
Volume 54, Special Issue, 2024 Liber Amicorum : Jean-Denis Archambault Guest-edited by Yan Campagnolo, Denis Nadeau and Michelle Giroux
Table of contents (5 articles)
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Hommage posthume au professeur Jean-Denis Archambault
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L’intérêt pour agir et le conflit des normes : analyse de l’article 85 du nouveau Code de procédure civile au regard de l’arrêt Downtown Eastside
Paul-David Chouinard
pp. 13–53
AbstractFR:
Toute personne souhaitant introduire une demande en justice doit être en mesure de démontrer un intérêt pour agir, c’est-à-dire un lien entre sa situation et l’objet de l’instance qui justifie sa participation aux débats judiciaires. Les critères permettant d’évaluer cet intérêt pour agir ont été assouplis au Canada dans les dernières années, notamment dans les causes d’intérêt public. Or, il est possible de constater une incompatibilité entre les règles édictées par le législateur québécois au sein du Code de procédure civile et les principes énoncés par la Cour suprême du Canada sur cette question. En droit québécois, ce concept s’avère fuyant, tirant sa source de principes et valeurs empruntés à la fois au droit public et au droit privé, ainsi que de traditions juridiques distinctes, soit le droit civil et la common law. À cet égard, le recours aux principes d’interprétation des lois permet de répondre à un enjeu spécifique, soit l’incompatibilité entre le second alinéa de l’article 85 Cpc et l’arrêt Downtown Eastside quant à la définition de l’intérêt pour agir dans l’intérêt public. Dans le présent texte, l’auteur propose des pistes de solution afin de parvenir à une approche cohérente en matière d’intérêt pour agir en droit québécois tout en respectant les sources qui sont à l’origine de cette règle. Il conclut que l’interprète doit se référer à l’article 85 Cpc, tout en demeurant soucieux de la jurisprudence de la Cour suprême de laquelle cette disposition s’inspire.
EN:
Anyone wishing to bring a legal claim must demonstrate proper standing to sue. In other words, the claimant needs to establish a connection between his situation and the basis of the lawsuit which justifies his participation in the legal proceedings. The standing rule has been stretched in Canada in recent years, particularly in public interest litigation. However, incompatibility between the rules enacted by the Quebec legislator within the Code of Civil Procedure and the principles developed by the Supreme Court of Canada subsists on this issue. Indeed, in Quebec, this concept proves to be elusive, drawing its source from principles and values borrowed from both public law and private law as well as from distinct legal traditions, namely civil law, and common law. In this regard, statutory interpretation principles provide opportunities to reflect on one specific issue, namely the incompatibility between section 85, paragraph 2 of the Code of Civil Procedure and the decision Downtown Eastside. This paper provides an analytical framework to establish a coherent approach regarding the law of standing in Quebec. Particular attention must be paid to the origins of this concept. The author argues that the interpreter should apply section 85, paragraph 2 of the Code of Civil Procedure. However, he must also recognize the influence of the Supreme Court cases from which this article takes its roots.
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Le libelle diffamatoire criminel — une longue histoire où l’État… de droit s’immisce dans le champ du privé
Pierre Gilles Bélanger
pp. 55–97
AbstractFR:
Le libelle diffamatoire criminel est source d’un conflit fondamental qui oppose le droit à la liberté d’expression et les principes sous-jacents, lesquels ont été exprimés sous diverses formes depuis la fin du XVIIIe siècle. La politique consistant à recourir au droit criminel pour décourager les formes d’expression préjudiciables, au motif qu’elles portaient atteinte à la réputation de la victime, a évolué progressivement au fil des ans. Mais depuis les années 1990, des pressions importantes sont exercées dans le monde occidental et au Canada pour que des réformes soient mises en oeuvre. L’auteur, s’inspirant de l’oeuvre et de la pensée de Jean-Denis Archambault, tout en lui rendant hommage, propose qu’il revient au droit civil public, c’est-à-dire au droit civil dans ses interactions avec le droit public, de se définir et surtout de se développer sous l’inspiration du droit international des droits de la personne, afin de définir les situations où le libre exercice de la parole porte atteinte à d’autres intérêts, comme le respect de la vie privée et de la dignité.
