Revue Gouvernance
Governance Review
Volume 16, Number 2, 2019 Régimes politiques, « gouvernance » et élites locales. Mutation des styles de gouvernement local dans quatre pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Maroc) – 2/2 Guest-edited by Jean-Pierre Gaudin, Stéphanie Tawa Lama-Rewal and Frédéric Vairel
Table of contents (5 articles)
-
Les participations dans la fabrique des politiques publiques. L’empêchement des leaders locaux dans la gestion de l’eau à Duque de Caxias au Brésil (2007-2017)
Gilles Massardier
pp. 1–20
AbstractFR:
Cet article traite de l’empêchement des leaders des quartiers de la ville de Duque de Caxias (DdC) dans l’État de Rio de Janeiro (900 000 habitants), dans la région déshéritée de la Baxaida Fluminense. Le secteur de l’eau n’est pas déserté par les leaders locaux de DdC, dont le militantisme est ancien et structuré. Cependant, ceux-ci n’accèdent pas aux espaces décisionnels et leur présence dans les arènes participatives est faible ou non pérenne. Les leaders de DdC y sont empêchés, voire invisibles. L’hypothèse soutenue est que, pour comprendre cette situation, il faut reconstruire les liens entre les types de participation et les dynamiques de pouvoir dans le policy process. Les pratiques participatives au policy process dépendraient de trois variables explicatives : les coalitions de politiques publiques et leurs causes, la gouvernance multi-niveaux, et les capacités politiques des protagonistes. Le premier temps de l’article présente l’intérêt heuristique du modèle qui articule ces trois approches. Le second temps présente les caractéristiques de la gestion de l’eau à DdC : la dépendance à « la production de l’eau » (système hydroélectrique Guandu), mais en même temps la défaillance des infrastructures, ainsi qu’une gouvernance multi-niveaux fragmentée et sans coordination qui exclut les leaders locaux des espaces décisionnels. Les troisième et quatrième temps analysent le clivage entre deux coalitions. La coalition technico-politique (CTP) cumule les capacités politiques (accès aux espaces décisionnels, technicités, opérationnalités) et monopolise l’accès aux ressources de l’État fédéré. À l’inverse, la coalition militante-hygiéniste-environnementaliste (CMHE) et ses leaders locaux détiennent des capacités politiques de représentation et de mobilisation sociales, mais sont dépourvus de capacités d’accès aux espaces décisionnels. Enfin, un cinquième temps décrit l’invisibilité des leaders locaux dans les arènes participatives.
EN:
This paper deals with the preclusion of local leaders of Duque de Caxias’s (DdC) deprived neighborhoods (a 900.000 inhabitants city), in the state of Rio de Janeiro, in the Baxaida Fluminense desavantage area. Water sector is not abandoned by DdC’s local leaders which activism is ancient and structured. However, they have no access to decision-making spaces and their presence in participatory arenas is weak or unsustainable. DdC leaders are prevented from doing so, if not invisible. The hypothesis defended here to understand this situation is that analysis must reshape the links between participation types and power dynamics in the policy process. Participative practices would then depend from three explanatory variables: policy coalitions and their advocacy, multi-level governance and, political capacity of protagonists. The first part of the article presents the heuristic interest of the model that articulates these three approaches. The second part presents the characteristics of water management in DdC: dependence on "water production" (Guandu hydroelectric system), but at the same time infrastructure failure, as well as fragmented and uncoordinated multi-level governance that excludes local leaders from decision-making spaces. The third and fourth parts analyse the cleavage between two coalitions. The technical-political coalition (CTP) combines political capacities (access to decision-making spaces, technicalities, operationalities) and monopolizes access state resources. Conversely, the activist-hygienist-environmentalist coalition (CMHE) and its local leaders have political capacities for social representation and mobilization but lack the capacity to access decision-making spaces. Finally, a fifth part describes the invisibility of local leaders in participatory arenas.
-
La résistible émergence d’une gouvernance participative à Delhi
Stéphanie Tawa Lama-Rewal
pp. 21–40
AbstractFR:
Ville majeure mais État faible, Delhi est, depuis 2000, un laboratoire de la démocratie participative, notamment parce que c’est là qu’a émergé en 2013 l’Aam Aadmi Party (AAP, Parti de l’homme ordinaire), un parti qui place la participation au coeur de son projet politique. Cet article analyse ce qui fait à la fois la nouveauté et la faiblesse de la gouvernance participative proposée par l’AAP depuis sa large victoire électorale de 2015, en situant cette gouvernance par rapport aux pratiques antérieures. En comparant la destinée de trois dispositifs successivement mis en oeuvre au cours des deux dernières décennies dans la capitale indienne – le programme Bhagidari, les mohalla sabhas (assemblées de quartier) et les SMC mahasabhas (assemblées scolaires) – il propose une « analyse contextualisée de la participation » (Mazeaud, Boas, et Berthomé, 2012) et contribue ainsi au dialogue nécessaire entre études des dispositifs participatifs et études de la gouvernance (Melo et Baiocchi, 2006). Plus spécifiquement, en interrogeant à la fois le sens et la réception des principes d’action publique regroupés sous le nom de gouvernance participative, cet article met en évidence le rôle de deux acteurs de la gouvernance urbaine – la bureaucratie et la société civile organisée – dans la longévité du programme Bhagidari et la brièveté des assemblées de quartier à Delhi.
