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Introduction

La profession policière génère un stress important dû à l’exposition à des évènements potentiellement traumatiques, mais aussi à d’autres types de stress dits opérationnel et organisationnel (Deschamps et al., 2003 ; Deschênes et al., 2018 ; Jetelina et al., 2020). Le niveau élevé de stress vécu par les policier·ière·s peut contribuer au développement de troubles de santé mentale tels que l’épuisement professionnel, la dépression ou le trouble de stress post-traumatique (Harman, 2019 ; Regehr et al., 2021). Ces troubles peuvent avoir des répercussions importantes tant sur le plan personnel que professionnel, mais aussi sur la population qu’ils·elles desservent, pouvant influencer par exemple la qualité de l’interaction police-citoyen.ne, la minimisation des inconduites ou le recours à l’usage excessif de la force (El Sayed et al., 2019). Il importe donc qu’ils·elles puissent avoir recours à de l’aide psychologique. Or, la documentation scientifique montre que cette population ne fait pas facilement appel à ces services d’aide (Boland et Salami, 2021). Pour expliquer ce phénomène, des chercheur·euse·s se sont intéressé·e·s aux facteurs pouvant faire barrière à la consultation chez cette population spécifique (Boland et Salami, 2021 ; Drew et Martin, 2021 ; Tomasulo, 2015). À ce jour, la plupart des études ont été conduites auprès de populations policières américaines et quelques auteur·e·s se sont intéressée·e·s à cette question au Canada (Burns et Buchanan, 2020 ; Faulkner, 2018 ; Heffren et Hausdorf, 2016 ; Milliard, 2020), mais aucune étude ne s’est encore intéressée spécifiquement aux barrières à la consultation chez des policier·ière·s québécois·e·s. La direction du programme d’aide aux policiers et policières (PAPP) du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a manifesté le souhait de donner la parole à ses policier·ière·s sur, entre autres, les barrières qu’ils·elles perçoivent concernant la consultation psychologique ainsi que les recommandations issues du terrain pour en améliorer l’accès. Cet article présente les résultats de cette consultation.

Le stress professionnel chez les policier·ière·s et ses conséquences

Les policier·ière·s s’exposent à un niveau de stress considérable provenant de différents aspects inhérents à leur travail. Le stress professionnel vécu par les policier·ière·s peut être lié à des stresseurs dits opérationnels, c’est-à-dire rattachés à la nature de leur travail (El Sayed et al., 2019). Ainsi, dans leur emploi, les policier·ière·s sont exposés à la mort et à la souffrance, par exemple lorsqu’ils·elles doivent intervenir dans des cas d’accidents, de suicides ou de décès de jeunes enfants (Broomé, 2014). Ils·Elles sont aussi amené·e·s à intervenir dans des situations imprévisibles et potentiellement dangereuses où leur vie ou celle d’autrui peut être menacée, par exemple lors d’homicides ou de fusillades (Karaffa et Tochkov, 2013 ; Wester et al., 2010). Le stress auquel ils·elles sont exposé·e·s peut également être lié aux stresseurs dits organisationnels, comme les heures supplémentaires, les horaires rotatifs ou les tâches administratives (Karaffa et Tochkov, 2013 ; Wester et al., 2010), ces aspects pouvant notamment complexifier l’arrangement de leur vie familiale ou perturber leurs cycles de sommeil (Roberts et Levenson, 2001).

L’exposition des policier·ière·s à un niveau élevé de stress, surtout s’il est constant, peut avoir des conséquences émotionnelles importantes. Plusieurs études ont démontré des liens significatifs entre un niveau élevé de stress chez les policier·ière·s et l’apparition ou l’exacerbation de conditions de santé mentale comme le trouble de stress post-traumatique, la dépression ou l’anxiété (Hartley et al., 2011 ; Regehr et al., 2021). Non traitées, ces conditions de santé psychologique peuvent s’aggraver et contribuer à augmenter la détresse psychologique ou entraîner le suicide (Chae et Boyle, 2013 ; Stanley et al., 2016 ; Violanti et al., 2016). Des auteur·e·s ont également observé qu’un niveau élevé de stress pouvait mener à l’épuisement professionnel chez les policier·ière·s (Jetelina et al., 2020). L’épuisement professionnel est lié à une augmentation de l’absentéisme (Haugen et al., 2017) et à une diminution de la productivité au travail (Fox et al., 2012). Cette condition peut aussi avoir des répercussions sur les interventions policières et, par extension, sur la qualité de la relation police-citoyen.ne. Par exemple, El Sayed et al. (2019) ont observé que le cynisme associé à l’épuisement professionnel entraînait une perception négative des citoyen·ne·s et une méfiance accrue envers leurs comportements. Une attitude cynique et un détachement émotif chez les policier·ière·s seraient aussi associés à l’augmentation du recours à la violence dans le cadre de leur travail (Kop et al., 1999). Considérant le niveau élevé de stress professionnel et ses conséquences sur leur bien-être, sur leur santé mentale, sur leur travail de même que sur la population, il est essentiel que les policier·ière·s puissent recourir à des services d’aide psychologique s’ils·elles en ressentent le besoin.

