Résumés
Résumé
Lacunaire, facultative, peu développée… nombreux sont les qualificatifs utilisés pour décrire la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle au sein de la recherche internationale. En écho à ces constats, notre étude propose un état des lieux des formations d’enseignants dans ce domaine en Suisse romande. En soumettant un questionnaire aux formateurs responsables des questions de diversité culturelle, nous avons eu accès à leur perception de cette formation, aux contenus de leurs enseignements, mais aussi à leur perspective quant à la mobilisation des identités culturelles des étudiants. Nos données, majoritairement qualitatives, ont été analysées dans une logique d’analyse de contenu et ont été mises en perspective à l’aide de la typologie des approches de l’éducation multiculturelle de Sleeter et Grant.
Mots-clés :
- formation des enseignants,
- diversité culturelle,
- migration,
- culture,
- identité,
- développement professionnel
Corps de l’article
Introduction
Polarisation, vivre-ensemble, citoyenneté globale, discrimination ou encore inclusion forment une série de mots-clés souvent associés à la diversité culturelle en contexte éducatif. Les écoles et les professionnels qui y oeuvrent font face à une multitude d’actions pédagogiques possibles, à des publics toujours plus hétérogènes et à des exigences institutionnelles élevées en matière d’équité, d’égalité des chances et d’inclusion. Dans cette contribution, nous avons choisi d’analyser les dispositifs de formation de Suisse romande permettant de préparer les enseignants à cette complexité. Notre objectif était de comprendre comment les enseignants sont formés à appréhender la diversité culturelle dans leur contexte professionnel. Nous avons formulé quatre questions de recherche en lien avec cet objectif :
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Comment les formateurs conçoivent-ils la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle?
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Comment les formateurs évaluent-ils la formation en matière de prise en compte de la diversité culturelle dans laquelle ils travaillent?
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Que recouvre la formation en matière de prise en compte de la diversité culturelle en Suisse romande?
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La biographie des étudiants issus de la diversité culturelle fait-elle partie des composantes intégrées à la formation?
À l’aide de ces quatre questions, nous pensons pouvoir établir un panorama actuel des formations en matière d’enjeux relatifs à la diversité culturelle en Suisse romande et participer ainsi à l’actualisation des connaissances sur cette thématique.
Pour répondre à ces questions, nous avons choisi de donner la parole aux formateurs spécialistes du domaine oeuvrant dans des institutions de Suisse romande (francophone). Pour rendre compte de notre étude, notre article se compose de quatre parties principales. La première présente des éléments contextuels relatifs à la diversité culturelle en Suisse romande. La deuxième est notre cadre théorique. Celui-ci est constitué d’une revue de la littérature sur notre objet et d’une typologie des approches de l’éducation multiculturelle développée par Sleeter et Grant (2009). La troisième partie présente la méthodologie et les participants. Enfin, la quatrième partie porte sur les résultats et leur discussion.
Quelques éléments de contexte
En Suisse, l’éducation étant gérée par les cantons (régions) qui sont au nombre de 26, on entend parfois dire qu’il y a 26 systèmes éducatifs dans le pays. Toutefois, si la pluralité des approches est possible, une instance fédérale émet des recommandations à l’intention des cantons : il s’agit de la Conférence des Directeurs cantonaux de l’Instruction Publique (CDIP). Pour comprendre les enjeux relatifs à la diversité culturelle, les recommandations de cette institution à ce propos sont éclairantes. Des années 1970 à aujourd’hui, elles montrent une évolution de la prise en compte des élèves étrangers : la manière dont ils sont nommés, le rapport à leur langue et à leur culture d’origine, le respect de leur identité culturelle ou encore la lutte contre les discriminations sont des thèmes présents dans ces recommandations (CDIP, 1972, 1985 et 1991), signes de l’importance grandissante accordée à l’altérité en contexte scolaire. Différentes initiatives ont marqué les systèmes éducatifs suisses, comme la promotion des cours de langue et de culture d’origine faisant entrer les langues dites « minoritaires » de la migration dans l’institution scolaire, historiquement monoculturelle et monolingue (CDIP, 1991).
Il est vrai que la diversité culturelle est un véritable enjeu en Suisse, dans la mesure où le pays est particulièrement hétérogène : presque un quart de la population n’a pas la nationalité suisse (Office fédéral de la statistique [OFS], 2022a) et, dans notre contexte d’étude (la Suisse romande), une personne sur cinq a une histoire personnelle ancrée dans un parcours migratoire. Les cantons de Neuchâtel, Vaud et Genève dépassent la moyenne nationale (qui est de 38 %) et jusqu’à 60 % de la population est issue de la migration dans le canton de Genève (OFS, 2022b). Cette diversité se répercute sur les milieux scolaires, caractérisés dès lors par une forte multiculturalité. La part d’élèves étrangers au sein des cantons de Suisse romande est un bon indicateur – même s’il ne recouvre pas toutes les catégories de personnes « issues de la diversité culturelle » au sens large – pour illustrer la grande diversité du contexte, mais également la pluralité des réalités en Suisse (figure 1).
