Résumés
Résumé
C’est l’histoire d’une anthropologue qui débarque chez les makers à Barcelone et qui y reste 18 mois. Prise dans un tourbillon de rencontres et d’aventures, elle découvre des espaces où la somme des apprentissages collectifs vaut plus que toutes les machines et les artefacts réunis. Y prendre part lui permet de percoler une réflexivité mise en partage. D’ateliers de codage en sessions de soudure, de fabrication de circuits électroniques en réalisation d’un projet de valorisation du patrimoine, les données émergent, le terrain se dessine et le sens se déploie, sans toutefois épuiser l’éternelle question : comment rendre compte au mieux de cette recherche?
L’illustration constitue l’une des réponses possibles pour faire émerger une polyphonie narrative et laisser une trace sensible d’une épopée aussi humaine qu’heuristique. Raconter une histoire révèle la dimension créative et subjective de la restitution de données tout en tentant de donner une plus juste place aux participants de la recherche. Cette fiction ethnographique illustrée est le résultat d’une expérimentation collaborative entre une anthropologue, une dessinatrice et un maker. Vous serez exposé(e)s à des artefacts qui parlent, à des ouvrières qui surgissent du passé pour tisser le fil d’une histoire technique qui continue de s’écrire et de susciter des espoirs sociaux plus grand que nature.
Mots-clés :
- Barcelone,
- makers,
- ethnographie,
- multimodalité,
- co-création,
- illustration
Abstract
This is the story about an anthropologist who heads off to spend time with makers in Barcelona and stays there for 18 months. Caught in a whirlwind of encounters and adventures, she explores spaces where the sum of collective learning is worth more than all the machines and artifacts combined. Participating allows her to percolate a shared reflexivity. Coding workshops during soldering sessions, making electronic circuits while carrying out a heritage development project, and data emerges, the terrain takes shape and meaning unfolds, without, however, exhausting the eternal question: how best to give an account of this research?
Illustration represents one of the possible solutions to bring to the foreground a polyphonic narrative and leave a sensitive trace of a journey that is as human as it is heuristic. Telling a story reveals the creative and subjective dimension of rendering data while attempting to give research participants a more rightful place. This illustrated ethnographic fiction is the result of a collaborative experiment between an anthropologist, an illustrator and a maker. You will be exposed to talking artifacts, to workers who emerge from the past to weave the fabric of a technical story that continues to write itself and spark larger-than-life social hope.
Keywords:
- Barcelona,
- makers,
- ethnography,
- multimodality,
- co-creation,
- illustration
Corps de l’article
There are encounters, memories, effects, places and relationships which resist the disciplinary power of words. They are elusive and escape any rationalizing efforts, any attempt to categorize them in ways that are acceptable to academic discourses. And exactly here lies the value of drawing: in the powerful indeterminacy that images evoke, in the fragments which constitute yet exceeds the whole. And ultimately, in the (self) reflexive process that drawing allows.
