Abstracts
Mots-clés :
- corps,
- corporéité,
- danse,
- douleurs chroniques,
- vieillissement,
- José Navas
Parfois, j’ai l’impression de demander aux gens de danser comme s’ils avaient cinquante ans, alors qu’ils ont vingt, vingt-et-un ans, et tout le potentiel. Je trouve cela plutôt beau. Souvent, je leur demande de travailler avec subtilité, avec lenteur, de se mouvoir le plus lentement possible, puisque c’est un intérêt pour mon propre corps en ce moment. Mais quand je transpose cela dans un corps jeune, ce qui en ressort est toujours plus intéressant, toujours plus surprenant que ce à quoi je m’attendais. Je pense que le fait de vivre avec la douleur a une incidence sur la manière dont on crée. Vivre avec elle transforme notre relation avec le monde. Or, soit on renonce à en être victime, soit on comprend qu’elle va rester avec nous jusqu’à notre mort. En ce qui me concerne, j’essaie d’y trouver une logique lorsque je danse et quand je chorégraphie pour les autres. J’aborde la douleur avec mes danseur·euses. Je leur parle des blessures et de la longévité en danse. Qu’on le veuille ou non, cela fait partie du processus de création, car on travaille avec des créatures vivantes, et les corps vivants sont des corps changeants. Même au cours des deux ou trois ans qu’une pièce existe avec un groupe de danseur·euses, pendant ce temps, il·elles prendront de l’âge. Alors la question du vieillissement n’est pas seulement une réflexion qu’on a à quarante-cinq ans; c’est un sujet qu’on traite dès le premier jour à l’école parce qu’on sent le corps se modifier. Tout d’abord, cette expérience m’a rendu extrêmement humble parce que ma pratique exige un entraînement soutenu pour être fort et prêt pour le spectacle. Mais lorsque le corps commence à se transformer, peu importe si on s’entraîne ou si on répète bien, il va se détériorer. J’ai dû me familiariser en quelque sorte avec ma relation à la sensation de la douleur parce que mon travail est celui de performer. À vingt heures, lorsque le rideau se lève, je dois être présent et j’ai une prestation à livrer. Le rythme de l’arthrite et de la douleur ne coïncide pas nécessairement avec celui du spectacle. Parfois, la douleur est en plein essor à dix-neuf heures trente minutes et le spectacle commence à vingt heures, ou elle apparaît à vingt et une heures quand on est en plein milieu… C’est grâce à la méditation Vipassana, une pratique de retraite qui se déroule en silence, que j’ai pu l’apprivoiser… J’ai commencé à comprendre comment je réagissais quand elle émergeait. Je pensais que tout ce processus d’apprendre à danser avec la douleur, ou d’arrêter à cause d’elle, allait être débilitant… Mais, en fait, c’est le contraire. Ce fut tout un voyage d’introspection : apprendre à me connaître et à me lire mieux qu’avant, parce que j’ai maintenant une discipline que je ne peux pas me permettre de ne pas respecter, celle d’être en silence deux fois par jour, d’écouter mon corps, et lorsque celui-ci exige une pause, m’arrêter et laisser aller la douleur. Cela donne une urgence à ma manière de vivre et à ma façon de créer. Je suppose que quand j’étais plus jeune, je prenais pour acquis le fait que mon talent suffirait pour me mener jusqu’au bout de ma vie, que j’allais danser jusqu’à la fin. Or, il faut plus que du talent, il faut beaucoup de discipline et… il faut être humble. Vieillir est un changement qui se produit physiquement, mais aussi mentalement, et qui, en tant que créateur·trice, implique beaucoup de modifications dans notre conception de la « normalité ». Il faut néanmoins demeurer calme. Ainsi, tout ce qui …