Figure 1
Part (en %) d’élèves étrangers dans les cantons de Suisse romande (école obligatoire, année scolaire 2021/2022)
En outre, si l’hétérogénéité est particulièrement marquée dans ce contexte, il est important de prendre en considération des éléments relatifs aux parcours scolaires des élèves issus de la diversité culturelle. Nous utilisons cette expression, imparfaite mais englobante, pour qualifier les personnes ayant – dans leur histoire de vie – un rapport personnel à la migration. Cette expression nous permet par exemple d’englober les personnes ayant migré, celles ayant des parents qui ont migré ainsi que celles qui ont des identités plurielles sans avoir vécu ailleurs que dans ce contexte. Aujourd’hui, des inégalités demeurent. À titre d’exemple, les élèves étrangers sont surreprésentés dans les filières à exigence faible (OFS, 2022d) : outre des problématiques socioéconomiques non négligeables, les biais lors de l’orientation peuvent prendre leur source dans les représentations des enseignants (Serir, 2017). De plus, les inégalités ne touchent pas uniquement l’orientation, elles touchent également des enjeux de représentation de la diversité dans l’espace scolaire et par voie de conséquence de reconnaissance. Les inégalités ne sont pas uniquement liées aux notes, mais bien à la place accordée à la différence dans l’école, dans les contenus d’enseignement, dans les interactions, ou encore dans la reconnaissance des besoins des parents éloignés de la culture scolaire suisse romande (voir par exemple Ogay, 2019; Radhouane, 2019).
Au regard de ces enjeux, la formation des enseignants revêt une importance particulière. Elle est l’espace dans lequel sensibiliser, former, entendre les doutes, offrir des expériences de rencontres interculturelles… Elle représente l’espace des possibles dans lequel la diversité peut être abordée sous différents angles (didactique, éthique, transversal ou autre) et dans lequel les erreurs peuvent être des sources d’apprentissage.
Cadre théorique
Notre étude repose sur deux types de cadre. Le premier est une analyse de la littérature internationale concernant la formation des enseignants en matière d’enjeux relatifs à la diversité et concernant également le potentiel des enseignants issus de la diversité culturelle. En effet, notre quatrième question de recherche porte sur la place accordée aux identités culturelles en formation. Le second cadre est une typologie de l’éducation multiculturelle développée par Sleeter et Grant (2009) : issue d’un ouvrage complet, nous l’utilisons ici comme outil pour situer les projets, actions et conceptions de la diversité culturelle. Il permet d’identifier les « forces et faiblesses », faisant des tensions identifiées des sources de réflexion.
La formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle
Depuis plusieurs décennies, les publics scolaires se sont diversifiés. Aujourd’hui s’ajoute le fait que l’école n’est plus autant à l’abri de l’actualité et de ses problématiques : discriminations, enjeux autour de la religion (conflit, extrémisme), politique sécuritaire... Les enseignants oeuvrent donc dans des classes marquées par une diversité grandissante et dans un climat sociétal complexe (voir par exemple Akkari et Radhouane, 2019; Borri-Anadon, Hirsch et Audet, 2023). Le métier se transforme ainsi au gré de ces évolutions et les tâches des enseignants se multiplient et se complexifient (Potvin, Dhume, Ogay et Verhoeven, 2018).
La nécessité de former les enseignants aux enjeux relatifs à la diversité culturelle a été documentée à de nombreuses reprises et à différentes époques. En effet, la formation était et reste qualifiée de facultative ou marginale, inégale (plus ou moins accentuée dans certaines régions), négligée, optionnelle, voire diluée (Audet, Gosselin-Gagné et Koubeissy, 2022; Borri-Anadon, Hirsch et Audet, 2023; Heine, 2018; Kerzil et Sternadel, 2018; Payet, 2006; Perregaux, 2002; Santerini, 2002). Or, en miroir de ces qualificatifs, il faut comprendre que la formation relative à la diversité culturelle revêt une importance majeure. Elle a fait l’objet de travaux conséquents dans plusieurs contextes. Par exemple, au Québec, un travail de développement de la « compétence interculturelle et inclusive » a été réalisé en 2015, et ce, avec un effet sur les processus de formation d’enseignants (Potvin et al., 2015, cités dans Audet, Gosselin-Gagné et Koubeissy, 2022). En Suisse, un rapport récent de Swissuniversities (2020) réaffirme la nécessité de renforcer la formation des enseignants au sujet des enjeux migratoires.
Si ces affirmations fortes existent, l’article de Borri-Anadon, Hirsch et Audet (2023) nous éclaire quant à l’écart pouvant exister entre la volonté de former et la possibilité de le faire. L’article explore trois enjeux que sont : 1) nommer la diversité, 2) comprendre les problématiques sous un angle systémique et 3) naviguer en eaux troubles. Ces trois enjeux permettent d’appréhender les difficultés que peuvent affronter les formateurs d’enseignants : l’usage de concepts détournés à des fins rhétoriques ou pas toujours acceptés par les populations qu’ils désignent, l’inclusion de problématiques liées à la diversité culturelle dans une perspective plus globale et même « intersectionnelle » et enfin le fait d’oeuvrer dans un monde complexe où la posture même du formateur peut être source d’analyse.
De nombreux dispositifs ou objectifs de formation sont documentés dans la recherche, comme la capacité d’analyse réflexive, les apprentissages par rencontres intergroupes, la découverte des enjeux autour de l’immigration (par exemple en histoire) (Heine, 2018) ou encore le développement d’un ancrage critique et d’une perspective freirienne dans l’enseignement (Kharchi et Koubeissy, 2023). Il semble alors que la question de la diversité culturelle peut prendre place dans tous les domaines de la formation, transversaux et disciplinaires en particulier.
Les études portant sur les perceptions des enseignants sur les élèves issus de la migration ou sur leurs pratiques en contexte hétérogène (voir par exemple Bergamaschi, Arcidiacono, Melfi, Miserez-Capero et Blaya, 2020; Mottet, 2021, Serir, 2017) appuient également la nécessité d’un renforcement du soutien offert aux enseignants. À ce propos, certains d’entre eux expliquent ne pas se sentir prêts à prendre en compte la différence culturelle (Kea, Trent, et Davis, 2002; Santoro, 2016) et d’autres n’ont finalement que très peu de connaissances ou d’expérience de la diversité (Bressler et Rotter, 2017; Ladson-Billings, 2011; Santoro, 2016; Smith, 1993, cité par Burden, Hodge, O'Bryant et Harrison, 2004).
