Résumés
Résumé
L’objectif de cet article est d’examiner l’existence d’une subculture de la violence partagée par les détenus incarcérés en unité pour détenus violents. Il s’inscrit dans une phénoménologie des subcultures carcérales analysant la façon dont les détenus perçoivent leur propre rapport à la violence plutôt que des formes spécifiques de violence. Les matériaux ont été recueillis à partir d’une médiation narrative qui articule observations et entretiens pour réaliser des récits qui s’expriment à travers des fables écrites avec trois détenus. L’analyse discute de l’existence d’une forme de subculture carcérale à partir de trois dimensions communes au rapport à la violence des détenus : un rapport instrumental à la violence, l’importance de la dimension collective des conflits, et la violence comme dynamique de résistance individuelle.
Mots-clés :
- Violence,
- prison,
- subculture,
- médiation narrative,
- carcéral
Abstract
The aim of this article is to consider the existence of a subculture of violence shared amongst inmates incarcerated in France’s Violent Offender Units. The paper falls within a phenomenology of prison subcultures that analyzes how inmates perceive their own relation to violence, rather than specific forms of violence. The materials for this study were gathered using a narrative mediation approach, combining observations and interviews to produce narrative stories that are expressed through fables written in collaboration with three inmates. The analysis discusses the existence of a form of prison subculture based on three dimensions common to inmates’ relationship to violence : an instrumental relationship to violence, the importance of the collective dimension of conflicts, and violence as a dynamic of individual resistance.
Keywords:
- Violence,
- prison,
- subculture,
- narrative mediation,
- detention
Resumen
El objetivo de este artículo es estudiar la existencia de una subcultura de la violencia compartida por los presos encarcelados en una Unidad para Presos Violentos. El estudio se suma a la literatura que, basándose en la fenomenología de las subculturas carcelarias, analiza la manera en que los presos perciben su propia relación con la violencia, y no tanto las formas específicas de violencia. El material se recopiló utilizando un enfoque narrativo que combina observaciones y entrevistas para producir relatos expresados a través de fábulas escritas con tres reclusos. En la discusión se debate acerca de la existencia de una forma de subcultura carcelaria basada en tres dimensiones comunes a la relación de los presos con la violencia : una relación instrumental con la violencia, la importancia de la dimensión colectiva de los conflictos y la violencia como dinámica de resistencia individual.
Palabras clave:
- Violencia,
- prisión,
- subcultura,
- mediación narrativa,
- detención
Corps de l’article
En France, l’administration pénitentiaire tend, dans la continuité des politiques d’individualisation de la peine (Bouagga, 2015), à opérer des regroupements en fonction de dispositifs spécifiques de prise en charge : auteurs d’infraction à caractère sexuel, détenus vulnérables, âgés ou violents sont regroupés dans des unités spécifiques. Le terme « unité » emprunte ses significations aux domaines militaire et médical. Renvoyant à une localisation précise, à une fonction spécifique et à un élément caractérisant fort (l’état de santé, la nature de l’infraction ou un type de comportement), il contribue à l’identification des détenus qui y sont affectés à l’une de leurs caractéristiques. Sa prévalence légitime une gestion particulière, tant du point de vue du comportement (Rhodes, 2015) que de la trajectoire carcérale et de la gestion de l’établissement (Veaudor, 2020).
Les détenus considérés comme violents sont pris en charge dans des « unités pour détenus violents (UDV)[2] ». Créées à la suite de l’agression de surveillants en 2018, les UDV sont des programmes de désengagement de la violence qui accueillent des détenus pour une période maximum de six mois (prolongeable de trois mois). Ceux-ci sont des nouveaux dispositifs de la gestion de l’indiscipline carcérale (Fernandez, 2015), où la violence constitue une trame de fond dans la vie carcérale des détenus et des surveillants. Isolés les uns des autres dans des conditions proches du quartier d’isolement, les détenus y développent une sensibilité décuplée à l’égard des rares interactions sociales qui rythment leur quotidien, tout en cheminant avec le personnel pénitentiaire (surveillants, conseillers de probation et d’insertion, direction) et des intervenants extérieurs dans une réflexion à l’égard de leur comportement violent.
L’objectif de cet article est d’examiner l’existence d’une subculture de la violence partagée par les détenus en UDV. En s’appuyant sur une enquête inédite (en UDV) et originale (par la médiation narrative), il s’inscrit dans une phénoménologie des subcultures carcérales (Cohen, 1972) analysant la façon dont les détenus perçoivent leur propre rapport à la violence (Hachette et Huët, 2022). En proposant une narrative criminology (Sandberg et Ugelvik, 2016), l’article cherche à comprendre comment la violence en prison s’inscrit dans un « réseau de significations » (Geertz, 1973) formant une subculture spécifique. Les matériaux ont été recueillis à partir d’une médiation narrative (Winslade et Monk, 2000) qui articule observations et entretiens pour réaliser des récits. Les résultats s’expriment ici à travers des fables écrites avec trois détenus. En nous appuyant plus particulièrement sur les conceptualisations de Collins (2009, 2012) et de Huët (2019, 2021), leur analyse permet de discuter d’une forme de subculture carcérale à partir de trois dimensions communes au rapport à la violence des détenus : un rapport instrumental à la violence, l’importance de la dimension collective des conflits, et la violence comme dynamique de résistance à des processus de désubjectivation.
Revue de littérature
La violence en prison, largement analysée dans la littérature internationale, est, souligne Fassin (2017), « l’objet d’une littérature considérable en langue anglaise que les commentateurs français semblent souvent ignorer » (p. 365). On y distingue les théories de la privation, de l’importation, de la gestion, et un modèle dit « intégré », qui étudient non seulement les violences commises en détention, mais aussi, plus largement, les processus d’acculturation et d’adaptation des personnes incarcérées. L’attention portée à l’adaptation des détenus à leur condition d’incarcération interroge l’élaboration de codes, de règles et de normes de conduite produisant une culture propre à la prison (prison subculture). La notion de prisonization développée par Clemmer (1940) étudie ainsi les comportements adaptatifs des prisonniers confrontés à la privation, notamment économique et sexuelle, en s’appuyant sur des observations détaillées de leur quotidien. Ce faisant, il a ouvert la voie à l’analyse des violences en prison comme faisant partie des réponses adaptatives face aux restrictions de l’incarcération. Les théories de la privation étudieront comment la prison, par des processus d’acculturation et d’adaptation, contraint les détenus à produire une culture spécifique et à opérer des choix leur permettant de satisfaire leurs besoins (Goodstein et Wright, 1989). Dans The Society of Captives, Sykes (1960) s’attachera à montrer que la vie en prison produit une subculture d’adaptation face à la privation de liberté et aux restrictions (de liberté, de biens et services, d’hétérosexualité, d’autonomie et de sécurité). Messinger et lui (1962) dégageront cinq éléments du code social caractéristique de la subculture carcérale (être loyal entre détenus, ne pas être impétueux, ne pas exploiter les autres détenus, être courageux et combatif, se méfier de l’ennemi –les surveillants et l’administration). En mettant en perspective que cette subculture repose sur la production d’un équilibre fragile entre solidarité (face à l’administration pénitentiaire) et exploitation mutuelle, Sykes explique le recours à la violence comme un outil face à la permanence du danger qui caractérise la vie en prison. Dans cette perspective, les travaux ont montré que la solidarité entre détenus est d’autant plus importante que les conditions d’incarcération sont sécuritaires et privatives (Bowker, 1980). Ils mettent en avant le rapport entre l’environnement et les conditions carcérales (surpopulation, niveau sécuritaire) d’une part, ainsi que la fréquence et l’intensité des actes de violence d’autre part (Lahm, 2008 ; Steiner et Wooldredge, 2008 ; Thomas, 1977).
