McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 54, numéro 4, winter 2009
Sommaire (8 articles)
Articles
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The Grammar of Customary Law
Jeremy Webber
p. 579–626
RésuméEN :
All law is customary. This article explores how we should conceive of the customary nature of law, proposing a framework for understanding how legal orders are related to their various societies. The article builds upon the pragmatist conception of law developed by Lon Fuller and Gerald Postema, but it goes well beyond their accounts, arguing that their predominantly functionalist approaches are inadequate. Although law does serve to coordinate social interaction, it does so through specific conceptual languages, through particular grammars of customary law. Law can only be understood if one takes those grammars seriously.
The article pursues this argument by drawing comparisons between indigenous and non-indigenous legal orders, both to expand the comparative range and to explore what indigenous legal orders can reveal about law generally. It explores the limitations of functionalist accounts (including law and economics) in the law of persons and property, in presumptions about the foundational requirements of legal order, and in the presence of the sacred or mythic in law. The article concludes that attending to the various grammars of customary law allows one to engage, productively and with insight, in legal reasoning across the normative divide separating different legal cultures.
FR :
Tout droit est coutumier. Cet article étudie la manière dont nous devrions concevoir la nature coutumière du droit, en proposant un cadre pour comprendre comment les systèmes juridiques sont liés à leurs sociétés respectives. L’article s’appuie sur la conception pragmatique du droit développée par Lon Fuller et Gerald Postema, mais il va bien au-delà de leurs théories en affirmant que leurs approches principalement fonctionnalistes sont inadéquates. Le droit sert à coordonner les interactions sociales, mais de surcroît, il remplit cette fonction à travers des langages conceptuels spécifiques et des grammaires particulières de droit coutumier. Le droit peut uniquement être compris si ces grammaires sont sérieusement prises en compte.
L’article développe cet argument en traçant des comparaisons entre les systèmes juridiques autochtone et non autochtone, à la fois pour élargir le champ comparatif et pour considérer ce que les systèmes juridiques autochtones ont à révéler sur le droit. Il étudie les limites des théories fonctionnalistes (incluant l’analyse économique du droit) en ce qui concerne le droit des personnes et des biens, les présomptions relatives aux exigences fondamentales des systèmes juridiques et la présence d’éléments sacrés et mythiques dans le droit. L’article conclut que l’attention portée aux différentes grammaires du droit coutumier nous permettra de nous livrer à une réflexion juridique productive et éclairée, au-delà du clivage normatif qui sépare les différentes cultures juridiques.
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La formalisation du devoir d’information dans les contrats de cyberconsommation : analyse de la solution québécoise
Serge Kablan et Arthur Oulaï
p. 627–668
RésuméFR :
Le 9 novembre 2006, l’Assemblée nationale du Québec a introduit le Projet de loi no 48, Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur et la Loi sur le recouvrement de certaines créances, en vue de moderniser certaines dispositions législatives en matière de consommation. La loi consécutive, sanctionnée le 14 décembre 2006 et dont l’entrée en vigueur progressive a été complétée le 15 décembre 2007, fixe un régime de protection particulier à l’égard des contrats conclus à distance.
Le législateur vise notamment les contrats de cyberconsommation et établit un formalisme impératif pour réguler les étapes précontractuelle, contractuelle et post-contractuelle de la relation entre le cybercommerçant et le consommateur. Le présent article analyse plus particulièrement la portée matérielle de l’obligation d’information issue de l’étape précontractuelle. Il évalue son aptitude à dissiper les incertitudes et à garantir une sécurité technico-juridique adéquate dans les relations contractuelles de cyberconsommation, compte tenu de l’impact du média utilisé dans la divulgation de l’information.
En se basant sur une étude comparée du droit français et des régimes législatifs en vigueur ailleurs au Canada, les auteurs concluent que la réforme québécoise impose au cybercommerçant une obligation d’information quantitativement trop lourde et mal adaptée à la réalité technologique du cyberespace. Selon eux, le consommateur serait mieux protégé si la loi insistait plutôt sur la transmission efficace des informations jugées essentielles à la formation du contrat.
EN :
On 9 November 2006, the National Assembly of Québec introduced Bill 48, An Act to amend the Consumer Protection Act and the Act respecting the collection of certain debts, in order to modernize certain legislative provisions relating to consumer law. The resulting law, which received Royal Sanction on 14 December 2006 and completed its progressive entry into force on 15 December 2007, established a consumer protection regime for distance contracts.
The legislator specifically targets online consumer contracts, and establishes an obligatory formalism that regulates the pre-contractual, contractual, and post-contractual steps of the relationship between the online merchant and the consumer. This article provides a detailed analysis of the practical scope of the duty to disclose during the pre-contractual step. It evaluates the potential of this duty to resolve uncertainty and guarantee adequate technological and legal security in the contractual relations of the parties to an online consumer contract, in light of the medium used in the disclosure of information.