À ce sujet, plusieurs études internationales et suisses romandes ont démontré le potentiel des enseignants issus de la diversité culturelle pour 1) renforcer la diversité dans le corps enseignant et 2) renforcer la prise en compte de la diversité culturelle en contexte scolaire (Bauer et Akkari, 2016; Bischoff, Edelmann et Beck, 2016; Bressler et Rotter, 2017; Changkakoti et Broyon, 2013; Georgi, 2016; Karakaş, 2013; Magaldi, Conway et Trub, 2018; Villegas et Irvine, 2010). En effet, ces enseignants seraient à même de développer un enseignement dit « culturellement pertinent » (Villegas et Irvine, 2010). Évidemment, certaines nuances doivent être apportées : à utiliser cette catégorisation des enseignants, il y a un risque d’« assignation à origine » (Changkakoti et Broyon, 2013, p. 109). Il importe également de ne pas considérer ces enseignants uniquement au travers de leur parcours, mais bien comme des professionnels formés. Enfin, certains de ces enseignants sont décrits comme plus exigeants en matière d’intégration des élèves allophones (Changkakoti et Broyon, 2013).
Typologie de l’éducation multiculturelle de Sleeter et Grant (2009)
Notre recherche s’inspire du travail de Gorski et Dalton (2019) dans lequel les auteurs analysent des syllabus d’une multitude de cursus de formation d’enseignants (« multicultural teacher education ») et mobilisent la typologie présentée ici. L’ouvrage de Sleeter et Grant (2009) identifie cinq paradigmes dans lesquels peut s’ancrer la prise en compte de l’altérité.
Dans le cadre de cette contribution, nous proposons une brève synthèse de la typologie indiquant quelques points clés de ces approches :
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Teaching the exceptional and the culturally different [Enseigner l’exceptionnel et le culturellement différent]. Cette première approche s’inscrit dans une logique d’assimilation et dans le paradigme de la déficience. Les difficultés des élèves sont perçues comme des manques ou du retard. Aider les élèves revient à les faire entrer dans une norme scolaire jamais questionnée. Les éléments culturels servent principalement d’outils transitoires pour faciliter l’entrée dans la norme scolaire.
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Human relations [Relations humaines]. Cette approche est centrée sur l’amélioration des relations intergroupes. Elle vise la réduction de stéréotypes et discriminations sans pour autant questionner leur origine. Elle favorise le travail de groupe ou l’apprentissage par le service.
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Single-group studies [Études d’un groupe unique]. Cette approche propose d’analyser les groupes culturels de manière distincte afin d’entrer dans la complexité de leur construction, leur histoire, leur problématique, etc. Le risque est de proposer des descriptions essentialistes et folklorisantes.
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Multicultural education [Éducation multiculturelle]. Cette approche vise deux idéaux : le vivre-ensemble et l’égalité des opportunités. Elle promeut le développement de programmes multiculturels afin de mettre en perspective des cadres de pensée dominants et de permettre aux élèves de lier expériences personnelles et scolaires.
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Social justice multicultural education [Éducation multiculturelle pour la justice sociale]. Cette approche est inscrite dans le paradigme de la justice sociale. Elle a pour objectifs la lutte contre les inégalités structurelles de la société, l’équité, la justice et la solidarité. Elle vise à rendre les élèves acteurs du changement en leur donnant les compétences pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.
Méthodologie
Les données présentées dans cet article ont été récoltées à l’aide d’un questionnaire construit de sorte à s’inscrire dans une logique d’enquête descriptive (Lapointe, 2000, cité par Donfack, 2007). Celle-ci répond à un « besoin d’information » et « fournit la photographie d’une situation à un moment donné » (Donfack, 2007, p. 6). Les données ont été récoltées en 2020.
Population enquêtée et mode d’administration
Nous avons cherché à atteindre le plus grand nombre de formateurs se reconnaissant comme chargés d’enjeux relatifs à la diversité culturelle, et ce, dans les cinq institutions romandes de formation d’enseignants. Pour les atteindre, deux méthodes ont été employées. La première a consisté à les identifier sur le site de leur institution et à leur faire parvenir le questionnaire par courriel. La seconde a consisté à envoyer notre demande à la personne responsable institutionnelle de la formation des enseignants ou des enjeux liés à la recherche dans l’institution, cette personne se chargeant ensuite de transmettre le questionnaire.
La population enquêtée est assez restreinte dans la mesure où nous centrons notre étude sur un champ thématique très spécifique. Nous avons dû, de ce fait, répondre à des enjeux éthiques assez importants. Garantir l’anonymat des individus interrogés est évidemment une règle constante, mais elle est encore plus importante lorsque ceux-ci s’expriment dans un cadre où ils pourraient être reconnus (ils témoignent auprès de collègues et l’enquête pourrait être lue par des collègues). Les réglages de la plateforme de recueil des questionnaires ont été adaptés pour ne récolter aucune information du type courriel ou adresse IP. Notre analyse – que nous développons plus loin – prend également en compte cette dimension éthique : de nombreux propos sont reformulés ou synthétisés. De ce fait, certaines limites sont inévitables : les descriptifs précis de cours dispensés ou de champs scientifiques des répondants ne seront pas mentionnés. Cette recherche a été approuvée par la Commission d’éthique facultaire de la Faculté de Psychologie et de Sciences de l’éducation de l’Université de Genève.
Au total, 18 questionnaires ont pu être utilisés. Certains des participants n’ont toutefois pas répondu à certaines questions : le nombre de réponses récoltées sera donc mentionné au moment de leur usage. Si le nombre de répondants ne permet pas une enquête quantitative, la structure du questionnaire basée sur de nombreuses questions ouvertes permet une analyse qualitative des données.
