Résumés
Résumé
Collectifs et individus ont sonné l’alarme depuis des décennies pour dénoncer le modèle de développement chilien et les dégradations socio-environnementales qu’il provoque dans le pays. Ce texte aborde comment de petits gestes manuels se multiplient dans divers territoires au Chili, pour faire face à la crise écologique, dans un contexte marqué par la production des industries extractivistes (production de saumons, pins, eucalyptus, fruits d’exportation cuivre, lithium). Cet article vise à mettre en évidence le développement de projets agroécologiques ou en transition agroécologiques au sud du Chili, à Chiloé et dans les régions de l’Araucanía, un territoire historiquement mapuche. Leurs pratiques contribuent à valoriser des savoirs et savoir-faire ancestraux, ainsi que leur transmission, autour de la conservation des semences, l’agriculture familiale et paysanne, l’entraide et l’organisation de collectifs de défense territoriale. Nous nous basons sur une méthode alliant enquête au long court et ethnographie patchwork, basée sur des séjours de recherche courts mais approfondis. Les données sont complémentées par des entretiens. Finalement, ce travail contribue à penser une éthique des soins à travers les projets agroécologiques menées par des femmes au sud du Chili.
Mots-clés :
- éthique des soins,
- agroécologie,
- ethnographie patchwork,
- Chili
Abstract
Communities and individuals have raised the alarm for decades denouncing the Chilean development model and the resulting social-environmental degradation of the country. This article addresses how small manual actions are multiplying in various regions of Chile to respond to the environmental crisis, in a context marked by the production of extractive industries (production of salmon, pine trees, eucalyptus, fruit for export, copper, lithium). This article aims to underscore the development of agroecological projects or those transitioning to agroecology in the south of Chile, in Chiloé and in the regions of Araucanía, historically Mapuche territory. Their practices contribute to promoting and transmitting ancestral knowledge and expertise related to seed-saving, family and peasant farming, co-operation and the organization of territorial defence collectives. Our work is based on a method uniting long-term investigation and patchwork ethnography, based on short but in-depth research stays. Interviews complement the data. Lastly, this work contributes to considering an ethics of care across agroecological projects led by women in the south of Chile.
Keywords:
- Ethics of care,
- agroecology,
- patchwork ethnography,
- Chile
Corps de l’article
Introduction. Alertes en contexte extractiviste
En février 2024, Valparaiso (une importante ville portière) connaît le plus grand incendie jusqu’à alors enregistré dans l’histoire du pays et le deuxième le plus mortel au monde, avec plus de 120 morts humaines, sans compter les pertes non-humaines. La sécheresse et les hautes températures dues au changement climatique, ainsi qu’une mauvaise planification territoriale en termes de gestion des risques, ont provoqué la deuxième catastrophe la plus importante au pays, suite du tremblement de terre de 2010. Les incendies forestiers ont atteint environ 30% de la surface de Valparaíso et de Viña del Mar. Au sud du Chili, ils se multiplient dans les régions de l’Araucanía et Los Lagos, alors qu’elles se remettent à peine des méga-feux de l’été 2023, des régions à forte occupation autochtone. Dans l’Araucanía particulièrement, les plantations forestières matérialisent la continuité des violences coloniales (Alimonda et al. 2011) et capitalistes sur les territoires mapuche : elles menacent la santé du territoire et des êtres vivants et invisibles qui le composent. Depuis les années 1970, le modèle forestier chilien a permis le développement intensif de monocultures (pins et eucalyptus) à grande échelle, principalement dans le sud du pays, avec des espèces à croissance rapide qui fragilisent les territoires. Les transformations des sols des forêts natives en zones de monoculture est l’un des exemples les plus manifestes du modèle extractiviste chilien. Comme le souligne Hector Alimonda (Ibid.), ce dernier est allé de pair avec une subalternisation des régions, en fonction de la production (industrie du saumon, plantation forestière, fruiticulture, mine et lithium, etc.). L’extractivisme est intimement lié à la gestion et à la colonisation des territoires, autant dans ses écosystèmes naturels que de ses populations locales, prolongeant ce que l’auteur a nommé la « colonialité de la nature » (Ibid.).
Ce modèle a été amplement dénoncé par les mouvements activistes, les ONG et les chercheurs et chercheuses tant au Chili qu’à l’international, qui ont donné l’alerte depuis des décennies sur le modèle de développement ultra-libéral chilien et les dégradations socio-environnementales qu’il provoque, notamment la grave crise hydrique à laquelle il fait face.
Les catastrophes naturelles et technologiques, l’extinction d’espèces, les bouleversements climatiques, les crises hydriques, des services écosystémiques, ou encore agricoles, font dorénavant partie des problèmes auxquels se confrontent quotidiennement les individus et pour lesquels se pose la question de la mise en alerte. Ces graves conséquences environnementales s’ajoutent à la vulnérabilité socio-économique de certaines populations.
Cet article explore la manière dont les personnes, dans les différents terrains abordés au Chili, font face et agissent dans un contexte d’extractivisme. Celui-ci repose sur des activités qui extraient d’importantes quantités de ressources naturelles, pas ou peu transformées, et qui sont vendues avec une faible valeur ajoutée, principalement à l’export. L’extrativisme se traduit spatialement au Chili depuis le XIXe siècle et est bien visible sur les terrains ethnographiés, à travers la colonisation d’espaces naturels, comme de fronts pionniers, où règnent les principes de scalabilité de l’économie (Lowenhaupt Tsing 2015). Ces derniers sont très structurants des terrains étudiés, où des acteurs locaux ou nationaux donnent l’alerte, tant pour les humains que pour les non-humains. Depuis une vingtaine d’années, des ONG (Oxfam, Ecoceano, Terram, Chile Sustentable, entre autres) et des collectifs militants dénoncent l’introduction de nouvelles espèces animales ou végétales colonisatrices (saumons, eucalyptus, avocats), l’usage d’OGM, de pesticides ou d’antibiotiques avec peu de régulation, la privatisation du vivant (notamment des semences) ou encore, l’augmentation de conflits socio-environnementaux.
Dans cet article, nous abordons deux cas d’étude au sud du Chili : le premier sur l’archipel de Chiloé, dans la région de Los Lagos ; et le second dans la région de l’Araucanía.
Tout d’abord, nous précisons le cadre théorique à partir duquel nous observons comment les gestes de soin peuvent former un « contre-anthropocène », c’est-à-dire un ensemble de pratiques que mènent des individus et des collectifs, qui répondent d’une manière ou d’une autre à la crise écologique : par exemple, pour atténuer les pénuries d’eaux ou pour réparer les sols pollués par les industries extractivistes.
Nous partageons la notion de soin developpée par Jean Foyer, Julie Hermesse et Corentin Hecquet (2020) : au-delà d’une attention spéciale portée au monde naturel dans le cadre d’activités agricoles; il s’agit aussi de développer des relations sensibles et horizontales entre humains et non-humains, comme les végétaux, l’eau, « généralement invisibilisées car non verbalisées » (Foyer et al. 2020, 94) .
Nous partons de l’éthique du soin pour comprendre la manière dont les individus, essentiellement des femmes, prennent soin des territoires qu’elles et ils habitent, afin de maintenir leur viabilité. Pour cela, l’analyse de deux études de cas situés au sud du pays sert d’illustration. Finalement, la dernière partie traite des difficultés rencontrées par les femmes pour mener leurs projets agroécologiques.