Les travaux de Irwin et Cressey (1962) permettent de comprendre la violence en prison comme résultant de socialisations antérieures, notamment dans ses formes d’expression, ses usages et ses destinations. Les théories de l’importation montrent ainsi que les valeurs et les attitudes acquises avant l’entrée en prison constituent des éléments déterminants dans la compréhension des actes de violence et des comportements agressifs en détention (Goetting et Howsen, 1986 ; Harer et Steffensmeier, 1996 ; Mears et al., 2013). Comme le soulignera Irwin (1980) dans Prisons in Turmoil, les prisons accueillent des groupes de délinquants qui y perpétuent, voire y affermissent, des subcultures élaborées à l’extérieur. Elles deviennent un élément de la trajectoire du délinquant, faisant partie intégrante du groupe criminel. La sociologie américaine des prisons va particulièrement développer l’étude du lien entre violence et groupes criminels, sous l’effet des phénomènes de gang (Jacob, 1974). L’accent est mis sur la manière dont la trajectoire délictuelle des prisonniers façonne le rapport à la peine et à l’emprisonnement. Il est alors difficile de parler d’une subculture carcérale unique : la prison rassemble plusieurs subcultures, fruit de socialisations individuelles et collectives qui précèdent l’incarcération et se poursuivront après elle. D’aucuns peuvent ainsi proposer des typologies d’adaptation (Chantraine, 2004 ; Irwin et Cressey, 1962 ; Rostaing, 2007), suivant par exemple qu’un détenu soit amené à rester fidèle à sa subculture criminelle, carcérale ou non criminelle. Dans la continuité de ces travaux, les chercheurs ont proposé une approche dite « intégrée » tenant compte à la fois des conditions environnementales et des caractéristiques individuelles. Cette approche cherche à analyser les dynamiques propres à la violence en prison tout en tenant compte des trajectoires délictuelles (Lahm, 2008 ; Sparks et al., 1996), en montrant comment l’impact des conditions d’incarcération dépend des caractéristiques individuelles et des trajectoires personnelles des détenus (Mears et al., 2013 ; Wooldredge et al., 2001).
Une dernière approche montre que l’impact des conditions carcérales et des trajectoires délictuelles sur les violences en prison est surestimé. La capacité des organisations carcérales à asseoir la légitimité de l’autorité pour maintenir la sécurité des individus est perçue comme un facteur prépondérant de la violence carcérale (Camp et al., 2003 ; Huebner, 2003 ; Steiner, 2009 ; Useem et Reisig, 1999). L’étude des (més)usages de la force et des rapports de pouvoir entre surveillants et détenus permet de mieux comprendre comment l’organisation carcérale peut diminuer ou augmenter les violences en prison (Chauvenet, 2008 ; Rostaing, 2007 ; Steiner et Wooldredge, 2018). Steiner et Wooldredge (2018) proposent ainsi une théorie intégrée attentive aux caractéristiques individuelles des détenus (modes de vie et routine quotidienne, rapport aux surveillants, sang-froid et résistance à la frustration, ancrage sociétal, vulnérabilités) et organisationnelles des prisons (types d’activité proposés, légitimité de l’autorité, rapports surveillants-détenus, degré et forme de contrôle).
Une étude de la littérature (Rapid Evidence Assessment) existante entre 2000 et 2015 sur les causes de violences physiques commises par des détenus masculins, réalisée par McGuire (2018), a mis en perspective 12 approches différentes parmi 97 textes retenus (cf. Tableau1).
Il ressort des recherches sur les violences en prison qu’elles n’apparaissent pas de manière aléatoire (Steiner et Wooldredge, 2021) : certains types d’organisations carcérales, combinés à la présence de détenus dont les caractéristiques individuelles comme la santé mentale (Rhodes, 2004), la subculture criminelle et la trajectoire délinquante, témoignent d’un usage plus important de la violence (Camp et al., 2003 ; Wolff et al., 2007). Par ailleurs, le sentiment d’être au contact de la violence ou en danger n’est pas apprécié de la même manière pour l’ensemble des détenus et des personnels pénitentiaires (Vacheret et Milton, 2007). Certaines études mettent au jour que les prisonniers (Bottoms, 1999 ; Edgar et al., 2003) comme les surveillants pénitentiaires (Steiner et Wooldredge, 2017) estiment être en sécurité la plupart du temps. Pour Rhodes (2010, 2015), comparant les usages de la notion de risque dans les prisons « supermax » aux États-Unis à ceux de la prison de Grendon en Angleterre, les différentiels entre détenus et organisations carcérales contribuent à la variation des risques de commettre des actes de violence comme d’en subir. Mais la violence en prison s’ancre également dans des formes d’« économie morale » (Bouagga, 2012) de la punition reliées à des représentations sociales de la réhabilitation formant un contexte culturel qui la rend possible.