EN:
Criminal defamatory libel presents a fundamental conflict between the right to freedom of expression and its underlying principles, which have been expressed in various forms since the late 18th century. The policy of using criminal law to discourage harmful forms of expression, on the grounds that they damage the victim’s reputation, has evolved gradually over the years. However, since the 1990s, there have been significant pressures in the Western world and in Canada to implement reforms. Drawing inspiration from the work and thought of Jean-Denis Archambault, while paying tribute to him, the author suggests that it is up to public civil law, that is to say, civil law in its interactions with public law, to define and, above all, to develop under the influence of international human rights law, in order to identify situations where the free exercise of speech infringes upon other interests, such as respect for privacy and dignity.
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Methodology for Interpreting Constitutional Legislation: Crucially Different or Much the Same?
John Mark Keyes
pp. 99–147
AbstractEN:
This article considers whether the methodology for interpreting legislation that forms part of the Constitution of Canada is the same as or different from the methodology for interpreting other legislation. Former Chief Justice Dickson’s characterization of the interpretation of the Constitution as “crucially different from that of construing a statute” has had a significant effect on constitutional jurisprudence, but in what sense is it different and have these differences been overstated?
This article begins by examining the features of constitutional legislation Dickson mentions and concludes they are neither unique to constitutional legislation nor found in all constitutional legislation. The article then considers constitutional decisions of Judicial Committee of the Privy Council and the Supreme Court of Canada interpreting and applying the Constitution Act, 1867 from the 19th century through to the 21st.
On the basis of these decisions, the article concludes the elements of interpretive methodology Dickson identified, in relation to constitutional interpretation, apply to varying degrees, not only to constitutional texts, but also to non-constitutional legislation. The methodology for constitutional interpretation is essentially the same as that for interpreting other legislation. However, some constitutional legislation (notably provisions that have been frequently litigated) tends to attract particular elements of interpretive methodology and to that extent, it is distinctive.
This article, and its focus on legislative interpretation, has its origins in an LLM thesis I prepared under the direction of Professor Archambault. It focused on the judicial review of delegated legislation, but it broadly ranged over many aspects of constitutional and administrative law that Professor Archambault prompted me to explore on my journey to provide a comprehensive picture of how the courts have supervised the exercise of delegated legislative power. I am deeply grateful for the expansive scope Professor Archambault allowed me and nourished with his guidance.
FR:
Le présent article cherche à déterminer si la méthodologie d’interprétation des lois qui font partie de la Constitution du Canada est identique ou différente de celle utilisée pour interpréter d’autres lois. L’affirmation de l’ancien juge en chef Dickson, selon laquelle l’interprétation de la Constitution est « fondamentalement différente de celle de l’interprétation d’une loi », a eu un effet significatif sur la jurisprudence constitutionnelle. Mais en quoi consiste exactement cette différence, et ces distinctions ont-elles été exagérées ?
L’article commence par analyser les caractéristiques de la législation constitutionnelle mentionnées par le juge Dickson et conclut qu’elles ne sont ni propres à la législation constitutionnelle ni présentes dans toute législation constitutionnelle. Il examine ensuite les décisions du Comité judiciaire du Conseil privé et de la Cour suprême du Canada, qui interprètent et appliquent la Loi constitutionnelle de 1867, depuis le XIXe siècle jusqu’au XXIe siècle.
Sur la base de ces décisions, l’article conclut que les éléments de méthodologie interprétative retenus par le juge Dickson en ce qui concerne l’interprétation constitutionnelle s’appliquent, à des degrés divers, non seulement aux textes constitutionnels, mais aussi aux lois non constitutionnelles. La méthodologie pour l’interprétation constitutionnelle est essentiellement la même que celle utilisée pour interpréter d’autres lois. Cependant, certaines lois constitutionnelles (notamment les dispositions souvent litigieuses) tendent à attirer certains éléments particuliers de la méthodologie interprétative et, à ce titre, présentent une certaine spécificité.
