Résumés
Résumé
À la frontière de Melilla, le massacre du 24 juin 2022, perpétré par des forces marocaines et espagnoles, a provoqué la mort d’au moins 27 personnes et la disparition de plus de 70 autres, a fait plusieurs centaines de blessés et au moins 100 prisonniers. Pour tenter de comprendre ces évènements qui s’ancrent dans un continuum de violences antimigratoires qui perdure en toute impunité depuis deux décennies, il faut replacer cette frontière dans sa matrice raciale et décrypter les rapports de genre en jeu. Se basant sur un long travail ethnographique mené entre 2015 et 2017, et sur une contre-enquête collective réalisée en 2023, le présent article dissèque la violence sous le prisme des rapports de race et de genre. Cette approche permet de comprendre que la reproduction constante de masculinités guerrières autour de la frontière, pour la défendre ou protester contre elle, a fait augmenter, année après année, l’intensité de la violence envers les migrants Noirs jusqu’à aujourd’hui. Cet affrontement perpétuel de masculinités militarisées à la frontière, engendré par les politiques migratoires européennes, espagnoles, et leur externalisation au Maroc, a renforcé un ordre raciste qui, inéluctablement, continue de semer la mort sans parvenir à étouffer complètement les résistances.
Mots-clés :
- Frontière,
- Melilla,
- race,
- masculinité,
- migrations
Abstract
The June 24, 2022, massacre perpetrated by Moroccan and Spanish forces at the Melilla border resulted in the deaths of at least 27 individuals and the disappearance of more than 70 others, as well as several hundred injuries and at least 100 people being imprisoned. To attempt to make sense of these events, which are part of a continuum of antimigratory violence that has continued with impunity for two decades, requires locating this border in its racial matrix and deciphering the gender relations at play. Based on extensive ethnographic work carried out between 2015 and 2017, and on a collective counter-survey carried out in 2023, this article dissects the violence through the prism of race and gender relations. This approach enables an understanding whereby the constant reproduction of warrior masculinities around the border in defence of, and in protest of it, has increased the intensity of violence against black migrants year after year, up to the present day. This perpetual confrontation of militarized masculinities at the border, engendered by European and Spanish migration policies and their outsourcing to Morocco, has reinforced a racist order that inevitably continues to sow death, without succeeding in stifling resistance.
Keywords:
- Border,
- Melilla,
- race,
- masculinity,
- migration
Resumen
En la frontera de Melilla, la masacre del 24 de junio de 2022, perpetrada por fuerzas marroquíes y españolas, se saldó con la muerte de al menos 27 personas, la desaparición de más de 70, varios centenares de heridos y al menos 100 detenidos. Para tratar de entender estos hechos, que forman parte de un continuum de violencia antimigratoria que se prolonga impunemente desde hace dos décadas, es necesario situar esta frontera en su matriz racial y descifrar las relaciones de género que están en juego. Basado en un extenso trabajo etnográfico realizado entre 2015 y 2017, y en una contraencuesta colectiva realizada en 2023, este artículo disecciona la violencia a través del prisma de las relaciones de raza y género. Este enfoque permite comprender que la reproducción constante de masculinidades guerreras en torno a la frontera, en defensa de la misma y en protesta contra ella, ha incrementado la intensidad de la violencia contra las personas migrantes Negras año tras año, hasta nuestros días. Esta perpetua confrontación de masculinidades militarizadas en la frontera, engendrada por las políticas migratorias europeas y españolas y su externalización a Marruecos, ha reforzado un orden racista que inevitablemente sigue sembrando la muerte, sin conseguir sofocar las resistencias.
Palabras clave:
- Frontera,
- Melilla,
- raza,
- masculinidad,
- migración
Corps de l’article
Introduction
Tout ce qui s’est passé, je n’en ai aucune explication, car nous n’avons rien fait contre le gouvernement marocain ou contre le gouvernement espagnol. Tout cela révèle qu’il n’y a pas de droits de l’Homme, et pas d’humanité.
J’attends que justice soit rendue. Le seul délit que nous avons commis, c’est que nous sommes venus aux frontières. On nous a tabassés à mort, certains ont succombé, d’autres ont été emprisonnés, ce n’est pas acceptable.
Déclarations de Brahim et Yasser, ressortissants tchadien et soudanais, rescapés du massacre du 24 juin 2022 à la frontière de Melilla[2].
Le 24 juin 2022, environ 2 000 personnes, des hommes soudanais en majorité, tentent d’entrer dans l’enclave espagnole de Melilla, située sur la côte nord du Maroc. La violence de la répression opérée par les militaires espagnols et marocains pour les en empêcher provoque la mort d’au moins 27 personnes, la disparition de plus de 70 autres et des centaines de blessées (AMDH-Nador, 2022, 2023). Qualifié de crime contre l’humanité (Amnesty International, 2022), ce dernier massacre incarne de façon paroxystique la guerre aux migrant·e·s Noir·e·s menée depuis les années 1990 aux frontières maroco-espagnoles, et témoigne du permis de tuer, donné à la Guardia civil espagnole et à l’armée marocaine, pour « défendre » les frontières espagnoles et européennes de certaines personnes en migration. Ces évènements sont l’aboutissement d’un continuum de déshumanisation des Noir·e·s (Ajari, 2022) à cette frontière et au-delà. Les personnes Noires[3] sont surexposées à la violence et à la mort à ces frontières (Border Forensics, 2024 ; Tyszler, 2019, 2024). Pour tenter de comprendre les conditions de (re)production de cette violence extrême, qui perdure en toute impunité, il faut replacer la frontière maroco-espagnole dans son contexte historique séculaire et examiner ses conjonctures politiques mouvantes. Il faut en outre analyser l’imbrication des rapports sociaux qui sont en jeu globalement et localement. C’est ainsi que l’on peut révéler la « structure des opportunités » – soit l’ensemble des conditions structurelles qui encouragent et rendent plausible le passage à l’acte ultra-violent (Crettiez, 2008) –, favorable à la violence mortifère contre les personnes Noires à cette frontière. J’emprunte ce concept à la sociologie des massacres, qui place cette structure comme une condition indispensable, bien qu’insuffisante, au déclenchement des violences extrêmes.