Construction du questionnaire
Le questionnaire comporte 37 questions. Il s’ouvre par une série de questions permettant de récolter des données sociodémographiques, suivie de quatre séries thématiques :
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Conception de la diversité
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Formation des enseignants
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Vos enseignements
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Étudiants issus de la diversité culturelle
Les questions varient dans leur forme, mais la majorité sont des questions ouvertes. Deux échelles de Lickert ainsi qu’une question de classement les complètent.
Analyse des données
La majeure partie des questions permettent aux enquêtés de développer leur réponse. Nous inscrivons notre étude dans une démarche qualitative reposant sur une analyse de contenu (Huberman et Miles, 1994/2003; Mukamurera, Lacourse et Couturier 2006). Les données récoltées sont traitées en plusieurs étapes : une synthèse des résultats recueillis par questions, leur lecture et l’identification de thèmes clés, l’identification de catégories spécifiques et de codes y afférant. Ces étapes nous permettent d’analyser les tendances relatives à chacun des thèmes ou enjeux présentés aux répondants.
Limites
L’anonymat évoqué plus haut, ainsi que l’impossibilité à attribuer les différentes réponses aux institutions, imposent une certaine prudence dans la lecture des résultats. Certains répondants ont développé leur réponse tandis que d’autres ont été brefs : le contenu de cours de certains est donc peut-être surreprésenté par rapport à d’autres. Les enjeux identifiés dans les contenus de formation, notamment, ne sont donc pas des tendances globales mais représentent des éléments constitutifs de la formation aujourd’hui en Suisse romande.
Résultats
Diversité de définitions de la « diversité culturelle en contexte éducatif »
Dans le cadre de notre recherche, nous avons d’abord demandé aux formateurs de définir l’expression « diversité culturelle » (14 répondants). En effet, comprendre comment les enseignants sont formés nécessite de comprendre comment les formateurs définissent le champ dans lequel ils s’inscrivent. Par ailleurs, les trois enjeux évoqués par Borri-Anadon, Hirsch et Audet (2023) concernant les dénominations attribuées à la diversité culturelle, à son ancrage systémique et au contexte sociopolitique peuvent se retrouver dans les définitions des formateurs et ainsi témoigner de la complexité des objectifs associés à la « prise en compte de la diversité culturelle ».
Premièrement, les formateurs semblent rapporter la définition de la diversité culturelle au contexte professionnel dans lequel oeuvreront leurs étudiants : diversité en classe, diversité dans l’école. L’un d’eux mentionne explicitement un espace géographique en faisant référence à sa diversité culturelle importante.
La diversité culturelle en contexte éducatif correspond au contexte courant auquel les enseignant·e·s sont confronté·e·s dans leur quotidien.
Elle est actuellement un fait incontournable en contexte éducatif [dans ce canton].
La diversité culturelle en contexte éducatif représente les différentes cultures dans leur vision élargie (culture de classe, culture du genre, culture dans le sens de nationalité) présentent dans une salle de classe et/ou dans l’établissement scolaire.
Deuxièmement, certains critères utilisés pour définir l’expression pourraient être qualifiés de traditionnels ou historiques : on retrouve ainsi la langue, la nationalité, les visions du monde ou encore les caractéristiques physiques.
Elle correspond à une forme de diversité, visible, en lien avec la ou les culture·s des un·e·s et des autres attribuée·s sur la base de caractéristiques physiques (couleur de peau, habilement, etc.), langagières (accent, vocabulaire).
La variété d’origines et de formes culturelles de vie du public scolaire.
[…] personnes porteuses de cultures diverses
Se réfère à la diversité de nationalités, de langues, de milieu socio-culturel […]
Ces critères ont notamment participé à façonner les approches interculturelles de l’éducation et sont historiquement les premières dimensions ayant permis à l’école de rompre avec sa monoculturalité (Akkari et Radhouane, 2019). En outre, les définitions des formateurs nous permettent d’identifier une évolution de ce que signifie aujourd’hui la diversité culturelle en contexte éducatif. Plusieurs d’entre eux ajoutent (et parfois insistent sur) les dimensions sociales ou économiques, et deux formateurs évoquent le genre.
Une prise en compte d’un changement de paradigme dans les institutions scolaires. Cette diversité culturelle n’est plus uniquement présente dans les grands cercles scolaires. L’école étant un acteur propre dans la reproduction des inégalités, elle doit s’adresser à ses élèves tout en prenant en compte les origines socio-économiques et culturelles
On peut attribuer à cette expression, plusieurs types de diversités; soit au niveau de l’ethnicité, de l’origine sociale et du genre notamment
La pluralité des définitions met également en exergue l’importance des acteurs porteurs de diversité (élèves, familles mais aussi enseignants) et des interactions entre eux. L’importance de ces interactions se retrouve dans les propos d’un formateur, qui explique que la diversité peut être une ressource ou une entrave à la scolarité de l’élève selon la manière dont elle est considérée. Ce propos met en évidence l’importance d’une analyse des interactions dans les rapports interculturels.
À cela, un formateur ajoute que la diversité des contenus d’enseignement et de la société s’additionne à cette pluralité à l’intérieur du cadre scolaire. Quelques nuances sont également apportées, comme la prise en compte des cultures professionnelles dans cette définition ou encore celle de la diversité interne aux groupes culturels (une forme de mise en garde face à la tentation de l’essentialisme).