Donner l’alarme
« Donner l’alarme » peut emprunter différentes voies que nous souhaitons explorer ici. Selon Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz (2019), elles peuvent se décliner selon quatre régimes d’énonciation : « effondrement », « technocentrisme », « adaptation et régulation », mais aussi sous des formes plus alternatives nommées par les auteurs « pluralité des contre-anthropocènes ». Nous explorons ici cette dernière à partir de différentes modalités d’enquête.
Depuis les questions environnementales explorées dans cet article, l’Anthropocène renvoie, au moins, à trois idées. Premièrement, le concept d’Anthropocène, tel que proposé par Donna Haraway, nous conduit à un futur imaginaire dans lequel il existe deux alternatives : les solutions technocratiques de géo-ingénierie ou l’échec face aux crises climatiques (Haraway 2016, 56). Deuxièmement, l’Anthropocène est aussi considéré comme un opérateur de totalisation ou un fédérateur de causes, dans des environnements et des modes de vie hétérogènes (Chateauraynaud et Debaz 2019). Troisièmement, ce concept nous permet de nous interroger sur la manière dont les gouvernements ont laissé prospérer l’extractivisme et le productivisme, qui sont à l’origine des crises écologiques.
Quant aux réponses humaines à l’Anthropocène qui cherchent à faire face aux effects des désastres des crises écologiques[1] : aussi efficaces soient-elles, elles ne permettent pas pour autant d’agir sur les causes. Elles constituent des formes de compensation partielle qui peuvent être d’autant plus controversées qu’elles comportent des incertitudes. Certaines viendraient d’ailleurs renforcer une vision « déterritorialisée » et « dépolitisée » des enjeux écologiques (Bonneuil et Fressoz 2016). Dans ce travail, nous abordons des réponses humaines qui ne cherchent pas nécessairement à renverser les effets de la crise climatique dans chaque geste, mais davantage à (re)nouer des liens avec les territoires habités. À partir de ces territoires, les individus et collectifs rencontrés resignifient leurs pratiques, s’organisent et politisent des causes pour lesquels ils se mobilisent.
Dans un contexte délétère, quelles sont les stratégies mises en oeuvre pour alerter (Chateauraynaud et Torny 2005) ? Comment sont pensées et mises en oeuvre des formes de réparation des environnements dégradés ? De quelle manières et par qui se développent des résistances qui peuvent s’instituer ou être portées à bas bruit ?
Les réponses citoyennes pour affronter la crise écologique peuvent prendre différentes formes : technologiques, manuelles, collectives, individuelles, locales. Nous souhaitons ici documenter et comparer deux formes d’alerte qui nous amènent à porter attention à la réparation. On retrouve ici deux des axes de Chateauraynaud et Debaz : celui, d’une part, de la régulation mise en oeuvre par des ONG dans un pays où le rôle de l’État est faible ; et d’autre part, le rôle des actrices et acteurs alternatifs individuels, familiaux ou réunis en petits collectifs qui portent vigilance, s’engagent dans des actions concrètes, locales, souvent en toute discrétion et avec peu de capitaux économique et symbolique.
Dans le premier cas, lancer l’alerte est la base des organisations, des associations, des ONG et des activistes écologistes qui mènent des activités de plaidoyers, portées à l’échelle nationale ou internationale. Ces structures ne sont pas forcément issues des territoires locaux concernés par les crises, mais elles se mobilisent pour faire valoir et reconnaître des droits (communautés autochtones, défense des humanités environnementales, causes pour les animaux ou les territoires, etc.), elles peuvent soutenir la mise en place des dispositifs de protection de l’environnement et des formes de cohabitation entre des systèmes productifs différenciés. Citons, par exemple, le développement de dispositif international tel que le Système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM), les aires marines protégées, les réseaux et coopératives pour la production agroécologique, la mise en place de marchés paysans ou encore la dénonciation des pratiques polluantes des entreprises extractivistes.
Dans le second cas, des individus ou des collectifs portent des projets de réparation des territoires qu’ils habitent. Leurs actions sont concrètes mais moins visibles et relayées institutionnellement. Elles sont portées par la prise de soin directe de la nature et des êtres humains qui les accompagnent. Elles valorisent des savoirs et des savoir-faire, ainsi que leur transmission, par exemple, autour de la conservation des semences, de l’agriculture familiale, de l’entraide, de l’organisation de collectifs de défense territoriale et de la récupération de l’eau pour l’irrigation de la terre.
Dans les deux cas, que ce soit celui de la régulation, de la vigilance et des actions à bas bruits, ces actrices et acteurs, et ces collectifs rendent compte d’une éthique du soin, développée sur la base de pratiques qui ouvrent l’espace domestique et territorial aux sphères publiques de la micropolitique (Bolados García et al. 2017).
L’éthique du soin implique la recherche d’une réparation et des interventions multiples pour maintenir l’équilibre des territoires. La notion de réparation n’est pas utilisée dans un sens d’intervention techno-centrée coloniale, mais se base plutôt sur une connexion avec la littérature féministe sur le soin (Laugier et al. 2015) qui peut s’apparenter à des actions de régénération (Prévost 2021). Nous entendons la « réparation » au sens où les actrices et acteurs, et les collectifs réhabilitent, ou tentent de réhabiliter, ce qui est fragilisé, dévalorisé ou détruit. Ainsi, la réparation par les « petits gestes » est une forme de contre-anthropocène puisque les actrices et acteurs, et les collectifs répondent par des actions concrètes à la crise écologique. Il est aussi question de panser/penser des relations affectives, symboliques, culturelles, comme c’est particulièrement le cas dans un contexte autochtone.
Les pratiques de soin que nous étudions renvoient ici à des activités féminines salariées, bénévoles, domestiques et quotidiennes, qui sont peu visibles et peu reconnues, incluant l’entretien des jardins potagers, l’éducation des enfants ou encore la prise en charge des personnes vulnérables. Le soin suppose une vigilance et une assistance indispensables pour le maintien des territoires et des liens sociaux. Il est à la fois oeuvre de maintenance (Denis et Pontille 2022) et obligation éthique (Puig de la Bellacasa 2015). Si on applique la notion de soin à l’environnement, on désigne alors les pratiques individuelles ou collectives qui visent à prendre soin de la terre, d’espèces et d’espaces menacés par des activités anthropiques (Puig de la Bellacasa 2015 ; Prévost 2021). De fait, cela intègre et dépasse les seuls intérêts et accomplissements humains. Il permet de saisir à la fois des interventions réparatrices formelles, notamment en matière de restauration des écosystèmes et des formes d’action plus personnelles, avec l’exemple du maintien de la biodiversité agroalimentaire sur un micro-territoire et de la disponibilité d’eau. Ainsi, la notion de réparation est liée dans nos terrains aux « hypo-interventions », c’est-à-dire, les pratiques de soin modestes appliquées aux environnements dégradés (Tironi 2018).
Méthodologie
Notre méthodologie est plurielle : des entretiens avec des actrices et des acteurs clés, associés à des périodes d’observation ethnographique de plus ou moins longue durée. Nous avons également réalisé une ethnographie multi-située et « patchwork », telle que proposée par Gökçe Günel et ses collègues (2020), basée sur des séjours de recherche courts mais approfondis, utilisant des données fragmentées, mais rigoureuses, tout en maintenant des engagements à long terme.