Utilisation des services d’aide psychologique chez les policier·ière·s

La littérature montre que la population policière est assez peu encline à la consultation psychologique. Une étude norvégienne menée auprès de 3 272 policier·ière·s indiquait que moins de 10 % de ceux.celles ayant rapporté des symptômes dépressifs ou des idéations suicidaires importantes avaient consulté un.e psychologue en lien avec ces symptômes (Berg et al., 2006). Plus récemment, une étude conduite par Boland et Salami (2021) auprès de 140 policier·ière·s du Texas montre que, des 62,8 % des participant·e·s ayant déclaré avoir des symptômes associés à au moins un trouble de santé mentale, seulement 17,9 % ont rapporté avoir consulté un.e professionnel.le de la santé mentale. Les auteur·e·s de ces études évoquent notamment la présence de barrières à la consultation pour expliquer ces faibles taux. Par ailleurs, d’autres études ont présenté un portrait plus nuancé quant à l’utilisation des services d’aide psychologique chez les policier·ière·s (Carleton et al., 2020 ; Drew et Martin, 2021 ; Faulkner, 2018). En effet, certaines populations policières interrogées au cours des dernières années rapportent percevoir plus positivement la consultation (Edwards et Kotera, 2020 ; Faulkner, 2018 ; Lucia et Halloran, 2020). Ces résultats plus encourageants semblent marquer un certain changement de mentalité dans le milieu policier. Plusieurs organisations policières ont aussi oeuvré à rendre plus accessibles des services d’aide psychologique adaptés aux besoins des policier·ière·s, par exemple au moyen de programmes d’aide aux employé·e·s ou par l’élaboration de programmes créés spécifiquement pour eux. Au Québec, c’est le cas entre autres au SPVM, où le PAPP a été créé au début des années 1990. Il est possible que ces initiatives axées sur la réalité spécifique des policier·ière·s influencent leur utilisation des services d’aide psychologique. Quoiqu’il en soit, des études récentes continuent de faire état de barrières à la consultation chez cette population (Edwards et Kotera, 2020 ; Jetelina et al., 2020 ; Landrigan, 2021 ; Wheeler et al., 2018).

Barrières à la demande d’aide psychologique chez les policier·ière·s

Parmi les barrières à l’utilisation des services psychologiques par les policier·ière·s identifiées dans la littérature scientifique, certaines se rapportent à un manque de connaissances, soit par rapport aux services d’aide psychologique disponibles (Knaak et al., 2019), soit sur la santé mentale en général (Fox et al., 2012). D’autres découlent de la difficulté à planifier un rendez-vous en raison d’une charge de travail élevée ou encore du coût des services (Karaffa et Tochkov, 2013 ; Tomasulo, 2015). D’autres barrières renvoient au manque de soutien perçu de la part des collègues, des supérieur·e·s ou de l’organisation (Knaak et al., 2019 ; Lucia et Halloran, 2020). Burns et Buchanan (2020) précisent que lorsqu’une organisation policière a une attitude positive envers la consultation psychologique et des comportements cohérents avec cette attitude, les policier·ière·s rapportent avoir moins de craintes que l’utilisation de services soit stigmatisée ou qu’il y ait des conséquences négatives sur leur carrière. Enfin, certaines barrières semblent être liées à un manque de confiance envers les compétences du·de la professionnel·le de la santé mentale consulté·e (Kirschman et al., 2015). Ce manque de confiance découle parfois d’une perception négative des services offerts en dehors de l’organisation, comme si les personnes qui n’en font pas partie pouvaient difficilement comprendre la réalité policière (Berg et al., 2006).

Toutes ces données sont fort intéressantes afin de connaître les facteurs pouvant freiner la consultation psychologique, mais elles proviennent majoritairement d’études conduites auprès de policier·ière·s américain·e·s. Considérant l’existence de possibles différences socioculturelles ou dans les structures organisationnelles du système policier pouvant influencer la perception de la consultation psychologique et les variations observées d’un pays à l’autre quant à l’utilisation des services d’aide psychologique par les policier·ière·s (Ménard et al., 2016), il s’avère pertinent de s’intéresser aux aspects qui pourraient freiner ou faciliter les demandes d’aide psychologique chez les policier·ière·s québécois·e·s.

Objectifs de l’étude

L’objectif général de cette étude est de mieux comprendre les facteurs pouvant influencer l’utilisation des services d’aide psychologique chez les policier·ière·s du SPVM. Plus précisément, la présente étude vise à connaître le point de vue de ces policier·ière·s sur les barrières à l’utilisation des services d’aide psychologique et sur ce qui pourrait la faciliter.

Méthodologie

Déroulement

Cette étude s’inscrit dans un projet de recherche plus large s’étant déroulé au SPVM et s’intéressant aux facteurs pouvant influencer l’utilisation des services d’aide psychologique chez les policier·ière·s. La collecte de données s’est effectuée en partenariat avec la direction du PAPP de novembre 2020 à février 2021. Le directeur du PAPP a envoyé un courriel à l’ensemble des policier·ière·s à l’emploi du SPVM (aucun critère d’exclusion) les invitant à participer au projet. Ce courriel contenait un bref résumé de l’étude et un lien électronique menant à une plateforme sécurisée (SurveyMonkey). Les personnes souhaitant participer à l’étude devaient d’abord prendre connaissance du formulaire de consentement, puis donner leur consentement à participer.