Les massacres, tels ceux de 2005, 2014[4] et 2022 sont les épisodes les plus visibles de la répression violente contre les migrant·e·s Noir·e·s aux frontières maroco-espagnoles. Mais les recherches existantes prouvent que la violence est continue, son intensité variant particulièrement en fonction de l’état des relations diplomatiques du Maroc avec l’Espagne (Border Forensics et al., 2024 ; Tyszler, 2019). Malgré les nombreuses mobilisations pour la justice et les contentieux menés au cours de la dernière décennie[5], le cadre juridique – tant à l’échelle nationale qu’européenne –, n’a fait que renforcer le nécropouvoir (Mbembe, 2006) des États marocain et espagnol. Les droits des migrant·e·s et les normes nationales et internationales qui doivent les protéger sont régulièrement bafoués au profit de la consolidation d’un régime d’impunité (Aparicio, 2023 ; Border Forensics, 2024 ; ECCHR, 2024 ; Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et migrants [GADEM], 2015 ; Irídia, 2023).
Depuis les années 2010, les recherches en sciences sociales sur le renforcement des frontières de Melilla et de Ceuta ont abondé (Acosta-Sánchez, 2022 ; Andersson, 2014 ; Castan Pinos, 2014 ; Ferrer-Gallardo et Gabrielli, 2018, 2023 ; Johnson et Jones, 2018 ; López-Sala, 2015 ; Saddiki, 2010). Si des auteur·e·s ont pointé la dimension raciale et coloniale des situations à ces frontières sud-espagnoles (Coleman, 2020 ; Moffette, 2013 ; Sahraoui, 2023 ; Sanyal, 2021 ; Tyszler, 2019 ; Vives, 2011), et que de plus en plus de travaux pointent le racisme émanant également du côté marocain (Bachelet et Hagan, 2023 ; Gazzotti, 2021 ; Gross-Wyrtzen et El Yacoubi, 2022 ; Hannoum, 2020 ; Maâ, 2022 ; Marouan, 2016 ; Menin, 2016 ; Tyszler, 2019), peu nomment explicitement la négrophobie[6], et plus rares encore sont les travaux qui adoptent une perspective intersectionnelle – tenant compte de l’imbrication des rapports de pouvoir et de domination (Combahee River Collective, 1979 ; Crenshaw, 1991). Si mon travail relève plus particulièrement de la sociologie, les espaces de mort (Kobelinsky, 2019) que constituent les frontières maroco-espagnoles me poussent à adopter des outils conceptuels d’autres disciplines, ici de la criminologie, afin de renforcer davantage l’analyse de la violence qui s’y reproduit sans cesse.
En explorant la question des rapports de race et des masculinités virilistes cristallisées dans les pratiques de répression migratoire, le présent article apporte une contribution au champ de la criminologie des frontières, postulant que l’approche intersectionnelle[7] est indispensable pour comprendre comment des massacres parviennent à être perpétrés aux frontières et à rester dans l’impunité. La dimension raciale est toujours ignorée par les dirigeants politiques et les tribunaux traitant les cas de violences et de décès parmi les personnes migrantes à ces frontières (ECCHR, 2024). Pourtant, elle est une structure centrale du régime de violence en place. La question des masculinités dans les pratiques du pouvoir, elle, demeure un impensé qu’il convient de replacer au centre de l’analyse, pour comprendre les processus d’escalade de la violence à la frontière (Tyszler, 2020, 2023). L’idée est de percevoir la production de masculinités subalternes, celle des migrants Noirs, face aux formes de masculinités dominantes performées par les gardes-frontières. L’article propose ainsi d’appréhender les massacres aux frontières comme des rituels de répression visant à restaurer l’ordre établi (Melenotte, 2016), en l’occurrence un ordre migratoire racialisé et genré.
Puisant dans les données obtenues au cours d’une recherche doctorale et celles provenant d’un projet collectif de contre-enquête, j’étudie dans cet article la violence extrême en me focalisant sur les auteurs matériels[8] des massacres et le point de vue des personnes directement affectées par cette violence. À partir de l’analyse d’entretiens menés avec des agents de la Guardia civil, puis de récits de migrant·e·s sur la violence des militaires marocains, l’article décrypte différents processus de racialisation cristallisés dans les discours et pratiques de répression. J’aborde finalement le dernier massacre en date tel un paradigme, corroborant davantage la centralité de la négrophobie et du virilisme dans la production des violences.
Méthodologie
Le présent article repose d’abord sur une enquête ethnographique que j’ai menée pendant 30 mois au Maroc, à Ceuta et à Melilla, entre 2015 et 2017, dans le cadre d’une thèse en sociologie. J’ai mobilisé différentes postures d’enquête : une immersion par la participation observante, en travaillant ou étant bénévole dans des ONG basées à Rabat et Nador ; et, hors de ces organisations, une ethnographie du quotidien, aux côtés de ressortissant·e·s d’Afrique centrale et de l’Ouest en quête de passage des frontières maroco-espagnoles. J’ai mené un total de 200 entretiens auprès d’une pluralité de protagonistes impliqué·e·s sur le terrain : personnes migrantes ; salarié·e·s et membres d’associations et d’ONG ; forces de l’ordre espagnoles et représentant·e·s d’organisations internationales et d’agences de coopération internationale. Plus tard, en 2023, j’ai participé à une contre-enquête (Border Forensics et al., 2024) sur le massacre du 24 juin 2022. S’inspirant des méthodes de l’architecture d’investigation (Weizman, 2021), la recherche a fait émerger des éléments de preuve des crimes commis, en combinant la collecte de récits de rescapés avec des entretiens auprès d’acteurs clés, ainsi que l’analyse des images disponibles du massacre. Nous avons aussi réalisé un travail géostatistique pour produire des chiffres et des graphiques corroborant la répression ciblée des personnes Noires à la frontière sur la longue durée. Au sein d’une équipe pluridisciplinaire, j’ai mené plusieurs entretiens avec des survivants du massacre et étudié en détail les évènements du 24 juin 2022, dans une visée de lutte collective contre l’impunité et pour la justice.
Seules frontières terrestres entre l’Afrique et l’Europe, Melilla et Ceuta font, depuis près de trente ans, l’objet d’une attention politique sécuritaire croissante. Route migratoire ancienne pour les Marocain·e·s, elle est empruntée aussi, depuis les années 1990, par d’autres personnes provenant d’ailleurs en Afrique, mais aussi d’Asie et du Moyen-Orient. Malgré la pluralité des groupes tentant le passage, ce sont les ressortissant·e·s d’Afrique centrale et de l’Ouest – et plus récemment de l’Est –, notamment des hommes, qui sont particulièrement rendus visibles et réprimés par les gardes-frontières. Le double contrôle migratoire hispano-marocain les vise particulièrement. L’expression « Subsahariens », employée de part et d’autre de la frontière, révèle la construction d’une catégorie racialisée d’indésirables, associant une couleur de peau – noire – à un statut d’illégalité (Tyszler, 2019). Côté espagnol, pour permettre le passage à l’acte et légitimer les violences extrêmes contre les personnes Noires dans la durée, c’est tout un imaginaire raciste, imbriqué à la colonialité de ces territoires, qui est perpétuellement reproduit à la frontière.
