Résumés
Résumé
Selon les conventions internationales régissant le sauvetage en mer, les frontières maritimes ne doivent pas interférer avec les opérations de sauvetage en mer, la sauvegarde de la vie en mer étant définie comme prioritaire. Pourtant, depuis 2015 et dans le contexte spécifique des migrations par voie maritime, le respect des conventions sur la recherche et le sauvetage maritimes (SAR) par les États signataires passe souvent au second plan, supplanté par des enjeux de souveraineté nationale focalisés sur le double contrôle des frontières et du flux migratoire. Cette interférence des frontières avec les principes fondamentaux du sauvetage en mer s’insère toutefois dans un processus plus large d’externalisation des frontières et de militarisation du sauvetage en mer. L’objectif de cet article est de préciser les transformations de ce dispositif complexe, à partir des exemples de la mer d’Alboran, du détroit de Gibraltar et de la route des Canaries, pour lesquels nous disposons de données géolocalisées de toutes les opérations de sauvetage en mer réalisées par la Sociedad Estatal de Salvamento y Seguridad Marítima (SASEMAR ; la compagnie publique responsable des opérations de sauvetage dans la zone de responsabilité espagnole) sur la période 2015-2021. Sur cette base empirique, nous montrons l’émergence progressive de la frontière dans les opérations de sauvetage en mer menées dans ces deux zones maritimes et le rôle grandissant du Maroc à partir de l’année 2018.
Mots-clés :
- Migration,
- frontières,
- sauvetage en mer,
- Europe,
- Espagne
Abstract
International conventions governing maritime rescue stipulate that territorial and jurisdictional boundaries at sea must not interfere with rescue operations, with the safeguarding of life at sea defined as the priority. However, since 2015 and in the specific context of migration by sea, compliance with SAR conventions by signatory states has often taken a back seat, being supplanted by issues of national sovereignty focused on the dual control of borders and migratory flows. This interference in the fundamental principles of rescue at sea by borders is also part of a wider process of border externalization and maritime rescue militarization. This article describes the transformations of this complex arrangement, using the examples of the Alboran Sea, the Strait of Gibraltar, and the Canary route, for which we have geolocated data of all sea rescue operations carried out by SASEMAR (the public company responsible for rescue operations in the Spanish area of responsibility) for the 2015-2021 period. On this empirical basis, we reveal the gradual emergence of the border in sea rescue operations carried out in these two maritime zones, as well as the growing role of Morocco from 2018 onwards.
Keywords:
- Migration,
- borders,
- maritime search and rescue,
- Europe,
- Spain
Resumen
Los convenios internacionales que regulan el salvamento marítimo establecen que las fronteras territoriales y jurisdiccionales en el mar no deben interferir en las operaciones de salvamento, definiendo como prioridad la salvaguarda de la vida en el mar. Sin embargo, desde 2015 y en el contexto específico de la migración por mar, el cumplimiento de las convenciones SAR por parte de los Estados signatarios ha pasado a menudo a un segundo plano, siendo suplantado por cuestiones de soberanía nacional centradas en el doble control de las fronteras y los flujos migratorios. Esta injerencia en los principios fundamentales del salvamento marítimo por las fronteras también forma parte de un proceso más amplio de externalización de las fronteras y militarización del salvamento marítimo. Este artículo describe las transformaciones de este complejo dispositivo, utilizando los ejemplos del mar de Alborán, el estrecho de Gibraltar y la ruta de Canarias, para los que disponemos de datos geolocalizados de todas las operaciones de salvamento marítimo llevadas a cabo por SASEMAR (la empresa pública responsable de las operaciones de salvamento en el área de responsabilidad española) para el periodo 2015-2021. Sobre esta base empírica, revelamos la progresiva emergencia de la frontera en las operaciones de salvamento marítimo realizadas en estas dos zonas marítimas, así como el creciente protagonismo de Marruecos a partir de 2018.
Palabras clave:
- Migración,
- fronteras,
- búsqueda y salvamento marítimo,
- Europa,
- España
Corps de l’article
Introduction
L’Espagne a mené une démarche quasi expérimentale de renforcement de ses frontières maritimes externes à l’Union européenne (UE). Dès les années 1990, par le biais d’accords bilatéraux, le pays a organisé des patrouilles conjointes avec le Maroc, et renforcé leurs frontières terrestres partagées (Ceuta et Melilla), ainsi que celles maritimes, en Méditerranée, conduisant les routes migratoires vers l’UE à se déplacer vers les îles Canaries (Casas-Cortes, 2016 ; Kilpatrick et Smith, 2016). Ces évolutions ont amené l’Espagne à jouer un rôle déterminant dans les négociations conduisant à la création d’une agence de contrôle aux frontières communes à l’Union (Carrera, 2007). C’est sur la route atlantique qu’a été lancée l’Opération HERA, première opération conjointe menée par Frontex. D’autres innovations y ont aussi eu lieu : en réaction à la crise des pateras en Atlantique, le Système intégré de vigilance extérieure (SIVE) a ainsi été conçu par la Guardia Civil, une force de sécurité militaire (Vives, 2017). Financé par l’UE, le SIVE a servi de feuille de route à la conception du European Border Surveillance System (EUROSUR) (Fisher, 2018).
Approchées par le prisme de la surveillance et du contrôle migratoire, ces traversées migratoires maritimes impliquent pourtant également un cadre légal spécifique auquel ont souscrit les États membres de l’UE : le droit maritime. Quelle place y occupent les frontières ? En matière de sauvetage en mer, dans le cadre normatif international construit et consolidé à partir des années 1970, l’obligation de porter assistance est définie de manière universelle : selon l’article 2.1.10 de la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (Convention SAR, 1979), les États signataires doivent porter secours à toute personne en détresse en mer, sans considération de sa nationalité, de son statut, ou des circonstances dans lesquelles elle a été trouvée. La condition des personnes migrant par la mer n’est pas étrangère à cette formule : c’est sur proposition du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, dans le contexte de la crise humanitaire des « boat people », que cet article a ainsi été rédigé (Velasco, 2017).
La Convention SAR formule également une responsabilité universelle des États signataires à s’assurer que toute information de détresse en mer ne soit pas laissée sans suite (article 2.1.1). Elle prône la création de search-and-rescue regions (SRR), que les États sont encouragés (mais pas obligés) à définir de manière conjointe. Les SRR ne sont pas liées aux frontières des États (article 2.1.7), et les moyens de sauvetage devraient s’affranchir de ces limites : la Convention prévoit que ces moyens puissent, à des fins de sauvetage et avec l’accord de l’État concerné, entrer dans des eaux territoriales étrangères – telles que définies dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982). La Convention ne prévoit pas de procédure en cas d’absence de prise en charge par le Maritime Rescue Coordination Centre (MRCC) de la SRR concernée, qui détient une responsabilité première face au cas de détresse (Velasco, 2017). Cette lacune peut toutefois être comblée en se référant au principe général de coopération interétatique établi par la Convention (Papastavridis, 2017 ; Velasco, 2017).