L’étude globale a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche de l’Université de Sherbrooke ainsi que celle du comité de la recherche du SPVM en avril 2020. Étant donné la sensibilité entourant les questions de confidentialité pour les policier·ière·s, une attention particulière a été portée tout au long de l’étude afin de s’assurer de sécuriser toutes les données recueillies et de protéger ainsi la confidentialité et l’anonymat des participant·e·s. Les données dénominalisées ont été conservées sur la plateforme sécurisée SurveyMonkey puis sur les ordinateurs personnels des chercheuses.

Participant·e·s

La recherche visait donc les policier·ière·s à l’emploi du SPVM, et 507 d’entre eux·elles ont participé à l’étude plus large. Des 507 participant·e·s de l’étude plus large, 106 ont répondu à la première question ouverte concernant les barrières perçues (hommes : 34 % ; femmes : 65,1 % ; âge moyen : 41,84 ans) et 156 à celle en lien avec les suggestions pour faciliter ou encourager la consultation (hommes : 48,7 % ; femmes : 50,6 % ; âge moyen : 42,06 ans). Le grade des participant·e·s a été regroupé en catégories : agent·e·s, officier·ière·s, officier·ière·s supérieur·e·s, officier·ière·s d’état-major et officier·ière·s de direction (Site officiel du SPVM, 2019). La majorité des répondant·e·s aux deux questions sont des agent·e·s (60 %) ou des officier·ière·s (27 %). Les résultats qualitatifs qui nous intéressent pour cet article concernent les policier·ière·s qui ont répondu à l’une ou l’autre des questions ouvertes.

Instruments de mesure

Intégrées au questionnaire électronique de l’étude plus large et se répondant par la plateforme SurveyMonkey, deux questions ouvertes et à développement visaient à donner la possibilité aux participant·e·s d’écrire dans leurs mots ce qui peut faire barrière à la consultation, de même que ce qui peut la faciliter. Ces questions s’inspirent de questions similaires utilisées dans une étude conduite par Tomasulo (2015). La première question ouverte portait sur les raisons qui pourraient les empêcher d’aller chercher de l’aide psychologique s’ils·elles éprouvaient des difficultés personnelles. La deuxième question ouverte sollicitait leurs suggestions afin de faciliter ou encourager la demande d’aide psychologique lorsqu’ils·elles en ressentent le besoin.

Analyse des données

Puisque les objectifs de ce volet de l’étude visent à connaître le point de vue des policier·ière·s, le devis de recherche utilisé est qualitatif ; il se positionne dans un paradigme socioconstructiviste (Creswell, 1998) et s’inspire de l’approche phénoménologique qui vise à explorer un phénomène en donnant la parole aux participant·e·s et en cherchant à être instruit par leurs témoignages (Patton, 2015). Pour analyser les questions ouvertes, une analyse thématique basée sur la méthode suggérée par Paillé et Mucchielli (2012) a été effectuée selon une méthode d’analyse ascendante (élaboration de l’arbre des thèmes vers les rubriques). La validation de l’identification et de la classification des thèmes a été assurée au moyen de réflexions et d’échanges dans l’équipe de recherche tout au long du processus d’analyse.

Résultats

Les résultats seront présentés en deux temps : d’abord ceux concernant les barrières perçues à la consultation ; et ensuite ceux rapportant les suggestions des policier·ière·s pour en améliorer l’accès. L’analyse a permis d’identifier quatre rubriques concernant les barrières perçues et trois rubriques à propos des suggestions. Chaque rubrique se divise en sous-rubriques qui se déclinent en thèmes auxquels se rattachent des exemples concrets, tels qu’exposés dans les tableaux 1 à 7.

Barrières perçues à la consultation psychologique

Quatre rubriques ont émergé de l’analyse thématique concernant les barrières perçues : Les obstacles logistiques ; Les obstacles sur le plan professionnel ; Les obstacles en lien avec le.la psychologue ; et Les obstacles sur le plan personnel.

Les obstacles logistiques

La première rubrique se rapporte aux obstacles logistiques et est divisée en deux sous-rubriques, dont l’une renvoie aux difficultés liées à l’accessibilité aux services d’aide et l’autre aux limites des services offerts (voir tableau 1). Les difficultés d’accessibilité se déclinent en trois thèmes : L’accès difficile aux bureaux physiques du PAPP ; Les coûts élevés des services d’aide psychologique hors du PAPP ; et Le manque de temps pour consulter. Les limites des services offerts se déploient en deux thèmes, soit les limites En lien avec le PAPP et celles En lien avec d’autres services psychologiques. Un exemple de barrières perçues par les policier·ière·s est la localisation du PAPP au centre-ville de Montréal. Cela peut avoir un effet décourageant sur l’utilisation des services, comme l’atteste cet extrait : « Le PAPP est mal localisé, au beau milieu du centre-ville sans stationnement, c’est pas top. De plus quand tu ne vas vraiment pas bien, se déplacer demande un effort surhumain et peut jouer sur la décision d’aller consulter. » Concernant l’accessibilité, plusieurs participant·e·s rapportent manquer de temps ou de flexibilité dans leur horaire pour consulter, alors que d’autres déplorent les frais trop élevés au privé. Au niveau des limites des services offerts, quelques participant·e·s ont nommé qu’ils·elles n’avaient pas l’impression d’avoir assez de références pour consulter un·e psychologue dans les banlieues de Montréal, alors que d’autres aimeraient voir plus de choix de service, comme la thérapie conjugale par exemple.