Défendre la frontière hispano-européenne : la Guardia civil et les « Subsahariens »
L’objectif de la Guardia civil est de sauver l’intégrité de la frontière espagnole et celle de l’Europe. […] Toute entrée doit respecter les normes en vigueur, donc nous devons empêcher les entrées hors des points de passages autorisés.
Entretien avec le commandant de la Guardia civil, Melilla, 2015
En violation du droit international et européen, les personnes Noires qui parviennent à passer les barrières-frontières de Ceuta et de Melilla sont sujettes à des expulsions sommaires et immédiates vers le Maroc[9]. Les agents de la Guardia civil interceptent les migrant·e·s et les expulsent le plus rapidement possible en les remettant aux autorités marocaines à travers la structure des barrières frontalières[10]. Cette pratique, connue sous le nom de « refoulements à chaud » (devoluciones en caliente), est dénoncée depuis des années par des organisations de la société civile et des juristes pour son illégalité et la violence utilisée par les policiers militaires qui la mettent en oeuvre. En 2015, le gouvernement espagnol a inscrit cette pratique informelle dans la législation espagnole (BOE-A-2015-3442) en la rebaptisant « renvois à la frontière » (rechazos en frontera) ; une stratégie conçue pour donner une légitimité juridique à une pratique illégale. Elle a également été consolidée par la position de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’affaire ND et NT c. Espagne (ECCHR, 2020). Ainsi, les « refoulements à chaud » se poursuivent aux frontières des deux enclaves. En 2015, je réalise des entretiens auprès de la Guardia civil de Ceuta et de Melilla, dans le cadre d’enquêtes interassociatives (GADEM et al., 2015). Examiner leur contenu permet de déceler les différents systèmes de justification de la violence développés par ces gardes-frontières. À cette époque, ce sont des personnes bêtes, voire des bêtes tout court, qui sont décrites par les hauts-gradés de la Guardia civil, affirmant le besoin d’une force disciplinante pour faire respecter l’ordre migratoire établi.
Se penser en défenseurs civilisés face à des bêtes
Il y a une tension permanente de migrants irréguliers qui essayent de passer par les points de passage non autorisés. Nous devons faire en sorte qu’il n’y ait pas d’entrave à la loi, qu’aucun ne passe. Mais il y a des tentatives de passage en permanence. Côté marocain, il y a des personnes qui attendent avec un seul objectif : passer. Comment faire pour que les Noirs passent par les points de passage autorisés ?
Entretien avec le colonel de la Guardia civil, Ceuta, 2015
Dans cet extrait d’entretien, le colonel de Ceuta définit le problème principal auquel la Guardia civil dit être confrontée à la frontière. L’homme en uniforme laisse entrevoir sa conception raciste des Noirs : des sujets non réfléchis, qui ne respectent pas les règles établies, en d’autres termes, qui se rendent eux-mêmes illégaux. Le plus problématique, selon le colonel, ce sont « les tentatives massives de centaines de personnes en même temps qui nous obligent à employer des moyens coercitifs qui mettent en danger tant les gardes civils que les migrants ». Lors des différents entretiens menés, on nous rappelle que l’usage de la force se fait d’abord du côté marocain : « Les premiers agissements sont ceux des forces auxiliaires marocaines. Lorsque les migrants arrivent devant la Guardia civil, ils sont déjà en panique ! », décrit le haut gradé, semblant parler de hordes d’animaux effrayés. Durant l’entretien à Melilla, le commandant nous montre des images vidéo « d’assauts massifs ». La vision nocturne des caméras infrarouges donne un effet bestial au groupe d’hommes tentant de passer les barrières.
C’est le moment le plus compliqué, quand il y a un assaut massif à la barrière, avec des migrants qui ont leur rêve à un mètre de portée et des gardes civils qui ont pour obligation de les arrêter. Cela termine avec des moments de violence. On se retrouve avec 500 Subsahariens dans un espace de deux mètres de large sur 100 mètres de long. La situation est forcément très violente, il y a des blessés.
Entretien avec le colonel de la Guardia civil, Melilla, 2015
Dans ce discours, les violences provoquées à la barrière sont interprétées comme une fatalité, premièrement, du fait du comportement qualifié de déraisonnable des « Subsahariens ». Deuxièmement, du fait des situations de rencontres entre le groupe des « Subsahariens » avec celui des militaires marocains ; puis, avec celui des gardes civils espagnols. Outre une volonté de déresponsabilisation et de délégation des faits de violences par les autorités marocaines, on peut déceler une logique de naturalisation des violences qui émaneraient de l’attitude indocile des « Subsahariens », mais aussi de l’espace physique de la frontière lui-même et de ses dimensions trop restreintes pour recevoir ces arrivées de corps étrangers en nombre dans des conditions sereines. Loin d’auteurs de violences, les agents de la Guardia civil s’envisagent même comme des protecteurs/sauveurs, comme l’indique cet extrait à propos des interceptions maritimes :
[…] la première chose que souhaite la Guardia civil est de garantir leur vie. […] Le problème est que beaucoup se jettent à l’eau alors même qu’ils ne savent pas nager. […] Ceux de l’intérieur de l’Afrique n’aiment pas l’eau, ils choisissent de passer la barrière. Alors que ceux qui viennent des pays côtiers, ou alors qui ont de grands fleuves, choisissent la voie maritime, ils sont de meilleurs marins.
Entretien réalisé avec le colonel de la Guardia civil, Melilla, 2015
Ces propos montrent à nouveau une logique de dépolitisation et de naturalisation des violences qui seraient le fruit d’un espace et d’individus s’y mouvant de telle ou telle façon, en fonction de leurs supposés choix, de leur goût, de leurs facultés ou encore de leurs aptitudes face à certains milieux naturels. Ces analyses animalisantes sont fréquentes dans les propos de la Guardia civil au sujet de la figure du « Subsaharien ». Ils font écho à ce que note Frantz Fanon (1961) dans les Damnés de la terre : « Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. Le colon […] se réfère constamment au bestiaire » (p. 45).
C’est l’Europe qui doit aller à l’Afrique, et pas l’Afrique à l’Europe. Il faut leur apprendre à s’organiser. Il faut leur enseigner la démocratie, l’éducation, et presque par la force s’il le faut. La barrière symbolise l’échec de nombreux pays d’Afrique, elle est nécessaire aujourd’hui.