Ceci amène à examiner non seulement les causes de la violence en prison, mais également ses significations dans le contexte carcéral. Si les modèles synthétisés par McGuire apportent chacun une part explicative de la violence en prison, ils n’en épuisent pas la compréhension. Malgré leur pertinence, aucun de ces modèles n’a permis de comprendre en profondeur le rapport particulier à la violence qui ressortait des premiers entretiens conduits avec les détenus. Il ne s’agit pas seulement d’examiner les causes de la violence en prison, mais plutôt de considérer la prison comme un cadre dans lequel se manifestent des rapports spécifiques à la violence. De ce point de vue, la violence en prison s’inscrit dans un « réseau de significations », pour reprendre l’expression de Geertz (1973), qui forme une subculture spécifique dans laquelle le détenu agit autant qu’il est pris. Deux approches apparaissent alors pouvoir rendre compte de ce rapport ambigu à la violence : celle qui interroge les processus de subjectivation et de désubjectivation (Huët, 2019, 2021 ; Wieviorka, 2015) dans le rapport à la violence, et l’approche microsociologique des violences proposée par Collins (2009, 2012, 2021). D’une part, la notion de subjectivation/désubjectivation permet de mettre en perspective l’ambivalence des rapports subjectifs à la violence. Comme le souligne Wieviorka (2015), envisager la violence sous l’angle du sujet revient à faire l’hypothèse que « la violence est souvent […] la marque d’un sujet contrarié, interdit, impossible ou malheureux. La marque, éventuellement, d’une personne ayant elle-même subi une violence soit physique, […] soit morale ou symbolique » (p. 24). Dit autrement, elle est l’expression d’un processus de subjectivation, d’affirmation de soi et de reconnaissance, y compris d’une reconnaissance sensible de soi passant par l’épreuve des sens à travers l’engagement dans un comportement excessif cherchant le vertige du risque, de l’émeute ou du combat (Huët, 2019). De ce point de vue, la violence peut être entendue comme une réaction à des processus de désubjectivation, à des situations sociales où le sujet est déprécié et victime de discrimination, rendu incapable de s’imposer dans un rapport conflictuel aux autres et au monde : « Elle vient alors signifier la perte, le déficit, le manque de conflit, l’impossibilité de l’acteur à structurer sa pratique dans une relation d’échange plus ou moins conflictuelle, elle exprime le décalage ou le fossé entre les demandes subjectives de personnes ou de groupes, et l’offre politique, économique, institutionnelle ou symbolique » (Wieviorka, 2006, p. 25). D’autre part, l’approche proposée par Collins (2009) souligne l’importance des dimensions instrumentale et collective de la violence mise en acte. La capacité à dominer émotionnellement la tension/peur confrontationnelle (confrontational tension/fear) qui caractérise des situations conflictuelles constitue un élément fondamental du rapport à la violence. Il s’agit d’une compétence acquise par la socialisation avec des pairs ou par apprentissage à travers la confrontation à des situations violentes, et qui nécessite d’être entretenue. Les notions de dé/subjectivation dans le rapport à la violence et de tension/peur confrontationnelle ne sont pas propres à l’étude du monde carcéral. Il ne s’agit donc pas tant ici d’examiner des formes spécifiques de violences, « symboliques, institutionnelles, gouvernementales ou interpersonnelles » (Kaminski, 2013, p. 464) que d’étudier les articulations entre un contexte pouvant être support de subcultures violentes et des dynamiques subjectives propres aux acteurs dans leur rapport à la violence. Ainsi, à l’instar de Chauvenet (2006), notre étude nous a conduits à « nous écarter des schémas interprétatifs traditionnels en sociologie de la prison » (p. 373) pour aller interroger dans le rapport à la violence des détenus considérés comme violents des traits communs d’une subculture de la violence en prison. Elle s’inscrit ainsi dans une narrative criminology (Sandberg et al., 2015 ; Sandberg et Ugelvik, 2016) reconnaissant que les personnes impliquées dans des comportements criminels ont souvent des histoires complexes et nuancées à raconter, et que ces récits peuvent offrir des éléments précieux sur les significations qui sous-tendent leurs actions.
Méthodologie
Les récits dont il est ici question sont recueillis à travers la mise en oeuvre d’une forme d’intervention appelée « médiation narrative » qui repose sur des entretiens semi-directifs portant sur le rapport à la violence, puis l’élaboration de fables co-construites avec les détenus. Pendant plus d’un an, nous nous sommes rendus plusieurs fois par mois en UDV au sein d’une maison d’arrêt. Les détenus avec lesquels nous avons pu y échanger ont fait l’objet d’une sélection par l’équipe de surveillants de l’unité et son responsable. Sur environ cinq à huit détenus (capacité maximale), celui-ci nous proposait de rencontrer des détenus après une période d’évaluation de leur dangerosité de deux semaines. La sélection des détenus rencontrés s’opérait donc en deux étapes. La première consistait pour l’équipe des surveillants à s’assurer que ceux-ci ne présentaient pas de signes laissant penser qu’ils pourraient commettre un passage à l’acte violent lors de nos rencontres. Nous n’avons pas constaté l’utilisation d’outils d’évaluation probante de la dangerosité. Ce sont plutôt des discussions répétées entre les membres de l’équipe sur la base d’observation des comportements des détenus, de leurs rapports avec les surveillants, avec le personnel pénitentiaire (conseiller de probation, direction d’établissement) et avec d’autres intervenants extérieurs qui permettaient au surveillant responsable de l’unité de se forger un avis et de prendre une décision. D’autres éléments, plus indirects, entraient également en ligne de compte, comme les expériences passées du responsable d’unité et des facteurs contextuels tels que le niveau de tension entre détenus au sein de l’unité et au sein de la prison. La deuxième étape relevait de la volonté du détenu : la proposition de nous rencontrer lui étant faite, il pouvait la refuser ou l’accepter. Nous avons ainsi pu rencontrer cinq détenus, mais nous n’en mentionnerons ici que trois : Abraham, Richard et Sacha[4]. En effet, le processus de médiation narrative n’a pas pu aller au bout avec les deux autres détenus rencontrés. Ne souhaitant plus nous rencontrer pour des raisons qui nous sont inconnues, la fable est restée, pour l’un, à l’état de projet et n’a pour l’autre qu’été esquissée. Dans la mesure où peu de détenus font un séjour en UDV, nous ne livrerons ici que très peu d’informations sur leurs caractéristiques et parcours. Ils sont tous les trois âgés entre 22 et 28 ans, sont issus de milieux populaires et ont été incarcérés quand ils étaient mineurs. Débutant leur carrière délinquante tôt, ils ont fait des allers-retours prison/quartier, s’inscrivant dans ce que Bony (2016) appelle le « continuum carcéral », puis ont emprunté la voie d’une carrière criminelle. Ils ont des ancrages socioculturels, religieux et géographiques différents. Richard est marié, père de deux enfants, issu d’une zone semi-rurale et d’un milieu sociofamilial proche des gens du voyage. Sacha voudrait bénéficier d’une extradition vers sa ville d’origine, située en Europe de l’Est, pour y retrouver sa compagne. Abraham est célibataire et très croyant, issu d’un quartier en périphérie d’une grande ville (banlieue) où vivent ses parents, qui le soutiennent. Les faits à l’origine de leur incarcération sont divers (violences physiques volontaires, vol, trafic de stupéfiants) et peuvent paraître étonnants au regard du nombre d’années qu’ils ont déjà effectué en détention : des allongements de peines liés à des incidents répétés de faits de violences et/ou de menaces sur détenu et sur personnel les ont amenés à fréquenter de nombreux établissements pénitentiaires.
Nos interventions avaient pour objectif de travailler le rapport à la violence à partir de la médiation narrative (Winslade et Monk, 2000). Développée dans le domaine des conflict analysis and resolution (CAR) studies, la démarche promeut la « performativité narrative » (Breton, 2017), reposant sur un travail d’empowerment et de reconnaissance des habiletés sociales (Goldstein et al., 1998 ; Wilson et Tamatea, 2010) des détenus, cherchant à impacter leur dynamique de désistance (Gaïa et al., 2019). Sur un plan institutionnel, la démarche s’inscrit en référence aux règles pénitentiaires européennes promouvant la sécurité dynamique, y compris la règle 56.2 mentionnant la médiation comme mécanisme de résolution des différends entre détenus dans une logique d’intervention préventive et proactive.
