Abstracts
Mots-clés :
- télépoésie épistolaire,
- art vidéo,
- orchestration en temps réel,
- contrepoint de formes
Télépoésie : de « télé », du grec ancien tễle, « loin (à distance) », et de « poésie », du grec poïesis, « création », « [l]a cause qui, quelle que soit la chose considérée, fait passer celle-ci du non-être à l’être » (Platon, 1991 [380 av. J.-C.] : 205). La poïésis est ici indissociable de la praxis, car en télépoésie, l’oeuvre émane d’un collectif comme un rituel performatif qui aurait la faculté de pouvoir se fixer pour devenir pérenne… Élaborée par Alain Joule à la fin des années 1990, la télépoésie est un concept dans lequel plusieurs artistes, bien que ne se trouvant pas dans le même lieu géographique, ont la possibilité de réaliser un acte créatif ensemble, relié·es par la simple force de leur pensée. À l’occasion d’un phénomène naturel (équinoxe, solstice), d’un événement social (manifestation, festival artistique), ou par simple nécessité poétique perçue, l’initiateur·trice adresse aux artistes (toutes disciplines confondues) une proposition d’offrandes spontanées et partageables sur un thème défini. En télépoésie, ce que l’on nomme communément « environnement » occupe une place déterminante. Il va de soi que le mot « environnement » est ici utilisé dans son sens non restrictif, puisqu’il s’étend, dans l’esprit de chaque participant·e, à l’infinité du cosmos. Dans ce processus, chaque artiste fait oeuvre, c’est-à-dire qu’il·elle laisse jaillir sa créativité, l’oriente sans la brider dans un acte autonome et complémentaire à celui des autres artistes dont il·elle ne connaît ni l’identité ni le nombre. L’action de chacun·e est une oeuvre en soi, autonome. Elle peut donc être revendiquée comme telle. Au cours de l’acte, sa complémentarité préméditée permet l’existence d’une oeuvre collective, aléatoire et éphémère. Seule l’organisation des traces de l’ensemble de ces actes pourra constituer une oeuvre pérenne. À un moment T, dans une temporalité définie et à partir d’un thème préalablement proposé, chaque participant·e élabore une action artistique reliée, autonome et complémentaire, en conscience de la présence des autres collaborateur·trices qui, situé·es dans des lieux géographiques différents, mettent en place la même démarche. La conduite autonome et complémentaire est un concept fondamental pour la télépoésie (Joule, 2021) qui définit la spécificité de ces actes qui ouvrent des champs pluriels laissant à la résonance vibratoire le rôle d’une organisatrice mémorielle collective. Le silence relatif trouve une place importante dans ce rituel de partage. Dans cet acte commun, il s’agit de convoquer non pas une posture, mais un état où par conscientisation, pleine conscience, intentionnalité, stase poétique, parenthèse ou tout autre mode d’être, chaque actant entre dans un instant d’éternité commun à un « grand tout » : humain, autre qu’humain et « plus-qu’humain » (Abram, 2013 [1996]). Une fois le rituel effectué, chaque artiste relève les traces de son acte, considérées comme une archéologie du sensible, et me les transmet par Internet. Avec l’ensemble des matériaux de cette « archépoésie » (Joule, 2021) qui constitue une série d’offrandes, je structure une oeuvre vidéo en mettant en relation contrapuntique les textes, les sons et les images. Dans cette phase, je deviens, au nom du collectif, l’interprète-réalisateur de ce que j’appelle un « contrepoint de formes » (CDF) (idem). La reliance fondamentale est un concept connexe qui pourrait englober les sous-concepts énumérés ci-dessus. Elle instaure un compagnonnage interactif entre les artistes et le « tout monde », dans un esprit de conscientisation du biotope de proximité. L’air que je respire, par exemple, porte mes sons; la lumière éclairant ma position géographique dévoile les images que je perçois et qui alimentent, dans l’esthésie plurielle, ma créativité du moment. Lors de l’acte, on ressent la présence des …
Appendices
Bibliographie
- ABRAM, David (2013 [1996]), Comment la terre s’est tue : pour une écologie des sens, trad. Didier Demorcy et Isabelle Stengers, Paris, La Découverte, « Les Empêcheurs de penser en rond ».
- JOULE, Alain Louis (2021), « La possibilité d’une oeuvre poésie-plurielle-concertante et contrepoint de formes », thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal.
- MALLARMÉ, Stéphane (1993 [1897]), Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Paris, Gallimard, « Blanche ».
- PLATON (1991 [380 av. J.-C.]), Le banquet, trad. Philippe Jaccottet, Paris, Le Livre de Poche.
- SPINOZA (2021 [1677]), Éthique, trad. Maxime Rovere (éd.), Paris, Flammarion.