Conceptions et perceptions de la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle
Essentiel, fondamental, incontournable ou énorme : voici quelques qualificatifs utilisés par huit formateurs pour décrire le rôle de la formation des enseignants à la prise en compte de la diversité culturelle (sur 13 répondants à cette question). S’ils la jugent très importante, les formateurs ne lui accordent pas tous le même rôle. Pour une partie d’entre eux (n = 8), la formation devrait être à l’origine d’une pratique réflexive quant aux questions de diversité culturelle. Certains ont mentionné uniquement le mot « réflexivité » (n = 2), tandis que d’autres développent leur propos et décrivent la nécessité d’une rupture avec différentes croyances, préjugés ou autres processus liés à la discrimination.
Un fondement incontournable surtout pour la prise de conscience des processus cognitifs à la base des discriminations, […]
La formation est la pierre angulaire de la prise en compte de la diversité en salle de classe. Elle permet aux enseignant-e-s d’adopter une posture réflexive différente et plus critique
Notre analyse nous a mené à identifier une seconde catégorie de réponses : celles évoquant la dimension globale des enjeux liés à l’altérité, et qui font alors écho à la nécessité d’inscrire les objectifs de formation à différents endroits du cursus, par exemple dans des cours liés aux dimensions interlinguistiques ou didactiques :
[…] proposer les formations de manière transversale et pluridisciplinaire afin d’intégrer le sujet dans différents domaines et disciplines
Elle s’étale par ailleurs sur tout le cursus que ce soit par la sociologie, la pédagogie critique, les cours plus interculturels, […], les ateliers.
proposer les formations de manière transversale et pluridisciplinaire afin d’intégrer le sujet dans différents domaines et disciplines
Enfin, les propos des différents formateurs pourraient être regroupés et résumés par la citation suivante : « donner les moyens (connaissances, réflexivité, implication personnelle, objectifs de stage) de développer une créativité "situationnelle" permettant de répondre aux besoins de tous les élèves ». Ici, le formateur défend une formation globale, mêlant apports théoriques, apprentissage de la pratique réflexive, terrain et rapport à soi pour préparer les enseignants à adapter leurs pratiques « en situation » d’interculturalité.
Toujours avec l’objectif de comprendre les rôles attribués par les formateurs à la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle, nous avons soumis aux personnes interrogées six propositions qu’elles devaient classer par ordre d’importance (tableau 1). La consigne n’ayant pas toujours été respectée, nous présentons ces données en classant les propositions en fonction du nombre total de points attribués par les formateurs (au lieu de classer, certains formateurs ont attribués un score en utilisant notre échelle). L’analyse fournit ainsi le nombre de points reçus par chaque proposition, ce qui permet d’établir un classement de l’importance accordée par les formateurs.
Tableau 1
Classement des rôles attribués à la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle
Remarque : Dans ce tableau, plus le rang est élevé, plus l’importance accordée par les répondants (n = 13) a obtenu un score élevé. Ainsi, l’affirmation au rang 6 est la plus importante et celle au rang 1, la moins importante.
* Égalité de rang entre 5 et 6
Au regard des deux propositions jugées à égalité les plus importantes, nous retrouvons deux éléments déjà évoqués. Le premier est l’importance de la pratique réflexive. Celle-ci permet aux formateurs de lier théorie et pratique, puisque ces deux éléments s’alimentent et se renforcent en ce qu’ils permettent d’analyser des situations vécues, de les comprendre et, si nécessaire, d’y remédier et ainsi d’améliorer ou d’enrichir au quotidien sa prise en compte de l’altérité. Le second est l’interrogation sur son propre rapport à la diversité. En d’autres termes, se situer dans l’interaction avec un autrui différent de soi, analyser ses préconceptions, ses éventuels préjugés, sa compréhension des cadres de référence des élèves ou de leur famille et mettre en évidence son propre cadre de référence : cette première mise à distance de ses référents culturels, de ce qui apparaît aux étudiants comme « la normalité », est un premier pas vers le relativisme culturel.
Le troisième élément le plus important selon les formateurs interrogés est relatif aux inégalités scolaires. Ainsi, pour eux, la formation en matière de prise en compte de la diversité doit outiller les futurs professionnels (et, plus tard, les professionnels dans le cadre de la formation continue) afin que leurs pratiques n’accentuent pas les écarts entre élèves issus de milieux socio-économiques et culturels différents.
La proposition placée en quatrième position est celle relative à l’interrogation sur les inégalités du monde dans lequel vivent les élèves. Cela fait potentiellement écho aux définitions et rôles analysés précédemment, accordant une importance à la prise de conscience relative aux préjugés et discriminations. Enfin, les deux dernières propositions sont « Faire connaître aux étudiants des pratiques interculturelles (EOLE…) » (cinquième position) et « Faire connaître la diversité des contextes scolaires aux étudiants » (dernière position). L’avant-dernière est peut-être classée de la sorte car certaines pratiques dites « interculturelles » ont été jugées essentialistes (par exemple : « le goûter interculturel ») et que le moyen EOLE peut, lui, être tout à fait découvert de manière autonome par les enseignants une fois en fonction. Enfin, la proposition jugée la moins importante est celle ayant trait au contexte d’enseignement. Là aussi, on peut imaginer que la pratique et le contact avec l’altérité lors de stages soient des alternatives à des cours présentant ce contexte.
Prise en compte de la diversité dans la formation
Dans cette partie, nous tentons de répondre à notre deuxième question de recherche (« Comment les formateurs évaluent-ils la formation à la prise en compte de la diversité culturelle dans laquelle ils travaillent? ») et, pour cela, nous analysons la perspective des formateurs quant au poids des enjeux de diversité dans la formation des enseignants. Nous leur avons demandé s’ils considèrent que la formation aux approches interculturelles est suffisante. Sur les 13 répondants, 4 ont répondu « oui » tandis que 9 ont répondu « non ».