Les séances de médiation narrative se sont déroulées suivant un schéma similaire avec l’ensemble des détenus. Lors de la première intervention, les détenus n’étaient pas prévenus du contenu des séances, ou alors l’étaient de manière très succincte. Selon eux, ils acceptaient de s’entretenir avec nous pour rompre l’isolement, expérimenter une nouvelle activité et montrer à l’administration leur bonne volonté. Chaque première séance commençait par l’exposé des objectifs et des outils. Nous nous assurions qu’ils avaient compris que l’objectif principal était de « travailler ensemble » leur rapport à la violence à partir de leurs expériences et compétences en la matière. Placer ainsi les détenus en position d’experts suscitait leur adhésion. Les échanges démarraient alors sur leur trajectoire de vie et le récit de leur parcours carcéral. Leurs trajectoires de vie étant régulièrement scandées par des prises en charge institutionnelles (socio-éducatives, médicales et judiciaires), tous étaient à l’aise dans l’exercice consistant à « se raconter » (Astier et Duvoux, 2006). Les deux à trois séances suivantes permettaient de continuer à échanger sur la façon dont la violence s’est introduite dans leur vie et dont ils l’utilisent, à l’extérieur comme à l’intérieur de la prison, parfois en utilisant des supports vidéo. Lors de la troisième ou quatrième séance, nous passions des discussions à la réalisation d’un récit illustrant leur rapport à la violence. Le premier détenu rencontré, Abraham, souhaitait y ajouter un objectif : faire apparaître un message « positif ». Nous avons alors proposé d’utiliser un format similaire à celui des fables de Jean de La Fontaine : convoquer des figures animales, leur prêter des actions, des paroles et des intentions humaines, afin de faire de leurs interactions des métaphores de leurs rapports à la violence. Bien que ne connaissant pas les fables de La Fontaine, Abraham accepta la proposition. De manière assez étonnante à nos yeux, ce fut également le cas pour les autres détenus. Nous nous retrouvions ainsi, plusieurs fois par mois, dans une unité sécurisée à créer des fables avec des individus considérés comme particulièrement violents.
Résultats : Le rapport à la violence mis en récit par les détenus
Chacune des fables suivantes traduit des éléments caractéristiques du rapport à la violence qui ont été discutés avec Abraham, Sacha et Richard. La trame de l’histoire, la morale finale, les animaux et leurs comportements ont été proposés par les détenus et ont fait l’objet de discussions prolongées qui étaient autant d’occasions d’explorer les différentes dimensions de la violence. La maîtrise de l’écrit par les détenus étant fragile, ils nous dictaient l’histoire que nous transcrivions directement sur ordinateur. Nous avancions ainsi dans le récit, phrase par phrase, parfois mot à mot. Lorsque les détenus ne trouvaient pas les mots, nous proposions une formulation, qu’ils acceptaient ou non. Ces fables sont donc le produit d’une co-construction. Mesurant l’importance du choix des mots, nous avons essayé autant que possible de faire en sorte que notre part soit la plus réduite possible. Pour ce faire, nous n’hésitions pas à questionner la personne détenue sur les raisons qui faisaient qu’elle choisissait tel mot plutôt que tel autre, tel animal, tel objet, tel décor ou telle action, ou qu’elle retenait notre proposition plutôt qu’une autre. Il reste que ces récits sont le fruit d’un rapport intersubjectif où l’intervenant a sa part. Si cela n’enlève rien à leur singularité, on ne peut les considérer comme une expression totalement individuelle. Les détenus disposaient d’une maîtrise de la langue française hétérogène. À l’oral, Abraham et Richard n’avaient pas de difficulté à exprimer leur ressenti, puisant dans un vocabulaire riche qui nous permettait de discuter, durant des digressions, de sujets très divers demandant des connaissances en culture générale et de l’intérêt pour des questions sociopolitiques, historiques et religieuses. La maîtrise du français de Sacha étant très faible, cela compliquait la tâche lorsque nous tentions de faire de même. Lorsque Sacha convoquait des animaux, il prenait plaisir à rappeler et à expliciter des éléments de contexte d’un imaginaire lié à sa culture d’origine. En nous appuyant sur l’anglais et l’allemand, nous arrivions à nous assurer que nous parlions bien des mêmes choses. Il reste que Sacha n’aurait pas été capable d’écrire une telle fable en français. La longueur significativement plus courte de la fable reflète le temps plus long passé à formuler et à traduire ses propos.
Voici leurs histoires :
Histoire du vieil éléphant : comment hyènes et lionnes ont tout perdu face au buffle
Richard
Il était une fois, dans une savane d’Afrique, une meute de hyènes qui se promenait à la recherche de nourriture. Un buffle qui, trop assoiffé, avait laissé son troupeau prendre de l’avance se retrouva seul près de la mare. Impressionnant par sa corpulence, il attira tout de suite l’oeil des hyènes. Sentant la menace arriver, le buffle se retrouva rapidement pris au piègentouré des hyènes qui, tout en le fixant, ne pouvaient pas s’empêcher de se moquer de lui.
Le buffle dit :
« Laissez-moi partir si vous ne voulez pas que je vous charge, vous allez vous faire mal. »
Les hyènes répondirent :
« Tu plaisantes ? Nous sommes plus d’une dizaine, tu n’as aucune chance de nous échapper. »
En ricanant, une hyène ajouta :
« En plus comme tu es gros tu n’as aucune chance de t’enfuir ! »
Au loin, de l’autre côté de la mare, un vieil éléphant observait la scène tout en continuant de se laver. L’éléphant avait déjà vu plusieurs fois ce genre de scène au cours de sa longue vie.
Les hyènes entourent le buffle et s’en rapprochent de plus en plus. Une après l’autre, elles provoquent le buffle qui répond en chargeant et en donnant des coups de cornes. Mais les hyènes sont plus rapides, elles évitent les coups et rient du buffle qui perd patience. Harcelé, le buffle devient fou et se fatigue. A un moment, deux hyènes avancent vers le buffle qui, épuisé, recule tandis que trois hyènes lui sautent sur les pattes arrières et le mordillent. Trop contentes de leur chasse, les hyènes rient fort et se chamaillent. Elles ne pensent pas qu’elles attirent ainsi un groupe de lionnes affamées qui passent tout près.
Discrètement, sans bruit aucun, les lionnes se rapprochent des hyènes. Les lionnes ne sont que quatre mais elles sont plus fortes et ont l’avantage d’être silencieuses. Les hyènes ne remarquent pas la présence des lionnes. Elles se dissimulent dans les grandes herbes et profitent de l’inattention des hyènes pour s’imposer autour du buffle. Une fois que les lionnes sont à découvert et à la vue des hyènes, l’une d’elles se met à rugir. Les hyènes comprennent alors qu’elles ont perdu le buffle. Elles ne rigolent plus et cessent de se chamailler.
L’une des lionnes dit à ses copines :
« Occupons-nous du buffle avant que les hyènes ne s’en chargent ! »
Mais déjà, quelques hyènes s’en prennent à une des quatre lionnes. Elles lui disent :
« Nous sommes plus nombreuses que vous et nos crocs valent bien les vôtres. Ce repas était à nous, vous nous l’avez volé. Tant pis pour vous, on ne va faire qu’une bouchée de vous et on va commencer par toi. »
La lionne rugit pour avertir ses trois autres copines qui sont en train de surveiller le buffle agonisant. Mais les hyènes mettent leur plan à exécution et s’en prennent à la lionne restée seule.