Dans le contexte européen, l’implémentation des dispositifs SAR relève de la compétence des États, et les États membres ont adopté des approches souvent spécifiques. Concernant l’agence Frontex, le Règlement pour la surveillance maritime de 2014 rappelle que son action doit se faire dans le respect de ces conventions internationales de droit maritime (Papastavridis, 2017), et reprend certains termes de la Convention SAR. L’article 9.1 détaille notamment des critères utiles à la détermination des phases d’incertitude, d’alerte et de détresse listées par cette Convention, et prévoit des mécanismes de transfert de responsabilité dans le cas où un centre de coordination d’un pays tiers ne répondrait pas.
En dépit de ce cadre juridique international, le renforcement considérable des dispositifs de contrôle des frontières externes de l’UE a eu un effet direct sur les routes migratoires, mais également sur les opérations de sauvetage en mer. Les premières se sont ainsi adaptées en s’allongeant (Topak, 2014), afin de privilégier des points de passage moins surveillés et, par conséquent, potentiellement plus dangereux (Carling, 2007). Les secondes se sont organisées de part et d’autre de lignes artificielles, en particulier des limites de SRR et des frontières maritimes (Vives, 2023).
Notre article propose de réaliser une analyse spatio-temporelle originale des opérations de sauvetage en mer menées par la Sociedad Estatal de Salvamento y Seguridad Marítima (SASEMAR) entre janvier 2015 et décembre 2023. En utilisant les données fournies par la SASEMAR combinées à l’analyse documentaire de deux cas spécifiques, la Méditerranée orientale et l’Atlantique, nous mettons en évidence l’émergence dans le temps et dans l’espace de la frontière maritime comme élément structurant du dispositif espagnol actuel de sauvetage en mer. Cette analyse représente ainsi une contribution empirique inédite à l’étude des pratiques de frontiérisation (bordering practices), mettant en évidence la manière dont les acteurs du sauvetage participent, par la dimension spatiale de leurs actions et inactions, à la fabrique de la frontière en milieu maritime. Le repli de l’Espagne derrière la frontière de sa SRR et le redéploiement concomitant de ses moyens et opérations de sauvetage sont loin d’être neutres. Cette stratégie de retrait/redéploiement nous semble au contraire attester de la priorité croissante accordée à l’interdiction maritime des personnes migrantes aux frontières maritimes espagnoles, au détriment des exigences pourtant toujours aussi prégnantes du sauvetage en mer à ces interfaces. Ce contrôle des frontières indirect, passif, s’exerce essentiellement par défaut de présence et de sécurité, mais se caractérise également par une mise en retrait calculée vis-à-vis des exigences juridiques et morales du sauvetage en mer.
L’article se déroule comme suit. Une première section aborde l’origine et l’évolution du système SAR espagnol depuis la fin des années 1980 jusqu’à nos jours, postulant que la migration est le facteur principal de sa transformation. Un aperçu de la littérature sur le rôle de la recherche et du sauvetage le long de la frontière maritime extérieure de l’UE suit. La section méthodologique présente les données et les approches utilisées dans les sections empiriques, qui débutent avec une discussion de l’évolution du système SAR espagnol dans deux zones de migration : la Méditerranée occidentale (études de cas du détroit de Gibraltar et de la mer d’Alboran) et l’Atlantique (étude de cas des îles Canaries). Enfin, la conclusion met en conversation nos résultats empiriques et la littérature sur la recherche et le sauvetage maritimes le long de la frontière extérieure de l’UE. Nous constatons que deux phénomènes parallèles et interdépendants se produisent dans la zone de responsabilité espagnole. Premièrement, nous observons un effet de frontière : une limite aux interventions est apparue clairement en Méditerranée occidentale en 2019, et est peut-être en train de se dessiner également dans les îles Canaries cinq ans plus tard. Deuxièmement, le sauvetage en mer perd sa vocation universelle dans les contextes de migration, où la priorité accordée à la sauvegarde de la vie en mer, pourtant une obligation juridique, se révèle être très relative, dépendant des situations, des personnes en danger et de contextes politiques et géopolitiques changeants.
Origine et évolutions récentes du système SAR espagnol
Les origines du système SAR espagnol remontent à la fin des années 1980[2]. L’Espagne venait de signer la Convention SAR, afin de satisfaire les critères d’entrée dans l’UE en tant qu’État membre. Les années qui ont suivi ont vu la création du dispositif SAR national. L’adoption d’un plan national de sauvetage en mer en 1989, avant même qu’une agence nationale de sauvetage en mer n’existe, a été une étape importante. S’en sont suivi l’adoption d’une nouvelle « Loi de la mer et des ports » (Loi 27/1992), la signature d’accords avec les organisations militaires, régionales et non gouvernementales qui contribuaient déjà aux opérations de sauvetage en mer, et enfin l’acquisition d’une compagnie privée (REMOLMAR) qui possédait les quelques moyens de sauvetage en mer qui existaient à l’époque.
Le premier MRCC a quant à lui été ouvert en 1987 à Tarifa, près du détroit de Gibraltar. Le dispositif SAR espagnol s’est progressivement développé et étoffé au cours des 30 années qui ont suivi, en grande partie grâce aux financements européens. Depuis 2012, la SASEMAR (une compagnie publique) est responsable de la coordination et de la conduite des opérations de sauvetage en mer dans la zone de responsabilité espagnole. Les moyens et infrastructures de sauvetage dont elle dispose actuellement sont présentés dans la figure 1.
La SASEMAR est une organisation civile. Elle possède toutefois des liens fonctionnels avec la Guardia Civil, en particulier lorsque les opérations qu’elle mène ont un lien avec les migrations. Ces liens ont été formalisés en 2019, avec la création d’un Centre opérationnel de commande (Mando Único Operativo, COC) à Málaga. Ce centre, géré par la Guardia Civil, héberge des représentants des principales entités publiques impliquées dans les opérations de sauvetage et lors de la phase d’accueil des rescapés au port de débarquement (Protection de l’Enfance, Croix-Rouge, Police Nationale…). Il ne prend en charge que les opérations se déroulant en mer d’Alboran ou dans le détroit de Gibraltar et impliquant des personnes migrantes tentant la traversée depuis les côtes d’Afrique du Nord (les situations de détresse liées à la plaisance ou aux activités de pêche ne sont pas concernées). Une fois le transfert de compétence de coordination effectué par le MRCC vers le COC, celui-ci décide du lancement des opérations de sauvetage, des moyens maritimes et aériens déployés, ainsi que des stratégies de collaboration éventuelles avec la Marine marocaine.
La création du COC a, de fait, créé un système SAR à deux vitesses : l’un focalisé sur les opérations de sauvetage en lien avec le phénomène migratoire, l’autre dédié à toutes les autres opérations de sauvetage. En complément de ce dispositif, la Guardia Civil possède également son propre service de sauvetage (le Servicio Maritimo [SEMAR]), qui relève de l’Unité Marine responsable du SIVE, système de surveillance satellite le long des côtes espagnoles.