L’ethnographie patchwork est une approche méthodologique et théorique de la recherche ethnographique, qui s’interroge sur la façon dont les conditions de vie et de travail changeantes d’aujourd’hui transforment de manière irréversible la production de connaissances (Günel, Varma, et Watanabe 2020). Comment faire, dans le monde d’aujourd’hui et dans le cadre d’universités évoluant toujours plus vers une production scientifique libérale, de l’ethnographie « classique » ? Comment concilier le travail universitaire (cours, gestion administrative, suivi des étudiants, recherches, etc.), la vie de mères, de doctorantes et doctorants non financés, avec de longs séjours sur le terrain ?
Nous avons mené ces ethnographies grâce au soutien d’un programme de recherche financé par l’Agence nationale pour la recherche et le développement (ANID) du Chili et le Comité d’évaluation et d’orientation de la coopération scientifique avec le Chili (ECOS) du gouvernement français. Ce programme d’échange et de collaboration scientifique attribue environ six mille euros annuellement (pendant trois ans). Il engage des chercheurs et doctorants français pour faire des terrains de 15 jours au Chili et vice-versa[2].
Les ethnographies traitées ici portent sur les activités agroécologiques, potagères, permaculture, de formes d’agriculture considérées comme soutenables, c’est-à-dire, portant une vision systémique et englobante de l’agriculture (économique, écologique, sociale, culturelle, etc.). L’agroécologie est considérée comme un ensemble de pratiques et de mouvements politiques qui s’opposent aux modes de développement agro-extractivistes et constituent une condition pour des modes de ré-existence dignes (Hillenkamp et al. 2013). L’agroécologie est devenue aujourd’hui centrale à la compréhension de la constitution des milieux étudiés et implique une relation de soin réciproque entre les mondes humain et non-humain, entre les habitants et les territoires dégradés. Il s’agit de saisir les prises de part des individus pour la viabilité et l’habitabilité du monde (Blanc et al. 2022), ainsi que leur engagement vis-à-vis de la réparation des environnements dégradés à travers une éthique du soin quotidien (Bolados García et al. 2017).
Dans cet article, les lieux et les noms des personnes sont anonymisés pour respecter des espaces de vie et des conditions socio-politiques complexes pour les peuples autochtones[3]. De plus, tous les extraits d’entretiens présents dans cet article ont été traduits par nos soins, depuis l’espagnol.
À partir des cas empiriques, nous analysons la notion de soin entendue comme un ensemble d’activités qui soignent et réparent les liens sociaux et ceux avec les territoires humains et non humains, pour favoriser une « coviabilité socio-écologique » (Barriere et al. 2019). Cette notion de « coviabilité met en résonnance les liens, les relations et les interdépendances entre environnements et autres entités » (Ibid). Elle vise à se défaire d’un capitalisme dérégulé et des processus de marchandisation écologique, pour développer des projets qui portent soin aux êtres humains comme aux non humains.
Dans la partie suivante, nous présentons les analyses tirées de nos études de cas respectives, situées sur deux régions d’extractivisme intense.
Sur l’archipel de Chiloé, des enquêtes menées depuis 1994 avec des séjours de dix jours à un mois tous les deux ou trois ans ont permis de suivre au long court les transformations socio-économiques et environnementales de l’archipel. Dans cette période sont étudiées les transformations d’un monde rural face au développement industriel de la salmoniculture dont le Chili est le deuxième producteur mondial. À la suite des crises salmonicoles des années 2000-2010, l’exploration se déplace vers le renouveau du travail agricole. Ainsi, les enquêtes récentes portent sur l’installation de fermes agroécologiques, la construction du Système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM), valorisant des produits locaux autour du développement d’un label et le développement discret d’une gouvernance alimentaire territoriale avec la constitution d’espaces collectifs (interface entre les producteurs et productrices, formation, création de lieux de vente en circuits courts). Les enquêtes sont réalisées à partir d’entretiens individuels ou collectifs, avec des syndicalistes, des ONG locales et nationales, des paysans et paysannes, et des responsables de projet, oeuvrant pour la transmission du patrimoine local.
Notre deuxième étude de cas se situe sur le territoire ancestral, appelé Wallmapu par les Mapuche, le peuple autochtone le plus nombreux du pays. Les revendications mapuche se concentrent sur l’autodétermination, sur les droits politiques et culturels, mais aussi territoriaux. Depuis la fin des années 1990, en particulier, les plantations forestières sont au coeur de ce qui est connu comme le « conflit mapuche », opposant des communautés autochtones, à l’État chilien, et son implication historique dans la perte de territoire autochtone. Les plantations forestières sont concentrées à 50% dans les régions de l’Araucanía et le Biobío (Instituto Forestal 2023), dont la moitié est possédée par trois entreprises. Pour les communautés mapuche, la perte de biodiversité physique engendrée par le remplacement d’espèces exotiques est aussi liée à la limitation des usages culturels et spirituels liés aux écosystèmes endémiques. Enfin, depuis les années 2000, l’Etat utilise de manière démesurée des outils législatifs pour réprimer les actes de résistance et criminalisent les demandes de justices des communautés (Le Bonniec 2003).
C’est sur ce territoire que les autrices de l’article ont mené une enquête patchwork, principalement de manière collective avec la réalisation de huit entretiens, de nombreuses visites sur le terrain et des observations entre novembre 2022 et juin 2023. Dans la région de l’Araucanía, nous avons rencontré des femmes qui participent à des réseaux de ventes de produits agroécologiques, des agricultrices et huerteras, c’est-à-dire des femmes qui travaillent dans leurs jardins potagers quotidiennement. Les huerteras peuvent se distinguer des agricultrices dans la mesure où les premières ne vivent pas nécessairement de la vente de leurs produits, s’agissant davantage d’une activité d’autosubsistance.
Nous avons rencontré ces femmes à partir de différents contacts d’ONG et réseaux d’activisme agroécologique. Par ailleurs, la doctorante de l’équipe, Mélanie, a réalisé des séjours de terrain plus longs, de deux mois (quatre terrains à ce jour), à différentes saisons de l’année, financés par ses propres moyens, entre 2021 et 2024. Elle a mené des observations participantes des activités quotidiennes, agricoles et politiques au sein d’un réseau de femmes mapuche mobilisées autour de la défense de la souveraineté alimentaire dans la région. Elle a rencontré ces femmes à plusieurs reprises, afin de valider sa présence sur le terrain et de s’engager dans un travail basé sur la continuité des échanges et la confiance mutuelle. Les femmes de ce réseau sont majoritairement âgées d’une cinquantaine d’années. Elles sont mères de famille, sans travail salarié fixe pour la majorité d’entre elles, et ont comme principale source de revenus la vente d’artisanat et de produits agricoles qu’elles cultivent sur leurs terres. Certaines ont un travail salarié à mi-temps, ou de manière saisonnière. La plupart d’entre elles ont un parcours militant, que ce soit pour un parti de gauche ou syndicat pendant la dictature[4] puis depuis le retour à la démocratie, en local (associations mapuche, instances communautaires, etc.). Le groupe est composé d’un noyau actif de moins de dix femmes, tandis que d’autres ne sont engagées que ponctuellement. Ce travail est complété par des entretiens semi-structurés et des trajectoires de vie de femmes clés du réseau ou de personnes liées à celui-ci, rencontrées au gré des réunions territoriales et nationales, telles que des femmes d’autres collectifs et des actrices de l’agroécologie dans le pays, ainsi que des entretiens avec des agents d’institutions publiques.