Drawing on a comparative study of French law and the legislative regimes in place elsewhere in Canada, the authors conclude that Quebec’s reform imposes a duty to inform on the online merchant that is quantitatively too heavy, and that is ill-suited to the technological reality of the internet. In their view, the consumer would be better protected if the law insisted on the efficient transmission of information considered essential to the formation of the contract.
McGill Law Journal Annual Lecture Series / Conférence annuelle de la revue de droit de McGill
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The Roots of Canadian Law in Canada
John Ralston Saul
p. 671–694
RésuméEN :
This article asks the Canadian legal community to look beyond the standard historical viewpoint that roots Canadian law in the British common law and French civil law traditions. The author discusses the historical foundations of Canadian law in a uniquely Canadian context, beginning with the earliest interactions between the First Nations and the Europeans. Drawing on the research outlined in his recent book, A Fair Country, the author challenges his audience to think of Canadian law as far more than the local implementation of foreign legal traditions. While Canada has freely borrowed from various legal traditions, the application of law in Canada has been a unique process intimately tied to Canadian history. The author calls on us to recognize a distinctly Canadian legal tradition which has grown out of Aboriginal law and subsequent local experience while being influenced by, but by no means limited to, common law and civil law traditions.
FR :
Cet article demande à la communauté juridique canadienne d’aller au-delà du point de vue historique standard selon lequel les racines du droit canadien se trouvent dans les traditions de common law britannique et de droit civil français. L’auteur retrace les fondements historiques du droit canadien dans le contexte unique du pays, en commençant par les premières interactions entre les Premières Nations et les Européens. En s’appuyant sur les recherches étayées dans son récent livre Mon pays métis, l’auteur enjoint le public à envisager le droit canadien comme beaucoup plus que la simple implantation locale de traditions juridiques étrangères. Bien que le Canada ait emprunté librement à diverses traditions juridiques, l’application du droit au Canada a toujours été un processus unique intimement lié à l’histoire canadienne. L’auteur nous interpelle pour que nous reconnaissions une tradition juridique canadienne distincte, issue du droit autochtone et de l’expérience locale subséquente, tout en étant influencée par les traditions de common law et de droit civil sans y être limitée.
Case Comments / Chroniques de jurisprudence
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Liberté de choix et protection juridique des conjoints de fait en cas de rupture : difficile exercice de jonglerie
Louise Langevin
p. 697–716
RésuméFR :
Le Québec compte la plus haute proportion de couples vivant en union de fait au monde. Pourtant, contrairement aux autres provinces canadiennes, les conjoints de fait défavorisés ne bénéficient d’aucune protection législative en matière alimentaire et patrimoniale en cas de rupture.
L’auteure critique la récente décision de la Cour supérieure Droit de la famille — 091768, qui maintient cet état du droit. La Cour a jugé que le traitement législatif différencié entre les couples mariés et ceux en union de fait, qui exclut ces derniers des protections prévues au Code civil en cas de rupture, n’est pas discriminatoire pour les conjoints de fait au sens de l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
La chronique de l’auteure s’inscrit dans un cadre théorique féministe qui dénonce les rapports sociaux de sexe et la position d’inégalité des femmes dans la société. Ainsi, elle rejette le postulat de l’arrêt Walsh voulant que la Cour doive respecter la liberté de choix des couples mariés et non mariés. L’auteure croit que la juge Hallée aurait dû prendre connaissance d’office des travaux de recherche sur la pauvreté des familles monoparentales dirigées par des femmes, qui démontrent les effets néfastes du traitement législatif différencié envers les couples non mariés. La distinction qu’établit la juge Hallée entre les fonctions judiciaires et législatives pour éviter d’intervenir, au nom du respect de la diversité et de la liberté de choix, ne fait qu’alimenter une fausse distinction entre la sphère privée et la sphère publique. L’auteure rappelle que l’État impose le partage du patrimoine familial aux couples mariés et qu’il intervient aussi dans la vie des ex-conjointes de fait qui ont besoin d’aide sociale à la suite de leur rupture conjugale.
L’auteure espère que la Cour d’appel sera moins frileuse dans son interprétation du Code civil, afin que le droit reflète véritablement la réalité sociale d’une proportion importante de la population adulte du Québec.
EN :
Quebec contains the highest proportion of couples living in de facto relationships in the world. Yet, in contrast to other Canadian provinces, cohabiting couples do not benefit from any legislative protection regarding support and the division of property following the end of a relationship.
The author critiques the recent decision of the Superior Court of Québec in Droit de la famille—091768, which maintains this state of the law. The court held that the legal distinction between married couples and those in de facto relationships, which excludes the latter from the protections set out in the Civil Code of Québec in the event that the relationship ends, is not discriminatory under article 15(1) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms.