Bonanno 2022
L’anthropologie multimodale comme terrain de jeu
En anthropologie, l’autorité de l’écrit a fait l’objet de critiques dans sa forme normative et codifiée de la représentation, notamment depuis la parution de l’ouvrage Writing Culture (Clifford et Marcus 2010) qui a facilité le développement de réflexions autour de « poetics and politics of ethnography ». Le texte monovocal, dans le sens d’une autorité narrative unique et non partagée, demeure malgré tout le mode principal de restitution des données de l’enquête de terrain et de l’analyse anthropologique. Parallèlement, l’anthropologie multimodale et les pratiques créatives de recherche prennent de l’ampleur (Collins, Durington et Gill 2017 ; Dattatreyan et Marrero-Guillamón 2019 ; Elliott et Culhane 2017 ; Nesvaderani 2024). Le son, la vidéo, la performance ou le dessin constituent des modalités d’exploration possibles pour l’anthropologue. Comme certains auteurs l’ont noté, la créativité fait partie intégrante de l’activité de terrain depuis longtemps (Criado et Estalella 2023). Ce qui émerge davantage aujourd’hui, c’est le recours à ces pratiques multimodales pour transmettre les connaissances. La boîte à outils s’agrandit et la curiosité pour d’autres modes de présentation de la diversité humaine, ainsi que pour différentes manières de la restituer suit le même chemin (Westmoreland 2022). Néanmoins, parmi ces différentes modalités de recherche, d’analyse et de restitution, et malgré leur popularité grandissante, aucune n’est en mesure de résoudre l’ensemble des enjeux éthiques de l’anthropologie : « There is nothing inherently liberatory about multimodal approaches in anthropology. » (Takaragawa et al. 2019, 517). Tout en prenant acte des limites de chaque mode d’expression, cet article illustré explore davantage les potentialités de la combinaison du texte et du dessin pour rendre compte d’une recherche menée dans un espace de fabrication numérique à Barcelone.
L’enjeu de l’illustration est de présenter un objet de recherche sous un nouvel angle tout en facilitant les collaborations avec d’autres interlocutrices et interlocuteurs. Ainsi, par les expérimentations illustrées, l’analyse est susceptible de prendre une tournure différente en mettant l’accent sur des éléments qui peuvent avoir été décrits rapidement ou passés sous silence pour respecter les canons des textes académiques. Dans un intérêt de transmission des connaissances au plus grand nombre de personnes, l’illustration peut certainement présenter l’avantage de toucher de plus larges publics sur les problématiques anthropologiques comme sur la richesse d’un terrain ethnographique. La multimodalité dans laquelle s’inscrit l’illustration invite à explorer d’autres manières de faire de l’anthropologie, de créer de la connaissance et de faire émerger du sens, d’autres façons d’apprendre et de collaborer : « multimodality offers a line of flight for an anthropology yet to come: multisensorial rather than text-based, performative rather than representational, and inventive rather than descriptive » (Dattatreyan et Marrero-Guillamón 2019, 220). C’est le pari que nous faisons avec cette fiction ethnographique illustrée où le texte et le dessin sont complémentaires.
L’objectif vise à expérimenter la co-création d’une illustration pour relater une partie significative du terrain ethnographique et laisser une trace sensible d’une aventure de recherche. Le texte synthétise tant le processus de création et le résultat de l’expérience que les réflexions qui ont émergé au fil de cette réalisation. La production écrite précise le contexte en décrivant les fragments de terrain qui apparaissent dans l’illustration : « rather than words and images vying for superiority, a multimodal approach encourages kaleidoscopic combinations of objects, text, images, and sounds in ways that unsettle hierarchies » (Westmoreland 2022, 176).
La recherche au coeur de cet article illustré a été réalisée par Sandrine Lambert, doctorante en anthropologie, sur les potentialités sociopolitiques de la participation dans les makerspaces[1] à Barcelone. La partie illustrée par l’artiste Lucie Perron s’inspire de l’observation participante menée par l’anthropologue pendant 18 mois au sein de la Fab Casa del Mig, un makerspace en gestion municipale coordonné par Oriol Blas Guinovart qui est devenu un participant central de la recherche[2].
Cet article dessiné est le résultat d’une archipélisation de savoir-faire situés, autrement dit, de mises en relations d’un maker[3] coordinateur d’un espace de fabrication numérique, d’une illustratrice et d’une anthropologue[4]. Tout au long du processus, nous avons documenté et mis l’accent sur la portée heuristique de cette expérimentation co-construite. Ce travail collectif, réflexif et itératif, permet de montrer un aspect de la recherche ethnographique tout en se questionnant sur l’impact laissé par celle-ci dans la communauté étudiée.
Des sciences sociales illustrées, est-ce bien sérieux ?
