La première partie, « ethnologie et colonialisme », expose les faits contribuant à la construction de l’ethnologie aussi bien pendant la période pré-coloniale que celle coloniale à travers des voyages, dont ceux d’Heinrich Barth (1849-1855), celui des frères (Antoine et Arnaud) d’Abbadie (1838-1849), celui de Richard Thurnwald (juin 1930-avril 1931) et enfin, ceux de Leo Frobenius (1905-1929). Il est, ici, question d’une ethnologie en cours d’élaboration avec des acteurs non ethnologues. L’argumentaire scientifique est celui de la géographie, préfigurant ainsi une proximité des deux disciplines encore d’actualité. La deuxième partie, « images et collections africaines », est pertinente, mais quelque peu problématique. Elle implique deux composantes de l’ethnologie : la culture matérielle et l’anthropologie visuelle. Les trois contributions la composant sont diversement inscrites dans le sujet du livre. La première, qui expose une histoire des collections ethnographiques dans deux royaumes du sud de l’Allemagne, la Bavière et le Wurtemberg, établit une histoire de ces royaumes par les collections coloniales. L’ethnologie est alors concernée ; une ethnologie s’édifiant selon deux visions : la volskunde, s’intéressant à l’identité populaire allemande ; et la völkerkunde, s’ouvrant aux autres cultures. L’ethnologie, en construction, passe par les musées ayant une politique d’acquisition instituée par les collectes. Ainsi, le chapitre montre un engagement des autorités politiques pour des collections au bénéfice des musées. Par ce biais, ceux-ci deviennent une vitrine pour le politique et donc pour l’action coloniale. Cette relation du politique au musée, conséquence de celle du politique à l’ethnologie implique un paradigme épistémologique légitime, celui du rapport entre ethnologie et musée. Malheureusement, les musées ne fournissent pas de réelles connaissances sur les populations à partir des objets. La construction de l’ethnologie par les collections est alors davantage dans le principe que dans la diffusion des représentations sociales, des objets. Ces connaissances sont d’autant moins établies que le chapitre, « L’impossible collecte ? », qui présente le regard occidental sur les Africains, expose une perception assez décalée. En effet, ce regard posé sur les Noirs, par des Allemands, à partir d’images publiées dans des revues et documents d’illustrations, est raciste. Le texte montre, avec pertinence, que la connaissance des cultures africaines n’est absolument pas l’enjeu. C’est pourquoi, lorsque l’image bénéficie d’un intérêt ethnographique, le commentaire vient supplanter cet intérêt. Ce chapitre présente l’orientation d’une ethnologie raciste qui marqua la construction générale de la discipline laissant apparaître, dans sa forme institutionnalisée, le courant évolutionniste. Le dernier chapitre (« Ars UNA ou le rêve d’un musée universel ») de cette partie entend présenter la « vision des galeristes et des collectionneurs » d’objets d’art extra-européens, notamment, à compter du début du XXe siècle. Ce texte, qui établit les relations entre les marchands, les galeristes, les collectionneurs et les musées, laisse comprendre que l’enjeu, de tous ces rapports, est la légitimation des objets extra-européens comme oeuvres d’art à l’image de l’art européen, d’où l’idée d’un « musée universel ». Cette ambition provoqua un débat bien connu, depuis 1920, avec la fameuse enquête de Félix Fénéon dont un questionnaire avait été adressé à des écrivains, poètes, ethnologues et autres intellectuels et dont l’objectif était d’appeler à l’entrée au Louvre des oeuvres d’art primitif. Un tel débat fut renouvelé, en France, en 1995, ce qui a abouti à la création d’un établissement public, le musée du Quai Branly. Par cette initiative, Jacques Chirac affirmait ainsi l’impossibilité d’un art unique et le non-sens de la notion d’un musée universel. L’enjeu aura eu pour mérite de susciter des positionnements épistémologiques donnant naissance à des courants : anthropologie de l’art, anthropologie de l’objet. En cette perspective, ce …
Jean-Louis Georget, Hélène Ivanoff, et Richard Kuba (dir.), Construire l’ethnologie en Afrique coloniale. Politiques, collections et médiations africaines. Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2020, 300 pages[Notice]
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Roger Somé
Université de Strasbourg