Tout ce remue-ménage finit par amener les hyènes et les lionnes sur le territoire du vieil éléphant. Agacé par ces bruits et cette agitation qui troublent sa tranquillité, l’éléphant s’interpose. Il leur dit :
« Cessez de vous battre. Tout cela ne mène à rien, vous pouvez me croire ! Non seulement, parce que j’ai de l’expérience et que vos petites guerres finissent toujours par un échec mais aussi parce que vous pouvez regarder : le buffle en a profité pour s’enfuir et retrouver son troupeau. »
Les deux meutes se séparent. Chacun des groupes se concerte entre eux. Rapidement, les hyènes font savoir qu’elles sont en colère :
« Ce buffle, c’est nous qui l’avons chassé. Il était pour nous, vous, vous êtes arrivées quand tout le travail était déjà fait. »
Les lionnes répondent :
« Nous sommes les rois de la jungle, nous sommes les plus fortes et c’est ainsi, vous devez vous soumettre. »
Les hyènes enragent et réfléchissent à un plan pour se venger. Elles imaginent le plan suivant :
« Tandis que l’une d’entre nous va continuer à provoquer les lionnes, nous allons faire comme si on la retenait pour montrer qu’on est d’accord pour se soumettre aux lionnes. Mais, dès que l’une des lionnes restera en arrière, nous l’attaquerons. »
Le plan des hyènes est alors mis à exécution. La cheffe des lionnes s’enorgueillit :
« Vous avez fait le bon choix. Sinon, nous vous aurions mangé. Comme vous acceptez de vous soumettre, nous vous laissons partir. Pour aujourd’hui ! »
Les hyènes font alors semblant de partir mais elles restent à proximité des lionnes.
L’une des lionnes, assoiffée, part alors seule vers la mare. Les hyènes en profitent pour l’attaquer. Elles se rassemblent alors à nouveau, contentes de leur forfait. Quelque temps après, les lionnes se rendent compte que leur amie ne revient pas. Elles décident alors d’aller voir où elle se trouve. Elles retrouvent leur amie sans vie au bord de la mare. Elles reconnaissent la marque des crocs et l’odeur des hyènes. Cette fois-ci c’en est trop, les lionnes décident de réagir et, à leur tour, de s’en prendre à une hyène.
« Oeil pour oeil, dent pour dent », dit une lionne.
Ainsi les jours se répètent-ils. Le groupe des lionnes mange une hyène. Puis le groupe des hyènes mange une lionne. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une lionne et une hyène.
La lionne s’adresse ainsi à la hyène :
« Tu vois bien que je suis plus forte que toi. Tes amis sont encore entre mes dents ! »
À quoi la hyène lui répond :
« Peut-être que tu es plus forte que moi, mais tes copines sont déjà dans mon estomac ! Alors, ne fais pas la maline, car tu pourrais bien être la prochaine. D’ailleurs, j’ai un petit peu faim ! »
La lionne s’énerve :
« Tu vas vite cesser de ricaner, sinon tu vas être mon festin ! Je me suis rendu compte que j’adore manger de la hyène. C’est devenu mon plat favori. »
La hyène se rembrunit et lui répond :
« Arrête de me parler ainsi. Tu m’énerves. Je ne vais faire qu’une bouchée de toi ! N’oublie pas que tu es toute seule. »
À son tour la lionne provoque la hyène une nouvelle fois :
« Ta tête ne me revient pas. Tu ne ressembles ni à un félin, ni à un chien. Il est temps pour toi que cela s’arrête. »
Et ainsi de suite… la lionne et la hyène ont passé plus de la moitié de la journée à se provoquer, sans être en mesure de passer à l’action. Le soleil ne va pas tarder à se coucher et les deux animaux en sont toujours au même point.
Le vieil éléphant était resté tout ce temps à proximité des deux groupes. Il les a vus se battre entre eux à plusieurs reprises, voyant leurs meutes diminuer au fur et à mesure. Comme il l’avait prévu, il ne restait désormais plus qu’une hyène et une lionne. Le vieil éléphant est dépité de les voir se provoquer toute la journée. Combien de fois n’a-t-il pas observé la même situation ? ! ! À chaque fois, c’est la même chose.
« Pourquoi, n’arrivent-ils pas à comprendre que cela ne mène à rien et à s’entendre pour ne pas finir seuls ? » pense le vieil éléphant.
Cette situation finit par l’agacer au plus haut point. Il décide alors de s’interposer entre la hyène et la lionne. Rassemblant ses forces, l’éléphant charge vers la hyène et la lionne en barrissant à en faire trembler la savane. Lorsqu’il arrive à hauteur de la hyène, cette dernière lui dit :
« Mêle-toi de tes affaires, vieil éléphant ! Sinon, il se pourrait bien que tu en fasses les frais. »
L’éléphant lui explique alors :
« Calme-toi. Premièrement, je ne suis pas venu pour me battre, mais pour vous expliquer une dernière fois que tout cela ne mène à rien. »
La lionne prend alors la parole :
« Écoutons ce que ce vieil éléphant a à nous dire. Nous verrons bien. Nous aviserons après. »
La hyène oriente ses deux oreilles vers l’éléphant qui prend la parole et dit :
« Regardez autour de vous. Vous êtes désormais seules, chacune de votre côté. Vous n’avez plus de meute, plus personne avec vous. Qu’allez-vous faire ? À quoi bon vous battre ainsi, puisque seules vous n’êtes même plus capables de chasser un chevreuil ? Ne vous avais-je pas prévenu ? »
La hyène dit alors que tout cela est de la faute des lionnes, car ce sont elles qui sont venues les attaquer pour manger le buffle qu’elles avaient chassé :
« Nous nous sommes tout simplement défendues ! »
La lionne, pour une fois, ne répondit pas. L’éléphant continua :
« Et alors ? Quand bien même, désormais vous êtes seules et regardez plus loin que votre museau. Que fait désormais le buffle ? Il a rejoint son troupeau, retrouvé ses petits, ses parents et ses amis. Il doit certainement être en train de manger tranquillement, pendant que vous, vous vous battez pour rien. Finalement, dit l’éléphant, c’est le buffle qui a gagné ! C’est lui le plus malin et le plus fort ! »
La hyène dit alors :
« Quoi ? Comment ? C’est le buffle qui a gagné ? Mais tu es fou, vieil éléphant ! Un buffle ne peut pas gagner contre des hyènes ! »
La lionne reprend :
« Pour une fois, je suis tout à fait d’accord avec la hyène. Ce que tu dis est absurde, vieil éléphant ! »
L’éléphant leur dit alors :
« Vous êtes vraiment aussi bête l’une que l’autre ! Regardez autour de vous et écoutez-moi bien : où sont vos proches, où est votre meute ? Ils sont tous morts et vous êtes seules ! Vous êtes tellement fascinées par votre violence que vous ne vous rendez même pas compte que, seules, vous ne pouvez ni chasser ni vivre tout simplement ! »
La hyène et la lionne baissent la tête et se mettent à réfléchir. Regardant à gauche puis à droite, derrière elles puis devant au loin, elles partagent le constat du vieil éléphant. La hyène dit alors :
« Tu as raison, vieil éléphant. Nous avons tout perdu et le buffle, sans rien faire, a tout gagné ! »
À quoi la lionne ajoute :
« Nous avons compris la leçon, la prochaine fois nous nous y prendrons autrement. »
Le vieil éléphant secoue la tête et répond :
« C’est bien le problème, il n’y aura pas de prochaine fois, car vous êtes désormais seules, c’est trop tard. Mais au moins, vous aurez appris une chose : la violence ne résout rien, elle ne fait qu’aggraver les choses ! »
Le chat et le cochon
Abraham
Dans une ferme, un jour de pluie, chacun s’affaire à ses activités. Poules, coqs, oies, vaches, chèvres et chevreaux profitent de la fraîcheur. Le plus gros cochon de la ferme se roule dans une petite flaque de boue. Tandis qu’il s’ébroue, le chat, qui passait par là, reçoit de la boue sur son museau. Surpris, le chat fait un bond sur lui-même et peste. Le cochon, voyant le museau du chat maculé de boue, se met à rire fortement.