EN:
A major city but a weak state, Delhi has been a laboratory of participatory democracy since 2000, especially since the emergence of the Aam Aadmi Party (AAP, Party of the Common Man) in 2013, a party that puts participation at the core of its political project. This paper analyses what makes both the novelty and weakness of participatory governance proposed by the AAP since its broad electoral victory of 2015, by situating this governance in relation to past practices. By comparing the destiny of three participatory mechanisms successively implemented over the past two decades in the Indian capital - the Bhagidari programme, the mohalla sabhas (neighbourhood assemblies) and the SMC mahasabhas (school assemblies), the paper proposes a "contextualized analysis of participation" (Mazeaud, Boas, and Berthomé, 2012) and thus contributes to the necessary dialogue between participatory instruments studies and governance studies (Melo and Baiocchi, 2006). More precisely, by questioning both the meaning and the reception of these principles of public action grouped under the umbrella of “participatory governance”, the article highlights the role of two actors of urban governance – bureaucrats and organised civil society – in the contrasted evolutions of the Bhagidari initiative and mohalla sabhas.
-
La gouvernance participative comme instrument de structuration d’un nouveau système élitaire ? Le cas des représentants de la catégorie de l’agriculture familiale dans le District fédéral de Brasilia
Lauren Lecuyer
pp. 41–61
AbstractFR:
Cet article se propose d’étudier les pratiques participatives des agriculteurs familiaux qui ont été invités à participer depuis 2004 au policy-making des politiques territoriales de « développement rural durable » au Brésil. Au travers de l’exemple choisi, nous analysons les effets que peut induire la participation d’une catégorie traditionnellement exclue de l’élaboration des politiques publiques sur l’évolution des rapports historiques de pouvoir et de domination politique au Brésil.
EN:
This article examines the participatory practices of “familial farmers” invited to take part in the policy process of territorial policies for “rural sustainable development” in Brazil since 2004. Through this case study, the effects a traditionally excluded group from public policymaking can have on the evolution of historical relationships of power and political domination in Brazil are analyzed.
-
L’émergence des élites techniciennes dans la planification participative à Zhuhai
Liao Liao
pp. 62–80
AbstractFR:
Depuis les années 1990, la gouvernance participative se généralise dans le monde entier en tant que mode de gouvernance. Cette notion de gouvernance participative séduit également les autorités chinoises, qui cherchent à se transformer et à se légitimer au fil des développements de leur société et des modèles qui circulent de manière transnationale. De nombreuses expérimentations en termes de gouvernance participative ont été mises en place en Chine, du budget participatif à la planification participative. Bien que l’État central ait mis l’accent sur la notion de gouvernance participative, celle-ci reste encore en expérimentation de manière très variée selon les niveaux locaux. Dans cet article, nous allons d’abord traiter du contexte de développement de la participation en Chine, depuis l’État jusqu’aux pratiques locales, tout en évoquant différentes catégories de participation. Nous mettrons en lumière également certains facteurs importants qui favorisent l’émergence de la planification participative et ses implications à l’échelle du quartier. Ensuite, à partir d’une étude de cas approfondie, nous examinerons la planification participative en analysant tour à tour l’objectif, la stratégie et le processus de cette participation. Puis, en nous appuyant sur une approche de sociologie politique, nous mettrons l’accent sur la transformation des acteurs de cette participation à Zhuhai, près de Macao, qui passeront d’« experts techniques » à « élite technicienne ». La quatrième partie montrera le rôle de ces élites techniciennes. En conclusion, nous discuterons de la participation à la chinoise et de ses implications sur le régime local à Zhuhai.
EN:
Participatory governance has become a mode of governance around the world since the 1990s. This notion of participatory governance also attracts the Chinese authorities, who seek to transform and legitimize themselves through the development of Chinese society. Numerous experiments in participatory governance have been implemented in China, from participatory budgeting to participatory planning. Although the central state has emphasized the notion of participatory governance, it is still been experimented in various ways, particularly at the local level. So, it is interesting to understand the development of participatory governance in the Chinese context. In this article, we will first discuss the context of the development of participation in China, from the State to practices at local levels, while showing different categories of participation. We will also highlight important factors that promote the emergence of participatory planning and its implications at the community level. Besides, from an analytical perspective, we will examine participatory planning: its purpose, strategy and process. Then, based on the political sociology approach, we will focus on the transformation of the actors in this participation, from the "technical expert" to the " technical elite". In the fourth part, we will show the role of these technical elites. Finally, we will conclude by the discussion about Chinese participation and its implications for the local regime in Zhuhai.
-
Conclusion : le « travail » politique de la gouvernance. Approches localisées des élites du développement