Sur le dessin[5] et l’écriture
Les distinctions entre le dessin et l’écriture sont nombreuses, mais l’anthropologue Tim Ingold nous invite à nous méfier de la dichotomie « inscrite dans la constitution des temps modernes » entre le dessin qui serait un art et l’écriture qui serait une technologie (Ingold 2011, 165). Alors qu’il rappelle que l’étymologie de l’art et de la technologie converge dans les deux cas vers un savoir-faire humain et vers l’artisanat, il explique que le capitalisme industriel et la division du travail ont segmenté les savoir-faire : « d’un côté, les fonctions intelligentes, imaginatives et créatives ; de l’autre, les tâches techniques, physiques et répétitives » (Ingold 2011, 166). Cette analyse dialectique entre le dessin et l’écriture en suivant le raisonnement d’Ingold nous amène aussi à réfléchir aux technologies et aux artefacts que nous mettons en scène dans les illustrations ci-dessous :
Une fois que les tâches physiques furent dissociées de l’impulsion créatrice, le champ était libre pour construire des machines capables d’exécuter, plus vite et de manière plus efficace, ce que les corps avaient jusqu’ici réalisé. La notion de technologie évolua en conséquence, passant de l’esprit à la machine, de l’étude systématique des processus de production aux principes intégrés à la production des machines. Seraient qualifiés d’oeuvres d’art les objets ou les actions qui échappent aux déterminations du système technologique et qui expriment le génie de son créateur. Inversement, l’utilisation d’une technologie impliquait une dépendance vis-à-vis d’un système mécanique de forces de production objectif et impersonnel. L’art crée ; la technologie ne peut que reproduire. C’est ainsi que l’artiste fut distingué de l’artisan, et l’oeuvre d’art de l’artefact.
Ingold 2011, 166
L’évolution de la perception du dessin et de l’écriture est intéressante pour comprendre pourquoi nous avons la sensation de mobiliser deux langages différents, un premier plus rassembleur et plus inclusif avec une ambition assez universelle, alors que l’écriture est souvent associée à l’érudition et au monde académique, ce qui rend son appréhension parfois austère. Bien que davantage de personnes apprennent à écrire plutôt qu’à dessiner, les travaux illustrés demeurent plus accessibles. Pourtant, d’après Ingold, « l’écriture est une modalité du dessin, les deux processus d’apprentissage sont inextricablement liés » (Ingold 2011, 191). Il ajoute que tant l’écriture que le dessin peuvent soit recourir au corps et au geste soit utiliser des outils ou des machines susceptibles de faire de l’un et l’autre une technologie. C’est ainsi qu’il démontre que certains des éléments pouvant les différencier ne tiennent pas. Néanmoins, quand l’illustration est utilisée en recherche, elle ouvre l’accès à des formes de production ou de restitution des données que l’écriture ne permet pas forcément.
L’illustration et la recherche
Le dessin existe dans les sciences sociales depuis longtemps comme outil de terrain et mode d’enquête mais il devient désormais un support pour la restitution de données scientifiques et un instrument de diffusion des connaissances. Les injonctions à rendre compte des résultats de la recherche auprès de publics non académiques ou à coconstruire les études en fait un outil prisé par les chercheuses et les chercheurs en général (Hermann 2021 ; Laffage Cosnier et Andrieu de Levis 2018 ; Marc et Richardier 2022 ; Petch 2015) et les anthropologues en particulier (Atalay et al. 2019 ; Dufour 2023 ; Sherine Hamdy et al. 2017 ; Theodossopoulos 2022 ; Wadle 2012).
Face à la quantité massive de données de terrain qui ne peuvent pas toutes être présentées dans des textes académiques et face à la multiplicité des registres (affectifs, cognitifs, heuristiques) des expériences de terrain, le dessin semble une avenue intéressante pour présenter la recherche sous un angle différent ou pour montrer des aspects du terrain qui ne sont pas habituellement présentés dans des articles scientifiques :
[…] I consider turning the complex experience of fieldwork in a written text as another form of translation: a process through which knowledge of the self and other(s) is produced. Therefore, I hold the practice of drawing as a particularly apt method to convey the complexities of fieldwork beside and beyond the written text.