« Chat ! Comme ça, tu es beau… tu ressembles à un vrai cochon ! »
Le chat se vexe. Il décide d’abord d’ignorer le cochon en haussant les épaules. Peu après, il réfléchit et appelle son ami le cheval qui se trouve au-delà d’une énorme flaque de boue. Le cheval traverse, non sans difficulté, la grosse flaque de boue dont il est désormais recouvert. Arrivant à hauteur du chat, il lui demande :
« Mon ami, que t’arrive-t-il ? Pourquoi ton museau est-il couvert de boue ? »
Le chat lui répond :
« C’est le gros cochon qui m’a éclaboussé, mais surtout, il s’est moqué de moi. »
Le cheval :
« Si tu veux, je m’en vais le rosser d’un bon coup de sabot ! »
Sur le coup, le chat est attiré par cette solution, mais il doute rapidement que ce soit une bonne idée.
« Gros comme il est, il sentira peu de choses et c’est plutôt à son orgueil qu’il faut toucher », se dit le chat.
Il lui vient alors une idée. En faisant un clin d’oeil au cheval, le chat parle haut :
« Mon ami le cheval, merci de t’être déplacé, si tu veux, je t’invite à partager un peu de cette succulente confiture qui se trouve de l’autre côté de la flaque de boue. »
Le cochon, entendant parler de confiture, se lèche le groin et, s’adressant au chat, lui dit :
« Merci Chat ! Je m’empresse d’aller manger cette excellente confiture ! »
Le chat lui répond :
« Cochon, je doute que tu puisses traverser, je crois que tu es trop gros et que tu vas te noyer dans la boue ! »
Le cochon, orgueilleux, répond :
« Moi, me noyer dans la boue ? N’importe quoi ! Pour un cochon beau et fort comme moi, la boue est mon terrain. Plus il y en a, mieux c’est ! »
Le cochon se précipite alors dans la grosse flaque de boue. Rapidement, la boue lui arrive au niveau des oreilles, l’obligeant à lever le groin au ciel. Le cochon ne peut alors plus bouger. Il est pris au piège et appelle à l’aide.
Tous les animaux de la basse-cour se mettent alors à rire en voyant le cochon pris au piège de son propre orgueil. Malin mais pas méchant, le chat monte sur le dos du cheval qui, en retraversant à son tour la flaque de boue, flanque un coup de sabot au cochon, histoire de le tirer d’affaire. Arrivé de l’autre côté, le chat, les babines pleines de confiture, dit alors au cheval :
« Tu vois, j’ai eu raison de douter de l’efficacité du coup de sabot, le cochon est bien plus touché dans son orgueil ! »
Morale : « Trop d’orgueil empêche de douter et mène à l’échec. »
L’ours et la biche
Sacha
Il y a très longtemps, dans une belle forêt, vivait un grand ours mal léché. Alors qu’il était en train de manger son repas au pied d’un arbre, il entendit un bruit de pas. L’ours s’éloigna alors de son repas pour aller voir si quelqu’un approchait de sa tanière. Pendant ce temps, une biche qui avait faim et passait par là vit le repas tout prêt et le mangea. L’ours, revenant afin de terminer son repas, vit alors la biche en train de manger.
L’ours se mit alors en colère et dit :
« Biche, tu as mangé ma gamelle ! Et j’ai très faim ! Donc je vais te manger toi, comme ça, j’aurai ma gamelle plus toi ! »
La biche, surprise et tremblante, s’adressa à l’ours d’une petite voix :
« Ours, ne me mange pas ! N’oublie pas que tu préfères les végétaux ! Si tu me manges, tu risques d’être malade… »
L’ours hésita, puis se dirigea vers la biche avec la gueule grande ouverte pour la croquer.
La biche réfléchit et ajouta :
« Attends ! Si tu ne me manges pas, alors je t’offre mon repas plus un dessert spécial que seules les biches connaissent… »
L’ours, qui ne réfléchit pas, se dit :
« D’accord, je veux ton repas et le dessert ! »
Et dans sa tête, il se dit : « Et après, petite biche, je te mangerai… »
Mais, comme l’ours ne réfléchit pas avant d’agir et qu’il était pressé de manger, il oublia que le repas de la biche était en fait son propre repas ! Pendant que l’ours était occupé à manger, il oublia la biche. La biche profita de ce moment pour chercher des baies qui font très mal au ventre : c’était le dessert spécial !
La biche revint et dit à l’ours :
« Ours ! Pour te remercier de ne pas m’avoir mangée, j’ai préparé le dessert spécial. Goûte-le ! C’est très bon. »
La biche n’eut pas eu le temps de terminer sa phrase que l’ours avait déjà englouti tout le dessert. Rapidement, l’ours se tordit le ventre de douleur et se dépêcha de regagner sa tanière. La biche sourit alors et lui dit :
« Merci encore pour le repas ! Je te souhaite de profiter de cette excellente journée ! »
Morale : « Surtout fort et nerveux, il est nécessaire de réfléchir avant d’agir. »
Discussion
La co-construction de ces fables s’est faite à travers des échanges longs (d’une heure et demie environ), réguliers et répétés avec Abraham, Richard et Sacha. Comme nous l’avons expliqué, l’élaboration des fables s’est inscrite dans la continuité d’entretiens au cours desquels nous avons suivi un guide d’entretien général, mais en laissant la possibilité de s’adapter aux thèmes qui émergeaient. Les entretiens se sont concentrés sur : les premières expériences de violence ; la présence de la violence dans les contextes familiaux, amicaux et de travail ; la place de la violence dans le parcours de délinquance ; et le rapport à la violence comme modalité de résolution ou de régulation de conflits. Les échanges autour de ces thématiques ont fait l’objet de prise de notes. C’est à la suite du troisième ou du quatrième entretien que nous commencions à travailler sur les fables. En ce sens, les fables sont le produit de nos entretiens sur le rapport à la violence et d’une co-construction (intervenant-détenu). Lors de l’analyse des entretiens, nous avons procédé à une analyse des thématiques clés afin d’identifier des dynamiques propres au rapport à la violence de chaque détenu. À la suite de l’élaboration des fables, nous avons cherché à identifier les ressorts de dynamiques communes entre les détenus. L’identification des dynamiques dans les récits et les fables relève d’une interprétation. Il est important de noter que les fables sont des outils heuristiques que nous utilisons pour une compréhension en profondeur du rapport à la violence en prison. Dit autrement, aucune des fables ne rend totalement compte des mêmes rapports à la violence. On peut donc critiquer la validité des interprétations opérées, d’autant que nous avons notre part dans la co-construction des fables et que leur élaboration s’est faite dans la continuité des entretiens avec les détenus. Il s’agit d’une limite manifeste à la démarche proposée. On pourrait de même mettre en doute les récits de situations violentes faits par les détenus lors des entretiens. Mais notre intérêt pour les récits portait moins sur les situations spécifiques qu’ils décrivaient que sur la manière dont les détenus les présentaient et le sens qu’ils donnaient à leur rapport à la violence lorsqu’ils en faisaient l’expérience. C’est sur cette trame que les fables sont apparues comme permettant de donner du sens à leur rapport à la violence dans le contexte particulier de la prison.
