Corps de l’article
« Un vieil habit présenté par un nouveau tailleur[1] ? » : voilà la question que l’on se pose chaque fois qu’un traité juridique est mis à jour par un nouvel auteur. La 5e édition de Théorie des obligations présentée par Catherine Valcke, professeure à l’Université de Toronto, n’échappe pas à cette interrogation. La présente recension vise à y trouver une réponse pour le livre 1 de cet ouvrage qui porte sur les sources des obligations. Mais avant de répondre à la question, il convient de présenter brièvement le livre.
Subdivisé en deux titres, le livre 1 de Théorie des obligations aborde, en 687 pages, les sources de l’obligation. Portant sur l’acte juridique, le premier titre traite essentiellement du contrat ; l’acte juridique unilatéral n’occupe qu’une place accessoire et limitée en nombre de pages et en matière de profondeur de développement. Le sous-titre sur le contrat suit une logique assez classique : on y aborde les conditions de formation du contrat, la sanction des règles relatives à la formation, le contenu du contrat ainsi que les effets particuliers des contrats translatifs de propriété. Cela dit, la question se pose : pourquoi les effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers n’ont pas été étudiés au sein de ce titre ? Abordant les obligations nées des faits juridiques, le second titre du livre 1 étudie la gestion d’affaires, la réception de l’indu et l’enrichissement injustifié. Les obligations nées dans le contexte de la responsabilité civile extracontractuelle ne sont pas traitées ni dans ce livre ni dans l’ouvrage.
Dans un contexte où le plus récent ouvrage général en droit des obligations date de 2018[2], la ressuscitation de Théorie des obligations est réjouissante, d’autant plus que cette oeuvre n’apparaissait plus sur les radars des juristes depuis un certain temps, malgré son importance majeure au sein de la doctrine québécoise. Comment se situe cette nouvelle édition par rapport aux autres éditions ? Après la lecture de cette édition et la comparaison avec celle qui la précède, trois constats s’imposent : continuité, rendez-vous manqué et valeur ajoutée.
Continuité – Le premier constat que nous pouvons faire à la suite de la lecture de cet ouvrage est la continuité par rapport aux éditions précédentes. Ce constat se dégage de la structure de l’ouvrage qui demeure inchangée par rapport à l’édition précédente.
Au-delà de cette observation rapide, une lecture plus attentive du livre confirme notre premier constat. Outre les formulations qui demeurent très souvent intactes entre les deux éditions, force est de constater que, en partageant de façon systématique les thèses de ses prédécesseurs, l’auteure indique son adhésion à leur courant doctrinal[3]. En plus de la continuité dans les prises de position doctrinale, cette nouvelle édition préserve également l’approche historique du livre qui constitue son identité propre. À ce propos, il est possible d’avoir deux lectures des multiples références au Code civil du Bas Canada dans cet ouvrage. Une première lecture nous amène à douter de la pertinence d’évoquer autant le Code civil du Bas Canada plus de 30 ans après son remplacement par le Code civil du Québec. Mais, une seconde lecture nous convainc de l’utilité du choix de garder les références à l’ancien code. En effet, ce choix est amplement justifié au regard de l’approche historique du livre qui le rend unique dans son genre parmi les autres ouvrages québécois en droit des obligations.
Ainsi, plutôt qu’un vice, ce choix de continuité constitue, à notre sens, une vertu permettant la survie d’une oeuvre de doctrine presque oubliée. Changer radicalement la structure et l’approche du livre aurait causé une rupture par rapport aux autres éditions et aurait altéré l’identité propre de l’ouvrage.
Rendez-vous manqués – Cette nouvelle édition est également l’occasion de quelques rendez-vous manqués dont nous mentionnerons trois exemples. Le premier concerne la place du droit de la consommation dans la théorie générale des obligations. Nul ne peut contester son rôle dans l’évolution de la théorie générale depuis la deuxième moitié du siècle dernier. Or, il est dommage de constater l’importance mineure accordée aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur[4]. En effet, le traitement du droit de la consommation n’intègre pas le schéma narratif de l’ouvrage. Il est cité de façon plutôt sporadique. L’absence de référence à la définition du contrat de consommation en vertu de la Loi sur la protection du consommateur est le signe emblématique de cette tendance.
Un autre rendez-vous manqué de cet ouvrage concerne l’absence de développement sur le contrat relationnel. L’idée de l’existence du contrat relationnel en droit québécois avait déjà été effleurée par la jurisprudence[5]. Or, l’affaire Churchill Falls[6] a été l’occasion d’introduire formellement ce concept. On peut donc déplorer qu’un ouvrage majeur sur le droit des obligations ne traite pas ce concept de façon plus profonde et détaillée[7].
Finalement, il est regrettable de constater le peu de développement consacré à l’obligation de collaboration. En effet, la partie sur le devoir de bonne foi se focalise principalement sur l’obligation de renseignement. Or, d’autres obligations implicites peuvent découler du devoir de bonne foi, dont l’obligation de collaboration qui est souvent plaidée par les parties devant les tribunaux[8]. S’agissant d’une nouvelle exploitation du concept de bonne foi dans les relations contractuelles, cette tendance mériterait une place plus importante dans un ouvrage portant sur le droit des obligations.
Valeur ajoutée – Sans l’ombre d’un doute, la plus grande valeur ajoutée de cette édition, qui la rend un outil de travail incontournable pour les chercheurs en droit des obligations, est la mise à jour jurisprudentielle et doctrinale du livre. À cela, on peut ajouter les multiples références aux nouvelles dispositions du Code civil français issues de la réforme de 2016. Nous pouvons également mentionner le travail de réorganisation des paragraphes. Contrairement à la méthode utilisée dans la 4e édition où plusieurs paragraphes étaient regroupés sous un même numéro, chaque paragraphe comporte un numéro dans la présente édition. D’aucuns pourraient croire qu’il s’agit d’un changement mineur et esthétique, mais cette réorganisation rend l’index analytique de l’ouvrage bien plus efficace et performant. Finalement, on peut se féliciter de l’ajout d’un paragraphe sur la reconnaissance récente de la bonne foi en common law et les conséquences potentielles de cette reconnaissance sur le droit civil québécois.
Pour conclure, l’ouvrage présenté par la professeure Valcke n’est pas un vieil habit déguisé en neuf, mais bien un manteau royal mis en valeur par un maître tailleur !
Parties annexes
Notes
-
[1]
Il s’agit de notre traduction d’un vers d’un poème écrit par Rumi, le poète persan du xiie siècle :
« جامه کهنه است ز بزاز نو»
-
[2]
Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2018.
-
[3]
Pour illustrer ce point, nous pouvons citer l’analyse de l’article 1434 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64. Tout comme ses prédécesseurs (Jean Pineau, Danielle Burman et Serge Gaudet, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, no 230, p. 408), la professeure Valcke adhère à la thèse qui rejette l’autonomie de la nature du contrat comme une source d’obligation implicite (p. 404).
-
[4]
Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1.
-
[5]
Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1998] R.J.Q. 47 (C.A.) ; Dunkin’ Brands Canada Ltd. c. Bertico inc., 2015 QCCA 624.
-
[6]
Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46.
-
[7]
Il convient de rappeler que ce concept a été mentionné très succinctement dans la section portant sur les contrats à exécution successive.
-
[8]
Voir notamment : Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, préc., note 6 ; Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 570.