Pour comprendre leur réponse, nous leur avons demandé de la commenter (13 réponses). Les personnes ayant répondu par l’affirmative ont généralement listé les cours dédiés aux enjeux relatifs à la diversité pour décrire le poids de la thématique dans le cursus. En outre, deux d’entre eux (sur quatre) ont émis quelques réserves. Le premier a expliqué qu’il lui manquait tout de même une vision globale du cursus. Le second, quant à lui, a expliqué que malgré le poids de ces cours en formation, ceux-ci étaient très vite relégués à une place secondaire lorsque les enseignants entraient en fonction. Autrement dit, la culture professionnelle supplante les apports du cursus :
Elle est suffisante au sein de l’institution mais, une fois sur le terrain, l’effet d’acculturation à un établissement est phénoménal et malheureusement on peine à voir le changement et je parle ainsi parce que je suis à la fois sur le terrain et à la fois dans l’institution […]
Les formateurs qui ne trouvaient pas la formation suffisante (9/13) ont déploré le volume horaire des cours dédiés, le caractère facultatif de ces enseignements et enfin la disparité des sujets abordés – qui impliquent que certaines thématiques soient laissées pour compte. Certains formateurs aimeraient que la formation soit renforcée à l’aide de cours dans différents domaines relatifs aux enjeux d’altérité et qu’elle tire parti des identités culturelles des étudiants. Un formateur a également expliqué qu’il serait utile de changer de perspective quant au traitement de la diversité en formation : elle semble – selon lui – très souvent abordée sous l’angle du problème. Enfin, un répondant aimerait que les stages permettent aux étudiants d’explorer la thématique « diversité culturelle » dans les classes d’accueil.
À ce propos, notre questionnaire comportait un item permettant aux répondants de se prononcer sur le potentiel de formation des stages, notamment en matière d’enjeux liés à la différence culturelle (tableau 2).
Tableau 2
Réponses à la question : « Les stages participent-ils à la formation des enseignants à la prise en compte de la diversité culturelle? »
Les formateurs ayant répondu « d’accord » ou « tout à fait d’accord » expliquent que les stages permettent de préparer les futurs enseignants à la prise en compte de la diversité. Ils justifient leur réponse en faisant référence aux prescriptions : « nous avons un référentiel de compétences qui fait de la place à cet item »; « on leur demande de créer un dossier [d’évaluation] », « En théorie, oui ». Ils s’appuient également sur la place importante accordée aux interdépendances entre théorie et pratique ou entre terrain et formation (dans des enseignements cités, ou évoquées de manière générale) :
Je l’aborde dans le cadre de mon [enseignement].
Pour pouvoir évoluer dans sa pratique, il est utile d’avoir le temps d’analyser les situations que l’on a expérimentées ou que l’on pourrait expérimenter et de les mettre en lien avec des savoirs théoriques. L’alternance formation-expérience me paraît importante à ce titre.
Cette articulation terrain-institution est reprise dans de nombreux cours lorsqu’ils reviennent de stage.
Deux réponses développées par les formateurs comportent tout de même des nuances importantes. Le premier explique que le stage pourra permettre à l’étudiant de porter un regard sur les enjeux liés à la prise en compte de la diversité, mais que cela dépend tout de même de l’enseignant qui le reçoit dans sa classe. Il y a donc un facteur hasard non négligeable dans l’éventuelle mise en évidence des enjeux relatifs à la diversité culturelle lors des temps de terrain. Par ailleurs, ce facteur hasard implique que tous les enseignants ne seront pas sensibilisés de manière similaire à ces enjeux. Une seconde nuance est soulevée par un autre formateur : il déplore le fait que la diversité culturelle ne soit pas « thématisée » dans les stages. Autrement dit, lorsqu’elle est abordée en stage, il semble qu’elle soit plus un effet de contexte qu’une volonté institutionnelle.
Cette dernière nuance rejoint les arguments portés par les formateurs ayant répondu « pas du tout d’accord » ou « pas d’accord ». En effet, ceux-ci critiquent principalement le fait que la diversité culturelle est plus un fait contextuel qu’un élément de formation. Ainsi, ils critiquent le manque d’institutionnalisation du travail à faire dans ce domaine. L’un des formateurs explique d’ailleurs que si un étudiant réalise un projet relatif à la prise en compte de la diversité culturelle, c’est qu’il y est probablement déjà sensible. Enfin, un formateur déplore des manques dans ce domaine, mais explique tout de même qu’un stage propose un regard sur cette thématique.
Contenus de formation
Dans cette section, nous allons traiter les données nous permettant de répondre à notre troisième question de recherche, « Que recouvre la formation à la prise en compte de la diversité culturelle en Suisse romande? ». Nous avons demandé aux formateurs de décrire les cours qu’ils dispensent. Nous leur avons demandé de décrire les thèmes, les sous-thèmes, les possibilités d’interactions, les modalités d’évaluation ainsi que les éventuels changements qu’ils souhaiteraient apporter à leurs cours.
Concernant les thématiques des cours (10 répondants), le premier constat est qu’elles sont nombreuses et très variées. Au regard des réponses, la formation peut donc prendre une multitude de formes. Nous avons procédé au classement des réponses en différentes catégories :
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Concepts clés : culture, acculturation, intersectionnalité ou encore multilinguisme;
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Étude des phénomènes sociaux ou d’interactions : la diversité religieuse, la migration, les inégalités, les relations entre famille etécole, etc.;
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Pratiques d’enseignement : familiarisation avec des outils (pour élèves allophones), des situations (accueil d’élèves migrants) et interrogation des postures et croyances;
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Transformations : certains cours semblent viser la transformation des étudiants ou a minima leur capacité à analyser leur posture ou leur compréhension de l’altérité et des mécanismes producteurs d’inégalités.
L’apprentissage du français est également mentionné par un formateur. En marge sont mentionnés des cours relatifs à la recherche en sciences de l’éducation, à l’analyse clinique ou encore à la pratique linguistique des futurs enseignants.