Tableau 1

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

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Les obstacles sur le plan professionnel

Tableau 2

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

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La deuxième rubrique, soit Les obstacles sur le plan professionnel, contient une seule sous-rubrique, soit Les impacts négatifs associés à la consultation, qui se divise en trois thèmes : En lien avec la chaîne de commandement ; En lien avec l’équipe de travail ; et en lien avec la carrière (voir tableau 2). En général, des participant·e·s y partagent leur peur d’être jugé·e·s, voire harcelé·e·s, par leurs collègues ou leurs supérieur·e·s en lien avec leur consultation psychologique. Un manque de soutien par les supérieur·e·s a également été mentionné. Certain·e·s participant·e·s ont exprimé l’inquiétude de croiser des collègues dans la salle d’attente du.de la professionnel.le, alors que d’autres ont exprimé la peur que ce soit su par leurs supérieur·e·s s’ils·elles consultaient. Un certain nombre de policier·ière·s ont également soulevé avoir une crainte des impacts négatifs de la consultation sur leur carrière, comme l’illustre cet extrait : « Même en 2020, il reste encore des tabous envers la santé mentale. […] Je crains que ce soit un risque pour ma carrière que mon employeur apprenne que je vais consulter un professionnel pour la santé mentale, et c’est dommage. »

Les obstacles en lien avec le·la psychologue

Tableau 3

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

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La troisième rubrique, Les obstacles en lien avec le·la psychologue, regroupe les questionnements et les craintes à propos des professionnel·le·s, de leur rôle, de leur fiabilité et sur le processus de psychothérapie en soi (voir tableau 3). Cette rubrique se déploie en trois sous-rubriques. La première sous-rubrique, Ne pas savoir comment le·la psychologue peut aider, contient le thème Manque d’information sur le rôle du·de la psychologue et sur le processus thérapeutique. La deuxième sous-rubrique, Ne pas savoir comment choisir le·la psychologue, se subdivise en deux thèmes, soit Trouver une connexion avec le·la psychologue et Manque d’information sur le·la psychologue. La troisième sous-rubrique, Méfiance face au·à la psychologue, inclut trois thèmes : Croyances négatives sur les psychologues ; Doutes sur les compétences du·de la psychologue ; et Manque de confiance quant au maintien de la confidentialité. Par rapport au manque d’information, quelques participant·e·s rapportent ne pas comprendre le rôle du·de la psychologue ou avoir de la difficulté à envisager la plus-value d’en consulter un·e. D’autres indiquent que, de ne pas savoir comment se déroule une première consultation constitue en soi un frein car, face à une situation inconnue, il est plus difficile de faire le premier pas pour avoir de l’aide : « Je ne sais pas trop comment ça se passe. Je n’ai pas le goût d’aller pleurer une heure devant quelqu’un. […] J’aurais voulu y aller plusieurs fois, mais je n’ai pas le courage de faire le premier pas. » Cette rubrique fait également état d’une inquiétude partagée par plusieurs policier·ière·s sur comment faire pour savoir avec quel·le psychologue le lien va s’établir ? Quant à la méfiance envers les psychologues, celle-ci semble être relative à leur niveau d’expérience et à leur capacité à préserver la confidentialité. Enfin, certain·e·s participant·e·s semblent croire qu’un·e psychologue hors du PAPP ne pourrait pas comprendre la réalité du milieu policier.

Les obstacles sur le plan personnel

Tableau 4

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

Barrières perçues à la consultation par les policier·ière·s

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Enfin, la quatrième rubrique en lien avec les barrières perçues, soit Les obstacles sur le plan personnel, renvoie aux aspects individuels propres aux policier·ière·s qui peuvent avoir un effet sur la décision d’aller chercher de l’aide psychologique (voir tableau 4). Cette rubrique est subdivisée en trois sous-rubriques. La première sous-rubrique, Réseau de soutien, comporte un seul thème, soit le Niveau de soutien du réseau familial. La deuxième sous-rubrique, Présence de stigmates personnels, se subdivise en deux thèmes, soit Émotions négatives générées par la consultation et Opinion négative sur soi en lien avec la consultation. La dernière sous-rubrique, Réactions face au problème, comporte quatre thèmes : Difficulté à reconnaître la présence d’un problème ; Évitement du problème ; Préférence à gérer les problèmes seul·e ; et Croyances face aux problèmes. Un des points saillants de cette rubrique est la difficulté commune à plusieurs policier·ière·s de constater qu’ils·elles ne vont pas bien et d’avouer leurs difficultés. Certain·e·s ont aussi l’impression que la consultation psychologique pourrait empirer les choses, comme en témoigne cet extrait :

« Je crains parfois de [demander] de l’aide psychologique, car j’ai peur que le travail personnel demandé me demande trop de concentration sur moi-même ou sur mes sentiments les plus profonds que je n’ai pas nécessairement besoin de brasser. Ainsi, lorsqu’on ne marche pas dans un lac où le fond est rempli d’algues et de débris, on évite que l’eau soit embrouillée. Pas que j’ai beaucoup de ressentiments, mais je préfère les garder en contrôle à ma façon. Aussi, je crains que dans toutes ces réflexions, une problématique en apporte une autre. »

Un autre point important exprimé à travers cette rubrique est la préférence manifestée par plusieurs policier·ière·s de gérer seul·e·s leurs problèmes, de même que la valeur qu’ils·elles accordent au fait de pouvoir régler seul·e·s leurs difficultés sans aller chercher de l’aide extérieure. En effet, les policier·ière·s ont été plusieurs à partager leur préférence pour apprendre par l’expérience et plus nombreux.ses encore à rapporter qu’ils·elles vivent une difficulté ou une réticence à s’avouer qu’ils·elles puissent avoir besoin d’aide, particulièrement de l’aide provenant de professionnel·le·s de la santé mentale.

