Deux événements, à première vue peu liés entre eux m’ont incité à écrire le présent éditorial : la saga de la dernière élection présidentielle américaine et certaines réactions aux propos d’Olivier Bernard dit le « Pharmachien » à la suite de son passage à l’émission Tout le monde en parle sur la chaîne télévisuelle de Radio-Canada. Je tenterai de montrer que le lien entre ces deux événements est constitué de trois éléments : a) la préséance des opinions sur les faits dûment vérifiés, b) l’importance démesurée accordée aux émotions et aux témoignages à titre d’argument et c) le manque de culture scientifique, plus particulièrement en ce qui concerne le processus d’évaluation par les pairs inhérent aux publications scientifiques. D’une certaine façon, le contenu de cet éditorial s’inscrit dans la foulée de deux catégories de textes publiés au cours des dernières années en Éditorial et dans la rubrique Controverse. Il s’agit de textes qui traitent du fonctionnement de la science, de l’importance de la culture scientifique, mais aussi de textes qui ont trait à l’utilisation d’approches pseudoscientifiques ou paranormales considérées non valides, voire nuisibles, par la communauté scientifique. Cet éditorial constitue également une introduction à deux textes qui paraissent dans la rubrique Controverse du présent numéro : « Les miracles au péril de la science » et « Second regard sur le processus d’évaluation par les pairs ». Il comprend deux parties. La première est consacrée à l’analphabétisme scientifique et la seconde, au processus d’évaluation par les pairs. Cette première partie comprend trois sections consacrées respectivement au règne de l’opinion ou l’ère post-factuelle, à l’agnotologie et aux biais de confirmation. D’abord un constat : pour fonctionner, le cerveau a besoin de sens. Or, qu’est-ce qui produit d’emblée du sens devant un phénomène par exemple? Les croyances de quelque nature qu’elles soient! De fait, nous sommes naturellement crédules, c’est une propriété programmée de notre cerveau. Mais quand il s’agit de dépasser la croyance pour expliquer tel phénomène, on recourt au raisonnement, et celui-ci fait appel à l’esprit critique et à son pendant, le scepticisme. Le travail intellectuel ainsi amorcé requerra des apprentissages, donc un effort volontaire et une vigilance constante pour débusquer les erreurs et répondre aux doutes qui parsèment nécessairement une telle démarche (Dawkins, 1996; Larivée, 2009). La valorisation de l’opinion au détriment des faits a ouvert la porte à une ère post-factuelle où les faits dûment vérifiés n’ont plus guère importance. Il suffit de répéter ad nauseam une affirmation pour que celle-ci acquière le statut de «vérité» suivant le principe énoncé par Klatzman (1985) : dites n’importe quoi, mais avec assurance, et on vous croira. La saga de la dernière campagne présidentielle des États-Unis en 2016 en constitue un exemple percutant : Donald Trump et Hilary Clinton pouvaient affirmer à peu près n’importe quoi sans vraiment avoir à démontrer la véracité de leurs dires. Tandis que le NYT (New York Times) et le WaPo (Washington Post) débusquaient toutes les imprécisions, approximations et mensonges proférés par Trump (dont plus de trente en une seule journée), de nombreux journaux en ligne publiaient ceux de Clinton. Bien sûr, mentir n’a jamais empêché un politicien d’être élu. À cet égard, Brousseau (2016, p.B1) rappelle trois citations célèbres qui témoignent du règne de l’opinion à d’autres époques : Largement diffusées par les médias sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat), ces fausses vérités véhiculées durant toute la campagne, ont rapidement envahi l’espace public empêchant du coup toute validation factuelle. Quoi qu’il en soit, même après vérifications, les résultats ne pouvaient guère changer grand chose puisque les partisans de l’un et de l’autre s’informent …
Appendices
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