Les Nations Unies ont récemment affirmé que l’économie sociale et solidaire contribue de façon exemplaire à la réalisation des objectifs de développement durable. Ces objectifs sont considérés par António Guterres, secrétaire général de l’ONU, comme « les objectifs que le monde s’est fixés pour améliorer le sort de l’humanité ». Cependant, l’économie sociale et solidaire (ESS) reste méconnue. Elle est souvent présentée comme une économie de réparation, pour pallier les défaillances du marché ou de l’État . On la croit aussi cantonnée aux très petites entreprises, oubliant qu’il existe aussi des coopératives financières et industrielles d’envergure. Elle reste de plus sous-enseignée en sciences économiques et en gestion, comme si elle ne faisait pas partie des « vraies affaires » . Et pourtant, l’ESS émerge en partie d’une source prestigieuse, l’économie politique d’Adam Smith. Après la publication de son livre La richesse des nations, Smith fut célébré comme ayant « donné au monde un système complet de l’économie sociale ». Ce sont les mots de Jean-Antoine Roucher, l’ami de Condorcet, qui traduisit l’ouvrage de Smith en français, en 1790. C’était bien avant le Nouveau traité d’économie sociale de Charles Dunoyer, en 1830, ou The Principles of Political Economy de John Stuart Mill, en 1848. Cette réalité historique est très surprenante. Aujourd’hui, Adam Smith est généralement considéré comme le père fondateur de la théorie économique orthodoxe, celle-là même qui dénigre l’importance de l’économie sociale. Pourtant, à son époque, Smith considérait que les affaires des compagnies par actions devaient rester confinées à des secteurs particuliers sans grands risques, comme la banque de dépôt, l’assurance, la construction de canaux ou la gestion municipale de l’eau. Après une étude minutieuse des méfaits de la East India Company, il conclut que de telles entreprises vont nécessairement à l’encontre de l’intérêt des populations, ne privilégiant que les intérêts financiers de leurs actionnaires. Mais, de nos jours, les multinationales et leurs lobbys dominent nos nations, prétendument au nom de la théorie d’Adam Smith, et l’économie sociale est censée devoir rester confinée à quelques secteurs particuliers. Les grands anniversaires sont souvent l’occasion de revisiter des vérités qu’on pensait immuables. La publication à la fin des années 1970 de l’oeuvre complète d’Adam Smith, célébrant le bicentenaire de la publication du livre La Richesse des Nations (1776), a permis de corriger certaines fausses vérités véhiculées au sujet du père fondateur de l’économie politique. Petit à petit, on a réalisé qu’il associait à l’intérêt personnel des sentiments moraux envers les autres, qu’il n’était pas dogmatique envers le laissez-faire économique et qu’il n’était pas à l’origine de la théorie – fausse - de la main invisible du marché. De nombreux auteurs et autrices, se basant sur les textes véritables d’Adam Smith, ont alors conclu qu’il n’était pas le père du libéralisme économique. Autour de la date du tricentenaire de sa naissance (Smith est né le 5 juin 1723), le ton s’est durci. Des « prix Nobels » en économie, tel Milton Friedman, ont été interpellés pour leur lecture biaisée de certains textes de Smith . Pour Glory Liu de Harvard, par exemple, Adam Smith a été réduit, surtout après la Grande Dépression et durant la guerre froide, à un logo afin de défendre le néolibéralisme et le capitalisme. Il devint ainsi « le symbole de l’intérêt individuel, du choix et de la liberté ». Un livre publié en l’honneur de ce tricentenaire, Adam Smith, l’antidote ultime au capitalisme : sa théorie du capabilisme, présente ces controverses ainsi que les conceptions sociales et solidaires défendues par Smith. Par exemple, il n’a jamais parlé de « richesse des nantis », mais de …
L’invention de l’économie sociale et solidaire : l’héritage surprenant d’Adam Smith[Notice]
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Thierry Pauchant
Professeur honoraire, HEC Montréal, membre du C.A., CIRIEC CanadaChantal Line Carpentier
Présidente du Groupe de travail inter-agences des Nations Unies sur l’Économie sociale et solidaire (UNTFSSE)