Suggestions rapportées par les policier·ière·s pour favoriser ou encourager la consultation

Trois rubriques ont émergé de l’analyse des données : Comment favoriser l’utilisation des services d’aide psychologique ? ; Comment aborder les problèmes psychologiques ? ; et Comment favoriser des changements dans la culture organisationnelle ?

Comment favoriser l’utilisation des services d’aide psychologique

Tableau 5

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

Tableau 5 (suite)

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

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La première rubrique fait état de différents moyens concrets suggérés par les participant·e·s pour faire connaître davantage le PAPP aux policier·ière·s, pour l’adapter à leurs besoins et pour les informer sur des sujets variés (voir tableau 5). Cette rubrique se subdivise en trois sous-rubriques. La première, Promouvoir le PAPP, est constituée de quatre thèmes : Faire connaître les psychologues qui travaillent au PAPP ; Amener d’autres personnes dans les équipes pour parler du PAPP ; Rappeler aux policier·ière·s l’existence du PAPP ; et Donner des conférences et créer des capsules informatives sur différents sujets. La deuxième sous-rubrique, Élargir l’offre de services du PAPP, comporte les trois thèmes suivants : Ajouter de nouveaux services ; Diversifier les services existants ; et Intégrer des personnes-ressources dans les équipes. La troisième sous-rubrique, Augmenter l’accessibilité aux services du PAPP, se subdivise en deux thèmes : Faciliter le contact avec les psychologues et Faciliter l’accès aux bureaux physiques du PAPP.

L’analyse des commentaires montre que plusieurs participant·e·s souhaiteraient avoir plus d’information sur le type de services offerts au PAPP et suggèrent que des renseignements leur soient transmis de manière récurrente. Les participant·e·s suggèrent de faire des rappels réguliers aux policier·ière·s sur l’existence du PAPP, soit dans les rencontres d’équipe (fall in) ou encore par l’intermédiaire d’un message courriel générique d’information sur le PAPP. Plusieurs policier·ière·s ont montré de l’intérêt à ce que des capsules vidéo soient réalisées pour transmettre des informations sur différents sujets en lien avec la santé mentale. Plusieurs répondant·e·s aimeraient également en savoir davantage à propos des psychologues qui travaillent au PAPP. Dans cette perspective, certain·e·s souhaiteraient les rencontrer et en apprendre davantage sur leur manière de fonctionner en rencontre et sur leurs approches. Ils.Elles aimeraient aussi que l’accès aux professionnel.le.s leur soit facilité, par exemple en leur permettant de consulter sur leurs heures de travail, en offrant de la thérapie par visioconférence, en offrant une plateforme de prise de rendez-vous en ligne sur leur intranet, en instaurant une unité mobile de services d’aide psychologique ou en créant de nouveaux points de services du PAPP au nord et au sud de l’île de Montréal. Enfin, ils·elles suggèrent d’ajouter de nouveaux services, comme des thérapies familiales ou conjugales.

Comment aborder les problèmes psychologiques

Tableau 6

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

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La deuxième rubrique, Comment aborder les problèmes psychologiques, contient des suggestions sur comment changer les perceptions quant à la consultation et aux problèmes psychologiques (voir tableau 6). Elle comporte une sous-rubrique, Ajuster les perceptions par rapport aux problèmes, qui se divise en deux thèmes : Changer le discours lié aux problèmes et Démystifier certaines croyances liées aux problèmes. Un des points saillants de cette section est le besoin transmis par plusieurs participant·e·s de normaliser le vécu de difficultés et de défaire la croyance qu’ils·elles sont les seul·e·s à en vivre.

« Nous avons réponse à tout, sur les problématiques des citoyens dans la résolution des conflits. Par contre, quand un collègue et nous même vivons un problème, la réaction populaire est de se mettre des oeillères, de ne pas vouloir entendre ou voir qu’il.elle a un problème. Ça devient un sujet tabou. Parallèlement, la personne qui vit cette problématique se sent seule [et] ne sait pas vers qui se tourner. »

Des participant·e·s mettent l’accent sur la peur qu’ont plusieurs policier·ière·s de laisser de la place aux émotions par crainte d’en perdre le contrôle, d’où le besoin manifesté par certain·e·s de mettre une « carapace » au travail. En ce sens, ils·elles sont nombreux·ses à suggérer l’accès aux témoignages de leurs pairs qui ont vécu des situations difficiles et pour lesquels ils·elles ont consulté, comme l’illustre l’extrait suivant : « [Il faudrait] des policiers à l’aise pour témoigner de l’aide que le programme d’aide leur a offerte et comment cela est bénéfique pour eux. Le fait que des policiers à l’aise d’en parler en parlent aiderait à réduire les tabous. » Ils·Elles suggèrent aussi d’aborder autrement les problèmes psychologiques, en parlant plutôt de bien-être psychologique et en visant l’obtention ou le maintien de celui-ci, de manière à diminuer les tabous entourant le fait de vivre des problèmes psychologiques.