En prenant en compte ces limites, on peut donc penser que ces fables racontent des histoires qui éclairent une subculture de la violence en prison, comprise comme un support particulier de rapports spécifiques à la violence « tissant des réseaux de significations » (Geertz, 1973). Une subculture de la violence en prison dans lequel le détenu agit autant qu’il y est pris, et qui exprime des rapports à la violence qui se sont construits à l’extérieur et à l’intérieur de la prison, rejoignant les conclusions des tenants d’une approche intégrée (Mears et al., 2013 ; Wooldredge et al., 2001). À travers leurs fables, Abraham, Richard et Sacha interrogent les liens entre violence individuelle, violence collective (de groupes en ou hors détention) et violence contextuelle (en détention, en zone rurale ou urbaine, en milieu délinquant et familial). On retrouve dans chacun de ces récits trois dynamiques communes de leur rapport à la violence : l’instrumentalisation de la violence, l’importance de la dimension collective et la violence comme dynamique de résistance face à des processus de désubjectivation.
Construire et maintenir un rapport instrumental à la violence
Bien que leurs trajectoires de vie et leurs parcours de délinquance soient différents, Richard, Abraham et Sacha ont appris à utiliser la violence dans des stratégies d’adaptation à leurs environnements. Lorsque nous évoquions leur première « rencontre » avec la violence, ils soulignaient avoir fait l’expérience, à des degrés et à des moments différents de leurs trajectoires de vie, de cultures de groupes où la violence constituait une caractéristique positive, par banalisation ou par valorisation. Au-delà de ces socialisations différenciées à la violence, ils mettent en récit un rapport distancié et ambigu à celle-ci. Certes, « le monde de la criminalité […] est en soi un monde compétitif ; ceux qui réussissent ont appris des techniques de domination émotionnelle » (Collins, 2009, p. 575). Cependant, et bien qu’ils reconnaissent être capables d’un niveau élevé de violence, aucun ne s’estime « violent » : ils mettent en avant un rapport instrumental à la violence qui leur confère des compétences, notamment dans leur capacité à dominer émotionnellement des situations sociales conflictuelles (Collins, 2009, 2021). Nous avons ainsi pu en faire l’expérience au cours des entretiens. Aucun des détenus n’a jamais été violent ou menaçant envers nous, mais chacun a su, à un moment ou un autre, nous faire comprendre ses aptitudes. Abraham, allant toujours un peu plus loin dans le détail des situations de violences jusqu’à susciter notre étonnement, cherchait à nous impressionner tout en revendiquant son savoir-faire. Richard aimait raconter comment ses phalanges s’étaient estompées à force de donner des coups : ses poings portaient la marque physique de son aptitude au combat. Sacha s’est à plusieurs reprises soudainement levé de sa chaise pour mimer des scènes de bagarres dont la rapidité et la précision des gestes ne pouvaient manquer d’avoir un effet sur nous.
Si le rapport instrumental était présent lors des entretiens dans les échanges verbaux et non verbaux comme élément d’explicitation, la réalisation des fables a offert un support de réflexivité supplémentaire. À travers les fables, les détenus ont pu opérer un travail de mise à distance de leur rapport à la violence d’autant plus étonnant que, au regard de leur profil, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils cherchent à justifier à tout prix leur recours à la violence. On observe dans les fables que la répétition des situations sociales tensionnelles, menaçantes ou violentes constitue une manière de maintenir ce rapport instrumental à la violence, confirmant que, comme le souligne Collins (2009), « les personnes violentes sont des spécialistes de la manipulation des situations de peur/tension confrontationnelles » (p. 576). Dans ces trois fables, le rapport instrumental à la violence réside dans la manière dont les personnages utilisent différents moyens pour atteindre leurs objectifs (par la violence physique, la ruse ou l’impulsivité) et dans les leçons morales tirées de leurs comportements. Le rapport instrumental à la violence est illustré par le récit du vieil éléphant, où la violence est présentée comme un cycle destructeur. Les interactions violentes entre les hyènes et les lionnes aboutissent à la diminution des deux groupes et à la fuite de la proie, soulignant ainsi les conséquences néfastes de la violence non maîtrisée. Le message sous-jacent est que la résolution pacifique des conflits est préférable pour éviter des issues tragiques. Dans la fable Le chat et le cochon, la violence est présente sous une forme psychologique. Le chat répond à l’éclaboussement et aux moqueries du cochon non pas par une réaction physique immédiate, mais en utilisant la ruse pour manipuler l’orgueil du cochon. La fable souligne ainsi les conséquences négatives de l’arrogance et met en avant la manipulation comme une stratégie de combat. Enfin, dans la troisième fable, la violence est présentée dans un contexte de survie et de prédation. La biche, bien que physiquement plus faible que l’ours, utilise la ruse pour éviter d’être sa proie. L’ours, quant à lui, est représenté comme agissant impulsivement sous l’emprise de la colère et de la faim, ce qui soulève les dangers de l’impulsivité et de l’absence de réflexion dans des situations de conflit. Ainsi, cette fable met en lumière les conséquences de l’agression non réfléchie et souligne l’importance de la prudence dans les interactions violentes. Il ressort des fables que l’usage de la violence vient d’un apprentissage. L’apprentissage des différentes formes de violences et de techniques pour les employer de manière efficace, mais aussi l’apprentissage du fait que la violence ne peut jamais être totalement maîtrisée. En prison, le rapport instrumental à la violence prend alors une double signification. Il s’agit non seulement de maintenir cet apprentissage et de le montrer aux autres (en confrontant physiquement et verbalement les autres détenus et les surveillants), mais également de se mettre à l’épreuve pour mieux se tester dans un monde clos, constitué de privations et de répétitions. L’importance des situations de violence en détention ne suffit donc pas à caractériser une subculture de la violence en prison comme si la relation entre prison et violence allait de soi, au sens d’un taken-for-granted (Schütz, 1967). Au contraire, on peut voir dans la mise à distance opérée par les détenus à travers les fables un rapport instrumental qui est l’expression d’une ambiguïté caractérisant la subculture de la violence en prison, où le détenu agit autant qu’il est pris.
