EN:

For a number of migrant actors, bureaucratic processes related to immigration constitute the greater part of the route toward their aspired destination and significantly shape their experience of migration and forced immobility. This special issue takes a look at the meaningful ways in which migrant actors interact with immigration bureaucracies and at how administrative procedures, with their highly emotional potential, shape in turn the subjectivity, decisions and actions of migrant actors. All the articles here analyse immigration bureaucracy as a dynamic process mediated by a network of people and by material objects (for example, documents, forms). Whether work, marriage or refuge is the reason for migration, the period of waiting in administrative limbo — which can last years — is crucial to our understanding of the bureaucratic encounter as a social force. This issue, dedicated to migrants’ lived experience of paperwork, clerks and other immigration intermediaries, explores two aspects of migrant actors’ encounters with immigration bureaucracies that go beyond the specificities of each individual’s personal background and trajectory: the production of affects and bureaucratic agency; the former often being the driving force behind the latter.

FR:

Pour un certain nombre de personnes migrantes, les processus bureaucratiques liés à l’immigration constituent la majeure partie du parcours vers la destination souhaitée et façonnent considérablement l’expérience de la migration et de l’immobilité forcée. Ce numéro spécial se penche sur les manières significatives par lesquelles les migrants interagissent avec les bureaucraties migratoires et sur la façon dont les procédures administratives, avec leur potentiel hautement émotionnel, modèlent à leur tour la subjectivité, les décisions et les actions de ces acteurs. Tous les articles présentés ici analysent la bureaucratie migratoire comme un processus dynamique médiatisé par un réseau de personnes et par des objets matériels (par exemple, des documents, des formulaires). Que le motif de la migration soit le travail, le mariage ou l’asile, la période d’attente dans les limbes administratives - qui peut durer des années - est cruciale pour notre compréhension de la rencontre bureaucratique en tant que force sociale. Ce numéro, consacré à l’expérience vécue de la paperasse, des interactions avec les agents de bureau et autres intermédiaires à l’immigration, explore deux aspects de la rencontre entre acteurs migrants et bureaucraties migratoires qui transcendent les spécificités du vécu et de la trajectoire personnelle de chaque individu : la production d’affects et l’agentivité bureaucratique, la première étant souvent la force motrice de la seconde.

EN:

Based on an ethnographic study of Canadian women’s intimate relationships with a racialized man from the Global South, this article focuses on their experiences of the spousal reunification process. More specifically, I examine how the women emotionally and materially engage with spousal reunification procedures and administrative temporalities and how interactions with the Canadian immigration bureaucracy affect their subjectivity as women and citizens. I look at three embodied modes of involvement with bureaucratic procedures—waiting, working and fighting—each bringing forth its own set of emotions and creative coping strategies. I argue that love is central to the experience of the administrative procedures, as an ideological and technological tool used both by the state to regulate and discredit non-desirable relationships and by applicants to make sense of their position (of vulnerability) and to create meaningful narratives within state-imposed categories. A form of defensive agency emerges in women whose enormous application files, filled with “proof” of the authenticity of their relationship, shows how they have endorsed social anxieties about North-South intimacies and the strategies they have developed in order to legitimize their union.

FR:

Sur la base d’une étude ethnographique des relations intimes qu’entretiennent des femmes canadiennes avec des hommes racisés du Sud global, cet article examine l’expérience que font ces femmes du processus de regroupement des conjoints. Plus précisément, il explore la manière dont celles-ci composent émotionnellement et matériellement avec les procédures de regroupement des conjoints et les temporalités administratives ainsi que la façon dont leurs interactions avec la bureaucratie de l’immigration canadienne affectent leur subjectivité en tant que femmes et citoyennes. L’article explore trois modes incarnés de rapport aux procédures bureaucratiques – l’attente, le travail et la lutte –, chaque mode produisant une gamme d’émotions et de stratégies d’adaptation créatives. Je soutiens que l’amour est au coeur de l’expérience des procédures administratives en tant qu’outil idéologique et technologique utilisé à la fois par l’État pour réguler et discréditer les relations non désirables et par les candidats pour donner un sens à leur position (de vulnérabilité) et pour créer des récits significatifs dans le cadre des catégories imposées par l’État. Une forme d’agentivité défensive prend forme chez ces femmes, dont les énormes dossiers d’immigration remplis de « preuves » de l’authenticité de leur relation montrent qu’elles ont intégré les inquiétudes de la société quant aux intimités Nord-Sud et développé des stratégies pour légitimer leur union.

EN:

Drawing from ethnographic research conducted with binational heterosexual couples negotiating their legitimacy in the face of immigration bureaucracy in Belgium and Italy, I explore the interplay between marriage migration governmentality and personal subjectivities. In a context of increased political scrutiny, I illustrate how binational couples wield their intimacy to become and stay legal; and how their experiences of the bureaucratic encounters impact on both partners’ agency, producing swinging emotions and improving their legal culture. In Belgium and Italy, marriage to a citizen remains a pathway towards securing residence for the migrant partner. Hence, in both countries these formalities, that I frame as a network of bordering practices, are increasingly – but differently – policed defining divergent marriage migration regimes but similar shared migratory careers for the couples. The potency of the legal-bureaucratic culture fashions the couples’ journey through immigration law and its street-level implementation. Nevertheless, beyond the opportunity structures and nationally anchored constraints, the analysis demonstrates that the partners’ agency similarly emerges from the migration management at large, their personal legal status and biographical resources, and interactions with intermediaries at the margin of immigration bureaucracy. Such agency – triggered by intimate intentions and expectations – is contingent and relational.