Comment favoriser des changements dans la culture organisationnelle

Tableau 7

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

Tableau 7 (suite)

Suggestions des policier·ière·s pour faciliter la consultation psychologique

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La troisième et dernière rubrique concernant les suggestions regroupe plusieurs points favorisant des changements dans la culture policière (voir tableau 7). Elle contient deux sous-rubriques. La première, Changer la perception liée à la consultation, se subdivise en deux thèmes : Valoriser davantage les relations humaines et Intégrer dans les équipes des moments pour parler des émotions vécues. La deuxième, Former les policier·ière·s sur la santé psychologique, comporte également deux thèmes : Cibler la formation chez les supérieur·e·s et Cibler la formation chez les policier·ière·s. Parmi les points saillants véhiculés dans les commentaires, les policier·ière·s expriment le souhait que les supérieur·e·s et les dirigeant·e·s du SPVM valorisent davantage la question du bien-être psychologique des membres de leur équipe. À cet égard, ils·elles suggèrent que les supérieur·e·s soient mieux formé·e·s pour détecter les signes indiquant qu’un·e policier·ière vit des problèmes psychologiques, de même que pour intervenir sur ce plan. Ils·Elles proposent aussi de permettre, dans les rencontres d’équipe, des moments afin de partager leurs expériences et ressentis, par exemple en lien avec une situation similaire vécue. Enfin, un autre point important soulevé dans cette rubrique est une volonté, partagée par plusieurs, d’intégrer des formations sur la santé psychologique dès les études collégiales, notamment pour réduire les tabous face à la consultation psychologique.

Discussion

Les barrières à la consultation du point de vue des policier·ière·s du SPVM

Dans leurs réponses aux questions ouvertes, les policiers·ière·s ont écrit abondamment au sujet des barrières perçues à la consultation et plusieurs d’entre elles ont été identifiées dans des études antérieures. C’est le cas notamment des difficultés logistiques rapportées (difficultés d’accès aux services, manque de temps pour consulter, localisation des services et temps de déplacement, coût des consultations au privé, etc.) (Karaffa et Tochkov, 2013 ; Tomasulo, 2015), ou de la crainte d’impacts négatifs de la consultation sur le plan professionnel. La peur du jugement des pairs ou des supérieur·e·s, la perception d’un manque de soutien de la part des supérieur·e·s, et la perception que la consultation pourrait compromettre la carrière et les chances de promotion ont été rapportées de manière récurrente dans les commentaires des participant·e·s et ont été largement documentées dans d’autres études (Edwards et Kotera, 2020 ; Fox et al., 2012 ; Heffren et Hausdorf, 2016 ; Jetelina et al., 2020 ; Johnson, 2016 ; Knaak et al., 2019 ; Tomasulo, 2015). Plusieurs commentaires portaient également sur le·la psychologue lui·elle-même et la méfiance envers les professionnel·le·s en santé mentale, comprenant les craintes liées à des violations de confidentialité qui pourraient engendrer des conséquences négatives sur la carrière, aussi rapportés dans d’autres études (Faulkner, 2018 ; Fox et al., 2012 ; Landrigan, 2021 ; Wheeler et al., 2018). Par conséquent, les enjeux entourant les questions de confidentialité sont sensibles et importants à prendre en considération pour comprendre les réticences des policier·ière·s à aller chercher de l’aide en cas de besoin.

Outre ces barrières déjà documentées, les policier·ière·s en ont évoqué plusieurs autres que nous avons regroupées sous la rubrique Obstacles sur le plan personnel, qui inclut notamment la Présence de stigmates personnels et diverses Réactions face aux problèmes, dont la Difficulté à reconnaître la présence d’un problème, ainsi que la Préférence à gérer les problèmes seul·e. En ce qui concerne les stigmates personnels liés à la consultation, les données révèlent plusieurs commentaires à propos de la honte, d’une vision de soi négative et d’un sentiment d’échec associé à la demande d’aide. Ceci rejoint le concept d’autostigmatisation, défini par Corrigan (2004) comme étant l’internalisation du stigmate public, qui a également été rapporté dans d’autres études comme représentant une barrière importante à la consultation (Bathje et Pryor, 2011 ; Heffren et Hausdorf, 2016 ; Tomasulo, 2015, 2006).

À cette barrière s’ajoute pour certain·e·s policier·ière·s la difficulté à reconnaître qu’ils·elles ne vont pas bien. Plusieurs ont évoqué l’impression que leurs problèmes sont banals comparativement aux situations souvent graves qui surviennent dans le cadre de leur travail. Dans cette même ligne, Deschamps et al. (2003) et Duxbury et Halinski (2018) rapportent que les policier·ière·s ont un niveau de stress élevé au quotidien, qui est cumulatif, insidieux et répétitif, et auquel ils·elles finissent par s’habituer. D’autres auteur·e·s soutiennent aussi que pour se protéger du stress opérationnel, les policier·ière·s sont amenés à se couper émotionnellement des situations stressantes ou à se créer une carapace pour s’en distancier (Faulkner, 2018 ; Jetelina et al., 2020). Bien qu’adaptative, cette stratégie pour composer avec une exposition prolongée au stress peut les amener à être moins en contact avec leurs émotions, et donc moins à l’écoute des indices de mal-être (Edwards et Kotera, 2020 ; Jetelina et al., 2020). À long terme, les policier·ière·s pourraient alors avoir de la difficulté à voir la dégradation de leur bien-être psychologique ou arriver à la considérer comme une conséquence normale et inévitable de leur travail (Evans et al., 2013).