Entretien avec le colonel de la Guardia Civil, Ceuta, 2015
Ces mots du colonel de Ceuta rappellent ce qu’Aimé Césaire développe dans Discours sur le colonialisme (1955). Il parle du colonisateur qui « pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à la traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête » (p. 21). Les processus de bestialisation et ceux que je nomme « d’abêtissement » des migrant·e·s Noir·e·s opérés par la Guardi civil font partie des agencements sociocognitifs opérés pour ne pas conscientiser totalement la domination et l’oppression racialisées qu’ils contribuent à exercer (Cervulle, 2012), les aidant ainsi à légitimer et perpétuer la violence. Selon les hauts responsables, la violence provient surtout d’intrusions relevant d’organisations « mafieuses ». Cela esquisse une autre dimension de la racialisation de migrants Noirs passant par l’hypervirilisation de ces derniers, mais aussi en miroir, celle des gardes-frontières.
Des bêtes aux mafias : produire une figure dangereuse pour devenir des héros
À Melilla, le colonel déclare que le commandement tient un rôle de protecteur de l’Europe face aux « organisations mafieuses » qui sont « transnationales, multinationales et savent se mouvoir à travers les points de fragilité de nos frontières, de nos pays […] ». Pour lui, « ceux qui viennent par la barrière sont très bien préparés par les mafias. Ils sont bien nourris, sont très forts, ce sont de vrais athlètes des jeux olympiques ». Une déclaration démontée par des gardes civils travaillant en première ligne aux barrières et allant à contrario de ce que les premier·e·s concerné·e·s et nombre de rapports d’ONG décrivent à propos des conditions de vie très difficiles dans les campements en forêt et des répercussions physiques et psychiques sur les personnes contraintes d’y rester.
Dans les propos des hauts gradés de la Guardia civil, tout semblant d’organisation lors des tentatives de passage est assimilé à de l’organisation mafieuse. La rhétorique de la mafia permet de donner une vision virilisée de la mission de la Guardia civil à la frontière, devant une cible, incarnée par la figure d’un homme Noir vu comme physiquement fort et dangereux. Une masculinité héroïque est ainsi performée dans les discours et les attitudes des gardes civils, à travers la production d’une figure d’« assaillants » desquels ils affirment protéger l’Espagne et l’Europe, qui seraient de dangereux trafiquants issus de mafias ultra-organisées. Frapper et refouler vers le Maroc des personnes ayant la faim au ventre, des personnes parfois mineures et en quête de protection internationale, est plus difficile à justifier – et moins viril – pour les hommes en uniforme. Regarder les performances de masculinités permet de complexifier et d’approfondir la compréhension des violences aux frontières. Ces zones frontalières militarisées servent à mettre en scène des formes de masculinité virile, tant pour les hommes chargés de la défense des frontières, que pour ceux qui tentent de les franchir malgré la répression.
Face à la répression ultra-violente, beaucoup d’hommes migrants se réfugient dans une performance de soi comme un « vaillant soldat » risquant sa vie au front, dans un espace frontalier devenu un lieu de guerre contre eux. Les performances d’hypermasculinité des sauteurs de barrière découlent d’une masculinité subalternisée et de protestation (Djavadzadeh, 2015) contre un ordre migratoire anti-Noir·e·s qui les surexpose à la violence et à la mort (Tyszler, 2020, 2023). Le virilisme – qui n’est une caractéristique ni naturelle ni systématiquement associée à la masculinité (Gourarier, et al., 2015) – est ainsi performé de différentes manières, en fonction des positions des hommes face à la frontière et dans les rapports sociaux de pouvoir et de domination qui la structurent.
En juin 2019, El Faro TV, chaîne locale des enclaves, diffuse un reportage intitulé Dans leur peau. Garde civil à Ceuta : la vie en alerte. La moitié du film s’intéresse à l’unité Groupement de réserve et de sécurité – considéré comme l’élite de la Guardia civil – qui vient en renfort au niveau des barrières de Ceuta et de Melilla. L’alternance de plans de gardes civils en uniformes antiémeutes fins prêts à intervenir aux barrières, avec des plans de jeunes hommes Noirs, torses nus, criant « boza[11] », renseigne tant sur la construction racialisante d’un danger migratoire noir, que sur la construction genrée de la figure du garde civil oeuvrant à la barrière. À l’instar des entretiens menés avec les colonels et commandants, c’est une certaine masculinité des gardes civils qui est mise en scène : virile, mais disciplinée, excluant les scènes de violences abondamment documentées par d’autres sources. Étudier ces expressions de masculinités hégémoniques (Connell, 2014) chez les gardes-frontières conduit à appréhender le poids des rapports de genre et de race qui structurent l’ordre migratoire en place et produisent une hiérarchie des personnes et des vies. Une hiérarchie raciale que les agents de la Guardia civil décrivent comme un fait dissocié de la politique répressive qu’ils mettent en oeuvre :
Il y a des voies d’entrée utilisées par les Subsahariens : le saut de la barrière, les embarcations en mer, se cacher dans des véhicules. À la différence des Syriens qui passent par le poste de contrôle à la frontière, en général avec des passeports falsifiés ou usurpés. Ici, oui, il y a des Blancs et des Noirs, les Subsahariens ne peuvent pas venir en marchant.
Entretien avec le colonel de la Guardia civil de Melilla, 2015
Pour déconstruire les discours dominants sur la frontière, il faut voir que la fin est dans les moyens, ou en tout cas : que les moyens changent la fin proclamée. Si les moyens employés par la Guardia civil déshumanisent, voire ôtent des vies pour assurer la défense des frontières de Ceuta et de Melilla, il faut déceler la signification de cette violence.
Melilla, un jour de printemps de 2015. Je prends mon petit déjeuner dans une cafeteria du centre-ville. Je suis entourée de militaires au repos, l’hôtel où logent les unités de renfort spécialement affectées à la barrière de la Guardia civil est à deux pas. Mon regard est attiré par le tatouage proéminent que l’un d’entre eux arbore sur son biceps. Je distingue un grand navire, type caravelle, quelques mots et une date. Il est tatoué : « Por el Imperio, 1492 » (Pour l’Empire, 1492[12]).