Cet article, axé sur l’interprétation législative, trouve son origine dans un mémoire de maîtrise en droit (LLM) que j’ai rédigé sous la direction du professeur Archambault. Cette thèse portait sur le contrôle judiciaire de la législation déléguée, mais explorait également de nombreux aspects du droit constitutionnel et administratif, que le professeur Archambault m’a encouragé à examiner dans ma quête d’une vision globale de la manière dont les tribunaux supervisent l’exercice du pouvoir législatif délégué. Je lui suis profondément reconnaissant pour le vaste spectre qu’il m’a permis d’explorer et qu’il a enrichi par ses conseils.
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Revoir l’interprétation de la clause de dérogation à l’article 33 de la Charte canadienne suivant le recalibrage méthodologique de l’arrêt Québec inc
Stéphane Beaulac
pp. 149–190
AbstractFR:
Après un court hommage au professeur Jean-Denis Archambault, un résumé des récents débats au sujet de la clause de dérogation (ou « clause nonobstant ») met en évidence l’importance de la question de savoir si le pouvoir de contrôle judiciaire de la constitutionnalité demeure possible à la suite du recours à l’article 33 de la Charte canadienne. Pour sa part, l’auteur se concentre exclusivement sur la dimension méthodologique de la problématique — métaméthodologique, en fait — pour articuler ce qu’il appellera l’École de Montréal à ce sujet. Pour ce faire, une étude des derniers développements en interprétation constitutionnelle de la Charte canadienne est effectuée, avec la trilogie d’arrêts du tournant des années 2020, surtout la décision de principe Québec inc. En outre, les décisions dans Poulin et Cité de Toronto sont examinées, ce qui permet de valider le recalibrage opéré par la Cour suprême de son approche téléologique, s’agissant de la macro-interprétation de la Charte. Il y a eu une réhabilitation du texte, comme point de départ, mais aussi en tant que contrainte principale, voire de limite externe à l’exercice toujours axé sur les objectifs de notre régime de droits de la personne. Cette « interprétation textuelle téléologique » — un nouveau vocable en jurisprudence — constitue la base de l’École de Montréal et devra alimenter la reconsidération de l’article 33. À cet égard, en conclusion, quelques pistes de micro-interprétation sont données, pour opérationnaliser un tel exercice recalibré : les notes marginales, la rubrique pertinente, et surtout l’article 32 de la Charte comme élément de contexte immédiat.
EN:
Following a short tribute to Professor Jean-Denis Archambault, a review of the literature regarding the derogation clause (or “notwithstanding clause”) makes it obvious that, central to heated debates, is the question whether the judicial power of constitutional review remains possible following the use of article 33 of the Canadian Charter. In this paper, the focus is exclusively put on the dimension pertaining to methodology involved in this issue—indeed, meta-methodology—with a view to articulating what will be called the Montreal School on the topic. To that end, a study of the latest development in constitutional interpretation and the Canadian Charter is conducted, with the trilogy of cases at the turn of the year 2020, especially the reference judgment in Québec inc. Also, the decision in Poulin and in City of Toronto will be considered, which confirms a recalibration, operated by the Supreme Court of Canada, of the purposive approach regarding the macro-interpretation of the Charter. What occurred is the rehabilitation of the text, as a starting point surely, but also acting as a primal constraint, forming outer bounds in the process that remained aimed at the objectives of Canada’s human rights regime. Such as “purposive textual interpretation,” the expression newly coined, constitutes the basis of the Montreal School and shall inform the reconsideration of section 33. In that regard, the conclusion proposes a few lines of micro-interpretation arguments, with a view to operationalizing a recalibrated process : marginal notes, the relevant cross-heading, and mainly section 32 of the Charter as an element of immediate context.