Une agriculture locale à Chiloé dans un contexte extractiviste
Béatrice mène ses recherches sur l’archipel de Chiloé depuis plusieurs années, où il a été possible de rendre compte du passage d’une société rurale traditionnelle, basée sur la pêche artisanale et le modèle de minifundio (parcelle de production à petite échelle avec une agriculture de subsistance), à une société locale en prise avec l’agro-industrialisation massive du saumon et de l’eucalyptus (Maurines 2000). Le réseau des personnes interrogées constitué par la chercheuse, grâce à la technique de « boule de neige », a été corroboré par l’analyse de la documentation locale sur les questions agricoles.
L’activisme s’est d’abord structuré dans l’archipel autour de la crise salmonicole par des ONG lanceuses d’alerte, nationales (par exemple, ECOCEANOS, Oceana ou la Fondation Terram) et internationales (dont OXFAM et Greenpeace) qui ont permis la constitution d’un espace public de contestation, autour des changements radicaux vécus sur l’archipel et des crises sanitaires, sociales, économiques et environnementales qu’elle traverse (Maurines 2000).
L’activisme a permis de rendre visible l’inviabilité de l’industrie salmonicole locale. Il a pris des formes différenciées suivant les ONG, allant de la constitution de label pour la production de saumons, à la réflexion sur la création d’aires de conservation maritime, ou par la constitution de plaidoyers auprès d’actionnaires des entreprises multinationales présentes dans l’archipel et l’interpellation de l’Etat chilien. Les ONG ne se sont pas mobilisées sur un possible retour à la terre des paysannes et paysans devenus ouvriers d’exécution des entreprises de pisciculture.
L’association « Canelo de Nos[5] » de Chiloé, a accompagné, à partir de principes d’éducation populaire, la reconnaissance des droits des salariés des entreprises salmonicoles et des savoirs locaux. L’agriculture chilote a été et demeure principalement celle d’une petite agriculture familiale souvent de culture mapuche, d’habitants de longue date, ou encore par des néo-îliens en quête de nouveaux modes de vie.
Certaines personnes salariées dans le domaine salmonicole ou travaillant dans diverses entreprises locales ont fait le choix de retourner vivre de la terre familiale et d’affronter les effets des crises environnementales et économiques. Les habitants concernés se sont organisés pour subvenir à leurs besoins alimentaires, d’autant que nombre d’entre eux se sont retrouvés sans emploi et sans indemnité. Les cas d’étude ont montré que les projets agroécologiques se développent à l’échelle des parcelles familiales préexistantes ou acquises à plusieurs membres de la famille (nucléaire ou élargie). Il s’agit explicitement pour les personnes concernées de réparer les méfaits du capitalisme outrancier qui sévit sur l’archipel en favorisant la réémergence d’une agriculture traditionnelle locale, basée sur l’autosubsistance de la communauté et sur le développement de circuits courts : vente à la ferme, aux marchés, dans les supérettes ou espaces collectifs dédiés à la valorisation touristique des produits locaux.
Une autre organisation, le Centre d’éducation technique de Chiloé, a privilégié l’articulation de différentes échelles territoriales avec la constitution d’un Système ingénieux du patrimoine agricole mondial (SIPAM). Il s’agit d’un dispositif d’action publique de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui vise une mesure conservatoire des paysages, des savoirs et savoir-faire locaux, ainsi qu’un outil de développement local (Maurines 2016) au service de la prise de soin des êtres humains comme des non humains. La labellisation s’appuie sur cinq critères cumulatifs : 1) la sécurité alimentaire ; 2) le choix d’une agro-biodiversité ; 3) les savoirs locaux et traditionnels, les cultures ; 4) les systèmes de valeurs et les organisations sociales spécifiques ; et 5) l’inscription dans des caractéristiques de paysages terrestres et marins remarquables.
Le SIPAM de Chiloé,[6] permet aujourd’hui à des agricultrices et aux agricultrices de faire valoir les savoir-faire locaux et de commercialiser localement ou nationalement les produits de leurs récoltes, à partir d’une agriculture plus écologique.
Dans un contexte d’environnements dégradés, affectés par les production intensive (aquaculture, élevage ovin, monoculture forestière), se sont le plus souvent des femmes qui oeuvrent dans ces projets agroécologiques. Si elles en sont les cheffes d’orchestre, elles travaillent aussi en réseaux et sont accompagnées sur leurs terres par leur famille (parents, conjoint, enfants). Ce sont souvent sur elles que s’appuient les projets de labellisation en agriculture biologique et/ou SIPAM. Elles portent une grande attention à la nécessité de former de nouvelles personnes à leurs savoirs et savoir-faire pour assurer le développement de leurs réseaux et les rendre visible. Pour cela, elles mettent en place des ateliers de formation sur des savoirs techniques, se forment entre elles et avec l’appui d’institutions locales ou nationales. Il s’agit pour ces femmes de favoriser le renouvellement d’une habitabilité du territoire, tenant ensemble les dimensions écologique, sociale et économique, en réactualisant les manières de travailler la terre. Les femmes enquêtées ont en commun la recherche de nouveaux modes de vie et de travail qui fassent sens pour leur existence (Pruvost 2021, 2024). Ici, entre en jeu la pluralité des contre-anthropocènes (Chateauraynaud et Debaz 2019) qui structurent des micro-mondes dans l’archipel autour de pratiques agroécologiques et de circuits courts alimentaires à l’échelle locale.
C’est ainsi que Lucía, une agricultrice à Ancud, a développé un projet familial où elle prend soin de sa famille et de l’environnement, en respectant la terre qu’elle travaille et en se servant des dispositifs d’action publique, comme le SIPAM, pour innover dans sa ferme. Ses compétences sont aujourd’hui validées par diverses décorations institutionnelles. Elle explique qu’elle s’est installée avec ses parents il y a dix ans. Ils ont commencé à construire petit à petit leur maison à la campagne, depuis la ville d’Ancud. Ils cultivent aujourd’hui dix hectares en polyculture élevage agroécologique sur des terres jouxtant le bâtiment d’habitation qu’ils ont construit. « Dans la famille, on est d’origine paysanne de génération en génération, c’est génétique chez nous ! », explique-t-elle. Elle ajoute que la décision du travail agricole a été motivée par l’objectif de :
revenir à un mode de vie plus sain, pour chacun des membres de la famille investit dans le projet, de revenir à ce que faisait nos ancêtres et développer un projet d’agro-tourisme basé sur l’agroécologie et d’aussi aller vers l’agriculture biologique certifiée, avec les outils qui sont à notre disposition, tel que le réseau SIPAM et sa certification.