FR:

Sur la base d’un travail de terrain ethnographique auprès de couples hétérosexuels binationaux négociant leur légitimité face à la bureaucratie de l’immigration en Belgique et en Italie, j’explore l’interaction entre la gouvernementalité de la migration de mariage et les subjectivités individuelles. Dans un contexte de surveillance politique accrue, je montre comment les couples binationaux utilisent leur intimité pour entrer et rester dans la légalité et comment l’expérience des rencontres bureaucratiques influe sur l’agentivité des deux partenaires, produisant en eux des émotions changeantes et améliorant leur culture juridique. En Belgique comme en Italie, le mariage avec un citoyen reste pour le partenaire migrant un moyen d’obtenir le statut de résident. Par conséquent, dans les deux pays, ces formalités, que je décris comme une frontière-réseau, sont de plus en plus contrôlées, bien que de manières différentes. Ce contrôle définit des régimes de migration de mariage divergents, mais des carrières migratoires communes pour les couples. La force de la culture juridico-bureaucratique façonne la manière dont les couples composent avec la loi sur l’immigration et son application sur le terrain. Néanmoins, au-delà des structures d’opportunités et des contraintes nationales, l’analyse démontre que l’agentivité des partenaires émerge à la fois de la gestion de la migration en général, de leur statut juridique personnel et leurs ressources biographiques, et de leurs interactions avec des intermédiaires en marge de la bureaucratie de l’immigration. Une telle agentivité – déclenchée par des intentions et des attentes intimes – est contingente et relationnelle.

EN:

Drawing on ethnographic fieldwork done between April 2015 and August 2016 in Halifax, Canada, with nurses employed on temporary work permits in the healthcare sector in the province of Nova Scotia, Canada, this research contributes to contemporary literature on certain forms of migration temporality and emotionality. I employ policy analysis of credential recognition procedures for nurses and ethnographic research methods to demonstrate how a complex array of intersecting and sometimes contradictory policy contexts in labour, migration and healthcare regulate the movement and work of foreign nurses, including their transition into permanent Canadian residents, and ultimately, citizens, and the lived experienced of this regulation as it extends through time and space.

FR:

S’appuyant sur un travail de terrain ethnographique effectué entre avril 2015 et août 2016 à Halifax auprès d’infirmières employées dans le secteur de la santé dans la province de Nouvelle-Écosse, au Canada, cette étude contribue aux travaux contemporains sur les formes de temporalité et d’émotionnalité de la migration. À partir de l’analyse des politiques de reconnaissance des titres de compétences des infirmières et de méthodes d’enquête ethnographique, je démontre comment un ensemble complexe de politiques transversales et parfois contradictoires en matière de travail, d’immigration et de soins de santé réglementent les mouvements et l’emploi des infirmières étrangères, y compris leur transition vers le statut de résident permanent au Canada et ultimement de citoyen canadien, de même que l’expérience vécue de cette réglementation dans le temps et l’espace.

FR:

Bien que la sélection des étrangers par l’appareil administratif des États joue un rôle crucial pour la structuration des phénomènes migratoires actuels, il existe à ce jour peu d’études qui analysent empiriquement la manière dont de telles procédures fonctionnent et sont vécues lorsqu’elles s’appliquent à des catégories d’étrangers perçus comme « désirables ». La présente recherche tente de répondre à ce manque en proposant une étude de cas ethnographique qui met en lumière l’expérience et l’agentivité des différents acteurs impliqués dans la procédure de sélection des ressortissants non-européens hautement qualifiés cherchant à venir travailler en Suisse. L’analyse montre que l’accès à la mobilité repose sur un ensemble d’interactions complexes qui impliquent non seulement les candidats à l’immigration et les employés d’État, mais également des réseaux d’institutions non-étatiques pour lesquels la mobilité de travailleurs qualifiés représente une source de profit. Ces acteurs facilitent l’accès aux permis de séjour et de travail pour les étrangers dont ils espèrent tirer une plus-value économique. Cependant, ils peuvent également les contraindre à des situations de dépendances et d’immobilité dans la mesure où des systèmes d’admission restrictifs, en Suisse et ailleurs, rendent les étrangers concernés tributaires de leur soutien administratif.

EN:

Although migrant selection by state apparatuses plays a crucial role in structuring current migration processes, to date few studies have empirically analyzed how such procedures function and are experienced when applied to categories of foreigners perceived as “desirable.” The present study attempts to fill this gap by providing an ethnographic study that sheds light on the experience and agency of the different actors involved in the selection process of highly qualified non-European nationals who wish to come and work in Switzerland. The analysis shows that access to mobility is based on a set of complex interactions involving not only prospective immigrants and state employees, but also networks of non-state institutions that see the mobility of skilled workers as a source of profit. These actors facilitate access to residence and work permits for foreigners from whom they hope to derive economic added value. However, they can also force them into situations of dependency and immobility insofar as restrictive admission systems, in Switzerland and elsewhere, make the foreigners concerned dependent on their administrative support.

EN:

Encounters between street-level bureaucrats and the so-called “client of the state” – here the migrant individual with precarious legal status – are characterized by great power imbalances. The dependency relationships that emerge out of public administrative encounters need to be understood as spaces of continuous asymmetrical negotiations. Emotions play a crucial role, not only as a translation of how migrants and bureaucrats mutually shape, contest, and reproduce migration control, but also as a strategic component and a tool for negotiation. Supported by ethnographic data from a Swiss Cantonal Migration Office and a Swedish Border Police Unit, collected between 2016 and 2017, I argue that emotions interweave all migrant-bureaucrat interactions. Their analysis discloses not only the emotional labour of migration enforcement, but also how it is translated into bureaucratically enacted practices, which include physical force, vocal exchanges, documents and spatial means, leading to what Walters (2006) coined “political economies of violence” (438).