Ce premier point d’analyse des thématiques composant la formation des enseignants en matière d’approches interculturelles met en évidence sa richesse et sa complexité. Les thèmes s’entremêlent et forment ensemble une toile de savoirs relatifs à la prise en compte de l’altérité (tableau 3).
Tableau 3
Sous-thèmes des enseignements dispensés dans la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle
Cette classification des sous-thèmes qui apparaissent dans notre corpus de données nous permet d’identifier un enjeu autour duquel semble tourner la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité : la prise de conscience vis-à-vis des inégalités et la manière dont celles-ci influencent le devenir scolaire des élèves issus de la migration. Si cet enjeu est bien identifié ici, nos données ne nous permettent cependant pas de dire qu’il représente une tendance générale en Suisse romande. L’atteinte de cet objectif pourrait être appuyé par des théories classiques ou des apports sur la migration en général. Si les pratiques semblent minoritaires, elles sont complétées par des analyses cliniques, réflexives ou autres plutôt ancrées dans une logique d’alternance et d’interdépendance entre théorie et pratique.
Si les savoirs théoriques sont particulièrement représentés dans les réponses des formateurs, les évaluations des enseignements, telles qu’elles ont été décrites dans notre corpus (9 répondants), font la part belle à leur mise en oeuvre ou à leur mobilisation pour réaliser différents travaux : analyse de situation éducative, proposition de remédiation ou proposition pédagogique.
Pour comprendre comment s’orientent les cours se rapportant aux approches interculturelles, nous avons demandé aux formateurs de nous dire ce qu’ils aimeraient changer (certains ont répondu qu’ils ne souhaitaient rien changer ou que leurs changements se faisaient en fonction de leurs étudiants). Voici les évolutions envisagées par les formateurs (9) :
-
Renforcer l’appropriation des contenus
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Renforcer l’implication des étudiants
-
Renforcer la réflexion des étudiants
-
Renforcer la dimension intersectionnelle
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Avoir plus de temps (x2)
Ces évolutions souhaitées font écho aux éléments présentés précédemment. À ce titre, les volontés de renforcer l’implication et la réflexion des étudiants peuvent être un témoin de cette volonté d’inclure leur identité culturelle dans le processus de formation. La volonté d’avoir plus de temps résonne avec la place insuffisante de la formation en matière de prise en compte de la diversité culturelle décrite par certains formateurs. Enfin, l’évocation de l’intersectionnalité résonne avec des évolutions sociétales actuelles amenant un croisement nécessaire des enjeux auxquels sont confrontés les publics scolaires.
Futurs enseignants issus de la diversité culturelle
Dans cette dernière section, nous présentons les résultats concernant notre quatrième question de recherche, « La biographie des étudiants issus de la diversité culturelle fait-elle partie des composantes intégrées à la formation? » (tableaux 4 et 5).
Tableau 4
Réponses à la question : « La formation permet-elle aux étudiants de mobiliser leurs identités culturelles, leurs parcours migratoires ou encore leur langue d’origine comme des ressources? »
Tableau 5
Réponses à la question : « De manière générale, les apports provenant de leurs identités culturelles sont-ils valorisés? »
Les tableaux 4 et 5 témoignent d’une certaine tendance : les identités culturelles des étudiants ne semblent pas avoir de place importante dans la formation des enseignants. En effet, sept formateurs (tableau 4) pensent que la formation ne leur offre pas la possibilité de mobiliser leurs identités culturelles et huit formateurs (tableau 4) pensent que leurs apports provenant de leur identité culturelle ne sont pas valorisés.
En outre, tous les formateurs ayant répondu (11/11) pensent qu’il faudrait permettre aux étudiants d’utiliser leurs ressources personnelles dans la formation. Deux tendances majoritaires se dégagent lorsqu’on leur demande de justifier cette position. Premièrement, la mobilisation des identités culturelles permet leur valorisation au sein de la formation et participe dès lors à la cohérence d’un parcours préparant les futurs enseignants à valoriser la diversité de leurs élèves. La mobilisation de leurs identités culturelles en formation est aussi décrite comme un objet d’étude, puisque l’analyse de son propre parcours ainsi qu’un travail réflexif sur sa propre identité permettent la décentration et l’ouverture à l’autre. La seconde tendance identifiée est relative à l’école. Les formateurs expliquent que la diversité des futurs enseignants doit être prise en compte car ils peuvent devenir des modèles pour leurs élèves et être des ressources dans la sphère scolaire (par exemple pour les collègues ou pour prendre en charge des cours de langue d’origine).
Enfin, quelques formateurs émettent des nuances quant à la prise en compte de la diversité des étudiants. Certains disent qu’il ne faudrait pas réduire leur identité à leur origine culturelle et d’autres veulent éviter la réduction de leur identité à la culture. Ils rejoignent ainsi les nuances identifiées dans la littérature.
Discussion des résultats
Afin de mettre en perspective les résultats présentés dans la section précédente, nous avons organisé cette discussion en quatre parties correspondant à nos quatre questions de recherche.
Question de recherche 1 : concevoir la formation
Pour ce qui est de la définition de l’expression « diversité culturelle en contexte éducatif », nous constatons que l’ensemble du corpus nous permet de retracer une histoire d’un champ (« l’interculturel »). Historiquement centré sur les appartenances culturelles et les dimensions linguistiques, les définitions proposées par les formateurs semblent tendre vers une complexification des enjeux que comportent l’expression « diversité culturelle ». Ils y ajoutent des dimensions sociales, économiques et de genre qui font écho à différentes recherches, notamment en sociologie (CNESCO, 2016; Felouzis, 2003) et à des évolutions sociétales actuelles proposant des lectures de la réalité dans laquelle se croisent des appartenances individuelles et groupales multiples. Les définitions proposées montrent un ancrage social et sociétal des enjeux relatifs à la diversité qui sont proches de ce que Sleeter et Grant (2009) appellent « Éducation multiculturelle pour la justice sociale ». D’autres éléments identifiés, comme le fait que la diversité culturelle puisse être prise en compte dans les contenus d’enseignement, font écho à l’éducation multiculturelle (Sleeter et Grant, 2009). L’usage de cette typologie nous permet ici de mettre en exergue la possibilité de la formation à ancrer les enjeux de diversité dans un espace social plus large que l’espace école et nous permet aussi de se questionner sur la capacité de l’école à intégrer la question de la diversité.