Figure 1
Au sein de la ferme, la famille a une production diversifiée qu’elle adapte à la terre chilote, mettant en place une polyculture-élevage (poules, cochons, quinoa, maraîchage, petits fruits). Tous leurs produits sont certifiés en agriculture biologique par le Service agricole d’élevage chilien (Servicio Agricola Ganadero, SAG) qui permet « l’autoconsommation de nos produits et de nourrir bien le territoire ». Elle réunit dans la grande salle de la ferme dédiée à la restauration et à la pédagogie des collectifs paysans pour des formations qu’elle organise sur différents thèmes (surtout autour du quinoa), et réalise aussi des dégustations sur place et des activités d’agrotourisme : « C’est ce qui nous sauve car c’est ce qui fonctionne toute l’année. » (Figure 1)
Dans une autre ferme agroécologique de Chiloé, on retrouve une dynamique similaire en allant à la rencontre d’une famille mapuche dont les parents ne sont jamais partis de la ferme et qui ont été rejoints par deux de leurs enfants. Ces derniers ont eu des expériences de travail salarié dans une ville de l’archipel et ont souhaité revenir au travail agricole dans les années 2010. Pia a choisi de changer de métier, après avoir travaillé dans une pharmacie en ville et en a « eu assez de servir les autres, ce que je faisais ne m’intéressait pas ». Elle a grandi à la campagne et voulait aller en ville pour découvrir un autre monde : « Je ne voulais pas travailler la terre comme mes parents ; puis, je me suis rendue compte que ce que je faisais en ville ne me mobilisait pas, que c’était important d’être autonome, de s’occuper du monde dans lequel on vit ». Elle vit aujourd’hui dans la ferme familiale, où de nouveaux bâtiments d’habitation ont été construits, et elle a mis en culture avec son frère des terres qui n’étaient pas exploitées par ses parents. La ferme comporte aujourd’hui 30 hectares de terres jugées « fertiles ». Il s’agit pour Pia de poursuivre le travail de sa mère qui a réintroduit la fraise à Chiloé, où celle-ci pousse très bien. « Ma mère a eu de belles idées pour essayer de sortir des ravages produits par l’extractivisme permanent ici avec les eucalyptus et le saumon ». Pour son installation sur la ferme familiale, elle se doit, avec son frère, de développer de nouveaux projets agroécologiques afin que la ferme soit viable sur tous les plans (travail, écologie et économie), et ainsi permettre de cohabiter avec plusieurs unités familiales. Frère et soeur montent un nouveau projet pour la production agricole et l’élevage qui s’accompagne, pour Pia, d’une initiative basée sur l’agritourisme dont elle assume la responsabilité. « On porte un grand soin aux animaux et à ce que l’on plante, et cela fait du bien aux animaux. On veut participer à faire revivre les savoir-faire de nos parents et les associer à de nouvelles manières de faire… Regarde comme le chat à l’air content ici [il dort sur un potiron, au soleil, derrière la fenêtre] ». Avec sa famille, Pia et son frère innovent, font des essais, utilisent les ressources du territoire (la forêt pour le broyat, l’humidité du climat), ainsi que la terre et l’eau disponibles. Ils réfléchissent aux usages des parcelles non exploitées et accueillent des touristes intéressés par la découverte des modes culturales (visite de la ferme) et culinaires chilotes (repas à la ferme et chambre d’hôte). Pia est fière que leur ferme soit l’une des premières à lancer ce type de projet à Chiloé, dans les années 2010, en conséquence des préoccupations environnementales. « Il ne s’agit pas tant de revenir au passé, mais de savoir en prendre acte et d’avancer pour un rapport à la terre et aux autres qui nous donnent du bien-être ». Pia insiste aussi sur le fait qu’« on n’est pas au temps de nos grands-parents, si on veut se nourrir et vivre de notre travail, nourrir nos voisins [et] le territoire, on travaille avec des outils qui nous facilitent le travail [par exemple, un tracteur, un ordinateur ou internet] ; nous ne sommes pas des bêtes de somme ». Lucia confirme ce propos en disant qu’il n’est plus possible aujourd’hui de travailler sans un minimum de mécanisation.
Les deux femmes, qui sont respectivement propriétaires de leur bien foncier agricole, ont participé activement à la constitution du label SIPAM au niveau national et local avec l’appui des techniciens du territoire qui portent ce dispositif d’action publique.
Les femmes et leurs familles participent au renouveau du paysage alimentaire local : production agroécologique dans les fermes avec des modes de commercialisation en circuits ultra-courts (vente ou restauration à la ferme) ou en circuit-courts (ventes aux marchés, aux restaurants, aux magasins locaux ou à Santiago) aujourd’hui valorisés en agriculture labellisée (Bio/SIPAM).
La visibilité des actrices et des acteurs enquêtés est liée aux associations locales qu’elles font émerger sur le territoire en s’appuyant sur ces dispositifs. En ce sens, le SIPAM et de labellisation en agriculture biologique, ainsi que les ONG, participent à la régulation et à la visibilité des projets agroécologiques pendant que les actrices et les acteurs individuels et familiaux s’engagent discrètement dans des actions locales concrètes.
Agriculture familiale, défense des semences et revalorisation mapuche dans la région de l’Araucanía
Dans la région de l’Araucanía, l’enquête a été menée auprès de femmes engagées dans des activités agricoles à petite échelle, depuis leurs potagers familiaux. Ces potagers participent à l’alimentation variée des familles et à la commercialisation des produits qui en sont issus dans des marchés locaux.
Contuhue est l’une des communes rurales les plus pauvres de la région de l’Araucanía. L’utilisation des sols est principalement dédiée aux plantations forestières (40%) et aux prairies (30%) pour l’élevage de bétail (selon le plan de développement de la commune). Le réseau de femmes de Contuhe est un réseau informel, autogéré et composé d’une dizaine de femmes âgées de 30 à 60 ans. Celles-ci vivent dans différentes communautés mapuche de Contuhue. Le réseau est affilié à l’Asociación Nacional de Mujeres Rurales e Indígenas[7] (ANAMURI, Association nationale des femmes rurales et autochtones), une organisation nationale militante qui rassemble, depuis près de 25 ans, des femmes rurales et/ou de différents groupes autochtones de tout le pays.
Le réseau de Contuhue, a été créé par Rayen, une femme très active depuis les débuts d’ANAMURI pour défendre les semences et la souveraineté alimentaire, pour créer un réseau de soutien et d’entraide entre les femmes mapuche rurales d’un même territoire, qu’elles aient ou non un potager productif. Comme l’explique Rayen, il s’agissait de s’organiser localement dans la continuité d’ANAMURI, mais à partir de leurs propres spécificités et besoins.
C’est principalement grâce à Rayen et ses connaissances sur le territoire, qu’il nous a été possible de rencontrer d’autres femmes du réseau et en dehors, afin de mieux comprendre leurs pratiques agricoles et leurs motivations à s’engager pour défendre la souveraineté alimentaire.
L’un des premiers potagers visités est celui de Julia, qui appartient aussi au réseau (Figure 2). Elle vit dans une communauté assez éloignée de la ville de Contuhue. Le transport, presque inexistant depuis sa maison, complique les déplacements et l’engagement de Julia dans le réseau. L’esthétisme de son potager contraste immédiatement avec les monocultures forestières environnantes : un « désordre » joyeux et vivant qui suit pourtant une logique, selon elle. Une amie du réseau, qui accompagne la visite, souligne : « Tu vois, ça c’est de la résistance ! », lançant un regard vers les rangées de pins et d’eucalyptus. Julia nous emmène faire le tour de son potager : comme la majorité des potagers mapuche, il s’agit d’un petit espace accolé à la maison, diversifié et aux multiples fonctions (nourricier, économique, médicinal, spirituel, etc.). Il est clos, pour éviter l’entrée des animaux.