Extrait du carnet de terrain
Cette anecdote amène à penser les agents de la Guardia civil de Ceuta et de Melilla, non seulement comme des gardiens des portes de l’Europe (Andersson, 2014), mais aussi comme des défenseurs de ce qui reste de l’Empire, des protecteurs d’espaces se voulant blancs (Anderson, 2015). Sans faire de généralisation abusive, ce tatouage vu sur le bras d’un garde civil travaillant aux barrières-frontalières contribue à pointer que les violences aux frontières parlent de race et de colonialité du pouvoir (Quijano, 2007). Loin d’être un artefact de l’histoire ou une position extrême, la suprématie blanche est à la base du développement continu des pratiques de la race au sein des États (post)coloniaux et à leurs frontières (Bonds et Inwood, 2016). Si la suprématie blanche est au coeur des pratiques de la race aux frontières de Ceuta et de Melilla, il convient d’analyser la violence émise du côté marocain, qui s’imbrique à celle déployée du côté espagnol et coproduit un ordre négrophobe à la frontière.
Des militaires marocains devenus chasseurs de Noir·e·s : récits de personnes traquées à Nador
Arrivant dans la région de Nador le plus souvent par bus, les migrant·e·s Noir·e·s descendent généralement avant la gare principale, étant donné le risque élevé de se faire contrôler ou même arrêter le pied à peine posé dans la ville. Les forces auxiliaires marocaines, forces militaires d’appui habituellement chargées du maintien de l’ordre dans le Royaume, ont une mission particulière dans les zones frontalières. À Nador, le travail de ces militaires est principalement orienté vers le contrôle migratoire. Depuis 2015, des unités spéciales sont dédiées à la traque des « Subsahariens ». L’arrestation au faciès peut avoir lieu à tout moment. C’est pourquoi les personnes se dirigent immédiatement vers des campements éloignés des centres urbains et situés dans les forêts des monts proches de la frontière de Melilla. Dans cette région, c’est une véritable « chasse à l’homme Noir » qui est dénoncée par celles et ceux qui la subissent ainsi que par les militant·e·s qui observent la situation. Faute d’accès aux militaires eux-mêmes pendant les enquêtes, les processus de racialisation sont ici saisis par celles et ceux qui sont directement affectés par la violence raciste.
Des corps noirs constitués en proies
« Ce n’est pas bon d’avoir la peau noire ici », m’explique Diallo B., un jeune Guinéen rencontré en 2016 à la frontière. « Régularisés ou non, étudiants ou non, titulaires d’un visa touristique ou demandeurs d’asile, les arrestations, se font sur un seul critère : la couleur noire de la peau », dénonce Adil N., militant de l’AMDH-Nador en 2017. Les hommes et les femmes catégorisé·e·s comme « subsaharien·ne·s » constituent le groupe le plus indésirable, celui qu’il faut visiblement empêcher de franchir la frontière. Ces hommes et ces femmes deviennent ainsi des corps traqués, des proies (Chamayou, 2010). Longtemps, le campement de Gourougou – situé sur le mont du même nom et proche des barrières de Melilla – a concentré la majorité des ressortissant·e·s d’Afrique centrale et de l’Ouest présent·e·s à Nador. Mais au fil des années et de la répression, les campements se sont dispersés et éloignés de la frontière, rendant les conditions de survie et d’organisation du passage toujours plus dures. « La forêt c’est pour les animaux, pas pour les humains », déplorent les personnes encampées côté marocain, pointant un processus de bestialisation découlant des politiques de la traque. Le harcèlement sécuritaire se matérialise par des rafles inopinées et aussi par la destruction régulière des campements par des incendies volontaires. Les vols de biens appartenant aux migrant·e·s, notamment les téléphones et l’argent, la destruction des documents d’identité, de séjour ou de demande d’asile, sont des pratiques fréquentes des forces auxiliaires. Des agressions sexuelles commises par des militaires à l’égard de femmes migrantes sont aussi dénoncées.
L’évocation des forêts nord-marocaines pour mes interlocuteur·rice·s les ramène tous et toutes à une expérience de la domination (violence symbolique) et de l’oppression (violence physique). Comme le décrit l’anthropologue Jean-Louis Edogué Ntang (2014) au sujet de l’expérience des campements dans les forêts de Belyounech près de Ceuta : « Les impacts sur les corps de cette situation de blocus et de répression sont la maigreur, la soif, la gale […], la mauvaise odeur corporelle, le froid, la perte lente de la clarté mentale chez certains migrants […] » (p. 358) ; soit autant d’expressions du « système de marques » (Guillaumin, 1972) matérialisant les effets de l’ordre social raciste qui leur est imposé à la frontière. « Les gens qui viennent ici, ils n’ont plus le sens de vivre. Ils sont comme des morts-vivants. Ils respirent, mais ils sont déjà morts. Ceux qui sont en forêt, ils pleurent au dedans d’eux », m’explique Gina, ressortissante congolaise rencontrée à Melilla en 2017. Ses propos décrivent un processus de déshumanisation fondée sur une forme d’indiscernabilité de la vie et de la mort (Ajari, 2022) produite par les politiques de répression négrophobes. À Rabat, la psychologue d’une ONG m’explique que les séjours en forêt sont beaucoup évoqués par ses patient·e·s : « On voit de plus en plus d’hommes migrants développer des psychoses du fait de ce qu’ils vivent en forêt, de la traque violente qu’ils subissent de la part des forces de l’ordre et de leur blocage au Maroc. Pour les femmes, les traumatismes sont plus souvent liés à des violences sexuelles. » Les corps et les psychés des personnes Noires sont affectés différemment, en fonction de leur genre, par leur répression à la frontière (Tyszler, 2020, 2021). À Nador comme du côté de Fnideq (proche de Ceuta), les interventions militaires dans les campements en forêt atteignent directement l’intégrité physique des personnes, les tuent parfois. Comme l’écrit Grégoire Chamayou (2010), les chasses à l’homme constituent des stratégies conscientes et théorisées d’insécurisation. Poussant la vulnérabilisation des migrant·e·s jusqu’à l’extrême, les forces de l’ordre les harcèlent pour les faire partir ou pour les inciter à la tentative de passage de la frontière (Tyszler, 2019, 2024).
Aux barrières, les situations d’exposition à la mort concernent particulièrement les hommes. Si la violence de la Guardia civil est régulièrement évoquée par les personnes s’étant fait refouler à la frontière, celle des forces auxiliaires marocaines est dans toutes les bouches. Ce sont des actes de tortures qui sont décrits.
