émotionnelles de régulation et d’utilisation des émotions y sont aussi moins développées.

Un quatrième et dernier élément similaire porte sur la compétence émotionnelle la moins maitrisée. Dans l’étude originale, la capacité à réguler ses propres émotions est la compétence qui a obtenu le résultat le moins bon chez les femmes, alors que chez les hommes, c’est l’expression des émotions qui a connu le résultat le plus faible. Dans notre échantillon, essentiellement composé de femmes, nous avons observé la même tendance. Le fait d’obtenir un résultat similaire à celui de l’étude de Brasseur et ses collègues (2013) nous interpelle quant aux opportunités qui sont réellement offertes aux étudiants d’apprendre à réguler leurs émotions de façon fonctionnelle du point de vue de l’apprentissage, tout au long de leurs parcours scolaire, puis académique. Cela pose également la question axiologique de la place que nous donnons aux émotions dans le domaine éducatif, alors que nous savons que leur régulation s’avère fréquemment nécessaire dans les situations de feedback (Hausman et al., 2023). Nous ne sommes pas les seuls à nous inquiéter de cette question, puisque, en s’appuyant sur leurs travaux dans le domaine de l’apprentissage en enseignement supérieur, Fischer et al. (2022) plaident pour l’intégration de temps d’apprentissage consacré à la régulation émotionnelle, et ce, dès l’enseignement obligatoire. Enfin, compte tenu de résultats tels que ceux de Pitt et Norton (2017), attestant de l’insatisfaction des étudiants vis-à-vis des feedbacks qu’ils reçoivent à l’université, notamment en raison des émotions négatives qu’ils génèrent, nous estimons qu’un renforcement de la capacité des étudiants à réguler leurs émotions pourrait les aider à traiter les feedbacks de manière constructive et ainsi, d’en profiter pleinement. La compétence de régulation émotionnelle nous apparait particulièrement pertinente pour incarner ce que préconise le modèle de Carless et Boud en ce qui concerne la gestion des affects (2018).

Limites et perspectives

L’échantillonnage

Notre étude souffre bien entendu de certaines limitations et, à ce titre, il nous faut admettre que nous n’avons pas pu produire des résultats à la hauteur de nos ambitions initiales. Cela s’explique principalement par le faible nombre de répondants à notre questionnaire, surtout aux dernières parties. En effet, le choix de nous focaliser sur un feedback en particulier a eu pour conséquence de limiter le nombre de répondants dès que les items se sont orientés vers le feedback ciblé et ses corollaires dans le questionnaire. Avec ce faible nombre de répondants, nous n’avons pu entreprendre les analyses plus complexes que nous souhaitions réaliser dans une perspective inférentielle, en investiguant les interactions entre les différentes variables mesurées. En outre, le caractère limité du nombre de participants à notre étude nous a invités à la prudence dans l’interprétation de nos données et dans la rédaction de nos résultats.

Cela étant, nos analyses descriptives nous fournissent tout de même des résultats intéressants, notamment dans le sens où ils éclairent quelque peu le niveau des compétences émotionnelles des étudiants universitaires, l’importance de l’enjeu de la tâche qu’ils réalisent dans l’intensité des épisodes émotionnels subséquents et, enfin, la variété des émotions qui y sont vécues et leurs liens prégnants avec le score, comparativement aux croyances motivationnelles.

Si nous en avons l’occasion, nous souhaiterions reproduire cette étude dans un contexte analogue et avec des feedbacks diversifiés. De cette façon, nous pourrions réitérer nos analyses en nous appuyant sur un corpus de données plus conséquent et tendre vers une possible généralisation de nos résultats à travers la mise en oeuvre d’analyses autrement plus riches et complexes.

Au-delà du nombre de répondants au questionnaire, la participation volontaire et encouragée par un incitant a pu générer un biais de sélection dans notre étude. En outre, s’agissant de données autorapportées, il est possible qu’un biais de désirabilité sociale se soit manifesté dans les réponses des étudiants. Enfin, nous n’avons pas procédé à une analyse préliminaire afin de déterminer la taille de l’échantillon nécessaire à la conduite et à la robustesse des analyses statistiques que nous souhaitions mener.

Les attentes de feedbacks et les buts d’apprentissage

Les théories implicites qui nourrissent les attentes de feedback chez les étudiants ne figuraient pas dans le questionnaire. Elles auraient pourtant constitué une variable pertinente dans le contexte de notre recherche. En particulier, nous aurions pu y questionner les étudiants sur le résultat attendu ou espéré quant au test, de façon à observer les effets de la confrontation de ce dernier avec le feedback externe proposé via l’application. De plus, le contexte spécifique du feedback sur lequel nous avons questionné les étudiants doit être pris en considération dans l’explication des résultats que nous avons obtenus. En effet, l’enjeu de la tâche sur laquelle était fondé le feedback ainsi que la valeur informative[9] (Hattie & Timperley, 2007 ; Nicol & Macfarlane-Dick, 2006) de celui-ci ont vraisemblablement influencé les réponses des étudiants. Ainsi, le fait d’interroger les étudiants sur un feedback portant sur une tâche assortie d’un enjeu plus important aurait été intéressant quant à l’intensité des émotions associées. À la lumière des résultats obtenus, il nous semble encore plus évident que cette variable joue un rôle prépondérant dans la perception d’utilité des feedbacks chez les étudiants.