Julia nomme chaque plante, souvent par leur nom vernaculaire mapuche, et les usages alimentaires et médicinaux qu’elle en fait. Elle ponctue sa visite d’histoires de famille, de recettes, montre ici, un haricot pallar, une variété ancienne qu’elle reproduit chaque année depuis une graine transmise par sa mère. La famille cultive du blé pour faire son pain, aliment essentiel de la diète mapuche. Elle produit également du miel, du vin et élève des animaux. L’hiver, les aliments de garde lui permettent de limiter les achats de denrées pour sa famille de quatre personnes. Elle est ainsi presque autonome toute l’année. « C’est une question de survie. On ne gagne pas assez pour acheter de la nourriture et la ville est trop loin », précise Julia. Elle occupe son activité potagère à temps plein, en plus des activités domestiques, de l’éducation de ses deux enfants et du soin prodigué à ses parents âgés.
Comme Julia, beaucoup de femmes interrogées parlent du potager comme d’un espace intime, un « champ à soi » pour reprendre le concept de Bina Agarwal (2012).[8] Comme Julia, les femmes associent le potager à un lieu de tranquillité, où elles vont « le soir, pour désherber, ne penser à rien, écouter les oiseaux, être seule ». En ce sens, le potager est autant au centre de l’espace domestique qu’en dehors, puisque dans le potager, « je ne pense plus aux problèmes, ici c’est mon chez moi », comme le souligne Elena, une autre femme du réseau.
Le « jardin thérapie », comme il est souvent appelé en entretien, est cet endroit où les femmes participent à l’équilibre naturel du lieu, et par réciprocité, où elles prennent soin d’elles. La terre est souvent personnifiée dans les échanges, les plantes sont « tristes », parfois « elles aiment » les soins qu’elles reçoivent, créant ainsi une relation affectueuse et intime entre les femmes et ce qui compose leur potager.
Au sein du réseau, certaines femmes n’ont pas la possibilité de développer un potager aussi productif que celui de Julia, entre autres, en raison de la multiplicité de leurs activités reproductives et militantes. Au moment de notre visite, Rayen propose à Julia de prendre le rôle de « multiplicatrice » de semences, compensant ses absences lors des réunions et sa participation moins « militante », une manière de la maintenir active dans le réseau. Comme dans le cas de Chiloé, il s’agit de participer de fait aux modes alternatifs à bas bruit, de « faire » plutôt que se positionner sur un registre de lanceuse d’alerte, de construction de plaidoyer. Certaines ont un rôle plus engagé que d’autres, sont des actrices politiques dans les luttes locales mapuche, dans celles de l’association ANAMURI, et participent aux alertes lancées[9]. D’autres sont plutôt engagées au niveau familial et communautaire, mais viennent compléter les actions des premières. Au sein du réseau, les unes ne vont pas sans les autres et toutes sont valorisées de la même manière.
L’activité la plus régulière du réseau est la cérémonie de troc, le trafkintu. Ce troc peut être analysé comme à la fois un outil de revalorisation de l’identité autochtone mais aussi comme un outil de résistance face à un modèle économique néolibéral. Le trafkintü est un lieu propice pour rendre visibles les savoirs, pratiques et les expériences de ces femmes, en lien(s) intime(s) avec leur territoire. Au-delà de l’échange de plantes et semences, il s’agit de partager des mémoires familiales et territoriales et de renforcer les liens de solidarité. L’éthique du soin familial et communautaire s’associe à un soin pour soi et un soin entre femmes.[10] Enfin, pour les femmes du réseau, le trafkintü et leurs ateliers d’apprentissage mutuel, sont des espaces qui participent à leur politisation. Comme le souligne l’une des membres du réseau « on apprend à faire des confitures et après, on parle politique ».
Figure 2
En effet, les trafkintü sont aussi été des moments de partage d’informations et d’organisation politique, par exemple, celle d’une marche contre le traité Transpacifique (TPP11) ou encore, de discussions autour du projet de réécriture de la Constitution, en 2022. Dans ce cadre, les femmes formulent des critiques dirigées à l’encontre du modèle de développement sur leurs territoires, qui est souvent qualifié d’« invasion », de « saccage », faisant fréquemment allusion à une forme renouvelée de colonisation. Ainsi, elles reprennent aussi un cadre discursif militant ou universitaire, comme celui des « zones de sacrifices » (Bolados García et al. 2017).
Une femme de Contuhue s’interroge : « Combien de familles Mapuche qui ont planté du pin et de l’eucalyptus ont vécu un grand développement économique ? Nous avons le devoir de dénoncer cette situation ». L’éthique du soin s’articule aussi avec des préoccupations quant à la santé des sols, des semences, des potagers et de la vie. Les femmes rencontrées se sont aussi mobilisées contre un projet de construction de méga bassines, destinées à l’irrigation d’une future monoculture fruitière, dédiée à l’exportation.[11] Elles montrent la complémentarité de leurs actions : à l’échelle communautaire et familiale, en recréant des liens à la terre, au territoire et à travers des gestes de soin ; et en tirant l’alarme, quand c’est nécessaire, pour dénoncer les violences extractivistes perpétrées sur leurs territoires.
Ana, une femme dans la cinquantaine, est originaire du secteur de Catripulli, à environ 130 kilomètres de Temuco. Elle explique les difficultés qu’elle a rencontrées pour commercialiser ses produits. Elle a dû s’occuper de son jeune frère, lors de la mort de sa mère, puis de sa soeur et enfin de son père qui est assez âgé. Dans ce contexte de soins qu’elle a dû porter à sa famille, elle a été contrainte de quitter la ville avec son mari et ses enfants, pour retourner à Catripulli, où sa famille avait une parcelle de terre. Ana se souvient : « Pour moi, c’était un pas en arrière de revenir ici. Ici, c’est bien une fois que vous êtes établis, mais vous travaillez aussi beaucoup : je me lève à 6 heures du matin pour m’occuper des poules, faire ceci, faire cela, donner le petit déjeuner, faire de tout… ».
L’idée de « revenir » sur le territoire, est mise en question par plusieurs femmes interrogées. Les entretiens à Chiloé montrent que derrière l’idée du « retour à la terre », il y a une volonté de reprendre les activités menées par les ancêtres et de retrouver un mode de vie plus sain, associé à la campagne et à des relations sociales plus riches. Le cas d’Ana montre que son retour n’était pas son choix, mais qu’à partir du moment où elle a commencé à travailler la terre, elle a resignifié les pratiques familiales.