FR:

Les interactions entre les bureaucrates de la rue et les soi-disant « clients de l’État » – en l’occurrence des individus migrants au statut juridique précaire - sont marquées par de grandes inégalités de pouvoir. Les relations de dépendance engendrées dans les rencontres avec les administrations publiques doivent être comprises comme des espaces de négociations asymétriques et continues. Les émotions y jouent un rôle central, non seulement comme reflet de la manière dont les migrants et les bureaucrates façonnent, contestent et reproduisent le contrôle migratoire, mais aussi en tant que composante stratégique et outil de négociation. Sur la base de données ethnographiques recueillies entre 2016 et 2017 dans un office cantonal de la migration en Suisse et une unité de police des frontières en Suède, je soutiens que les émotions imprègnent toutes les interactions entre les migrants et les bureaucrates. L’analyse de ces dernières donne à voir non seulement le travail émotionnel du contrôle migratoire, mais aussi comment celui-ci se traduit en pratiques bureaucratiques, lesquelles comprennent la force physique, les échanges verbaux, les documents et les moyens spatiaux, conduisant à ce que Walters (2006) a appelé une « économie politique de la violence » (438).

EN:

During COVID-19, many collaborative research teams and community partners pivoted to undertake their work in a virtual way. In this discussion, we capture the mechanics, logic, and situations under which virtual methods became relevant to applied interdisciplinary work. Using a shared voice, we chart the nuances of training and research through the redesign, the reimagining of research protocols, and the nuanced cultural gaps that exist between virtual connection and in-person visiting with community partners, Métis Knowledge Keepers, and experts. Through referencing our reflexive archive of experiences, emails, fieldnotes, and meeting minutes, we address how our attempt to simulate virtual informed consent has consequently provided insights into the value of co-creation and the importance of honouring visiting as a Métis method in virtual environments.

FR:

Pendant la pandémie de COVID-19, de nombreuses équipes de recherche collaborative et de partenaires communautaires se sont orientés vers le travail virtuel. Dans cet article, nous appréhendons les mécanismes, les logiques et les situations par lesquelles les méthodes virtuelles ont gagné en pertinence pour le travail interdisciplinaire appliqué. Nous retraçons d’une voix commune les nuances de la formation et de la recherche à travers le réexamen et la reconception des protocoles de recherche ainsi que les écarts culturels subtils qui existent entre, d’une part, les connexions virtuelles et, d’autre part, les visites en personne chez les partenaires communautaires, les gardiens du savoir métis et les experts. Puisant dans nos archives réflexives d’expériences, de courriels, de notes de terrain et de comptes rendus de réunions, nous expliquons comment nos efforts de simulation d’un consentement éclairé virtuel ont mis en lumière la valeur de la co-création et l’importance d’honorer la visite en tant que méthode métis en milieu virtuel.

EN:

In the spring of 2020, the novel Coronavirus upended life in New Jersey, US, precipitating an unprecedented state lockdown of 9 million residents. The essay reflects on the author’s experience of the lockdown and her relationship to a Syrian refugee woman resettled nearby. The author identifies their shared experiences staying at home and prioritizing the collective good in the midst of a pandemic.

FR:

Au printemps 2020, le nouveau Coronavirus a bouleversé la vie des 9 millions d’habitants du New Jersey, aux États-Unis, entrainant un confinement sans précédent à l’échelle de l’État. L’article se penche sur la façon dont l’auteure a vécu le confinement et sur la relation qu’elle a entretenue avec une réfugiée syrienne réinstallée à proximité. Il traite de leurs expériences communes de séjour à la maison et de priorisation du bien commun en pleine pandémie.

EN:

This collaborative autoethnography examines how we (four students and a professor of community-engaged research) used our experiences to make sense of life during COVID‑19. Engaging in a collective approach to autoethnographic writing, we highlight different perspectives of a cultural moment shaped by the science denialism and untruths that define US governmental practices and approaches to the pandemic. We share how we are dealing with COVID‑19 discourses that run counter to the scientific foregrounding of our STEM (Science, Technology, Engineering, and Math) and health and medical sciences training, reflect on the role of the pandemic in shifting post-baccalaureate plans, navigate the lockdown while participating in racial justice protests in Minneapolis, and examine the experiences of being essential healthcare workers while in school. By situating these shifting ways of learning, teaching, and engaging as portents of the difficulties we may continue to face, we show the possibilities of narrative methods in imagining and implementing post-pandemic healthcare practices grounded on a praxis of community justice and collective care.

FR:

Cette auto-ethnographie collaborative examine comment nous (quatre étudiants et un professeur de recherche communautaire) avons tiré parti de nos expériences pour donner un sens à la vie pendant la pandémie de COVID-19. À travers une approche collective de l’écriture auto-ethnographique, nous donnons à voir différentes perspectives d’un moment culturel marqué par le négationnisme scientifique et les contre-vérités propres aux pratiques et approches du gouvernement américain face à la pandémie. Nous montrons comment nous traitons les discours sur la COVID-19 qui vont à l’encontre de la centralité scientifique de notre formation en STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) ou en sciences médicales et de la santé ; nous réfléchissons à la façon dont la pandémie nous oblige à modifier nos plans post-baccalauréat ; nous décrivons comment nous vivons le confinement tout en participant aux manifestations pour la justice raciale à Minneapolis ; et nous analysons nos expériences en tant que travailleurs de la santé essentiels pendant nos études. En abordant la transformation des méthodes d’apprentissage, d’enseignement et d’engagement comme le signe des difficultés auxquelles nous pourrions continuer à être confrontés, nous mettons en évidence les possibilités qu’offrent les méthodes narratives pour imaginer et mettre en oeuvre des pratiques de soins de santé post-pandémiques fondées sur une praxis de justice communautaire et de soins collectifs.

EN:

What are the political and ontological implications of COVID‑19? I had plenty of time to reflect on this from March to July after I ended fieldwork in Guam and unexpectedly spent four months in Taiwan. Because of Taiwan’s proximity to China, where the pandemic began, it initially seemed as if it would be among the most serious cases. Instead, Taiwan’s public health measures allowed it to become one of the few places in the world relatively untouched by the virus. The experience of Taiwan with COVID‑19 was shaped most of all by tense relations with China and the non-recognition of the country by the World Health Organization (WHO). There are also intriguing differences within Taiwan where historically Chinese settler groups and Indigenous peoples related to other Pacific Islanders find their place in the world through a broad spectrum of non-Western ontologies. In travelogue genre, I reflect upon their different stories and practices of worlding as fears of the pandemic ontributed to a heightened sense of crisis, ethnic tensions, and a rise in nationalism. This reveals important ontological differences that will continue to influence the geopolitics of the region even beyond the current pandemic.