La violence carcérale comme violences liées aux conflits collectifs
Dans les deux premières fables, comme dans les entretiens portant sur la place de la violence en prison, le rapport à la violence est rapporté à des phénomènes de groupe plutôt qu’à une question de morale individuelle. On peut bien entendu y voir un effet du contexte carcéral (Camp et al., 2003). Mais en se rappelant leur première « rencontre » avec la violence, ils faisaient également état de cultures de groupes où celle-ci était considérée comme ayant une valeur positive. Au-delà de ces socialisations différenciées à la violence, Abraham, Richard et Sacha étaient, au moment de nos échanges, pris dans les dynamiques de la violence carcérale. Pour eux, la violence carcérale s’exprime à travers une dimension psychologique qu’ils lient aux privations, une dimension physique qui renvoie à leur condition corporelle, et une dimension sociale qu’ils rapportent aux conditions d’interactions avec et entre des groupes, qu’il s’agisse de co-détenus ou de surveillants pénitentiaires. L’articulation entre ces trois dimensions invite à développer une lecture intégrée de la violence en prison (Steiner et Wooldredge, 2019). Nous insisterons sur la dimension sociale, car elle permet de mettre en perspective l’importance des dynamiques conflictuelles et collectives des violences (Amadio et Ferret, 2021). En effet, les entretiens et les fables montrent que la violence n’est pas réductible à la confrontation interindividuelle. Elle s’inscrit dans un contexte où des configurations groupales favorisent ou freinent l’escalade conflictuelle (Collins, 2012). On retrouve ainsi dans les propos des détenus l’importance d’un public qui soutient le passage à l’action violente et la recherche de configurations de groupe très asymétriques, allant de trois pour un à six pour un. Elles apparaissent notamment dans la fable Le chat et le cochon, et plus particulièrement dans celle de Richard, L’histoire du vieil éléphant. Elles correspondent à des tactiques d’attaques en groupe qui trouvent leur paroxysme dans ce que Collins (2009, p. 571) appelle forward panic. Opposant le mouvement inverse à la fuite en avant, Collins désigne ainsi une dynamique collective, temporelle et spatiale, marquée par trois étapes : l’enfièvrement des membres du groupe qui partagent leur excitation émotionnelle sous l’effet de l’adrénaline ; la charge simultanée des membres du groupe sur un ennemi présentant soudain une faiblesse ; l’extermination de l’ennemi par un déferlement de violences répétées.
S’exprime ainsi pour Abraham, Richard et Sacha une forme de déliaison entre, d’une part, la fréquence et l’intensité des actes de violences et, d’autre part, leur lecture axiologique de la violence. S’ils font régulièrement l’expérience de la violence, ils en mesurent également l’écart avec leurs propres valeurs, qui les conduisent à la condamner. Aussi ne s’en excusent-ils pas et, bien qu’ils se plaignent d’injustices au regard des peines prononcées ou de leurs conditions d’exécution, leur parcours carcéral est présenté comme une suite logique. En ce sens, leur attitude n’a rien de fataliste. Elle exprime leur conscience d’« un prix à payer ». Volontaire ou non, intentionnelle ou pas, adaptée ou non, proportionnelle ou pas, comme le dit la morale de L’histoire du vieil éléphant écrite avec Richard : « La violence ne résout rien, elle ne fait qu’aggraver les choses. » La privation de liberté est un moindre mal car, dedans comme dehors, la violence se paye. Mais « pour quelques jours de mitard de plus »[5], la violence peut rapporter socialement et narcissiquement gros. Leur parcours carcéral, caractérisé par une accumulation d’allongements de peine et de séjours en quartier disciplinaire, est vécu comme la conséquence de leur capacité à être violents et à s’y laisser emporter.
La violence, dynamique de résistance à des processus de désubjectivation en prison
Chacun reconnaît sa propension à utiliser la violence et le fait d’éprouver une forme de plaisir dans la violence des coups portés et reçus. Ces moments sont vécus comme une forme de liberté factice pendant lesquels ils se laissent dépasser par leur propre violence, grisés par l’expérience sensorielle de l’agir destructif (Hachette et Huët, 2022). La morale de la fable de Sacha, L’ours et la biche, y fait directement référence. S’ils n’apprécient pas l’idée d’être « submergés par la violence », les renvoyant à une forme de passivité, ils reconnaissent qu’une fois la violence mise en acte, l’intention première de l’instrumentaliser peut être rompue par plaisir. Comme le soulignait Richard, « ce moment où tu tombes, sonné, KO, ou bien où tu vois l’autre s’écrouler, c’est quelque chose d’incroyable ». La violence apparaît comme une expérience immédiate et totale, engageant l’individu dans son entièreté psychologique et physique. On retrouve l’idée, avancée par Huët (2019) dans le cadre de ses travaux sur les émeutes, que la violence constitue une forme de mise à l’épreuve subjective et corporelle. Mais à l’inverse des émeutiers, ici la violence n’est pas sous-tendue par l’énergie de la colère. Elle possède un caractère plus froid, instrumental, proche d’une forme « d’engagement dépassionné et de professionnalisation » observée auprès de combattants syriens parHuët (2021).
On trouve donc chez Abraham, Richard et Sacha une dynamique de subjectivation, mais qui ne s’inscrit pas dans un contexte permettant de comprendre les violences comme des manières d’objectiver une domination politique (Huët, 2019). On serait plutôt tentés de comprendre ces violences comme des manières de résister à des processus de désubjectivation auxquels les confronte l’incarcération : résister à l’idée de devenir les objets des agents pénitentiaires ou des co-détenus, résister à leur propre autodépréciation et aux stigmates du délinquant violent incapable d’accéder à un statut social envié, résister au fait d’être réduits à une violence qui les submergerait.
Conclusion
Les dynamiques de résistance aux processus de désubjectivation qui accompagnent les détenus dans leurs confrontations quotidiennes au monde carcéral, l’importance des dynamiques collectives et les efforts poursuivis pour maintenir un rapport instrumental à la violence, dessinent une forme de subculture de la violence partagée par les détenus en UDV. La méthode de médiation narrative empruntée inscrit la démarche dans une narrative criminology (Sandberg et Ugelvik, 2016) cherchant à comprendre comment la violence en prison s’inscrit dans un « réseau de significations » (Geertz, 1973) formant une subculture spécifique. Malgré les limites propres au caractère fortement inductif de ce type de démarche, celle-ci permet néanmoins de dresser les contours d’une subculture de la violence en prison et de poser un regard critique sur l’idée d’une culture carcérale où domineraient la peur, l’agressivité et les bravades de détenus submergés par leurs accès de violence. En examinant la dimension subjective et sensible du rapport à la violence des détenus, l’analyse invite à une approche intégrée de la violence en prison mettant en comparaison les subcultures et les façons dont elles sont vécues. On y voit l’intérêt de mener des recherches aux méthodologies variées permettant de saisir le caractère multidimensionnel de la violence, d’en expliciter les causes, mais aussi les dynamiques sociopsychologiques qui portent et supportent les subcultures où elle se manifeste.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Université de Strasbourg, UMR 7069 LinCs, 5 All. du Général Rouvillois, 67000 Strasbourg, France.
-
[2]
L’article R224-1 du code pénitentiaire stipule : « Une unité pour personnes détenues violentes constitue un quartier distinct au sein de l’établissement pénitentiaire. Les personnes détenues majeures qui présentent des antécédents de violences ou un risque de passage à l’acte violent, ou ont commis des violences en détention peuvent être placées au sein d’une unité pour personnes détenues violentes si leur comportement porte ou est susceptible de porter atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique. »
-
[3]
Traduction personnelle.
-
[4]
Afin de protéger l’anonymat des personnes, les prénoms ont été modifiés.
-
[5]
En français argotique, le mitard ou cachot désigne une cellule du quartier disciplinaire.
Références
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