Une fois revenue sur les terres familiales avec sa famille, Ana décide de faire un jardin potager puisque « ma mère le faisait ». Comme elle le souligne, c’est une charge de travail lourde, cumulée à des activités rémunérées qu’elle occupe occasionnellement (comme la couture). Elle ajoute : « Nous nous sommes it : nous ne pouvons pas continuer à acheter les légumes qui sont là-bas, ils passent par je ne sais combien d’intermédiaires […], alors que nous nous avons cet espace […] et nous avons commencé à faire un jardin potager ». Bien qu’Ana ne fasse pas partie d’un collectif structuré, elle visite quotidiennement ses voisines et, avec d’autres femmes du secteur, elles organisent des rencontres pour parler des potagers, échanger des semences, faire des activités manuelles et apprendre mutuellement. Ces femmes se sont auto-organisées, car elles ne font pas confiance au maire de la municipalité. Elles ont reçu le soutien institutionnel du Ministre de l’agriculture qui est venu une fois à Temuco (elle ne précise pas la date ni le nom du ministre car elle ne se souvient pas « Je ne me souviens pas du nom, mais c’était le précédent, avant la pandémie. »[12]). Elle explique, en faisant référence à leur relation avec les politiciens de la municipalité, au niveau local, comme à ceux du niveau central :
J’ai une mauvaise expérience avec la municipalité, excusez-moi, j’ai une très mauvaise expérience. […] Je pense que cela dépend du maire en fonction et malheureusement, nous sommes là depuis de nombreuses années. […] J’ai travaillé à la fête de l’agneau et nous avons eu une très mauvaise expérience avec des participants d’un marché [feria] qui avait du succès ; beaucoup de gens venaient mais nous n’avons jamais eu aucun soutien […]. En ce qui concerne ce Marché Paysan [Mercado Campesino], je pense qu’en voyant tant de gens qui vendaient des produits locaux issus de l’agriculture agroécologique dans un marché, il [le Ministre en question] a dit : « Pourquoi ne demandez-vous pas un marché de producteurs ? » Mais nous n’avions aucune idée de ce que cela voulait dire. « Allez-y, faites les papiers et, envoyez-les moi ». C’est comme ça que c’est arrivé, ce n’est pas que nous étions organisés formellement.
Ana explique que la « question de l’agroécologie » est récente, car le secteur où elle habite fait partie d’un projet national SIPAN. À la différence du SIPAM, le réseau SIPAN est une initiative du ministère de l’agriculture, à l’échelle nationale, pour la préservation et la valorisation du « patrimoine agricole » du Chili[13]. Dans ce contexte, les femmes du secteur où habite Ana ont commencé à se rassembler pour partager des connaissances. Petit à petit, entre femmes, elles ont commencé à troquer des semences et des produits agricoles. Ces rencontres leur ont permis de renforcer leurs liens, et de partager leurs connaissances.
Pour Ana, l’agroécologie « est un mode de vie responsable qui est lié à l’environnement, à la vie que l’on mène, à la société dans laquelle on se trouve ». Selon elle, « l’agroécologie, pour nous et pour moi, ne fait que commencer. Il s’agit donc d’un système de vie », interdépendant, qui pourrait « changer beaucoup de choses dans le monde ». Elle et ses voisines se sentent encore loin de pouvoir mettre en oeuvre « ce système ». Elle a commencé à entendre parler d’agroécologie lors des réunions du SIPAN. Mais, lorsqu’elle repense à sa mère, elle se rend compte que sa mère vivait et travaillait déjà pour mettre en place des potagers agroécologiques, bien que « ce concept » ne fût pas d’usage, comme elle dit. Elle ajoute qu’« alors, quand ils commencent à parler d’agroécologie et à définir le terme, eh bien, je me suis rendue compte que je faisais de l’agroécologie depuis longtemps ! ». Elle, sa mère et ses voisines n’avaient pas « la conscience de faire de la souveraineté alimentaire qui est aussi un concept nouveau, mais finalement ce que faisait ma mère, c’était ça ».
Les actions d’Ana et de ses voisines sont discrètes, dans la mesure où elles ne sont pas engagées dans une structure ou un collectif politique. C’est par l’intermédiaire du réseau SIPAN qu’elles commencent à réfléchir sur leurs manières de produire. Mobilisées par une éthique du soin, elles s’engagent peu à peu autour de la défense des semences autochtones et créent des liens autour des marchés paysans mis en place par le ministère. Ces activités aident au maintien des territoires, mais créent surtout des liens sociaux entre les femmes, entre les communautés autochtones et contribuent aux partages des savoirs et des savoir-faire. À partir de la création du SIPAN, Ana commence à réfléchir à l’importance des pratiques agroécologiques que menait sa mère.
L’éthique du soin prend toute sa signification autour des environnements dans lesquels les femmes habitent, où elles y cultivent leurs semences, où elles assurent le maintien de leurs familles et de leurs communautés, tout en maintenant des liens sociaux.
Enfin, nous avons rencontré à Temuco une coopérative de commercialisation de produits issus de l’agriculture familiale et paysanne. Ce cas illustre combien il est difficile pour les femmes qui habitent cette région, de mettre en place un réseau de production financièrement viable.
Nous avons interrogé l’une des fondatrices de l’association, Eva, qui explique que leur but est de favoriser la transition agroécologique dans la région, de promouvoir l’agriculture familiale et la production de légumes et de fruits à petite échelle. Le projet est centré sur « l’économie sociale et solidaire pour promouvoir le développement durable, développer des circuits courts alimentaires locaux et servir d’intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs ». Il est basé sur de petits paniers à vendre, avec dix types de produits biologiques et de saison. Chaque agricultrice (huit femmes mapuche) produit un légume spécifique, qui sont ensuite regroupés dans le panier. Celui-ci est vendu une fois par semaine et change en fonction de la saison et selon ce qui a poussé dans le jardin. Il s’agit de préventes, c’est-à-dire qu’elles ne récoltent que ce qui a été commandé. Eva cherche à impliquer plus d’agricultrices mapuche dans la commercialisation, elle explique qu’il est toutefois difficile de vendre des produits de l’agriculture familiale et de faire participer les productrices dans des marchés. Elle ajoute : « Nous croyons en l’associativité, c’est donc le moyen de pouvoir rechercher, par le biais de l’associativité, l’accès à un marché pour les produits de l’agriculture familiale en transition agroécologique ». Elle parle de « transition », car les critères pour une agroécologie « sont loin de la réalité possible ». Le plus difficile est de pouvoir maintenir ce projet dans le temps, « face à des alternatives qui sont extrêmement capitalistes » et la compétitivité face à des produits de l’agro-industrie. Alors qu’au sein de la coopérative, les membres essaient de résister à partir d’expériences discrètes à petite échelle, elles rencontrent d’innombrables obstacles et empêchements pour déplacer l’agriculture paysanne et mapuche dans de nouveaux espaces sociaux et territoriaux.
En définitive, les différents cas montrent que les femmes rencontrées doivent faire face à des difficultés différentes selon les cas enquêtés. L’accès à la propriété foncière, ainsi que le contexte de crise environnementale et d’écosystèmes pollués sont les difficultés qui dominent largement dans nos enquêtes. Les charges domestiques des femmes, les soins qu’elles portent à leurs familles s’ajoutent à des activités productives, allant jusqu’à une « triple charge », quand on prend aussi en compte les activités communautaires, pour lesquelles les femmes sont très présentes et/ou militantes. Les moyens de transports sont aussi souvent un frein à leur déplacement, vers les lieux de commercialisation existants ou qui pourraient être crées (marchés, magasins de producteurs, fêtes locales…). Nombreuses sont celles qui vendent de manière informelle, ne permettant pas une certaine viabilité économique de leurs activités. Si nous n’avons pas pu le développer ici, il est important de souligner que les femmes interrogées mentionnent, lors des entretiens, le manque de suivi des programmes de développement et leur paternalisme. Les violences sexistes, tant à l’intérieur qu’en dehors de leurs communautés, sont régulièrement discutées. Que ce soit pour sortir de l’autoconsommation familiale ou pour développer un surplus destiné à la vente, les étapes sont difficiles à franchir, les projets sont instables et complexes à maintenir dans le temps.