Enfin, un autre obstacle sur le plan personnel qui est revenu de manière récurrente est la Préférence à gérer les problèmes seul·e, qui peut être comprise de différentes façons. Premièrement, elle peut traduire une crainte du jugement des collègues et des supérieur·e·s ainsi que l’anticipation d’impacts négatifs sur la carrière. Mais cette Préférence à gérer les problèmes seul·e peut également témoigner des valeurs véhiculées dans le milieu policier, notamment en ce qui a trait à l’importance accordée à l’autonomie et à l’indépendance, ainsi qu’à la capacité à trouver soi-même des solutions et à rester en contrôle de soi et de ses émotions (Bell et Eski, 2015 ; Kirschman et al., 2015). Dans le même ordre d’idée, étant donné la valorisation accordée à la capacité à trouver soi-même des solutions et à être autonome, préférer gérer ses problèmes seul·e peut aussi témoigner de la difficulté de s’avouer à soi-même avoir un problème qu’on n’arrive pas à résoudre, cela pouvant être vécu comme un échec. Des participant·e·s ont mentionné qu’il est d’autant plus difficile de demander de l’aide pour soi quand la nature du travail est d’être au service des autres, et ce, parfois au détriment de ses besoins personnels. Dans ce contexte, s’avouer avoir besoin d’aide peut sembler être en dissonance avec les exigences du métier et contribuer à ce que les policier·ière·s soient porté·e·s à se débrouiller seul·e·s face aux difficultés éprouvées.

Quelques pistes pour favoriser la consultation : parler et entendre parler de santé mentale

Une des forces de la présente étude est d’avoir sondé les participant·e·s à propos de ce qui, selon leur point de vue, pourrait faciliter les demandes d’aide psychologique. Il s’avère pertinent de revenir ici sur quelques suggestions qui sont ressorties de manière plus prégnante. Les commentaires des policier·ière·s montrent que plusieurs d’entre eux.elles souhaiteraient entendre parler davantage de santé mentale. Ils.Elles ont manifesté leur intérêt à recevoir plus d’informations sur différents sujets entourant la santé mentale et à être ainsi davantage « psychoéduqué·e·s » par le biais de conférences et d’ateliers. D’après eux.elles, cela permettrait de démystifier le sujet de la santé mentale, de normaliser le fait de vivre ces difficultés et de déconstruire la croyance qu’ils·elles sont seuls·e·s à en vivre. Plusieurs auteur·e·s qui se sont intéressé·e·s à ce qui pourrait faciliter la consultation psychologique chez les policier·ière·s ont d’ailleurs souligné l’importance de la psychoéducation comme moyen efficace pour diminuer la perception de stigmates en lien avec la consultation et pour augmenter l’utilisation des services d’aide psychologique (Ballard, 2021 ; Chapin et al., 2008 ; Papazoglou et Andersen, 2014).

Les commentaires recueillis indiquent également que les policier·ière·s aimeraient aussi parler davantage de santé mentale. Certain·e·s participant·e·s affirment qu’ils·elles sont conscient·e·s qu’un tabou entourant la santé mentale perdure dans l’organisation, malgré certains changements de mentalité, et qu’il est encore difficile d’aborder ouvertement le sujet. Ainsi, ils·elles pensent qu’il serait souhaitable que le sujet soit abordé plus ouvertement lors de rencontres d’équipe, et ce, dans l’optique de faire plus de place aux échanges sur des situations difficiles vécues au travail. Des participant·e·s suggèrent que les supérieur·e·s hiérarchiques soient davantage sensibilisé·e·s aux enjeux de santé mentale et qu’ils·elles soient formé·e·s de manière plus systématique et homogène afin d’être en mesure de mieux soutenir les policier·ière·s qui sont confronté·e·s à de telles difficultés. Le soutien des supérieur·e·s et de l’organisation a d’ailleurs été ciblé dans plusieurs études comme un élément pouvant faciliter l’utilisation des services d’aide psychologique par les policier·ière·s (Burns et Buchanan, 2020 ; Cummings et Jones, 2010 ; Edwards et Kotera, 2020 ; Jackman et al., 2020 ; Lucia et Halloran, 2020).

Créer plus d’espaces d’échanges sur le sujet de la santé mentale, « psychoéduquer » les policier·ière·s et aborder ouvertement les valeurs et croyances associées aux barrières à la consultation représentent des pistes d’action prometteuses pour déconstruire certains tabous, soutenir le bien-être psychologique et favoriser la demande d’aide en cas de besoin.