La SASEMAR et le SEMAR mènent leurs opérations de sauvetage dans la SRR espagnole, dont l’étendue dépasse les 1500 km2 au total, entre la mer Méditerranée, le détroit de Gibraltar et l’océan Atlantique. Par ailleurs, le long des routes migratoires, cette SRR jouxte ou chevauche souvent la SRR marocaine (Bellido Lora, 2023).
Cette complexité ne doit pas être minorée. Pour autant, il est important de se ramener à un principe fondamental : selon le cadre juridique en vigueur, les limites maritimes ne devraient pas constituer de freins aux opérations SAR. Or, dans le cadre des migrations maritimes, le sauvetage entre clairement en interaction avec des questions de souveraineté, de juridiction et de responsabilité en mer, qui se conjuguent souvent de manière singulière en fonction des contextes locaux, sur la base de principes pourtant assez partagés.
Le rôle déterminant des frontières dans le sauvetage en mer aux frontières maritimes sud de l’Europe
Le sauvetage permet des « rencontres de droits humains » (Mann, 2016), entre États européens (supposément) tenus à des obligations vis-à-vis des personnes qui se trouvent en situation de détresse maritime et dont la vie pourrait être menacée dans leur pays d’origine / de transit, et les personnes migrantes cherchant à rallier le continent européen.
Dans un contexte de politisation, de criminalisation et de sécurisation croissantes des migrations, les frontières maritimes influent pourtant sur les dispositifs SAR, dans les mers et l’océan qui bordent le continent. Les États membres du sud de l’Europe ont ainsi cherché à désinvestir les missions axées sur le sauvetage dans ces zones frontières (Vives, 2023). Cette réduction de moyens et les conséquences létales qui en découlent (Bassi et Souiah, 2019) ont été notamment légitimées par une rhétorique « humanitaire » fondée sur le principe de l’« appel d’air » (pull factor). Selon ce principe, mobilisé d’abord à l’encontre de la mission italienne Mare Nostrum (2013-2014) (Cusumano, 2019), puis contre des ONG opérant en Méditerranée (Cusumano et Villa, 2019), la présence de moyens de sauvetage sur zone inciterait aux départs (Jumbert, 2018) : en réduisant ces moyens, les États européens dissuaderaient les candidats à la traversée de prendre la mer dans des embarcations précaires, en les protégeant ainsi des dangers associés. Si les fondements scientifiques de cette théorie sont discutables (Cusumano et Villa, 2019), la politique de dissuasion par le retrait des moyens SAR européens s’est néanmoins imposée dans le discours dominant, sans réelle opposition majeure, comme une solution « humanitaire » évidente en Méditerranée. Ainsi, le discours répressif n’a pas tant succédé à un discours humanitaire : au contraire, le premier s’est paré des arguments moraux du second, et les deux se mêlent dès lors dans un discours humanitaro-sécuritaire (Cuttitta, 2015) qui permet au dispositif SAR actuel d’être coopté dans le régime frontalier européen.
De part et d’autre des limites des SRR européennes et extraeuropéennes, les pratiques de SAR se sont ainsi modifiées, les États mobilisant de manière créative les géographies et juridictions afin d’empêcher les migrations maritimes. Un vecteur de cette évolution est l’externalisation de la gestion des migrations par les pays européens aux pays tiers. Moreno-Lax et Lemberg-Pedersen (2019), définissent l’externalisation comme « l’ensemble des procédés par lesquels les acteurs et États membres européens complètent, à leurs frontières territoriales, les politiques de contrôle des migrations avec des actions qui réalisent ces contrôles de manière extraterritoriale et à travers des pays et organes autres, plutôt que les leurs » (p. 5). Ainsi, en parallèle de la diminution des moyens maritimes européens sur les routes migratoires, certains États membres frontaliers et l’UE ont conclu des accords avec des pays tiers afin de renforcer leurs systèmes de recherche et de sauvetage, de sorte à pouvoir leur déléguer la responsabilité de secours en mer. D’une part, des fonds financiers et matériels (notamment des navires de sauvetage) sont transférés à ces États tiers, qui bénéficient également de formation de personnels (Cuttitta, 2015). D’autre part, les États membres externalisent leurs responsabilités de sauvetages à ces pays frontaliers (Deftou et al., 2021), leur octroyant une mission de sauvetage sur la base d’une définition large des situations de détresse (qui n’est pas celle appliquée dans leur propre SRR) permettant de justifier les interceptions par des pays tiers (pullbacks[3]). Le droit de la mer est ici mobilisé stratégiquement, quand il n’est pas violé de manière directe par les États européens eux-mêmes, dans les cas de pushbacks et de driftbacks, largement documentés tant en Méditerranée centrale qu’orientale (Morales, 2021).
Les moyens mis en oeuvre en Méditerranée aux endroits des limites maritimes de l’UE sont désormais axés sur le renseignement et la surveillance : Eurosur et Frontex travaillent à produire une « situational awareness » permanente (Heller et Jones, 2014). La seule détection d’embarcations par des pays européens ne permettait pas d’atteindre l’objectif de limitation des arrivées, au vu des obligations de secours et d’assistance auxquelles sont tenus les États membres (Jumbert, 2018). En revanche, couplées à une transmission d’informations avec des pays tiers dans le cadre d’une externalisation du contrôle migratoire, les entrées d’embarcations dans les SRR des États membres peuvent être réduites. Une division du travail de l’interception est ainsi réalisée entre acteurs européens et acteurs de pays tiers, permettant de tenir les personnes migrantes hors des eaux européennes.
L’externalisation ne consiste pas simplement à placer la frontière « ailleurs » : elle crée plutôt un assemblage complexe d’espaces de contrôle (Casas-Cortés et al., 2016) et d’acteurs impliqués (Moreno-Lax et al., 2019). Ainsi, les espaces laissés par les États européens ont été réinvestis par des acteurs non étatiques : en Méditerranée, les ONG de sauvetage ont cherché à (ré)internaliser le devoir de sauvetage des États européens, en maintenant la possibilité des « rencontres de droits humains » entre personnes migrantes et société civile européenne. Ce rôle n’est toutefois pas sans créer de paradoxe : les ONG coopèrent pour cette mission avec les autorités européennes qui ont désinvesti cet espace, et il a pu être argumenté qu’en « réduisant le pire des excès violents » de la gestion des migrations en Méditerranée (Pallister-Wilkins, 2017), les ONG en autorisent également la persistance. Mais, se positionnant dans cet espace, les ONG ont la possibilité de « contrer la monopolisation souveraine de la mer » (Stierl, 2018), et leur action est aujourd’hui entravée. Lointaine paraît la période où ces ONG étaient activement invitées à aider les agences gouvernementales de sauvetage, lorsque les capacités de ces dernières étaient dépassées par le nombre de bateaux en détresse, en Méditerranée centrale et orientale (Funke, 2018). Le long des routes de la Méditerranée centrale et orientale, les gouvernements rendent leur SRR hostile aux acteurs non étatiques du SAR, réduisant ainsi considérablement leur capacité d’action : en les surchargeant d’exigences formelles, en les obligeant à débarquer dans des ports éloignés, en exigeant que les personnes secourues lors d’opérations soient débarquées avant de mener une autre opération, et en criminalisant leur action (Miron et Taxil, 2019).