FR:

Quelles sont les implications politiques et ontologiques de la COVID-19 ? J’ai eu tout le temps de réfléchir à cette question entre mars et juillet, lors d’un séjour impromptu de quatre mois à Taïwan, à la suite de mon travail de terrain à Guam. Du fait de la proximité de Taïwan avec la Chine, où et née la pandémie, il semblait au départ que ce pays serait l’un des plus atteints par la pandémie. Au lieu de cela, grâce aux mesures de santé publique mises en oeuvre par l’État, Taïwan est devenu l’un des rares endroits au monde à être relativement épargnés par le virus. L’expérience taïwanaise de la COVID-19 a surtout été marquée par des relations tendues avec la Chine et par la non-reconnaissance du pays par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Par ailleurs, il existe des différences intéressantes à Taïwan entre les descendants de Chinois et les peuples autochtones liés aux autres sociétés insulaires du Pacifique, deux groupes qui se font une place dans le monde au moyen d’un large éventail d’ontologies non occidentales. Sur le mode du récit de voyage, j’interroge les différents récits et pratiques de production du monde qu’ont développés ces groupes alors que les craintes suscitées par la pandémie contribuaient à accroître le sentiment de crise, aux tensions ethniques et à la montée du nationalisme. Cette réflexion révèle d’importantes différences ontologiques qui continueront d’influencer la géopolitique de la région même au-delà de la pandémie actuelle.

EN:

Women and children subject to violence. Refugees. The incarcerated and criminalized. The homeless. Ethnic and racialized minorities. When a global pandemic hits populations that are already vulnerable, racialized, marginalized, historically subject to oppression, and underserved, the civil society organizations mandated to serve them need all their ingenuity and resourcefulness to provide support while following public health guidelines. As the COVID‑19 global pandemic forced the closure of many workplaces and the re-direction of public social life, the daily lives of vulnerable people, many already struggling on the margins of society, and those mandated to serve and support them changed shape drastically in some ways, and in other ways, not so much. My main argument is that the pandemic of 2020 and consequent imposed restrictions brought about a moment of difference in how our society treats those who are usually and in “normal” times pushed to the margins, invisible and overlooked. Policy spotlight, propelled by panic and a global public health crisis, shone on them, rendering them sharply visible.

FR:

Les femmes et les enfants victimes de violence. Les réfugiés. Les personnes incarcérées et criminalisées. Les sans-abris. Les minorités ethniques et raciales. Lorsqu’une pandémie mondiale frappe des populations déjà vulnérables, racisées, marginalisées, historiquement opprimées et isolées, les organisations de la société civile mandatées pour les servir doivent mobiliser toutes leurs ressources et leur ingéniosité pour apporter un soutien tout en suivant les directives de santé publique. Alors que la pandémie mondiale de la COVID-19 imposait la fermeture de nombreux lieux de travail et la réorientation de la vie sociale publique, la vie quotidienne de ces personnes vulnérables, dont beaucoup luttent pour survivre en marge de la société, comme celle de ceux qui sont mandatés pour les servir et les soutenir a changé radicalement sur certains points et très peu sur d’autres. Mon principal argument est que la pandémie de 2020 et les restrictions imposées en conséquence ont transformé la façon dont notre société traite ceux qui, habituellement et en temps « normal », sont poussés à la marge, invisibilisés et ignorés. Les politiques mises en oeuvre dans un contexte de panique et de crise mondiale de santé publique ont braqué les projecteurs sur ces personnes, les rendant nettement visibles.

EN:

Science twines through many of the discussions related to hope for a return to normalcy within public discussions of COVID‑19. The framings of techno-scientific solutions for COVID‑19 are similar to those that are presented to address many societal problems. The messy scientific and regulatory underpinnings of this desired silver bullet rarely make it fully into view. Technoscientific-related hope and its associated affects can operate as a kind of “cruel optimism” (Berlant 2010, 2011). It can be an affective response to return to life as “normal” that is psychologically soothing, even as its enactment may replicate destructive social, political, and economic structures. Hope and technoscience thread throughout the interactions between journalists and health officials in the health press briefings in the first wave of the COVID‑19 pandemic. Technoscientific complexity that challenges the desire to return to normal is rarely brought up in Ontario and Nova Scotia public health briefings. But when it is, health officials in this zone of interaction balance explanations of scientific reality and caution, while attempting to not crush hope for a techno-scientifically mediated return to normal. As such, public health discourse obscures or tempers cruel optimism rather than directly confronting it.

FR:

La science est au coeur de nombreux débats publics en lien avec l’espoir d’un retour à la normale dans le cadre de la COVID-19. Les solutions technoscientifiques pour la COVID-19 sont présentées de manière similaire à celles mises en avant pour traiter de nombreux problèmes de société. Les fondements scientifiques et réglementaires incertains de la solution miracle souhaitée sont rarement pleinement visibles. Les espoirs suscités par les technosciences et les affects qui leur sont associés peuvent fonctionner comme une sorte « d’optimisme cruel » (Berlant 2010 ; 2011). Il peut s’agir d’une réponse affective à l’idée d’un retour à la vie « normale » qui serait psychologiquement apaisante, même si ce retour peut reproduire des structures sociales, politiques et économiques destructrices. Pendant la première vague de la pandémie de COVID-19, l’espoir et la technoscience ont imprégné les interactions entre journalistes et responsables de la santé lors des points de presse sur la santé. La complexité technoscientifique qui remet en cause les espoirs d’un retour à la normale est rarement évoquée dans les points de presse sur la santé publique en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Mais lorsqu’elle l’est, les responsables de la santé dans cette zone d’interaction mettent en balance prudence et explications de la réalité scientifique, tout en évitant d’étouffer l’espoir d’un retour à la normale par l’intermédiaire des technosciences. Ainsi, le discours de la santé publique occulte ou tempère l’optimisme cruel plutôt que de l’affronter directement.