Expériences de la torture à la frontière
La torture est définie par le droit international comme « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales sont intentionnellement infligées à une personne […] »[13]. Suivant cette définition, je peux qualifier de torture les violences mentionnées par les centaines de personnes que j’ai rencontrées pendant mes recherches. Pourtant, ce concept est rarement employé dans les travaux universitaires dédiés à ces frontières. Récolter le point de vue des premier·e·s concerné·e·s permet de requalifier la violence aux frontières, au plus près des réalités vécues. Un jour de mars 2017, un groupe de jeunes revenus de la frontière débarque dans un centre d’accueil lié à l’église de Casablanca. Leurs visages sont tuméfiés, ils ont des bandages ensanglantés à la tête, aux mains, aux bras ou aux jambes ; plusieurs boitent, leurs habits sont déchirés, certains montrent des morsures de chiens. Je commence à discuter avec quelques-uns d’entre eux et parviens à noter quelques bribes de leurs récits sur un carnet :
Les alis [forces auxiliaires marocaines] prennent les bois et ils frappent sur toi. Ils frappent tout le monde, même les petits. Ils nous traitent comme des animaux. Un jour, ils vont finir par nous tuer.
Moussa T., Guinéen, 20 ans
Ce jour-là, ils ont mis les gens dans un trou, très grand, et les militaires envoyaient des pierres sur eux, puis ils ont lâché les chiens. Les chiens vous mordent et eux ils filment ça avec leurs téléphones et ils rigolent en vous regardant souffrir.
Alain B., Camerounais, 22 ans
Ils se sont mis à six sur moi, ils m’ont frappé, frappé avec les bois, à la tête même, j’ai perdu connaissance. Quand j’ai repris connaissance, on me tenait les jambes tendues et d’autres me frappaient sur les genoux. C’est de la torture ça. Pourquoi ils nous font ça ? Nous sommes des êtres humains.
Serge F., Camerounais, 20 ans
D’après les nombreux récits récoltés, le ciblage des coups sur le crâne, la mâchoire ou les articulations est fait pour provoquer des dommages corporels durables, pour briser les corps des sauteurs de barrière. La violence déployée contre les hommes qui tentent de sauter la barrière est une façon de montrer que « le Maroc fait son travail pour l’Europe ». Son intensité et son caractère parfois létal proviennent, d’après les premier·e·s concerné·e·s, du racisme anti-Noir·e·s prévalant au Maroc. Ce constat est unanimement partagé par les personnes ayant vécu la frontière, qui déplorent l’association de la peau noire à un statut répréhensible de clandestinité, de sous-humanité, voire de non-humanité. « La barrière entre le Maroc et Melilla est un cimetière. Un cimetière pour les Noir·e·s. » est un adage que j’ai souvent entendu.
Le « collectif subsaharien [est] de loin le plus vulnérable et le plus mal traité par rapport à d’autres, comme les Syriens. Les Syriens sont les bienvenus : ce sont des Arabes, ils ont la même religion, ils viennent d’un pays en guerre… Il y a une certaine tolérance parce qu’ils nous ressemblent davantage », analyse en 2018 Khadija Ainani, vice-présidente de l’Association marocaine des droits humains, pointant le lien entre le racisme anti-Noir·e·s contemporain au Maroc et ses manifestations précoloniales[14]. Pour l’historien Chouki El Hamel (2013), les récentes migrations « subsahariennes » ont montré à quel point les attitudes racistes sont enracinées dans la culture marocaine. Il soutient que le racisme fait partie de l’histoire et de la structure politique de la nation du Maroc. Depuis les années 1990, l’extériorité des ressortissant·e·s d’Afrique centrale et de l’Ouest permet leur prise pour cible de façon aisée de part et d’autre de la frontière. Ni le Maroc ni l’Espagne ne se reprochent de violenter des « Subsaharien·ne·s ». Ce défouloir sur un Autre racisé, Noir en l’occurrence, leur permet de performer leurs souverainetés respectives et de maintenir leurs intérêts communs à la frontière. Ceux et celles qui sont catégorisé·e·s comme « Subsaharien·ne·s » sont la figure consensuelle et exemplaire qui permet au Maroc et à l’Espagne à la fois de performer la puissance et de s’impliquer dans la lutte contre l’immigration dite clandestine (Tyszler, 2019). Malgré la mise en place de bureaux d’asile aux portes de Ceuta et de Melilla en 2015, il reste impossible pour les personnes Noires de faire des demandes de protection aux frontières. « Le bureau d’asile, c’est pour les Syriens », m’explique Anthony V., un Nigérian rencontré à Nador. « Si vous êtes Noir·e et que vous approchez la frontière, vous serez battu·e comme un serpent », poursuit-il. Cette analyse est partagée par des agents de la Guardia civil qui travaillent aux barrières de Melilla :
Il y a vraiment une question de Blancs et de Noirs. Ça, c’est de la politique, priorité à certaines personnes et pas à d’autres. […] En fait, aucune personne Noire ne va demander l’asile, car on ne va pas la laisser s’approcher pour le simple fait qu’elle est Noire, alors que si elle est Syrienne… Le bureau d’asile à la frontière, c’est juste pour faire taire les gens. Revenez dans quatre ans pour demander si un Noir a pu demander l’asile. Tout ça, c’est un gros mensonge.
Entretien avec des membres de l’Association unifiée de gardes civils, Melilla, 2015
Ces propos ont été confirmés maintes fois dans les années suivantes, y compris par des représentant·e·s d’institutions européennes du droit[15]. Dans un continuum de déshumanisation des Noir·e·s par la traque, la bestialisation et l’exposition à une violence mortifère en toute impunité, la production récente d’une figure stéréotypée pour représenter les Soudanais a entériné la dimension négrophobe et viriliste des politiques de contrôle migratoire à l’oeuvre à la frontière et a provoqué une surenchère de la violence.
Écraser l’autodéfense et rasseoir l’ordre migratoire : le massacre du 24 juin 2022
Le 24 juin 2022, vers 4 h du matin, 2 000 personnes migrantes, principalement de nationalité soudanaise, mais aussi tchadienne, érythréenne ou encore camerounaise et guinéenne, quittent le mont Gourougou et se dirigent vers la frontière de Melilla. La violence qui leur est infligée par les forces de l’ordre marocaines et espagnoles ce jour-là aboutit à un véritable charnier. Au lendemain du massacre, les autorités marocaines et espagnoles ont immédiatement nié leurs responsabilités, justifiant la répression au nom du maintien de l’ordre et en réponse aux « actes de violence » des personnes migrantes, associées à des « mafias ». Deux ans après ce drame, aucune enquête officielle solide ni autopsie n’a été faite côté espagnol ou marocain, et les gouvernements continuent de nier toute responsabilité. Les investigations indépendantes sont entravées et les possibilités d’identification des morts et des disparus sont restées obstruées, et par-là même le deuil des familles et des proches (AMDH-Nador, 2023). Des initiatives de la société civile, comme la contre-enquête (Border Forensics, 2024) à laquelle j’ai participé, et d’autres antérieures[16], ont tenté d’approfondir la compréhension des conditions de production des violences du 24 juin 2022 et des suites données après le massacre, et de pointer des responsabilités plus précises quant à ce crime contre l’humanité. Ce sont surtout les récits des rescapés qui permettent de comprendre les modalités, l’ampleur et le sens de cette violence.