Bonanno 2019
Pour le dessinateur et doctorant en anthropologie Thibault Le Page, le dessin bénéficie d’un triple avantage : celui d’inclure plus de gens dans la conversation de la recherche, de donner accès à une forme de micro-histoire et de permettre de rentrer dans une analyse par l’entremise d’une anecdote de terrain (Le Page 2024). Les anecdotes de terrain relatant, par exemple, les imprévus de la recherche ne sont toutefois pas l’apanage de l’illustration, notamment depuis que Nigel Barley a publié Un anthropologue en déroute (Barley 2001)[6]. Mais il est certain que le format de la bande dessinée se prête bien à la narration de la chercheuse ou du chercheur en anti-héros, par exemple, dans le récit des accidents de terrain. Ainsi, dans la bande dessinée Les mésaventuriers de la science (Jourdane 2017), des scientifiques avalent un fossile accidentellement, restent collés à un crocodile en essayant d’y fixer un émetteur radio, écrivent en elfique en suivant des singes à la suite d’un délire occasionné par la dengue, se font mordre les fesses par un phoque, se renversent sur eux des prélèvements d’excréments de jaguar, etc. Au-delà de l’anecdote potentiellement comique, ces imprévus graves, drôles ou insignifiants, au premier abord, peuvent paradoxalement contribuer à dévoiler un sens inattendu pour la recherche, à illustrer le quotidien d’un terrain, à montrer la relation avec les interlocuteurs de la communauté étudiée. Comme l’explique Le Page, l’illustration fait passer « les objets de recherche de “choses à étudierˮ à des “choses à regarderˮ sur lesquelles prélever des “choses à raconterˮ » (Le Page 2020, 217). Ainsi, l’illustration donne à voir la multiplication des angles de vues d’une recherche en train de se faire et des résultats qui en sont issus.
Le dessin met en évidence la nécessaire prise en compte de la dimension narrative dans toute forme d’écriture en sciences sociales (Nocerino 2016). Il permet d’assumer l’importance de la mise en récit dans la restitution académique des données de l’enquête tout en forçant les chercheuses et les chercheurs à réfléchir aux conséquences de leurs choix comme autrice(s) et auteur(s). Raconter une histoire met à nu la dimension littéraire, créative et subjective dans la restitution de données et permet aussi de donner leur juste place aux autres personnes participantes et collaboratrices de la recherche (à ce sujet, voir Gottlieb 1995). Il semble ainsi que la polyphonie narrative permise par l’illustration ait le potentiel de compenser l’asymétrie de pouvoirs liés à l’autorité narrative conférée aux chercheuses et aux chercheurs dans la plupart des textes académiques.
Comment conjuguer fiction et ethnographie ?
Comme l’écrit habilement Umberto Eco : « Si les mondes de la fiction narrative sont si petits et trompeusement confortables, pourquoi ne pas chercher à construire des mondes narratifs qui soient aussi complexes, contradictoires et provocateurs que le monde réel ? » (Eco 1996, 155). Nous avons défini notre production comme une fiction ethnographique illustrée. Au premier abord, la fiction semble être un mode au moins aussi audacieux, voire plus déraisonnable encore que l’illustration pour prétendre restituer un terrain ethnographique mené avec sérieux et rigueur dans le but de produire les résultats d’une étude anthropologique ! Pourtant, les littératures de l’imaginaire et les sciences sociales ont une histoire et des destinées communes puisqu’elles transmettent « une dimension sentie de la société » et mettent en récit « nos expériences d’une société partagée » (Hébert 2013, 97-98).
