Le congrès annuel de la Société canadienne d’étude du dix-huitième siècle (SCEDHS) de 2022, dont sont issus les travaux réunis dans ce volume, a constitué, pour la Société et ses membres, un moment important. Cet événement a été, pour la plupart des participants, la première activité académique en personne depuis le début de la pandémie de COVID-19 et les longs mois de distanciation sociale qui ont suivi. Comme organisateurs, nous avons voulu, avec notre comité de programme, faire de ce retour un événement marquant, en proposant un thème rassembleur et qui, à sa manière, permettait aussi bien de réévaluer les expérimentations sociales, politiques et scientifiques que nous venions de traverser que de répondre à la nécessité de renouer avec l’expérience du monde dont nous avions été coupés. Le thème du congrès « Expérience de la modernité ; modernité de l’expérimentation » invitait à examiner l’idée selon laquelle le projet d’auto-conceptualisation de la modernité au siècle des Lumières s’est largement appuyé sur le champ lexical de l’expérience pour désigner la spécificité des temps modernes. L’objectif de ce congrès était de réfléchir à la fécondité du concept d’expérience qui est au coeur de l’idée de modernité à partir de laquelle se sont conçues les Lumières elles-mêmes. De fait, l’expérience de la modernité suppose un sentiment de distance historique entre le présent et le passé, qui tend à devenir un « pays étranger », et un élan pour consigner l’expérience humaine – dans les dictionnaires et les encyclopédies, par exemple – ou pour en prendre la mesure par l’expérimentation. Le thème du congrès joue sur les mots « expérience » et « expérimentation ». Historiquement, ces mots sont étroitement liés : en français, « expérience » est presque l’équivalent d’« expérimentation », alors qu’en anglais, l’un des premiers sens d’« experience » désignait l’action de soumettre quelque chose à une épreuve (« action of putting to the test, trial ; experimentation »). Une expérience est aussi une observation de faits ou d’événements, et dans un usage plus récent, le mot renvoie à ce qu’une personne découvre, rencontre, subit et ressent subjectivement. C’est ce dernier sens qui prédomine aujourd’hui en anglais comme en français. Les récits sur la modernité au xxe siècle ont tantôt mis l’accent sur ce qu’on pourrait appeler l’apport « rationaliste » du « siècle des Lumières » (par rapport, par exemple, à la foi), critiquant souvent par le fait même son caractère eurocentré et sa tendance à renforcer une certaine domination masculine et hétéronormative. Tantôt ces récits ont défendu l’idée que le xviiie était le siècle de la « sensibilité », mettant alors l’emphase sur le sujet – ses désirs, ses rêves et ses passions –, favorisant ainsi le développement de l’individualisme qui, avec le libéralisme, aurait entraîné une déréliction des traditions et des institutions collectives. Ces deux types de récits, même s’ils se déclinent de manière différente, partagent l’idée que le xviiie siècle a été un tournant ayant favorisé l’arrachement du monde moderne de ce que l’on nomme aujourd’hui l’Ancien Régime. Cependant, la recherche actuelle tend à montrer que cette manière d’envisager le xviiie siècle pourrait bien s’avérer quelque peu surannée : la prolifération des domaines et des objets de recherche, souvent au croisement de plusieurs disciplines, et l’apport de nouvelles perspectives issues des études du genre, autochtones et postcoloniales ont permis de mettre au jour un vaste ensemble de documents et de faits, qui ont modifié notre compréhension de ce qu’est la modernité des Lumières. La notion d’« expérience » nous est apparue propre à pouvoir rendre compte de cette transformation et, dès …
Introduction [en français]
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Mitia Rioux-Beaulne
Université d’OttawaFrans De Bruyn
Université d’Ottawa
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