Mise en perspective des résultats

Bien que les participant·e·s aient identifié des barrières à la consultation qui doivent être prises en considération pour faciliter davantage l’accès aux services, il importe de mettre ces résultats en perspective. Les résultats de l’étude plus large, dans laquelle l’utilisation passée et actuelle des services a été mesurée, montrent que les policier·ière·s consulté·e·s semblent généralement plutôt favorables à la consultation psychologique (Charpentier, 2021). En effet, les pourcentages de consultation obtenus dans cette étude sont de 17,4 % pour les répondant·e·s rapportant consulter présentement les services et de 71 % pour ceux·celles rapportant les avoir consultés par le passé. Ces résultats sont intéressants quand ils sont comparés aux résultats d’autres études qui montrent plutôt des taux de consultation passée variant entre 10 % et 47 % (Berg et al., 2006 ; Fox et al., 2012 ; Jetelina et al., 2020). L’étude plus large a également montré que les policiers·ière·s qui ont consulté l’ont en grande majorité fait au PAPP (utilisation passée au PAPP = 55,3 % ; utilisation actuelle au PAPP = 63,9 %). Du côté du PAPP, les statistiques montrent une augmentation de 60 % du taux de consultation psychologique au cours des cinq dernières années, ce qui a d’ailleurs généré une liste d’attente depuis 2021. Ces chiffres montrent que, bien qu’il existe encore des barrières à la consultation, les policier·ière·s du SPVM consultent plus qu’avant et montrent de l’ouverture face à la consultation. Depuis 22 ans, le PAPP a mis en place des activités de prévention qui font la promotion de la santé psychologique et ciblent les obstacles à la consultation. Ces efforts de prévention ont eu un impact significatif sur la prévention du suicide (Mishara et Martin, 2012). De plus, un grand nombre des suggestions proposées par les participant·e·s ont déjà été mises en place par le PAPP. Par exemple, depuis cinq ans, plus de 2 700 policier·ière·s ont été rencontré·e·s dans le cadre d’une activité (la tournée des unités) animée par des psychologues et ciblant la lutte contre la stigmatisation et l’autostigmatisation, la promotion des services psychologiques, la promotion des actions de soutien positif au sein des équipes de travail et les stratégies de dépistage et de soutien. Lors de cette activité, le témoignage d’un·e policier·ière est utilisé comme modèle de résilience, mais aussi comme base de discussion pour lutter contre la stigmatisation et l’autostigmatisation. En plus de ces activités, des conférences avec des personnalités connues ont fait la promotion de la santé psychologique et des services du PAPP. Des capsules psychoéducatives sont accessibles à tous·toutes les policier·ière·s sur un site web (Résilience) et la téléconsultation est maintenant offerte depuis 2020.

Les efforts déployés par le PAPP semblent avoir porté fruit compte tenu de l’augmentation constante des demandes de consultations. Bien que les résultats de la présente étude montrent que certaines barrières persistent, ils montrent aussi que les policier·ière·s souhaitent entendre parler et parler davantage de santé mentale.

Forces, limites et contribution de l’étude

Au moyen d’un devis qualitatif et de questions à développement, la présente étude a donné une voix aux policier·ière·s. Elle leur a permis de partager leur expérience et leurs besoins au sujet de la santé mentale et de faire émerger des suggestions concrètes et arrimées à leur réalité pour encourager la demande d’aide psychologique.

Leurs réponses généreuses aux questions ouvertes montrent qu’ils·elles présentent un intérêt certain pour ces questions. Les barrières identifiées et les suggestions rapportées dans cette étude peuvent optimiser l’utilisation des services d’aide psychologique déjà en place, mais également enrichir la réflexion quant aux services d’aide psychologique offerts, ou à offrir, à d’autres corps policiers.

Parmi les limites de l’étude, notons d’abord celles découlant de la méthode de cueillette des données qualitatives qui a été effectuée par le biais de questions ouvertes auxquelles les participant·e·s pouvaient répondre en ligne. Si cette méthode a permis de recueillir le point de vue d’un grand nombre de policier·ière·s, il demeure qu’elle ne permet pas d’étudier le phénomène autant en profondeur que le font les entretiens semi-structurés. Une autre limite se rapporte à un possible biais d’échantillonnage. Ainsi, bien qu’il y ait eu un bon taux de participation aux questions ouvertes, les répondant·e·s ne représentent tout de même qu’une petite partie du corps policier du SPVM. Nous pouvons également penser que les répondant·e·s sont les policier·ière·s les plus interpellé·e·s par les questions de santé mentale. Les résultats de la présente étude sont également difficilement généralisables à d’autres corps policiers québécois, notamment en raison de l’existence du PAPP, dont les interventions au fil des ans ont pu contribuer à sensibiliser davantage les policier·ière·s du SPVM aux questions relatives à la santé mentale. Il s’avère par conséquent nécessaire de conduire des études similaires auprès d’autres corps policiers québécois, d’identifier les barrières à la consultation et les besoins qui peuvent être propres à chaque corps policier en fonction de sa réalité singulière.

Conclusion

Cette étude met en exergue l’importance d’investir dans la promotion et la sensibilisation de la santé mentale, et ce, dans une perspective à long terme car, malgré des programmes et des initiatives bien implantés, les barrières persistent, comme l’indiquent nos résultats. Ainsi, les corps policiers qui souhaiteraient développer de tels programmes doivent opter pour une vision d’investissement à long terme pour favoriser des changements de mentalités. De plus, en cherchant à réduire les barrières à la consultation, il faut aussi s’assurer de l’accessibilité des ressources, à défaut de quoi une nouvelle barrière serait créée, celle de ne pas recevoir de l’aide même lorsqu’elle est demandée.