Conséquences directes de ces différentes stratégies, le durcissement et l’imperméabilisation croissants des frontières des SRR depuis 2018 ont progressivement conduit les pays membres de l’UE à se replier sur leur SRR, voire même sur leurs eaux territoriales, leurs moyens SAR maritimes désertant dès lors des eaux parcourues par de nombreuses embarcations en détresse.
Méthodologie
Afin d’analyser l’émergence des frontières dans le sauvetage en mer, des données fournies par la SASEMAR sur toutes ses opérations de sauvetage en mer menées entre janvier 2015 et décembre 2023, y compris celles sans rapport avec la migration, ont été utilisées. Ces données comprennent les dates, coordonnées, types et sous-types, et nombre de personnes et de navires impliqués pour chaque opération de sauvetage. Le traitement des données a été effectué dans le logiciel libre R (version 4.3.1) en assurant une attribution de noms, de formats et de types de variables cohérents. Par la suite, les données ont été filtrées pour inclure uniquement les observations liées aux sauvetages de migrants (indiqués dans la base SASEMAR par le sous-type immigration irrégulière de 2015-2018 et embarcations précaires de 2019-2023). Les données contenant des informations spatiales erronées (par exemple localisées à terre) ont ensuite été supprimées : 1,1 % des sauvetages liés à la migration sont donc absents l’analyse produite.
Afin de créer une série temporelle, les dates au format AAAA-MM-JJ ont été enrichies en ajoutant des variables entières mesurant le nombre de jours depuis le 1er janvier 2015. Une variable binaire identifiant la route migratoire sur laquelle l’incident de sauvetage maritime s’est produit a été créée, attribuant les observations aux routes de l’Atlantique ou de la Méditerranée occidentale ; ceci a été réalisé en affectant chaque observation relevant d’un centre SAR spécifique à son itinéraire. Enfin, une variable comptant le nombre total d’embarcations impliquées dans chaque incident de sauvetage a été construite à partir de la somme des variables mesurant les navires par type, fournies par SASEMAR.
Les données traitées ont finalement concerné 196 291 personnes migrantes et 6 583 embarcations de début janvier 2015 à fin décembre 2023, soit une période de 3 287 jours. Pendant cette période, les routes de la Méditerranée occidentale et du détroit de Gibraltar ont connu 4 101 opérations de sauvetage, impliquant 120 510 personnes migrantes sur 7 636 embarcations, soit une moyenne d’environ 15,78 personnes par embarcation. Sur la route de l’Atlantique se sont déroulés 2 423 incidents impliquant 75 478 personnes sur 2 752 embarcations, soit une moyenne d’environ 27,35 personnes par embarcation. La moyenne spatiale (en degrés décimaux) des opérations de sauvetage dans l’Atlantique était d’environ 27°34’N, 14°95’W ; en Méditerranée, elle était d’environ 36°41’N, 03°46’W.
Une analyse spatiale a été effectuée en important les données dans QGIS (version 3.22.0) sous forme de points géocodés. Les opérations de sauvetage ont été analysées par rapport aux polygones de zones SAR établis par l’Organisation maritime internationale. La dynamique temporelle a été analysée en comparant une cartographie lissée par densité de noyau pour chaque mois entre 2015 et 2023 afin d’identifier les changements précis dans les opérations de sauvetage. Les rayons de recherche des fonctions de noyau ont été sélectionnés en fonction de la superficie de la zone SAR analysée. Les observations cartographiques et statistiques ont ensuite été mises en relation avec des évènements et des décisions politiques prises au cours de la période étudiée.
Routes, frontières et migrations dans la mer d’Alboran, le détroit de Gibraltar et les îles Canaries
Nous nous focalisons dans cet article sur deux cas d’étude qui, bien que très distincts, présentent des caractéristiques et des dynamiques convergentes. Saisir les spécificités inhérentes à ces deux cas d’étude, au coeur du triangle routes-frontières-migrations, est un défi en soi et nous en proposons ici une vision très synthétique.
Le premier cas est celui de la route méditerranéenne occidentale, empruntée au départ des côtes algériennes et marocaines, à destination de la péninsule ibérique (Andalousie, Levant espagnol, îles Baléares). Cette route inclut trois configurations maritimes distinctes.
Le détroit de Gibraltar, tout d’abord, sépare les continents européen et africain sur une très courte distance (14 km), mais les courants y sont très puissants et la zone, extrêmement surveillée, est parcourue par l’un des trafics maritimes les plus intenses au monde. La mer d’Alboran, quant à elle, est une zone beaucoup plus vaste (la distance minimum à parcourir est de l’ordre de 180 km), au trafic maritime moins dense et aux conditions de mer et de navigation plus clémentes. L’île d’Alboran, à mi-chemin entre les côtes marocaines et espagnoles, offre également un abri pour les embarcations qui tentent la traversée. Enfin, le Levant espagnol et les îles Baléares nécessitent de parcourir des distances beaucoup plus longues (environ 850 km d’Alger à Valencia) pour être atteints, et sont généralement privilégiés par les candidats à la traversée algériens, à bord d’embarcations généralement de meilleure qualité et plus rapides que celles utilisées plus à l’ouest. Des ressortissants marocains, cherchant à éviter les plages marocaines très surveillées, sont toutefois régulièrement observés sur cette route (Sánchez, 2023).
Les deux villes espagnoles de Ceuta et Melilla enfin, sur le continent africain, ont un statut particulier le long de cette route occidentale. Ces enclaves sont devenues de véritables « villes forteresses », cernées par des murs et des grilles qui s’enfoncent jusque dans l’eau. Ici, des personnes tentent de contourner la clôture par la mer pour se rendre en territoire espagnol, au moyen de divers objets flottants (jouets de piscine, équipement de plongée sous-marine, canots pneumatiques), se trouvant parfois en difficulté et déclenchant ainsi des opérations de sauvetage (qui sont typiquement effectuées par la SASEMAR).
