Bien qu’il soit difficile d’admettre qu’entendre des voix puisse être un phénomène normal, nous croyons qu’il est impératif de l’analyser en fonction d’un paradigme interprétatif laissant place à cette possibilité. En effet, le contenu des voix reflète parfois des croyances relativement répandues mais irrationnelles, comme par exemple l’idée de l’omnipotence d’un Dieu que des millions de personnes ont pourtant intériorisée. Il ne nous viendrait pas à l’idée de donner à l’ensemble de ces personnes un diagnostic psychiatrique. Mais certaines personnes partageant ces croyances construisent parfois un système rigide de pensées les amenant à des réactions fortes qui, pour certaines, seront tournées vers l’intérieur d’elles-mêmes (psychose) et pour d’autres vers l’extérieur (comme des actes terroristes socialement cautionnés par des groupes politiques extrémistes). Le point que nous désirons débattre ici est que tout phénomène, même s’il nous apparaît a priori anormal, est en continuité avec l’expérience que l’on vit dans un contexte sociopolitique donné. Plusieurs recherches d’ordre clinique confirment le fait que supprimer les voix conduit à renforcer les symptômes de détresse occasionnés par ces voix. Nous avons de la difficulté à interpréter ce phénomène comme normal étant donné que plusieurs personnes qui ont réussi à se faire des « alliées » de leur voix ne consultent pas les services psychiatriques et leur perception échappe ainsi à une compréhension plus holiste du phénomène. Les personnes qui consultent sont celles qui ont de la difficulté à composer avec leurs voix et qui ont des manifestations que l’on perçoit comme étant anormales, contribuant ainsi à créer chez les professionnels de la relation d’aide un « système rigide de croyances » axé sur l’importance de la suppression de ces voix, considérées avant tout comme un désordre de la pensée. Bien sûr nous ne remettons pas en question l’existence de déficiences sur le plan du cortex cérébral et d’incapacités d’ordre cognitif chez les personnes ayant des hallucinations auditives (HA). Ce que nous remettons en question ce sont les représentations sociales que nous nous en faisons qui, à notre avis, constituent un des obstacles les plus importants au rétablissement de ces personnes, c’est-à-dire à la possibilité qu’elles puissent remplir leurs rôles de citoyennes de façon pleine et entière. En effet nous pensons qu’une adhésion stricte aux croyances à l’effet que les HA ne seraient que des manifestions d’ordre psychiatrique nous empêchent d’en comprendre le sens profond et peut de la sorte être contributif au maintien de ces manifestations de façon aussi importante que le délire associé à ces voix. Plusieurs résultats de recherche convergent vers la constatation que la quasi totalité des personnes entendant des voix, qu’elles aient un diagnostic psychiatrique ou non, ont expérimenté un ou des événements traumatiques d’ordre interpersonnel et que les voix ont débuté, chez certaines, plusieurs années avant le diagnostic (pour celles ayant consulté les services psychiatriques). Dans cette perspective on peut affirmer que le déclenchement des HA est lié à des expériences émotionnelles fortes et négatives surtout sur le plan des relations interpersonnelles. C’est pour cette raison que les voix et les visions expérimentées par les personnes, qu’elles aient un diagnostic psychiatrique ou non, sont similaires (Jones et al., 2003). Ce qui diffère, lorsque l’on compare ces deux groupes de personnes, ce sont les croyances attribuées à ces voix (B), qui sont théorisées comme un événement déclencheur (A) selon le modèle cognitif ABC de Beck et Ellis (dans Chadwick et al., 2003), qui ont le potentiel de conduire à des réactions fortes comme la psychose (C). Ainsi quatre types de croyances prédisent les comportements d’adaptation et de détresse des personnes ayant des HA ; celles portant sur l’identité des voix, sur …
Parties annexes
Références
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