FR:

Cet article vise à discuter dans le contexte de la pandémie la relation entre la crise climatique, les transformations du travail et la réorganisation des villes à partir de l’idée que la pandémie est une résultante de la crise climatique dont la sortie ne peut pas être envisagée sans reconfigurer les espaces urbains et repenser les inégalités afin de penser différentes formes sociales qui concilient des villes vertes, saines et plus égalitaires.

EN:

This article aims to discuss, in the context of the pandemic, the relationship between the climate crisis, transformations of work, and the reorganization of cities. It is based on the idea that the pandemic is a result of the climate crisis whose end cannot be envisioned without reconfiguring urban spaces and rethinking inequalities in order to think about different social forms that reconcile green, healthy, and more egalitarian cities.

EN:

In response to widescale job losses produced by the COVID‑19 pandemic, states have drastically expanded social protections, primarily through cash transfer programs. Drawing from James Ferguson’s notion of distributional politics, this reflection analyzes the meaning of this rapid global expansion of the welfare state and the political opportunities it provides. Based on two seemingly disparate cases, South Africa and Canada, I suggest that these expansions provide valuable opportunities for rethinking existing approaches to livelihoods, labour and social protection. These interventions also provide political possibilities through which a more radically redistributive politics can be articulated. In both contexts, state responses have provoked new challenges, dialogues, and experiments in distribution at multiple scales, from the neighbourhood to the nation state. This reflection calls for deeper inquiry into the multiple meanings of cash transfers and the political openings they provide. Finally, it provides guiding questions for future anthropological inquiry into livelihoods and social protection.

FR:

Face aux pertes d’emplois massives provoquées par la pandémie de COVID-19, les États ont considérablement étendu la protection sociale, principalement au moyen de programmes de transferts monétaires. S’inspirant de la notion de politique de distribution proposée par James Ferguson, cette réflexion analyse la signification de l’expansion rapide de l’État-providence à l’échelle mondiale. À partir de deux cas en apparence distincts, l’Afrique du Sud et le Canada, je suggère que cette expansion offre de précieuses opportunités pour repenser les approches des modes de subsistance, du travail et de la protection sociale. Ces interventions étatiques ouvrent également des perspectives qui permettent de mettre en avant des politiques plus radicalement redistributives. Dans les deux contextes, les réponses de l’État ont engendré de nouveaux défis et ont donné lieu à des dialogues et des expériences de distribution à de multiples échelles, allant du quartier à l’État-nation. Cette réflexion appelle à un examen plus approfondi des significations multiples des transferts monétaires et des perspectives politiques ouvertes par ceux-ci. Enfin, elle pose des questions visant à guider les futures études anthropologiques sur les modes de subsistance et la protection sociale.

EN:

Human beings have long turned to religion and faith healing to overcome illness and seek to delay death. In the context of the COVID‑19 pandemic, I consider how in Mexico, devotees of Santa Muerte are turning to the folk saint of death to ward off and recover from the virus. I argue that supplication of Santa Muerte during times of coronavirus offers a social critique on the current context in Mexico. The government has introduced budget cuts, reducing spending during this pandemic, and failed to provide adequate measures to protect already vulnerable citizens living in poverty and within the grips of the drug war, from COVID‑19. Frontline workers are labouring in unsafe conditions with inadequate protective equipment and protocols. As a result, the death toll has risen rapidly. Mexico is currently listed as having the fourth highest death rate. I describe how fearing death, many have turned to the saint of death for recovery from coronavirus and to prolong life. My argument also counters the popular portrayal of Santa Muerte as a narcosaint, that is to say a saint solely venerated by narcotraffickers. Instead, I reveal that she is a saint of healing.

FR:

Depuis longtemps, les êtres humains recourent à la religion et à la guérison par la foi pour surmonter la maladie et tenter de retarder la mort. J’examine comment, dans le contexte de la pandémie de COVID-19 au Mexique, les fidèles de Santa Muerte implorent cette sainte populaire associée à la mort pour conjurer le virus et guérir de la maladie. Je soutiens qu’en période de coronavirus, les prières à Santa Muerte offrent une critique sociale du contexte actuel au Mexique. Le gouvernement a introduit des coupes budgétaires, réduisant les dépenses pendant la pandémie, et il n’a pas mis en oeuvre les mesures nécessaires pour protéger de la COVID-19 les citoyens déjà vulnérables, vivant dans la pauvreté et pris dans la guerre contre la drogue. Les travailleurs de première ligne travaillent dans des conditions dangereuses avec des équipements et des protocoles de protection inadéquats. Par conséquent, le nombre de décès a rapidement augmenté dans le pays. Le Mexique est actuellement classé au quatrième rang dans le monde en termes de mortalité. Je décris comment, par peur de la mort, beaucoup se sont tournés vers la sainte de la mort pour guérir du coronavirus et prolonger leur vie. Mon argument s’oppose également à la représentation commune de Santa Muerte comme une narco-sainte – une sainte qui serait uniquement vénérée par les narcotrafiquants – et révèle au contraire qu’elle est une sainte de la guérison.

EN:

New Orleans was one of the first cities in the USA to be severely affected by the COVID‑19 pandemic. This article draws on long-term ethnography and recent remote fieldwork to explore how new-wave carnival krewes in New Orleans responded to the pandemic. New-wave krewes are one of the kinds of social clubs that produce carnival each year. During the first four months of the pandemic, some of them undertook various kinds of projects within their membership and in the broader community. I propose that these projects have three overlapping dimensions: creativity, sociability, and solidarity. My argument is that because they are so enmeshed in the social fabric of New Orleans, new-wave carnival krewes provided a solid foundation for social initiatives that sought to alleviate the existential and material insecurity of the pandemic. I further argue that carnival has emerged as an important way for New Orleanians to make the imaginative connection between the personal and the social that is necessary for grasping the scope of COVID‑19. More broadly, I contribute to what Joel Robbins has called an “anthropology of the good” in social relations.