The author’s case comment ascribes to a feminist theoretical framework that denounces gender roles and the unequal status of women in society. Thus, she rejects the postulation set out in Walsh that the courts must respect married and unmarried couples’ freedom of choice. The author believes that Justice Hallée should have taken judicial notice of research on the poverty of single-parent households headed by women, which demonstrates the adverse effects of the legislative distinction between married and unmarried couples. The distinction that Justice Hallée establishes between the judicial and legislative roles in order to avoid intervening, ostensibly out of respect for diversity and freedom of choice, only serves to encourage a false distinction between the private and public sphere. The author notes that the state imposes the partition of family patrimony between married couples and that it also intervenes in the lives of women who require social assistance following the end of a de facto relationship.
The author hopes that the Court of Appeal of Québec will be less reluctant to interpret the Civil Code of Québec to reflect the social reality of an important proportion of the adult population of Québec.
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Health Care and Human Rights after Auton and Chaoulli
Mel Cousins
p. 717–738
RésuméEN :
The judicial interpretation of the entitlement to health care under the Charter and human rights legislation has tended to swing between interventionist and non-interventionist poles. In Eldridge, the Supreme Court of Canada held that a failure to provide sign language interpretation where this was necessary to ensure equal access to health care was in breach of the equality provisions of the Charter. However, in a subsequent case, Auton, the Court narrowly circumscribed the limits of this approach, holding that the Canadian system of public health care was, by its very terms, a partial health plan. It followed that exclusion of particular non-core services could not, in itself, be seen as less favourable treatment.
The Chaoulli decision marked a return to a more interventionist approach with the Court holding (by a narrow majority) that the prohibition on private health insurance provided for in Quebec law was inconsistent with section 1 of the Quebec Charter. This judgment has been cited in over eighty decisions of courts and tribunals. However, just how important has Chaoulli been in terms of the overall approach of the Canadian courts?
The author suggests that Chaoulli—despite its significance in the legislative arena—has had a somewhat limited impact to date on the case law concerning health care, and that Auton has clearly had a greater impact to date. The author examines several examples from subsequent case law that point to the weakness of the approaches taken in both Auton and Chaoulli. The narrow approach adopted in Auton can lead to equality claims being dismissed without any proper discrimination analysis and shows the manner in which a broad use of the “benefit provided by law” requirement may weaken equality jurisprudence. Conversely, the case law highlights the fact that the courts will have to reject much more difficult claims than those upheld in Chaoulli unless they wish to develop positive obligations under section 7 of the Charter.
FR :
L’interprétation judiciaire du droit à des soins de santé en vertu de la Charte et des instruments législatifs protégeant les droits de la personne a tendance à osciller entre les pôles interventionniste et non interventionniste. Dans Eldridge, la Cour suprême du Canada a statué que l’omission de fournir une interprétation en langage des signes lorsque nécessaire pour assurer un accès égal aux soins de santé constituait une violation des dispositions de la Charte protégeant le droit à l’égalité. Toutefois, dans une affaire subséquente, Auton, la Cour a étroitement circonscrit les limites de cette approche, en affirmant que le régime public de soins de santé canadien est foncièrement un régime partiel. Conséquemment, l’exclusion de services particuliers non essentiels ne peut, en elle-même, correspondre à un traitement moins favorable.
L’affaire Chaoulli marque un retour à une approche plus interventionniste. La Cour y affirme par une courte majorité que la prohibition de souscription à une assurance privée de soins de santé dans la loi québécoise n’est pas compatible avec l’article premier de la Charte québécoise. Ce jugement a par la suite été cité dans plus de quatre-vingts décisions de cours et de tribunaux. Toutefois, quelle est réellement l’importance de Chaoulli en ce qui concerne l’approche globale des cours canadiennes ?
L’auteur suggère que Chaoulli, malgré son importance dans la sphère législative, a jusqu’à présent eu une influence relativement limitée dans la jurisprudence concernant les soins de santé. Auton demeure clairement à ce jour une décision beaucoup plus influente. L’auteur examine plusieurs exemples de la jurisprudence subséquente qui éclairent la faiblesse des approches respectives retenues dans Auton et dans Chaoulli. D’un côté, l’approche étroite adoptée dans Auton peut mener au rejet de demandes de protection du droit à l’égalité sans véritable analyse de la discrimination alléguée, ce qui montre que l’interprétation large exigeant qu’un «avantage prévu par la loi» existe peut affaiblir la jurisprudence sur le droit à l’égalité. D’un autre côté, la jurisprudence souligne que les cours devront rejeter des demandes beaucoup plus exigeantes que celles acceptées dans Chaoulli, à moins qu’elles ne souhaitent développer des obligations positives en vertu de l’article 7 de la Charte.