La fiction par définition produit un récit inventé, qui n’est pas fidèle à la réalité. Cela n’empêche pourtant pas le texte fictionnel d’être en résonance avec le réel, voire inspiré par celui-ci. Selon la forme choisie, il peut aussi en dire plus sur le réel qu’une monographie documentaire ou créer une plus grande empathie autour de l’expérience de terrain et de ses protagonistes. « Dans la fiction narrative, on ne dit pas le faux pour que quelqu’un y croit, ni pour lui nuire : on construit un monde possible et on demande au lecteur ou spectateur complice d’y vivre comme si c’était un monde réel et en acceptant les règles qui y sont en vigueur (animaux parlants, oeuvres de magie, gestes humainement impossibles) » (Eco 2018, 261).
L’anthropologue et cinéaste Jean Rouch est considéré comme un pionnier de l’ethnofiction qu’il a explorée dans son travail :
Such a film [Jaguar] defies categorization. It is not a documentary that attempts to « capture » observed reality. By the same token, it is not a melodrama the filmmakers dreamed up to titillate our emotions. Rouch calls his creation « cine-fiction ». Other critics have called films like Jaguar and Moi, un noir « ethnofiction ». These films are stories based on laboriously researched and carefully analyzed ethnography. In this way Rouch uses creative license to « capture » the texture of an event, the ethos of lived experience. Here again Rouch defies expectation, throwing a monkey wrench into the carefully considered distinction between fiction and nonfiction, participation and observation, knowledge and sentiment.
Stoller 1992, 143
Historiquement appliqué à l’anthropologie visuelle et à la production de films, ce genre se retrouve désormais dans tout type de contenus multimodaux. L’anthropologue américain Tobias Hecht a recours à la fiction ethnographique dans son livre After Life : An Ethnographic Novel (2006) qui traite de la rencontre entre un anthropologue et une jeune sans-abri de Recife, au Brésil. L’histoire racontée dans ce livre n’est donc pas vraie, « but it aims to depict a world that could be as it is told and that was discovered through anthropological research » (Hecht 2006, 8). Il s’emploie à définir les caractéristiques de cette oeuvre originale :
That is why I am calling it a work of « ethnographic fiction ». By this I mean an approach to the study and evocation of social life and the world of the mind that emerges from rigorous observation, makes use of certain conventions of ethnographic fieldwork and writing, but also employs literary devices. It is inspired by observation over the long run, based on recognizable scenarios, and treats a particular moment. It is not, however, restricted by these things; it takes liberties with reality.
Hecht 2006, 8
Dans ce cas, la fiction est qualifiée d’ethnographique puisque les éléments qui ont permis de la construire ont fait l’objet d’une rigoureuse ethnographie. Un roman graphique plus récent, Lissa : A Story about Medical Promise, Friendship, and Revolution (Sherine Hamdy et al. 2017) a également été conçu comme une fiction ethnographique illustrée mais cette fois avec un objectif un peu différent : « to play with visual juxtapositions in scale, time and geography and to depict inner emotional states and experiences like pain, solitude, mourning and meditation that can be difficult to capture through text alone » et « visually captures unfamiliar settings and events » (Sherine Hamdy et Nye 2017, 116). Dans ces divers exemples, les frontières entre l’ethnographie et la fiction se brouillent mais les procédés littéraires ou graphiques employés visent toujours à représenter le réel tel qu’il aurait pu être ou le réel tel que les mots ou la vérité peinent à le représenter, toujours basé sur les matériaux empiriques recueillis.