FR:

La Nouvelle-Orléans a été l’une des premières villes des États-Unis à être gravement touchée par la pandémie de COVID-19. S’appuyant sur une ethnographie de longue durée et sur des études de terrain récentes à distance, cet article explore la manière dont les krewes new wave du carnaval de la Nouvelle-Orléans ont réagi à la pandémie. Les krewes new wave sont l’un des types d’associations qui organisent le carnaval chaque année. Au cours des quatre premiers mois de la pandémie, certains d’entre eux ont entrepris diverses sortes de projets impliquant leurs membres et la communauté élargie. Je suggère que ces projets comportent trois dimensions interreliées : la créativité, la sociabilité et la solidarité. Mon argument est que du fait de leur profonde imbrication dans le tissu social de la Nouvelle-Orléans, les krewes new wave ont fourni une base solide pour des initiatives sociales visant à atténuer l’insécurité existentielle et matérielle engendrée par la pandémie. Je soutiens en outre que le carnaval est apparu comme un moyen important pour les habitants de la Nouvelle-Orléans d’établir une connexion imaginative entre le personnel et le social, laquelle est nécessaire pour saisir la portée de la COVID-19. Plus généralement, je contribue à ce que Joel Robbins a qualifié « d’anthropologie du bien » dans les relations sociales.

FR:

De nombreuses personnes mobilisées pour la confection de masques artisanaux visant à parer la crise de la COVID-19 pratiquent ordinairement une couture de loisirs, parfois artistique (comme c’est le cas de certains pratiquants du quilting). Or, cette production, au-delà de sa finalité pratique, impose la maîtrise de normes techniques et scientifiques précises, comme celles de l’Association Française de Normalisation (AFNOR). Notre étude s’intéresse au passage de l’une à l’autre de ces activités pour comprendre ce que cette production a signifié pour ses acteurs. Ayant conduit une enquête anthropologique associant les méthodes du terrain in situ à l’exploration des mondes virtuels, nous avons voulu interroger les couturières et couturiers concernés au moyen d’un questionnaire en ligne, cette approche permettant d’aller à leur rencontre, malgré le contexte sanitaire. La question de la participation civile en temps de crise s’est finalement posée dans l’examen d’une mobilisation trop rapidement présentée comme un bricolage de fortune.

EN:

A multitude of masks have been sewn in an attempt to cope with the COVID-19 crisis. The people involved in this fabrication often practice sewing as a hobby or engage in more specialized needlework activities such as patchwork and quilting. However, the production of COVID masks requires the application of precise technical and scientific standards, for instance those of the French standardization authority AFNOR (Association Française de Normalisation). In an ongoing study, we question the passage from one to the other of these activities, with a view to understanding what this production means for those who take part in it. The study is based on an anthropological investigation combining in situ field methods with the exploration of virtual worlds. The seamstresses and tailors involved in the making of masks were interviewed by means of an online questionnaire, which allowed us to meet, despite the health context, the people who engage in this production. Beyond what is sometimes presented as makeshift bricolage, the examination of this mobilization ultimately raises the question of civil participation in times of crisis.

EN:

The following is an account of some current Indigenous artistic trends and responses during the COVID‑19 pandemic. The pandemic has resulted in Indigenous artists adapting social media to maintain COVID-disrupted knowledge networks about traditional making. In so doing, they have reimagined how to continue links within and beyond their own cultural communities. Art has become both an outlet and a connection to neighbours, friends, and strangers across geographic boundaries. Indigenous textile artists are refashioning their art and materials to maintain and reflect contemporary Indigenous issues and values that emphasize their community and reflect survivance, all while safely at a distance. The artists highlighted and discussed in this article include Dene, Métis, and Inuvialuit women with whom I have worked and who have contributed to my research in the Northwest Territories (NWT), as well as other Indigenous artists from across North America well known for their creative work. Because the coronavirus has all but eliminated non-essential travel to the NWT, the information that is presented has been developed through online exchanges with these women and by observing the artists’ public social media accounts over the course of six months.

FR:

Cet article rend compte de certaines tendances et réponses artistiques autochtones en cours pendant la pandémie de COVID-19. Du fait de la pandémie, les artistes autochtones ont adapté les médias sociaux afin de préserver les réseaux de connaissances sur la création traditionnelle que la COVID a perturbés. Ce faisant, ils ont repensé la façon de maintenir les liens dans et hors de leurs communautés culturelles. L’art est devenu à la fois un exutoire et un moyen de se connecter avec les voisins, les amis et les étrangers au-delà des frontières géographiques. Les artistes textiles autochtones remodèlent, avec une distance de protection, leur art et leurs matériaux pour maintenir et refléter les questions et les valeurs autochtones contemporaines qui mettent en valeur leurs communautés et témoignent de leur survivance. Parmi les artistes présentés et abordés dans cet article figurent des femmes dénées, métis et inuvialuites avec qui j’ai travaillé et qui ont contribué à mes recherches dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O), ainsi que d’autres artistes autochtones issus des quatre coins de l’Amérique du Nord qui sont connus pour leur travail créatif. Le coronavirus ayant pratiquement mis fin aux voyages non essentiels dans les T.N.-O., les données présentées ici ont été élaborées par les échanges en ligne avec ces femmes et par l’observation des comptes de médias sociaux des artistes sur une période de six mois.

EN:

In times of social upheaval, people create and engage with verbal art for entertainment and a feeling of connection. While millions of people were forced to stay home to reduce the spread of COVID‑19 from March to July 2020, verbal artists posted recorded performances online and viewers had more time than usual to watch and share them. COVID verbal art refers to songs, poems, and comedy skits that mention social and physical distancing, quarantine and isolation, hygiene and cleaning practices, everyday experiences during the pandemic, as well as social and political critiques of policies and practices that explicitly mention COVID‑19 or coronavirus. An examination of 227 verbal art performances posted on YouTube and TikTok provides an ethnographic record of how everyday life has changed over time during the COVID‑19 pandemic, and how the focus shifted from initial confusion to political critique.