Le second cas d’étude est celui de la route atlantique, aussi appelée route des Canaries, qu’empruntent un grand nombre de personnes depuis les côtes d’Afrique de l’Ouest, du Sahara occidental et du Sud marocain. Là encore, différents chemins privilégiés peuvent être identifiés, évoluant au gré des contextes et des évènements (catastrophes naturelles, guerres, évolutions géopolitiques…). Le chemin le plus court relie le Sud marocain et le Sahara occidental aux îles Canaries orientales (Lanzarote et Fuerteventura). Au départ de Tan-Tan, Tarfaya ou El Aaiún (Laâyoune), il faut compter de 100 à 200 km. Les départs depuis la Mauritanie et le Sénégal (ou au-delà) dépassent quant à eux largement le millier de kilomètres, en haute mer. Les embarcations utilisées pour ces traversées sont sensiblement différentes de celles employées en Méditerranée occidentale. On trouve ainsi fréquemment des bateaux semi-rigides au départ du Sud marocain et du Sahara occidental, tandis que les traversées plus au sud s’effectuent souvent à bord de bateaux de pêche en bois plus grands, mieux taillés pour la haute mer et pouvant embarquer plusieurs dizaines de personnes. En octobre 2023, l’une de ces embarcations est même arrivée jusqu’à El Hierro avec 320 personnes entassées à son bord, un record absolu sur cette route.
La route méditerranéenne occidentale et la route des Canaries se situent dans la SRR espagnole et sont sous la responsabilité des mêmes acteurs : la SASEMAR, la Guardia Civil et, dans le cas des zones de responsabilité partagée, la Marine marocaine. Pourtant, l’émergence de la frontière dans le sauvetage en mer s’y déroule selon des temporalités et des modalités différentes, que l’analyse de données géolocalisées de sauvetages menés par la SASEMAR va nous permettre de caractériser.
Une frontière bien installée depuis 2019 en mer d’Alboran et dans le détroit de Gibraltar
La mer d’Alboran et le détroit de Gibraltar sont un exemple frappant de l’apparition subite, en quelques mois, de la frontière dans les opérations de sauvetage en mer menées de longue date par la SASEMAR. Le premier cas documenté de migration maritime vers l’Espagne remonte ainsi à 1988, lorsqu’une patera (embarcation, ou tout dispositif flottant, utilisé par les migrants le long de la route de la Méditerranée occidentale) a été retrouvée par la Guardia Civil sur la plage des Lances à Tarifa. La collaboration de l’Espagne avec le Maroc a débuté quelques années plus tard, en 1992, avec la signature du premier accord de réadmission entre un État membre de l’UE et un pays tiers (accord bilatéral du 13 février 1992). Au cours des années 1990 et jusqu’en 2018, la coopération entre l’Espagne et le Maroc s’est concentrée sur la frontière terrestre. Des grilles ont été construites, successivement renforcées. L’architecture actuelle de cette frontière terrestre est ainsi caractérisée par une série de clôtures parallèles, habillées de barbelés concertina côté marocain, prolongées en certains endroits par un mur. Les forces de sécurité marocaines ont joué un rôle d’importance croissante dans leur sécurisation. Les capacités marocaines en mer, et notamment en matière de sauvetage, sont toutefois restées longtemps embryonnaires. Ce n’est en effet qu’à la fin de l’année 2002 qu’un décret royal a posé les bases d’une coordination SAR au Maroc, dont la responsabilité incombe alors au ministère de la Pêche, tandis que les opérations sont menées par la Marine royale, l’un des corps de l’armée marocaine. Cette situation a perduré pendant plus de 15 ans, au cours desquels l’Espagne a réalisé la plupart des opérations de sauvetage dans le détroit de Gibraltar et en mer d’Alboran, en conformité avec la convention SAR de 1979 signée par les deux pays.
La géolocalisation des opérations de sauvetage réalisées par la SASEMAR montre le caractère perméable (à l’époque) des limites territoriales et de SRR : ainsi, entre 2015 (première année pour laquelle nous possédons ce type de données) et 2018, 46 % des opérations de la SASEMAR ont eu lieu dans la SRR espagnole, 36 % dans la SRR à responsabilité partagée et 18 % dans les SRR marocaine et algérienne (figure 3).
Cette situation a évolué rapidement au cours de l’année 2019. L’année précédente, le nombre de traversées en mer d’Alboran avait atteint un niveau jamais connu jusqu’ici (49 121 traversées en 2018, soit une hausse de 167 % depuis 2017). Le thème des migrations par voie maritime figurait au premier plan de la campagne électorale pour les élections générales de 2019, mis en avant de manière particulièrement virulente par VOX. Le parti d’extrême droite accusait la SASEMAR de jouer un rôle de passeur et même de faire payer les candidats à la traversée pour les débarquer en Espagne (Arango et al., 2019). Cette même année, les représentants de ce parti politique avaient soumis une motion de nature non législative au Parlement régional d’Andalousie : selon eux, les données de sauvetage auraient montré « non seulement que la présence de sauveteurs en mer met en danger les migrants sur l’eau, mais également que les moyens de sauvetage de la SASEMAR jouent un rôle du taxi en Méditerranée », accusant ses agents de « comportement irrégulier » [traduction libre] (Martínez Escamilla, 2019, p. 17).
À l’époque, cette motion, ainsi que les tentatives associées de criminalisation des ONG de sauvetage en Méditerranée centrale, n’a débouché sur rien de concret, mais elle a contribué à créer un climat de suspicion autour du travail réalisé par la SASEMAR et à alimenter un discours hostile aux opérations de sauvetage impliquant des migrants. Pendant la campagne électorale, la politique de sauvetage mise en place par le gouvernement socialiste s’est déplacée vers la droite de l’échiquier politique. En complément du COC dédié aux opérations de sauvetage impliquant des tentatives de traversée de la mer d’Alboran et du détroit de Gibraltar, l’Espagne et l’UE ont commencé à renforcer leur coopération avec le Maroc. Jusqu’à cette période, la coopération transfrontalière avec le Maroc s’était limitée aux seules frontières terrestres, mais d’importants transferts financiers en 2019 ont permis d’accroître significativement les capacités de sauvetage en mer de ce pays d’Afrique du Nord (Vives, 2023). En 2019, l’Espagne a ainsi transféré 32 millions d’euros aux forces de sécurité marocaines afin qu’elles accroissent leurs capacités de contrôle migratoire, montant auquel se sont ajoutés 2,5 millions d’euros destinés à l’achat de véhicules de police (Vives, 2023). De son côté, l’UE a transféré, en 2018-2019, 140 millions d’euros au Maroc : 70 millions au titre de l’Instrument européen de voisinage, 30 millions destinés à renforcer le système biométrique de contrôle aux frontières, et 40 millions pour acquérir des moyens maritimes et aériens permettant de renforcer les contrôles aux frontières maritimes (Statewatch, 2019).