Dans les planches présentées ci-dessous, nous faisons parler les artefacts, réfutant cette tendance soulignée par Appadurai « à considérer le monde des choses comme inerte et muet » (Appadurai 2020, 17). Il ne s’agit pas non plus de les fétichiser ou de leur reconnaître une agencéité propre (Hornborg 2021, 754-55). La fiction dessinée expose les objets comme des narrateurs de premier plan, ce qui permet d’offrir une plus juste représentation des artefacts occupant une place prépondérante dans les expériences menées dans les espaces de fabrication numérique. En effet, ils sont tour à tour le produit de l’impression 3D, le réceptacle des apprentissages et des objets emblèmes du monde maker. Comme l’explique Hornborg, « the meaning of objects are not intrinsic features of the objects themselves but bestowed upon them by sentient subjects in the context of specific relations » (Hornborg 2021, 759). Il précise, un peu plus loin : « the meanings and functions of artifacts derive from human actions such as interpretation, design, and manufacture, but artifacts do not have purposive agency. » (Ibid., 760). Chaque lieu dispose d’une vitrine en verre où sont exposés certains objets produits. L’objectif est de montrer aux novices les possibilités offertes par la fabrication numérique. Ils définissent aussi l’identité du lieu et les références sociotechniques et populaires des makers, par exemple dans le cas d’un casque de Dark Vador disposé dans l’entrée de la Fab Casa del Mig et fabriqué collectivement lors d’une des fêtes annuelles de l’impression 3D, en référence à l’univers de Star Wars. Les artefacts constituent le fil rouge de notre petite histoire et nous faisons le pari, comme Fanny Lederlin que « dans le lien aux choses pourrait aussi se loger le lien aux vivants » (Lederlin 2023, 59).
Donner à voir : illustrer la matérialité
Les artefacts illustrent la matérialité de l’environnement lié à la fabrication numérique où des fichiers conçus par ordinateur permettent de produire des objets et où la robotique nécessite une grande variété de composants électroniques. La matérialité du numérique réfère à toute l’infrastructure tangible de matériaux (câbles sous-terrain, fils, satellites, etc.), de matériel (ordinateur, circuits imprimés, unités de stockage de données, etc.), d’objets (connectés, par exemple) et de ressources énergétiques et minières (électricité, terres rares, etc.), nécessaires pour faire fonctionner les technologies numériques. Paradoxalement, la narrativité relative à ces technologies laisse beaucoup de place à une conception, dite « dématérialisée », à travers la suppression du papier, des classeurs de fiches, de procédures administratives papiers, du courrier postal et grâce au stockage d’informations et de données dans un nuage qui semble évanescent. La prise de conscience de la matérialité du numérique est fondamentale pour comprendre le fonctionnement de ces technologies dans leur ensemble, mais aussi afin de saisir leur impact socio-économique et environnemental. C’est dans ce contexte que le terme de « technologies zombies » a éclos (Halloy 2022) pour souligner l’abondance des ressources nécessaires pour les produire, leur faible durée de vie en comparaison avec leur pérennité comme déchets polluants. D’après le chercheur Philippe Gauthier, « l’avenir que nous promettent les technologies zombies est un futur obsolète, qui est promis à la ruine avant même d’avoir été construit » (Gauthier 2021). C’est pourquoi nous avons mis en scène des artefacts impatients de pouvoir démontrer leur utilité sociale, conscients des enjeux liés à la fragilité de leur propre existence ! Les artefacts sont finalement les facilitateurs et médiateurs d’une prise collective sur la récupération et la valorisation de la mémoire historique du lieu qu’ils « peuplent ».
Néanmoins, il ne faut pas se méprendre sur la fonction d’un espace de fabrication numérique. Il est composé de personnes avant d’être composé d’artefacts. Les personnes participantes à la recherche soulignent davantage les expériences humaines collectives que leur joie pourtant manifeste d’utiliser les machines, de s’initier à la robotique ou de connecter des objets. Pour notre expérimentation dessinée, nous mettons l’accent sur deux personnes et des artefacts dans le but de ne pas égarer les lecteurs. Les liens sociaux tissés par les makers autour de projets communs ou de nouveaux apprentissages occupent une part importante de ce qui rassemble la communauté dans les espaces physiques comme la Fab Casa del Mig.