FR:

En période de bouleversements sociaux, les gens créent ou consomment de l’art verbal pour se divertir et se sentir connectés. Alors que des millions de personnes étaient contraintes de rester chez elles pour réduire la propagation de la COVID-19 entre mars et juillet 2020, des praticiens de l’art verbal ont mis en ligne des performances enregistrées, et les spectateurs ont eu plus de temps pour les regarder et les partager. L’art verbal COVID, ce sont des chansons, des poèmes et des sketches comiques qui évoquent la distanciation sociale et physique, la quarantaine et l’isolement, les pratiques d’hygiène et de nettoyage, les expériences quotidiennes pendant la pandémie, ou encore des critiques sociales et politiques de mesures et pratiques faisant explicitement référence à la COVID-19 ou au coronavirus. L’étude de 227 performances artistiques verbales publiées sur YouTube et TikTok dresse un portrait ethnographique de l’évolution de la vie quotidienne au cours de la pandémie de COVID-19 ainsi que du passage d’un état de confusion initiale à la critique politique.

FR:

Les mondes virtuels et les jeux en ligne ont connu une remarquable croissance en termes de fréquentation dans les premiers mois de la pandémie COVID-19. Nous discutons ici de l’utilisation de Second Life comme espace de sociabilité dans ce contexte. Partant de notre recherche ethnographique nous présentons quelques hypothèses pour expliquer comment ce type de plateforme en ligne est privilégié au détriment d’autres, notamment dans la situation de distanciation physique vécue dans plusieurs pays. Une analyse centrée sur les caractéristiques sociotechniques de cet environnement numérique, ainsi que sur les expériences vécues par ses utilisateurs, nous permet de proposer l’immersion, la corporéité des avatars, la synchronicité et la persistance de ce monde comme éléments distinctifs de l’attraction exercée aujourd’hui par ce type de plateforme.

EN:

Virtual worlds and online games experienced a remarkable increase in popularity in the early months of the COVID-19 pandemic. Based on ethnographic research, we discuss the use of Second Life as a space of sociability in contexts of physical distancing in several countries. Focusing on the socio-technical characteristics of this digital environment, as well as on the experiences of its users, we propose that the current appeal of this type of platform can be explained by distinctive elements, including: immersion, avatar embodiment, synchronicity, and persistence.

EN:

Since the first coronavirus outbreak hit China in January 2020, how different countries respond to the crisis has sparked interesting discussions regarding their respective history, political systems, and culture. In the West, many people attribute the acceptance of universal mask-wearing among Asian populations to a so-called “mask culture.” This paper argues that “mask culture” emerges during the pandemic as an Orientalist concept in Western public discourses to define the East and to freeze differences between “self” and “other.” Orientalism in its everyday manifestation has not only contributed to the initial underestimation of the pandemic in the West; but has also provided a culturalist foundation for essentialist representations of Asian cultures. Self-other binary has greatly shaped Western responses to and narratives of the pandemic in two prominent ways: first, mask-wearing has been considered as an “Asian” practice associated with other Asian cultural stereotypes such as submissiveness to state power; and second, the threat of the coronavirus was initially viewed as minimal because outbreaks in Asia were far and distanced, and thereafter, the suffering of the Other was not considered urgent in the West.

FR:

Depuis que la première vague de coronavirus a frappé la Chine en janvier 2020, la réaction des différents pays à la crise a donné lieu à des discussions intéressantes sur l’histoire, la culture et le système politique respectifs de ceux-ci. En Occident, beaucoup ont attribué l’acceptation du port généralisé du masque par les populations asiatiques à une soi-disant « culture du masque ». Cet article soutient que la « culture du masque » est apparue pendant la pandémie comme un concept orientaliste dans les discours publics occidentaux pour définir l’Orient et figer les différences entre « soi » et « l’autre ». L’orientalisme, dans ses manifestations quotidiennes, a non seulement contribué à la sous-estimation initiale de la pandémie en Occident, mais a également fourni un fondement culturaliste aux représentations essentialistes des cultures asiatiques. L’opposition binaire entre le « soi et l’autre » a fortement influencé les réponses et les récits occidentaux face à la pandémie, et ce, de deux manières principales: premièrement, le port du masque a été considéré comme une pratique « asiatique » et associé à d’autres stéréotypes culturels tels que la soumission au pouvoir de l’État; deuxièmement, la menace du coronavirus a été minimisée sous prétexte que les flambées épidémiques en Asie étaient lointaines et distantes, et la souffrance de l’Autre n’a pas été perçue comme une urgence en Occident.

EN:

I was one of the earliest cases of COVID‑19 in Australia. When I infected my partner, a trans man with cystic fibrosis, he was nine months pregnant. He birthed the baby during our nine days of forced isolation in hospital, making medical history as the first COVID-positive person to give birth outside of China, and the first documented non-caesarean birth in the world. Unfortunately, this was not the happy event it should have been. Our experiences while in the hospital were deeply traumatic, and since recovery we have been subjected to ongoing stigma. The post-COVID body is “othered” by medical professionals and the general public, treated with an acute suspicion reminiscent of ableism or fatphobia towards non-normative bodies. These experiences of exclusion and alienation echo the stigma directed towards the HIV-positive community during the height of the AIDS epidemic and the historical bio-medical regulation of queer bodies as second-class citizens. Drawing on theories of queer temporality, we consider the liminality of living in a “post-COVID” body—on the threshold of wellness and social contagion—as a queer time-warping experience. We call into question normative narrations of healthy/diseased bodies by considering the post-COVID body’s treatment as continually contagious.