Ce sont les pratiques d’autodéfense des migrants – principalement soudanais – dans les jours précédents, qui semblent avoir été un élément déclencheur central de la violence extrême des gardes-frontières le 24 juin 2022, élément instrumentalisé par les États marocain et espagnol ensuite, pour se blanchir de toute responsabilité quant aux morts et aux blessés.
Du côté marocain : piéger les Soudanais pour se venger
Nos services de l’ordre ont agi selon la doctrine […] de maintien de l’ordre. Les gens qui étaient devant eux, c’était des gens aguerris avec une formation militaire. Avec des gens qui ont fait de la guerre […], qui n’étaient pas des migrants, je dirais, comme ceux qu’on a d’habitude.
Déclaration du responsable de la surveillance des frontières marocaines après le massacre[17]
Si pendant plusieurs décennies, les migrant·e·s Noir·e·s présent·e·s à Nador sont principalement originaires d’Afrique centrale et de l’Ouest, à partir de 2020, des Africain·e·s de l’Est et notamment du Soudan arrivent. Ces derniers sont d’abord assimilés aux « Subsahariens », subissant le même traitement discriminatoire que les autres personnes migrantes Noires. À partir de juin 2022, la figure du « Soudanais » comme faux réfugié et dangereux milicien est mobilisée dans les discours médiatico-politiques du côté marocain de la frontière. Face au harcèlement sécuritaire qu’ils vivent dans la région de Nador, les Soudanais se défendent, peut-être plus frontalement que leurs prédécesseurs, et les forces de l’ordre semblent avoir voulu se venger le 24 juin 2022.
Plusieurs éléments de preuve analysés dans la contre-enquête (Border Forensics, 2024) indiquent que le massacre du 24 juin 2022 relève du guet-apens, dans la mesure où la tentative de passage a été suscitée ; et la répression, planifiée par les forces de l’ordre marocaines. La présence, dans les campements, de « taupes » collaborant avec les autorités marocaines a influencé les migrants dans les modalités de leur tentative de passage, les rendant plus vulnérables. Devant eux se dressait au contraire un dispositif militaire renforcé au cours des jours précédents le 24 juin. Ces deux éléments, ainsi que la répression opérée les jours précédents et l’ultimatum donné le 23 juin par les forces marocaines, indiquent un degré de préparation, voire de préméditation de la répression du 24 juin. Le jour même, les forces marocaines ont laissé les migrants arriver jusqu’à la zone frontière, puis les ont acculés et orientés vers le poste-frontière dénommé Barrio Chino. Les survivants eux-mêmes décrivent leur entrée dans la cour de ce poste comme une arrivée dans un « piège ».
Des entretiens amènent particulièrement à penser que le massacre est une forme de vengeance des militaires marocains par rapport à des affrontements s’étant déroulés les 18 et 23 juin 2022. Des rescapés expliquent notamment que la veille du massacre, des groupes de Soudanais, qui tentaient de se défendre face aux agressions des militaires dans les forêts, étaient parvenus à prendre le dessus sur un groupe de forces auxiliaires du fait de leur supériorité numérique. Quelques-uns ont pris l’initiative d’attraper et de ligoter trois membres des forces marocaines dans le but d’imposer des négociations pour l’arrêt de leur répression violente à la frontière. Le pantalon d’un des officiers marocains aurait été baissé en guise d’humiliation. Au terme de la libération des trois « prisonniers » marocains quelques heures plus tard, c’est un ultimatum qui est donné : « Vous avez 24 h pour partir, sinon nous reviendrons avec des armes à feu », « rendez-vous à la frontière » auraient assené les militaires. La suite est le carnage se déroulant au poste-frontière.
De la banalisation de la violence négrophobe mortifère à la frontière
D’après la contre-enquête que nous avons menée, les morts sont dues à trois facteurs directs principaux, comme l’analyse un des survivants interviewés : « Il y avait trois grands facteurs de morts : le gaz, la bousculade et les coups. Les coups ont causé plus de dégâts que la bousculade. » Les forces de l’ordre marocaines et espagnoles ont ciblé les migrants de manière indiscriminée avec des bombes lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des pierres alors qu’ils étaient maintenus dans un espace clos, en contradiction flagrante avec les normes internationales régissant l’utilisation de matériel antiémeute. Les témoignages de survivants indiquent tous que la majorité des décès sont le produit direct de la répression physique intense opérée par les forces marocaines qui ont systématiquement battu les migrants restés bloqués à l’intérieur du poste-frontière et ceux refoulés par les forces espagnoles. Des enregistrements de propos des forces de l’ordre marocaines ainsi que des récits de rescapés révèlent le racisme et la déshumanisation dont les personnes migrantes ont fait l’objet, ainsi que la volonté délibérée de faire souffrir, voire tuer, les hommes Noirs. Comme l’indique Mustafa, l’un des rescapés : « Je pensais que c’était la barrière qui pouvait tuer, pas les forces de l’ordre. J’ai senti qu’ils voulaient nous tuer ce jour-là. Et ils ont tué. »
Dans le massacre s’allient la violence physique et symbolique inouïe déployée par les militaires marocains et celle des forces espagnoles dans leur action répressive – incluant les renvois de 470 personnes blessées vers les militaires marocains qui les battaient sous leurs yeux –, mais aussi, voire surtout, dans leur inaction volontaire face à des scènes – des hommes Noirs passés à tabac, tués, des corps amoncelés – qui leur paraissent banales. Les propos des pilotes de l’hélicoptère de la Guardia Civil et des autorités espagnoles face aux images qu’ils ont prises, lors des évènements se déroulant dans le poste-frontière, révèlent aussi le racisme et la déshumanisation qu’ils opèrent : la violence déployée contre les migrants et le danger qu’ils encourent leur semblent ordinaires, et c’est ainsi que sera justifiée leur non-intervention pour empêcher la suite du massacre (Border Forensics, 2024). La racialisation passe ici par la banalisation totale du risque de mort et de la mort elle-même des hommes Noirs.