Cet investissement massif dans le développement des capacités maritimes du Maroc a eu un impact direct sur les traversées. La figure 3 ci-après met ainsi en évidence une évolution très nette de la géographie des opérations de sauvetage menées par la SASEMAR avant et après 2019. On observe d’abord, en mer d’Alboran, le déplacement des opérations de sauvetage au nord de la ligne de démarcation des SRR. Ensuite, dans le détroit de Gibraltar, on remarque un repositionnement de ces opérations le long de la limite de SRR, à l’exception des deux enclaves de Ceuta et Melilla, qui continuent à polariser des opérations de sauvetage menées par la SASEMAR après 2019. Ce repli généralisé vers le nord, au-delà de la limite de SRR (en 2018, 54 % des opérations de sauvetage ont eu lieu au sud de cette limite, comparé au 44 % en 2019), s’explique par une collaboration renforcée avec la marine marocaine. À partir de 2019, en présence de bateaux en détresse au sud de cette limite de SRR, les moyens de la SASEMAR n’interviennent plus directement (sauf si le bateau chavire), mais conservent un contrôle visuel des embarcations en attendant l’arrivée des moyens marocains (Vives, 2023). Cette stratégie de sécurisation à distance, dans l’attente de l’arrivée des moyens marocains, permet de faire ramener au Maroc les occupants des embarcations en détresse ainsi surveillées, au prix d’une redéfinition tacite de la notion de détresse en mer, qui se ramène alors à un danger immédiat de mort.
Cette évolution est encore plus évidente dans le cas de l’enclave de Ceuta. Tandis que la proportion d’interventions réalisées par la SASEMAR dans la zone de responsabilité partagée a chuté de 20 % à partir de 2019, les interventions menées à proximité de l’enclave ont fortement augmenté, pour deux raisons. D’abord, pendant les négociations menées autour du statut administratif du Sahara occidental en 2021, le Maroc a cessé d’empêcher les tentatives de franchissement vers cette enclave. De très nombreux migrants, dont beaucoup de mineurs, ont escaladé les grilles ou tenté leur chance par la mer pour les contourner, et nombre d’entre eux ont dû être secourus. Ensuite, il est fort possible que les routes de traversées se soient adaptées à la présence d’un bateau de sauvetage basé en permanence dans cette enclave : il s’agirait d’un exemple, très courant, d’adaptation des stratégies de traversées visant à accroître les chances d’être secourus par un moyen espagnol. Bien entendu, on peut également imaginer que le nombre de traversées dans le détroit de Gibraltar a augmenté de manière générale et que des opérations de sauvetage ont été menées par d’autres acteurs, tels que la Marine royale marocaine, par exemple. Ce scénario nous semble toutefois moins plausible que celui d’une adaptation des routes de traversées.
La comparaison visuelle des cartes lissées (figures 3 et 4) révèle très clairement ce déplacement global, vers le nord de la limite des SRR, des interventions de sauvetage réalisées par la SASEMAR. Les cartes de la figure 5 offrent une vision simplifiée de cette cinétique, pour la mer d’Alboran et le détroit de Gibraltar. En moyenne, le centre de gravité des opérations de sauvetage s’est ainsi déplacé de 43,17 km vers le nord-est dans la première et de 13,62 km au nord-est dans le second.
Les premiers signes annonciateurs de l’émergence de la frontière maritime dans le sauvetage en mer, le long de la route Atlantique
La situation sur la route Atlantique, où l’Espagne et le Maroc sont aussi impliqués dans les opérations de sauvetage en mer, présente de fortes similarités avec celle de la mer d’Alboran. Néanmoins, les dynamiques migratoires sont davantage exposées à des évènements externes sur cette route, les pays de départ des traversées étant plus nombreux. Les fluctuations politiques, économiques et même environnementales le long des côtes d’Afrique du Nord-Ouest jouent ainsi considérablement sur les départs de traversées, en matière d’intensité, de zones de départ, mais également de localisation des arrivées.
La SRR de cette zone est bien plus vaste qu’en mer d’Alboran et une grande partie de sa surface n’est pas définie comme relevant de la responsabilité partagée des deux États, mais comme se chevauchant (voir figure 1). Autrement dit, les deux pays n’ont jamais défini de manière formelle les termes de leur collaboration en matière de sauvetage en mer dans cette zone. Ce conflit larvé trouve son origine dans le statut du Sahara occidental et de ses eaux territoriales.
Ce territoire est une question existentielle pour le Maroc et une source importante de ses ressources naturelles. Les eaux au large du territoire sont également une zone de pêche importante pour la flotte espagnole – du moins, elles l’étaient jusqu’en juillet 2023, date d’expiration d’un accord commercial de pêche entre l’Union européenne et le Maroc, qui bénéficiait principalement aux pêcheurs espagnols. En effet, en 2021, la Cour de justice de l’UE a annulé la décision du Conseil de l’UE qui validait l’accord entre l’Union et le Maroc, arguant que cet accord devait être soutenu par le Front Polisario, qui représente les territoires et les peuples sahraouis non encore décolonisés (Abril et Peregil, 2021). Ces nombreux paradoxes et tensions entourant les questions de souveraineté et de juridiction dans la région ont à leur tour façonné la collaboration entre l’Espagne et le Maroc en matière de recherche et de sauvetage maritimes.
La coopération entre les deux pays dans cette zone n’en est encore qu’à ses débuts. L’Espagne a délégué des opérations de sauvetage à la Marine royale marocaine de manière sporadique avant 2020, bien qu’il eût été demandé à cette dernière de prendre en charge les sauvetages dans ses eaux territoriales. Les choses ont commencé à changer au printemps 2020, lorsque le Maroc a déclaré unilatéralement que les eaux adjacentes à la partie du Sahara occidental faisaient partie de son territoire souverain et de sa zone économique exclusive (ZEE) (loi no 37-17 et Loi no 38-17 du 6 mars 2020). La résolution ne mentionnait à aucun moment sa SRR – même si, en règle générale, les eaux territoriales et la ZEE d’un pays font partie de sa zone de responsabilité.
Plus tard cette année-là, le chef du Front Polisario sahraoui, Brahim Ghali, a dû être hospitalisé en raison de complications liées au virus de la COVID-19 et a été transporté par avion, en secret, de l’Algérie (dont le gouvernement soutient depuis longtemps l’indépendance du Sahara) vers l’Espagne. Un fossé politique et diplomatique s’est creusé entre l’Espagne et le Maroc, ce dernier ripostant en amenant des ressortissants marocains (dont de nombreux mineurs) de différentes régions du pays à la frontière terrestre avec Ceuta et Melilla et en les laissant traverser la frontière (Sánchez et Testa, 2021). La crise diplomatique a duré dix mois. Elle ne s’est apaisée qu’en mars 2022, lorsque le gouvernement espagnol a modifié sa position concernant le Sahara occidental et a déclaré son soutien à la proposition du Maroc pour l’autonomie de la région sous contrôle marocain (Peregil et González, 2022) : il s’agit d’un revirement significatif par rapport au soutien de longue date de l’Espagne au projet de l’ONU pour un référendum pour le peuple sahraoui.