FR:

J’ai été l’une des premières personnes à être diagnostiquée avec la COVID-19 en Australie. Lorsque j’ai infecté mon partenaire, un homme trans atteint de fibrose kystique, celui-ci était enceinte de neuf mois. Il a accouchépendant la période d’isolement forcé de neuf jours que nous avons passée à l’hôpital, entrant ainsi dans l’histoire de la médecine comme la première personne COVID-positive à accoucher en dehors de la Chine et la première à accoucher sans césarienne dans le monde. Malheureusement, l’événement n’a pas été aussi heureux qu’il aurait dû l’être. Notre expérience à l’hôpital a été profondément traumatisante et, depuis notre guérison, nous faisons l’objet d’une stigmatisation permanente. Le corps post-COVID est « altérisé » par les professionnels de la santé et le grand public, faisant l’objet d’une forte suspicion qui rappelle le validisme ou la grossophobie visant les corps non normatifs. Cette expérience d’exclusion et d’aliénation fait écho à la stigmatisation qui a touché la communauté séropositive au plus fort de l’épidémie de sida et à la régulation biomédicale historique des corps queer en tant que citoyens de seconde zone. En nous appuyant sur les théories de la temporalité queer, nous abordons la liminalité propre à la vie dans un corps “post-COVID” – à la lisière entre bien-être et contagion sociale - comme une expérience queer de distorsion temporelle. Nous remettons en cause les récits normatifs sur les corps sains/malades en examinant le traitement du corps post-COVID comme continuellement contagieux.

EN:

The figure of the Revolutionary or independence fighter, or indeed the Afro-Cuban maroon, is a fundamental trope of efficacy in Cuban Spiritism. But the question of the vestiges, or residues of resistance and ruin in bodies is an interesting one to ask in the light of Cuba’s socialist Revolution and its obvious traces of trauma in people’s bodies. I will look at two cases, in different historical periods, that understand Revolution as a material dimension of the body; in the first case as a molecular structure of the body enmeshed with the dead — which must be necessarily disentangled; in the second case, as an attrition, a worn-out ideal, which, when manifest as the disenchanted, pragmatic street-wise spirits of a post-1980s Cuba, perpetuate the remnants of something “lost” in people’s sensory experiences. In both cases I will follow Kristina Wirtz’s proposal of applying the concept of “chronotopes” to Afro-Cuban religion, as well as looking at affect as an intensive force that manifests as a bodily awareness of Revolution modulated through states of possession.

FR:

Dans le spiritisme cubain, la figure du révolutionnaire, du combattant de l’indépendance ou encore du marron afro-cubain est un trope fondamental d’une grande efficacité. Néanmoins, il est intéressant de poser la question des vestiges, des résidus de résistance et des ruines, à la lumière de la Révolution socialiste cubaine et des traces visibles de traumatisme qu’elle a laissées sur les corps des individus. Dans cet article, j’examine deux cas, correspondant à des périodes historiques différentes, dans lesquels la Révolution apparait comme une dimension matérielle du corps : dans le premier cas, la Révolution est une structure moléculaire du corps entremêlée avec les morts – laquelle doit nécessairement être démêlée ; dans le second cas, elle est une usure, un idéal usé, qui, lorsqu’ils se manifestent sous la forme des esprits désabusés, pragmatiques et débrouillards du Cuba post-1980, perpétuent les restes de quelque chose de « perdu » dans les expériences sensorielles des individus. Dans les deux cas, suivant la proposition de Kristina Wirtz, j’applique le concept de « chronotopes » à la religion afro-cubaine et considère l’affect comme une force intensive qui se manifeste en tant que conscience corporelle de la Révolution modulée par des états de possession.

EN:

Scientists working for oil companies in the Athabasca region are developing methods by which to reclaim muskeg (boreal peatlands) on land disturbed by oil sands extraction. The Alberta government requires companies to reclaim disturbed land by achieving equivalent capability of the landscape to support an end land use. Indigenous community members instead define reclamation as establishing not only quantifiable ecological functions, but also relationships to their traditional territories. Tensions emerge as Indigenous concerns are often subsumed within bureaucratic discourses that favour scientific classification and quantification of land uses in reclaimed areas. Divergent responses to muskeg in reclamation activities are informed in part by these competing emphases on quantifiable landscapes as opposed to those that are relational and growing. This article traces this multiplicity through the examination of government and scientific literature and ethnographic fieldwork with Indigenous communities in northern Alberta. Muskeg is used as an analytical tool to explore competing conceptions of land reclamation. Mistranslation of polysemantic terms like muskeg occur on an ontological level, and settler colonial relations and power imbalances between competing languages and knowledge systems proliferate in reclamation activities.

FR:

Les scientifiques travaillant pour les compagnies pétrolières dans la région de l’Athabasca mettent au point des méthodes pour la remise en état du muskeg (tourbière boréale) sur les terres perturbées par l’extraction des sables bitumineux. Le gouvernement de l’Alberta exige des entreprises qu’elles remettent en état les terres perturbées pour obtenir une capacité du paysage permettant de soutenir une utilisation finale des terres. Or, les membres des communautés autochtones définissent la remise en état non seulement comme la mise en oeuvre de fonctions écologiques mesurables, mais aussi comme la restauration des relations avec les territoires traditionnels. Des tensions surgissent car les préoccupations des autochtones sont souvent noyées dans des discours bureaucratiques qui privilégient la classification scientifique et la quantification de l’utilisation des terres dans les zones remises en état. Les différents rapports au muskeg dans les activités de remise en état sont en partie fonction de cette divergence de priorités entre, d’une part, des paysages mesurables et, d’autre part, des paysages relationnels et cultivables. Cet article retrace cette multiplicité, à partir de l’examen de la littérature gouvernementale et scientifique et d’un travail de terrain ethnographique mené auprès des communautés autochtones du nord de l’Alberta. Le muskeg est mobilisé comme outil analytique pour explorer les conceptions concurrentes de la remise en état des terres. La mauvaise traduction de termes polysémiques tels que muskeg opère à un niveau ontologique, tandis que les rapports coloniaux et les déséquilibres de pouvoir entre langues et systèmes de savoirs concurrents imprègnent les activités de remise en état.