La criminologie, en tant que savoir à prétention scientifique, est née à la fin du XIXe siècle. Elle prend naissance dans le mouvement d’émergence des sciences sociales, fascinées par la quantification et la mesure des comportements humains. La science positive du crime et du criminel s’impose dès lors comme l’étude de celui qui contrevient aux normes sociales, mais plus spécifiquement comme l’étude de celui qui représente une menace à la cohésion sociale. Dans les thèses fondatrices de la criminologie, le « criminel » est construit comme fondamentalement différent du non-criminel. Le « passage à l’acte » constitue le critère central de différenciation, mais aussi le symptôme évident d’une anomalie biologique, psychologique ou sociale. Dans un contexte où les effets de l’industrialisation et de la migration croissante (migration urbaine et immigration) requièrent des instruments de gestion et de contrôle des populations reléguées et confinées en marge de la société, la criminologie naissante s’avère sélective : le pauvre, le Noir et l’immigrant sont alors le point de mire d’une « science » qui se doit de participer au maintien de l’ordre social. Science de l’Autre par excellence, un Autre essentialisé par une différence et une infériorité présumées, la criminologie propose des objets interchangeables : passage à l’acte et altérité se superposent, se fondent et se confondent. Le pauvre, le Noir et l’immigrant sont étudiés non seulement pour ce qu’ils font, mais aussi pour ce qu’ils sont. La criminologie participe ainsi de la mise en science d’une frontière entre un Nous collectif défini par sa conformité aux normes sociales, par sa « respectabilité » ou par l’invisibilité de ses illégalismes et un Autre « verticalisé » dans la structure sociale, un Autre qu’il convient de contrôler, de surveiller et de normaliser. Travaillant à partir de populations institutionnalisées, le savoir criminologique s’est érigé sur des fondations partielles en occultant tout questionnement sur les enjeux politiques de la criminalisation des franges sociales les plus vulnérables de la société. Les thèses fondatrices de la criminologie sont remises en cause à partir des années 1960. Un courant critique va rompre avec ces prénotions et ces fondements, pour insister sur le caractère construit de la notion de « crime » et surtout pour dénoncer les prétentions scientifiques d’un savoir s’étant constitué et consolidé à partir de représentations partielles de la délinquance. La rupture paradigmatique qui ébranle les savoirs fondateurs de la criminologie s’opère dans d’autres types de savoirs. Les travaux de Barth sont, à cet égard, déterminants en anthropologie. Insistant sur la nécessité de dépasser le caractère ontologique de l’ethnicité, Barth suggère de s’intéresser aux processus constituant les frontières entre les différents groupes sociaux. Ces travaux donneront une assise théorique importante au mouvement constructiviste et subjectiviste qui traverse la sociologie des relations ethniques et l’anthropologie contemporaine. L’ethnicité n’est plus envisagée comme une qualité observable, matérialisable et repérable, mais bien comme le produit d’un rapport social entre groupes disposant de ressources et de pouvoirs différenciés. Reconnaître le caractère dynamique, fluide et construit des attributs de l’ethnicité ne veut pas nécessairement dire que celle-ci ne comporte aucune dimension objective. La nationalité, l’immigration (et le statut d’immigrant), les identités revendiquées et attribuées forment des données repérables pour l’observateur. D’ailleurs, les articles présentés dans ce numéro permettent de bien comprendre que le fait de s’interroger sur « le construit de l’ethnicité en criminologie » ne fait pas de l’ethnicité une simple vue de l’esprit ; il s’agit plutôt d’une posture critique invitant à intégrer dans l’analyse la diversité des interfaces et des rapports qui structurent les comportements et les identités des acteurs et des institutions. Autrement dit, l’ethnicité constitue une réalité …
Le construit de l’ethnicité en criminologie[Notice]
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Mylène Jaccoud
Professeure
École de criminologie
Université de Montréal
mylene.jaccoud@umontreal.ca