Les revendications territoriales du Maroc au Sahara occidental et le soutien tiède de l’Espagne peuvent expliquer le virage (toujours en cours) que nous observons dans les sauvetages effectués le long de la route atlantique. En effet, alors que l’externalisation des responsabilités en matière de sauvetage le long des routes de Gibraltar et de la mer d’Alboran s’est produite en 2019, le même processus est toujours en cours sur la route Atlantique, pourtant très active. La fluctuation des dynamiques migratoires et le manque de données du côté marocain rendent encore plus difficile la formulation d’affirmations définitives sur l’externalisation des sauvetages le long de cette route. Nous pouvons néanmoins formuler quelques observations préliminaires.
Tout d’abord, comme nous l’avons déjà mentionné, le pic a été décalé dans les deux zones. La période 2015-2020 a été relativement calme le long de la route atlantique par rapport à la mer d’Alboran et au détroit de Gibraltar, où le pic des sauvetages gérés par SASEMAR a eu lieu en 2018 (49 688, contre 18 582 l’année précédente et moins de 7 000 en 2015 et 2016). En revanche, le pic le long de la route atlantique s’est produit en 2020 et 2021 (18 188 et 18 141 sauvetages respectivement). Cela a coïncidé avec les difficultés économiques du Maroc au début de la pandémie de COVID-19 et les changements dans le statut du Sahara occidental.
Ce pic de traversées a été suivi d’une tentative de transfert des responsabilités en matière de sauvetage au Maroc. Le 20 avril 2022, les royaumes d’Espagne et du Maroc ont signé un accord de coopération « dans la lutte contre la criminalité ». Cet accord, qui ne contenait aucune clause relative à la sauvegarde de la vie en mer et au sauvetage, comprenait en revanche une clause relative à la lutte contre la traite des êtres humains et l’immigration clandestine (Statewatch, 2022a). Six mois plus tard, le Conseil des ministres espagnol a approuvé le transfert de 30 millions d’euros pour le contrôle des migrations. Selon Statewatch, il s’agit de la quatrième aide financière de ce type depuis 2019. Le Maroc a ainsi reçu 123 millions d’euros de l’Espagne pour le contrôle de la migration depuis 2019. L’UE a distribué 346 millions d’euros à l’État nord-africain au cours de la même période, et devrait envoyer 500 millions d’euros supplémentaires jusqu’en 2027. Soit un total de 969 millions d’euros entre 2019 et 2027 (Statewatch, 2022b).
Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de ces accords sur les traversées et les sauvetages le long de ces routes. Si l’on prend 2021 comme référence, on constate qu’entre 2015 et 2020, 567 opérations de sauvetage ont eu lieu dans la SRR espagnole, dont 69 (12 %) dans la zone de chevauchement des responsabilités. En revanche, entre 2021 et 2023, il y a eu 1 518 opérations de sauvetage dans la SRR, dont 374 (25 %) dans la zone de chevauchement des responsabilités. En d’autres termes, il n’y a aucune preuve statistique de transfert. Il n’y a, par ailleurs, aucun moyen de comparer ces informations avec les sauvetages effectués par les acteurs militaires espagnols ou marocains, dans la mesure où il est impossible d’accéder à ces informations.
Toutefois, certains signes indiquent un changement en cours. D’une part, il y a eu davantage de cas où la Guardia Civil a effectué des sauvetages dans cette région. Cela s’ajoute à la présence accrue du personnel militaire espagnol dans les pays d’Afrique de l’Ouest pour contrôler les départs, et à la collaboration grandissante entre les forces de sécurité espagnoles et celles des États d’Afrique de l’Ouest (Vives, 2023).
Outre l’intervention croissante des militaires (espagnols, marocains, mauritaniens ou sénégalais), des tentatives ont été faites pour faire respecter les limites des zones SAR qui se chevauchent. Il s’agit d’une évolution similaire à celle que nous avons analysée précédemment dans le cas de la mer d’Alboran en 2018-2019. Dans les îles Canaries, cette ligne est encore perméable, mais cela semble être susceptible de changer. Par exemple, au cours de l’été 2023, le MRCC de Las Palmas a envoyé un avion pour localiser un bateau de migrants en difficulté à environ 35 miles à l’ouest de Laâyoune. Dans l’enregistrement de cette conversation divulgué aux médias nationaux, le contrôleur demande au pilote de localiser le bateau « sans entrer dans la zone SAR marocaine » ou dans la « zone de chevauchement » (Castellano, 2023). Le pilote semble surpris. Il répond que le bateau se trouve dans la zone SAR espagnole, car il n’y a pas de zone SAR marocaine à cet endroit (les cartes officielles de SASEMAR, qu’ils utilisent pour la formation et la coordination des opérations de sauvetage, n’indiquaient pas la zone de chevauchement avant ce jour). Après avoir vérifié que le bateau était en relativement bon état, le MRCC ordonne à l’avion de faire demi-tour. Il décide également de ne pas envoyer un des navires de la SASEMAR, qui se trouvait à une heure de route, pour effectuer le sauvetage. Au lieu de cela, le Centre national de sauvetage maritime espagnol contacte le MRCC de Rabat.
Douze heures plus tard, un bateau de sauvetage marocain arrive ; trois heures plus tard, le Maroc demande l’aide de l’Espagne. Trente-six des soixante personnes qui étaient en vie lorsque le pilote a repéré le bateau se sont noyées. Quelques semaines plus tard, le procureur général de l’Espagne a déclaré que l’Espagne n’avait pas fourni d’assistance et a ordonné une enquête (Vega et EFE, 2023) ; le Défenseur du peuple espagnol a également lancé une enquête indépendante[4].
Les mois suivants ont été les plus chargés sur la route atlantique, qui s’est scindée en deux. Les départs du sud du Maroc, du Sahara occidental et de la Mauritanie ont stagné, ce qui pourrait être le signe d’une collaboration accrue avec le Maroc : il existe des preuves indirectes montrant que la Marine marocaine effectue davantage d’interceptions en mer. En revanche, les départs du Sénégal ont explosé à la suite de l’instabilité politique et de la répression des manifestations de jeunes dans le pays au printemps et à l’été 2023. Selon les données provisoires du ministère de l’Intérieur, sur les quelque 29 000 arrivées aux îles Canaries entre janvier et octobre 2023, près de la moitié ont eu lieu au cours du seul mois d’octobre, et la plupart d’entre elles étaient le fait de bateaux partis du Sénégal et, dans une moindre mesure jusqu’au passage de l’année, de la Mauritanie (Rodríguez, 2023).
Conclusion
L’Espagne et la SASEMAR constituent, aujourd’hui encore, une singularité dans le contexte européen des migrations maritimes et en particulier en comparaison avec la situation en Méditerranée centrale et orientale. On mentionnera deux points en particulier : d’une part, les refoulements et pullbacks opérés par les différents garde-côtes en Méditerranée centrale et orientale n’y sont pas (encore ?) systématisés, et d’autre part, les ONG sont (pour l’instant ?) absentes du théâtre d’opérations. La SASEMAR, société publique non militarisée, joue, par conséquent, un rôle central dans le contexte espagnol et son repli dans la SRR espagnole a des conséquences inévitablement importantes.