Conclusion
Les massacres transfrontaliers autour de Ceuta et de Melilla peuvent être lus comme des « rituels de répression » des États marocain et espagnol. Pour Sabrina Melenotte (2016), ce concept sert à souligner avant tout « le caractère itératif, chronique et standardisé des violences politiques » (p.127), notamment les assassinats et les massacres de la population la plus subversive pour l’ordre établi. Dans le cas des frontières maroco-espagnoles, la violence extrême émane d’une approche militarisée de l’exécution d’un ordre migratoire négrophobe et est encouragée et légitimée par des instances politiques et juridiques nationales et européennes, au nom de la lutte commune contre l’immigration dite clandestine. Quelques semaines après le massacre du 24 juin 2022, la Commission européenne annonçait un « partenariat rénové » avec le Maroc sur les questions migratoires, tandis que l’Union européenne (UE) déclarait que 500 000 millions d’euros seraient versés au Maroc pour son labeur de contrôle des frontières européennes. Cet accroissement de 50 % de l’aide européenne à la suite du massacre envoyait alors un signal fort et sans ambiguïté aux autorités marocaines et espagnoles : aucun coût humain n’est trop élevé lorsqu’il s’agit de contrôler les frontières de l’UE (Border Forensics, 2024).
Les massacres de 2005, 2014 et 2022 ont forgé un paradigme de la répression d’État, des deux côtés de la frontière, persécutant les migrant·e·s Noirs tentant de transcender l’ordre migratoire et plus encore ceux et celles osant se défendre. Les recours nationaux et européens s’étant retournés contre les victimes, les rescapés et les défenseurs des droits humains cherchent encore à faire reconnaître ces évènements non pas comme des tragédies ou des drames, mais bien comme des crimes contre l’humanité.
Je crois que c’est un droit. Un humain doit être traité comme un humain. Je n’imaginais pas que je serais battu, que des gens soient tués. […] Je souhaite que cela n’arrive plus jamais, ni pour nous ni pour les autres.
Déclaration d’Adam, Soudanais, rescapé du 24 juin 2022 (Border Forensics et al., 2024)
Parties annexes
Notes
-
[1]
3 Rue Michel Ange 75016 Paris, France
-
[2]
Entretiens réalisés pour Border Forensics (2024).
-
[3]
Dans ce texte, j’appose une majuscule au terme Noir·e·s en référence à un groupe partageant une même condition sociale de l’oppression raciste visant les personnes afro-descendantes, quel que soit le degré de proximité de leur peau avec la couleur noire. Il s’agit de souligner une donnée sociale et non chromatique.
-
[4]
En septembre et octobre 2005, au moins onze personnes sont tuées par balle et des centaines d’autres sont blessées dans leur tentative d’accéder à Ceuta et Melilla par les barrières (Migreurop, 2007 ; Traoré, 2006). Le 6 février 2014, au moins 14 personnes perdent la vie et des dizaines d’autres sont blessées lorsque la Guardia civil attaque un groupe de migrants qui tentait d’atteindre Ceuta à la nage (Caminando Fronteras, 2014 ; European Center for Constitutional and Human Rights [ECCHR], 2024).
-
[5]
Voir notamment le travail de l’ECCHR et des associations espagnoles telles que Coordinadora de Barrios et Iridia.
-
[6]
Le racisme anti-Noir·e·s est un phénomène international, mais il a des histoires, des ancrages spatiaux et des manifestations multiples (Ajari, 2019 ; Fanon, 1961 ; Niang, 2020).
-
[7]
Des chercheuses en criminologie adoptent cette approche pour étudier les violences des régimes migratoires (Bosworth, et al., 2018 ; Marmo, 2021 ; Potter, 2015).
-
[8]
Les auteurs intellectuels des massacres étant les responsables politiques espagnols, marocains et européens.
-
[9]
Le principe de non-refoulement établi par la Convention de Genève et l’interdiction de la torture, tels qu’ils sont inscrits dans la législation espagnole, ne sont pas respectés, puisque même les réfugiés n’ont pas la possibilité de demander protection. Cette pratique est également contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
-
[10]
Dans la pratique, seules les personnes qui parviennent à atteindre le Centre de séjour temporaire pour immigrants (CETI) sont à l’abri d’expulsions immédiates et sommaires.
-
[11]
« Boza » signifie la réussite du passage de la frontière maroco-espagnole. Cette expression viendrait du wolof ou du bambara selon diverses explications.
-
[12]
En 1492, Grenade est conquise, mettant fin au dernier royaume musulman d’Al Andalus. L’avancée militaire du Royaume d’Espagne s’étend ensuite à la côte nord de l’Afrique pour y installer des postes militaires destinés à protéger les côtes andalouses des pirates menaçant les routes commerciales (et notamment les galions espagnols chargés d’or des « Indes » colonisées), mais aussi pour contrer l’influence croissante des Ottomans dans cette zone. C’est ainsi que Melilla est conquise en 1497 et devient la première frontera espagnole. À cette époque, le terme frontera désigne une place militaire avancée en territoire ennemi (Zurlo, 2005). Le statut de ce territoire occupé, comme celui de Ceuta, change au fil des siècles, mais les deux sont restés sous contrôle espagnol, jusqu’à aujourd’hui.
-
[13]
Voir la Convention internationale contre la torture de 1984.
-
[14]
Des mouvements forcés ont eu lieu dans le cadre de la traite transsaharienne et des razzias ont été opérées par des monarques africains et des Arabo-Maures (El Hamel, 2012 ; Oualdi, 2024). Entre le viie et le xixe siècle, les différentes traites dites « musulmanes » auraient conduit à la déportation d’environ 14 millions de personnes (Grenouilleau, 2018). Ces systèmes ont organisé des rapports de soumission et d’esclavage, réduit des populations Noires autochtones du Sahara à la servitude et produit une diaspora Noire interne à la société arabo-berbère marocaine (El Hamel, 2012).
-
[15]
Fin 2022, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe déclarait : « Dans la pratique, il semble qu’il n’y ait pas d’autre moyen d’entrer à Melilla et de demander une protection aux autorités compétentes qu’en nageant ou en sautant la clôture, au péril de sa vie ».
-
[16]
Voir notamment les rapports de LightHouse et al. (2022) et Amnesty International (2022).
-
[17]
BBC Africa Eye (2022). Death on Border. How Spain looked on as dozens were crushed to death at its border, (extraits retranscrits de la vidéo, à partir de 18'50), repéré à : https://www.bbc.co.uk/news/extra/z8i55dsu8w/spain-morocco-border
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