Concernant le rôle attribué à la formation par les participants, nous retenons que la capacité à réfléchir à propos de son rapport à l’altérité et de sa pratique semble être centrale. Nous interprétons cela comme une distanciation vis-à-vis de la première approche proposée par Sleeter et Grant (2009), « Enseigner l’exceptionnel et le culturellement différent », qui faisait reposer sur l’élève « différent » le devoir de s’adapter à l’école. En effet, la dimension réflexive soutenue par les formateurs implique que les acteurs scolaires aient la capacité de se remettre en question et de faire évoluer leur pratique pour le bénéfice d’élèves (ou de familles) issus de la diversité. Aussi, la compétence réflexive visant à analyser son propre rapport à l’altérité nous semble être un outil clé pour entrer dans une logique de rupture avec des préconceptions négatives à propos d’élèves (voir par exemple Akkari, 2007; Serir, 2017).
Question de recherche 2 : évaluer la formation
Notre deuxième question de recherche a mis en lumière la persistance d’un constat : la formation est majoritairement jugée insuffisante par les formateurs. Les qualificatifs identifiés dans notre corpus font écho aux recherches mentionnées précédemment : faible volume horaire, cours facultatifs, disparités des enseignements. Il est évident que les questions de diversité culturelle ne peuvent pas prendre une place majoritaire dans une formation à un métier nécessitant une pluralité d’expertises. En outre, il nous semble que l’interdisciplinarité puisse être une voie porteuse pour répondre aux enjeux identifiés par les formateurs.
Question de recherche 3 : contenus de formation
Au regard de nos données, il est clair que les futurs enseignants en Suisse romande – même si plus pourrait être fait d’après nos participants – sont formés à oeuvrer dans des contextes hétérogènes tout en ayant la capacité à réfléchir à leurs pratiques ou leurs rapports à l’autre. Une série de contenus semble théorique, mais nous les interprétons comme des clés pour « lire le monde » (Freire, 1983) de l’école et pouvoir l’analyser. En outre, les évaluations identifiées dans notre corpus montrent que si les contenus revêtent une dimension théorique, les étudiants sont amenés à les mobiliser et ainsi à les faire interagir avec leur pratique. Notre corpus étant limité, il n’est pas possible de généraliser cette tendance. De plus, des nuances sont à apporter puisque, comme l’Illustre le tableau 3, ces contenus coexistent avec d’autres contenus potentiellement moins critiques.
Question de recherche 4 : étudiants issus de la diversité culturelle en formation
Il existe un écart entre la perception positive de la mobilisation des identités culturelle en formation par les formateurs et la réalité qu’ils décrivent. En effet, tous les répondants jugent intéressant de pouvoir les mobiliser (il est possible que ces résultats soient également expliqués par un biais de désirabilité sociale), mais ils sont une minorité à trouver que les identités culturelles sont valorisées en formation. Il est possible que cet écart s’inscrive dans les « eaux troubles » relevées par Borri-Anadon, Hirsch et Audet (2023) ou encore dans la difficulté à nommer les questions de diversité. Peut-être en formation est-il difficile de faire appel à certaines identités sans prendre les risques évoqués par Changkakoti et Broyon (2013), notamment celui de l’ « assignation à origine »?
Conclusion
Cette recherche intervient après une étude de cas portant sur une seule formation d’enseignants dans laquelle nous avions analysé la prise en compte de la diversité (Radhouane, 2019). Notre objectif était ici de contribuer à comprendre les orientations suivies par les experts du champ. Si cette étude comporte de nombreuses limites (peu de participants et impossibilités d’être précis concernant certains enseignements, données brèves en raison du format questionnaire), elle montre tout de même une tendance à inclure la diversité culturelle dans un prisme plus global, plus systémique et dans certains cas intersectionnel (Sleeter et Grant, 2009). Il y a donc une complexification, au sens de Morin (1990/2005), des enjeux relatifs à la diversité. Ils sont imbriqués dans une toile de savoirs sur le monde, permettant de lire ce dernier (Freire, 1983) et dès lors d’y agir au bénéfice des élèves. Les éléments de notre étude restent déclaratifs et ne considèrent que les contenus et rôles attribués à la formation. La manière dont ces savoirs sont reçus par les étudiants reste alors à investiguer.
Parties annexes
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Liste des figures
Figure 1
Part (en %) d’élèves étrangers dans les cantons de Suisse romande (école obligatoire, année scolaire 2021/2022)
Liste des tableaux
Tableau 1
Classement des rôles attribués à la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle
Tableau 2
Réponses à la question : « Les stages participent-ils à la formation des enseignants à la prise en compte de la diversité culturelle? »
Tableau 3
Sous-thèmes des enseignements dispensés dans la formation des enseignants en matière de prise en compte de la diversité culturelle
Tableau 4
Réponses à la question : « La formation permet-elle aux étudiants de mobiliser leurs identités culturelles, leurs parcours migratoires ou encore leur langue d’origine comme des ressources? »
Tableau 5
Réponses à la question : « De manière générale, les apports provenant de leurs identités culturelles sont-ils valorisés? »