Le repli de l’Espagne derrière sa frontière maritime à partir de 2019, concomitant aux attaques publiques menées par le parti politique VOX contre la SASEMAR, marque ainsi une étape importante et atteste de la priorité accordée à partir de cette année-là au contrôle des flux migratoires aux frontières maritimes espagnoles. De manière plus générale, la transformation du système espagnol de recherche et de sauvetage en mer d’Alboran est aussi, à bien des égards, l’histoire de la transformation de la frontière maritime méridionale de l’Union européenne. En Méditerranée occidentale, et malgré le manque de preuves de l’efficacité de cette approche ici comme ailleurs (Cusumano, 2019 ; Cusumano et Villa, 2019), le retrait des moyens de sauvetage des zones de migration et plus près des côtes espagnoles a été avancé comme un moyen de dissuasion. Cet argumentaire s’est inspiré du discours sur la frontière humanitaire et l’a enrichi. Ce discours combine les logiques de « soins » et de « contrôle » et l’identification des migrants maritimes comme étant à la fois un risque et en risque (Pallister-Wilkins, 2017 ; Walters, 2018) pour promouvoir la cooptation des moyens SAR dans le dispositif de contrôle frontalier.
En effet, la recherche et le sauvetage maritimes, dans un contexte de contrôle de frontière, permettent l’identification et la capture des personnes migrantes, mais constituent aussi une opportunité de « rencontre de droits humains » (Mann, 2016). La mission de sauvetage est ainsi déléguée de manière croissante à des pays tiers à l’Union européenne. Ceux-ci participent au contrôle de la frontière externe de l’UE par des missions de sauvetage/interception, conduisant à la mise en place d’une « interdiction maritime » (Deftou et al., 2021), empêchant les personnes migrantes partant par la mer de se rapprocher des côtes européennes. Cette externalisation du devoir de sauvetage maritime passe, dans cette région et à l’image d’autres régions frontalières, par une aide au financement, au développement et à la formation de moyens de sauvetage en mer au Maroc. Elle a permis à l’Espagne de jeter les bases d’un contrôle des frontières indirect, à distance, et quasi invisible pour les non-initiés.
La combinaison du retrait de l’Espagne et de l’intervention du Maroc est à l’origine de la transformation des approches SAR à la frontière maritime. De ce fait, nous avons assisté à l’apparition d'un « effet frontière » dans la SRR espagnole, en particulier dans la région de la Méditerranée occidentale. Même si les normes internationales précisent que les frontières ne devraient pas avoir d’importance lorsqu’une vie humaine est en danger, la ligne imaginaire qui sépare les SRR espagnole et marocaine est clairement visible sur les cartes. En se contentant, la plupart du temps, de sécuriser à distance depuis la SRR espagnole – sauf risque de naufrage imminent ou en cours – les embarcations en détresse approchant depuis la SRR marocaine ou dérivant dans cette dernière, la SASEMAR permet aux moyens nautiques marocains de procéder aux opérations de sauvetage dans leur SRR et, par voie de conséquence, de ramener au Maroc les occupants des embarcations en détresse secourues. Ainsi, depuis 2019, l’Espagne privilégie, par cette stratégie fondée sur une redéfinition d’usage de ce qui constitue une détresse en mer, le contrôle migratoire par un pays tiers, au détriment de principes qui n’étaient jusque-là pas remis en question : l’obligation d’assistance à toute personne en détresse en mer, la non-interférence des limites territoriales ou de SRR dans les opérations de sauvetage en mer.
Cette stratégie, dont nous avons pu montrer qu’elle est bien avancée en mer d’Alboran et dans le détroit de Gibraltar, semble être en cours d’extension sur la route des Canaries. Elle s’inscrit dans un processus plus large de convergence vers un régime unifié de sauvetage aux frontières maritimes méridionales de l’Europe, caractérisé par la militarisation, l’externalisation et la standardisation des procédures (Vives et al., à venir), modulées par des contextes locaux interférant avec les dynamiques migratoires en cours.
De manière générale « l’obligation de sauvetage en mer, dans un contexte frontalier, reste une règle juridique dont la mise en oeuvre est à géométrie variable,suspendue aux enjeux de souveraineté nationale » (Martel et Banos, 2022). Dans cet article, nous avons montré que cette géométrie variable s’impose dans le cas de l’Espagne, où un système de sauvetage à deux niveaux place la vie des personnes en mer entre les mains soit du commandement militaire, soit du commandement civil (Vives, 2023), en fonction de leur statut administratif perçu une fois qu’elles seront arrivées dans l’espace Schengen.
Les paradoxes entre un cadre réglementaire qui exige la protection de toute vie humaine en mer, d’une part, et les pratiques qui cherchent à mettre fin aux franchissements irréguliers des frontières maritimes, d’autre part, n’ont jamais été aussi forts qu’aujourd’hui. La tension n’existe pas seulement entre les États membres, mais aussi au sein des institutions européennes. En juillet 2023, le Parlement a adopté une résolution demandant aux États membres d’assumer leurs responsabilités dans le domaine de la recherche et du sauvetage maritimes. Quelques mois plus tard, en octobre, le Conseil est parvenu à un accord sur l’un des règlements les plus controversés du nouveau pacte sur la migration et l’asile, le règlement sur les situations de crise et de force majeure, y compris dans les situations d’instrumentalisation de la migration. Ce règlement ouvre la porte à la criminalisation systématique des ONG de recherche et de sauvetage et à l’extension du mandat de Frontex le long des frontières extérieures de l’UE. Le règlement (qui sera modifié par le Parlement européen) érode encore davantage le principe d’universalité de la Convention SAR et fournit une légitimité supplémentaire pour faire avancer les processus en cours de militarisation, d’externalisation et d’élimination des services civils de recherche et de sauvetage.
Parties annexes
Notes
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[1]
Université Le Havre Normandie, UFR Lettres et Sciences Humaines, 25, rue Philippe Lebon, BP 1123, 76063 Le Havre Cedex, France
-
[2]
Pour une histoire complète du dispositif SAR espagnol, voir Salvamento Marítimo (2016)
-
[3]
Un « pushback » (refoulement) a lieu lorsque des acteurs étatiques du pays de destination repoussent les migrants vers le territoire d’un pays de transit ou de départ. Un « pullback » (retenue) arrive lorsque les acteurs étatiques des pays de transit ou de départ font revenir de force les migrants vers leur territoire. Enfin, dans les « driftbacks » (mises à la dérive), les acteurs étatiques laissent dériver des migrants vers des zones qu’ils considèrent hors de leur juridiction, parfois après les avoir transférés en mer dans des canots sans moteur.
-
[4]
Le Défenseur du peuple, élu par les membres du Parlement et du Sénat, a le statut de Haut-Commissaire au Parlement. Il est chargé de défendre les droits et libertés fondamentales des citoyens face à l’administration et aux autorités publiques (voir : https://www.defensordelpueblo.es/en/).
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