Conclusion
Les expériences individuelles et collectives des femmes autour de leurs activités domestiques et agricoles se démarquent « des grands récits » (Chateauraynaud et Debaz 2019, 128). Elles évaluent et recomposent leurs pratiques, s’adaptent aux troubles et aux dysfonctionnements, resignifient leurs pratiques et inventent des voies alternatives (Ibid.).
Les actions discrètes pour le maintien de la terre, de l’eau et de la production agroécologique assurent un renouvellement des pratiques agricoles et s’appuient sur la nécessité d’une prise en charge tant individuelle que collective. Celles-ci sont assurées dans un premier temps par des individualités fortes, souvent des femmes leaders au niveau local, qui mènent des projets précis de développement ou de transition vers l’agroécologie dans leurs terres familiales, ce qui représente un enjeu important pour les milieux dans lesquels les projets sont développés.
Les femmes qui mènent ou expérimentent des projets agroécologiques se positionnent sur un registre de « faire », elles participent de fait aux modes alternatifs à bas bruit. Au fil du temps, elles participent à la constitution d’espaces de formation, de transmission ou de consommation (sous la forme d’ateliers, diffusion d’information, etc.), autour de l’agroécologie et d’une éthique du soin.
Ces projets créent des alternatives à l’extractivisme (par exemple, les industries salmonicole, forestière et l’élevage ovin intensif) à Chiloé comme en Araucanía qui, pour affronter leur vulnérabilité économique, nécessitent le soutien et l’engagement d’institutions publiques (SIPAM, SIPAN), d’ONG ou des collectifs nationaux (tel qu’ANAMURI).
Bien qu’elles s’inspirent de pratiques « glocales » (Robertson 1995), ces expériences discrètes sont peu visibles aux niveaux régional et national, et moins encore au niveau global. Cependant, les pratiques permettent de rendre visibles des modes de vie qui réparent les sols, qui empêchent, à petite échelle, l’avancement de projets extractivistes, et résistent à la crise écologique. Les gestes des actrices et des acteurs, ainsi que leur vigilance et leur engagement local, tel que souligné par Chateauraynaud et Debaz, rendent compte de formes d’actions dans le cadre des contre-anthropocènes, c’est-à-dire, qu’elles permettent d’« ouvrir continûment des possibles à partir d’expériences locales » (2019, 131).
La montée en puissance de ces contre-anthropocènes réside dans leur articulation et leur mise en réseau. Dans l’étude de cas de l’Araucania, l’enquête a montré que les femmes du réseau de Contuhue, resignifient leurs pratiques potagères de soin et leur rôle dans la petite agriculture, non seulement au niveau micro local, mais aussi national. La plupart, par le biais d’ANAMURI, mais aussi par les Trafkintu entre différents territoires, tissent des liens avec d’autres femmes rurales et/ou autochtones, de différentes régions du pays, voire même en dehors. Les congrès régionaux, inter-régionaux et nationaux[14] de l’association, ou son école auto-gérée de formation à l’agroécologie politique, permettent aux femmes de renforcer leurs liens de solidarité et à s’autonomiser collectivement.
Parties annexes
Remerciements
Nous sommes tres reconnaissantes des personnes qui ont participé à cette recherche. Nous remercions projet ECOS200021 Chili-France et Fondecyt Nº11200545 de l’Agence Nationale de Recherche et Developpement, ANID (Chili)
Notes
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[1]
Ici, nous faisons référence à des réponses visant à s’adapter et à réduire les divers effets négatifs des activités humaines sur l’environnement, tels que la pollution des sols, de l’eau, liée à l’usage exponentiel de pesticides
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[2]
Le programme ECOS fait suite à d’autres financements obtenus au fil des années, tant en France (programmes de recherche « commun’envie » financé par la Maison des Sciences de l’Homme Lyon-St-Etienne et programme « Comvit » de l’Université Lyon 2) qu’au Chili (programme Fondecyt Iniciación 11200545, ANID). Nous remercions ces partenaires financiers
-
[3]
Nous avons utilisé des pseudonymes. Ceci fait suite à la mise en oeuvre d’un plan de gestion des données lié au règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) française. https://www.cnil.fr. Par ailleurs, dans certains cas nous avons signé des protocoles de confidentialité requis par les comités d’éthique des universités chiliennes (« consentimiento informado »).
-
[4]
Dictature militaire de septembre 1973 à 1990, orchestrée par le général Augusto Pinochet. C’est notamment sous la dictature, et par l’influence de l’école des Chicago Boys, que se sont développées les politiques néolibérales (privatisant l’eau, la terre, l’éducation, la santé, etc) encore en vigueur aujourd’hui (Gaudichaud 2014).
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[5]
« Canelo » est un arbre de l’Argentine et du Chili ; il s’agit de l’arbre sacré du peuple mapuche. « Nos » est un secteur de San Bernardo, dans la région Metropolitaine de Santiago.
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[6]
C’est le seul SIPAM validé au Chili par la FAO indiquant la spécificité socio-culturel, agro-écologique et paysagère de l’archipel. Ce dernier nécessitait une patrimonialisation d’urgence face au développement rapide d’entreprises extractivistes colonisant les espaces vierges ou peu habités.
-
[7]
ANAMURI est une organisation née de la société civile, ayant pour but de défendre les droits des femmes rurales et autochtones, tout en militant pour l’agroécologie, depuis une perspective féministe et populaire. Bien que la région de l’Araucanía n’a pas de SIPAM, on retrouve des territoires qui font partie des systèmes importants du patrimoine agricole national (SIPAN) dans les zones de la cordillère et précordillère de la région. Puisque nous n’avons pas travaillé dans ces zones, nous n’avons pas inclus les cas SIPAN de l’Araucanía dans notre recherche. Par ailleurs, pour ANAMURI, les reconnaissances et la labellisation en tant que SIPAM, restent des palliatifs s’ils ne sont pas pensés conjointement à des changements structurels, notamment en termes de régime foncier.
-
[8]
Ce rapport au potager a aussi été analysé par Héloïse Prévost, dans le contexte brésilien (Prévost 2017).
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[9]
Ces alertes peuvent prendre des formes frontales, quand il s’agit de mobilisation contre un projet de loi ou contre un projet de développement sur le territoire. Elles peuvent aussi prendre la forme de négociation avec des représentants institutionnels. A titre d’exemple, nous avons pu observer des négociations opérées par des femmes pour obtenir des formations plus orientées vers leurs besoins, dans le cadre de programme de développement agricole dont elles font partie.
-
[10]
Les activités du réseau auxquelles a assisté Mélanie étaient principalement non mixtes. Dans le cas des trafkintu, si la présence d’hommes n’était pas interdite, ceux-ci n’étaient que rarement présents.
-
[11]
Suite à la mobilisation intense des communautés concernées, le projet a été abandonné.
-
[12]
Nous pouvons déduire qu’il s’agit d’Antonio Walker, ingénieur agronome, qui se définit comme indépendant politiquement. Entre 2018 et 2021, il fut le ministre d’agriculture sous le gouvernement de Sébastian Piñera, entrepreneur et homme politique du parti conservateur libéral Renovación Nacional, fondé sous la dictature de Pinochet.
-
[13]
Voir : https://sipan.minagri.gob.cl/.
-
[14]
Le troisième Congrès national a eu lieu en 2023, à Valparaiso et a réuni près de 600 femmes de tout le pays.
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Liste des figures
Figure 1
Figure 2