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Book ReviewsComptes rendus de livres

Robert Desjarlais, Sur les traces de la violence. Un essai anthropologique après les attentats de Paris. Nanterre : Les Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020, 135 pages[Notice]

  • Mary-Lee Lachance

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  • Mary-Lee Lachance
    Université Laval

Le 13 novembre 2015 représente une journée de terreur pour la France, alors que la salle de spectacle du Bataclan, le Stade de France, ainsi que plusieurs cafés et restaurants des 10e et 11e arrondissements de Paris sont la cible de fusillades, de prises d’otages et d’attaques-suicides revendiquées par le groupe armé État islamique (EI). À la suite d’un voyage, en été 2016, dans la capitale du pays, que l’on pourrait qualifier de pèlerinage, Robert Desjarlais propose un essai anthropologique, dont la forme et l’essence s’inspirent grandement du courant de la phénoménologie, pour faire sens de ce qu’il reste comme vestiges visuels, émotionnels et physiques, après le passage de la violence et du chaos dans la vie des Parisiens. S’il ne dépeint pas les évènements en tant que tels, l’auteur se réclame d’une anthropologie spectrale, alors qu’il observe les lieux et les mémoriaux collectifs, et tente de rendre compte de ce qu’il reste d’un évènement qui a affecté l’humanité. Ses écrits offrent une place de choix à la mémoire et à l’oubli pour rendre compte de la résilience des victimes, toujours prises entre ce passé et le temps présent. Son ouvrage, concis, sensible et nuancé, entraîne le lecteur au sein d’une réflexion presque poétique sur la vie qui passe, qui se fracture, mais qui continue malgré tout. À travers douze chapitres, l’ouvrage de Desjarlais raconte la violence à la fois comme un moment particulier, mais aussi comme une substance qui nourrit et informe la routine, les perceptions et les imaginaires, à la fois atemporelle et intemporelle, individuelle et collective, elle traverse les corps, les années et les lieux. Le début de la réflexion de l’auteur s’amorce alors qu’il s’arrête sur la terrasse de l’hôtel Le Carillon, un des établissements visés par les attentats, comme pour s’imprégner et témoigner des dégâts, visibles et invisibles, de l’endroit. Au fil des pages, il parcourt les rues, visite les mémoriaux et se projette dans la soirée du 13 novembre 2015, parfois comme victime, souvent comme agresseur, retraçant le fil sordide du train de pensée qui aurait ultimement pu mener à l’orchestration et la perpétration du carnage. Son habileté à extraire l’ordinaire du quotidien et à mettre en récit les scènes éphémères qui le compose n’a d’égale sa capacité à implanter le doute, la crainte et la méfiance au sein d’une banale promenade dans les rues de la capitale de jour ou de nuit, où « chaque escalier qui conduit à une station de métro conduit peut-être à une tombe potentielle » (p. 53). Ainsi, par le biais de ce que l’anthropologue nomme comme la « terreurgraphie », la violence des assaillants a marqué l’histoire de la ville, ses lieux et ses vies, de blessures qui impactent l’univers des possibles et transforment la signification même des choses qui forment le quotidien. Dans son cinquième chapitre, « La trace et l’effacement », l’anthropologue fait état de la réflexion impossible à laquelle est confrontée la collectivité plusieurs semaines après le drame : « il a fallu trouver un équilibre délicat entre le désir de préserver une trace, de ne pas oublier et de ne pas laisser partir les défunts, et la nécessité d’oublier la douleur, de se débarrasser de ce qui l’évoque, d’effacer les traces » (p. 63). Parce que la violence est également présente dans les choix qui sont à faire (Derrida 2004, 60), Desjarlais relève les contradictions multiples qui subsistent dans le processus de guérison des personnes affectées par les attentats. Ainsi, un des chapitres suivants, « Ne pas archiver », se concentre sur les artéfacts de la violence du 13 novembre 2015 …

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