Nous aurions également pu questionner la nature des buts poursuivis par les étudiants afin, par exemple, d’observer d’éventuelles différences selon le type de buts poursuivis (p. ex., performance-approche/évitement ou maitrise, voir Dweck, 1986). Cependant, comme pour les possibilités évoquées ci-avant, la longueur du questionnaire et notre choix de nous focaliser sur les dimensions au coeur de la théorie de Pekrun (2006), nous ont conduits à limiter la portée de nos investigations.

L’approche multicomponentielle des émotions

L’approche multicomponentielle des émotions (Sander et al., 2005 ; Scherer, 2001) propose une série de critères potentiellement mobilisés lors de l’évaluation cognitive d’un événement signifiant (nouveauté, valence, rapport aux buts, potentiel de maitrise et accord avec les normes). Afin d’aller plus loin dans une analyse fine du déroulement du processus émotionnel, nous aurions pu questionner les étudiants sur la prise en compte de ces critères dans l’interprétation du feedback ciblé. Cela nous aurait permis de faire le lien entre la complexité de ce processus et le niveau des compétences émotionnelles, par exemple.

L’usage des compétences émotionnelles

Ayant constaté dans les données d’utilisation de FB4You que les étudiants consultaient plusieurs fois un même feedback, il aurait été pertinent de les questionner sur les possibles changements liés aux différentes consultations d’un même feedback sur les plans cognitif, émotionnel et comportemental et de lier ces modifications de perception du feedback avec les compétences émotionnelles, afin de mieux saisir la façon dont les étudiants les mobilisent.

En outre, nous avons mesuré les compétences émotionnelles des étudiants à l’aide d’un outil généraliste. Il pourrait toutefois être intéressant de vérifier plus spécifiquement certaines de ces compétences, à l’aide d’outils précisément conçus dans ce but (p. ex., le CERQ de Garnefski et al., 2001, pour la régulation émotionnelle). Nous pourrions ainsi approfondir notre compréhension de la manière dont les étudiants mettent en oeuvre leur compétence de régulation émotionnelle dans le traitement des feedbacks à l’université, a fortiori lorsqu’il s’agit de réguler leurs propres émotions. Cette démarche a d’autant plus de sens que nous avons observé que c’est l’une des compétences que les étudiants maitrisent le moins bien.

Diversifier les feedbacks

Dans le cadre de cette étude, nous avons questionné les étudiants sur plusieurs dimensions et, notamment, sur la perception d’utilité d’un feedback en particulier. Ce feedback n’étant bien entendu pas représentatif de la diversité des possibilités dans ce domaine (même en nous limitant au cadre de notre application), il nous semblerait pertinent de refaire notre étude dans des contextes diversifiés afin de vérifier la stabilité des différentes variables que nous avons mesurées, dans une future itération de notre recherche.

Ces quelques réflexions mettent en évidence le caractère perfectible de notre étude, mais suggèrent également plusieurs perspectives intéressantes, tant pour les chercheurs que pour les enseignants, qui peuvent prendre encore un peu plus conscience des émotions que leurs feedbacks suscitent chez les étudiants et en tenir compte lorsqu’ils leur en adressent.

Conclusions

Cette étude s’inscrit dans l’analyse de l’usage de FB4You, une application pour téléphone intelligent que nous avons principalement développée en vue de donner des feedbacks à distance aux étudiants, à l’Université de Liège (Belgique). Dans ce cadre, nous nous sommes intéressés à la façon dont les émotions des étudiants intervenaient dans le traitement de ces feedbacks. Dans cette recherche, nous souhaitions identifier les émotions ressenties par les étudiants dans le traitement d’un feedback spécifique ainsi que l’intensité de ces émotions. Nous voulions également mesurer les compétences émotionnelles des étudiants et tester les interactions de celles-ci avec d’autres variables qui interviennent dans le processus émotionnel, telles que la valeur de la tâche et la perception de contrôlabilité. Enfin, nous souhaitions comprendre en quoi ces différentes variables pouvaient interagir entre elles et influencer la perception d’utilité du feedback ciblé.

Pour atteindre ces objectifs, nous avons proposé un questionnaire en ligne à des étudiants inscrits dans l’année préparatoire au master en sciences de l’éducation, à la fin du cours « Questions d’évaluation », dans lequel ils avaient l’occasion de participer à six tests formatifs en ligne. Ce questionnaire comportait plusieurs dimensions générales et d’autres directement axées sur le dernier feedback transmis aux étudiants via l’application. Nous avons ensuite analysé les réponses des étudiants et entrepris de les traiter dans une approche essentiellement descriptive.

Nos résultats attestent de la variété des émotions vécues par les étudiants lors du traitement du feedback, mais aussi de la faible intensité moyenne de ces mêmes émotions, dans le cas du feedback formatif vis-à-vis duquel nous avons interrogé les étudiants. Peu de variables se sont révélées significativement corrélées avec ces émotions. La plus importante à ce niveau est le score obtenu au test (intégré au feedback fourni aux étudiants). La mesure des compétences émotionnelles des étudiants s’est avérée très proche des résultats que Brasseur et al. (2013) ont obtenus dans leur étude originale, menée dans des contextes diversifiés, dont celui des études universitaires. Nos résultats montrent que les étudiants ont un certain déficit au niveau de la régulation de leurs émotions. Aussi, nous appelons à une réflexion sur la place accordée au développement des compétences émotionnelles chez nos élèves et chez nos étudiants, en particulier pour être capables de réguler leurs émotions et d’en maintenir la fonction adaptative. Enfin, conscients des limites de notre étude, et particulièrement du nombre restreint de participants, nous soulignons la nécessaire prudence qui s’applique à la lecture de nos résultats, et envisageons plusieurs pistes de prolongements et des questions à soulever dans le cadre d’une future itération.