Défis et richesses d’un travail à quatre mains avec l’illustration et l’écriture
Comme les makers aiment laisser les circuits à découvert, montrer les fils, les chemins, les circuits imprimés et ouvrir les boîtes noires, nous nous en sommes inspirés. Nous révélons tous les secrets de fabrication, nos errances/errements, essais/erreurs, divagations. Nous rendons visibles, en rendant compte, le processus et les questions qu’il a soulevées pour aboutir au résultat présenté.
La genèse de cette collaboration entre Lucie, illustratrice et Sandrine, anthropologue
Lucie et moi, Sandrine, nous avons été collègues dans une autre vie pas si lointaine, à la Maison pour la danse de Québec. Nous sommes par la suite devenues amies. C’est au détour d’une conversation que Lucie me fait part de son envie de relancer ses activités créatives et artistiques, notamment en s’intéressant à la médiation scientifique en illustration. Je rêve depuis longtemps de faire un projet avec une illustratrice, ce que je formule à voix haute. C’est ainsi qu’est né notre petit projet que nous aimons parfois appeler notre « précieux » pour le plaisir coupable qu’il nous procure. Un jour, les mots de notre souhait tombent dans les bonnes oreilles ! Je connaissais le talent artistique de Lucie, car j’avais déjà assisté à deux de ses expositions (Nous avons de la veine, 2017, bibliothèque Gabrielle Roy, Québec et Mouvement perpétuel, 2019, Manif d’art, la biennale de Québec). Néanmoins, je n’étais pas au fait de ses talents en illustration et je me sens extrêmement chanceuse qu’elle ait eu envie de mettre son art au service du récit d’une anthropologue chez les makers ! Je tentais d’apprendre à changer de langage et de modes de pensée pour faire entrer le dessin dans la restitution d’une démarche ethnographique. Cela implique de la concision, de la scénarisation, une trame narrative, des ellipses et liaisons qui ne s’écrivent pas, etc. Tout un apprentissage. Lucie faisait ses premières armes artistiques en lien avec les sciences sociales. Nos échanges qui ont eu lieu pendant trois mois sur une base régulière pour ce projet nous ont amenées à trouver une voie pour nos deux modes d’expression. Personnellement, j’ai vraiment aimé l’obligation que j’avais d’expliquer clairement les idées afin de ne jamais tenir pour acquis le sens des mots et pour rechercher l’illustration dont l’évocation était la plus précise. Après avoir été collègues et amies, nous apprenions à devenir collaboratrices pour un projet personnel et professionnel qui nous tenait à coeur. Nous nous parlions souvent, nous nous écrivions beaucoup. Un jour, alors que nous correspondions par messagerie et que nous ne nous étions pas comprises, Lucie, amusée, me fait la remarque judicieuse que décidément les mots peuvent être trompeurs et plein d’ambiguïtés ! Dans notre cheminement, nous n’avons cessé de rechercher le meilleur compagnonnage entre l’illustration et le texte. Devaient-ils exister de manière autonome, chacun de leur bord, s’interrelier dans une trame continue, ou s’hybrider pour produire une forme métissée ouvrant à plus de possibles pour faire émerger le sens d’un moment vécu sur le terrain de recherche ?
Le processus de création
Avec le recul, nous pouvons dire que le tâtonnement a été notre meilleur compagnon. Le second a été le temps, nécessaire pour découvrir et s’approprier nos univers respectifs. Le troisième a vraisemblablement relevé de la perspicacité pour trouver les bons arrimages entre la pensée, le terrain, l’illustration et le texte d’un côté puis pour inventer le meilleur équilibre entre la partie fictionnelle et réelle des morceaux du terrain ethnographique révélés.
Pour présenter ma recherche à Lucie, je lui ai d’abord montré tous les artefacts ramenés du terrain : les boucles d’oreilles découpées au laser, des objets imprimés en 3D en une diversité de matériaux, des circuits imprimés, des microcontrôleurs, etc. Ce n’était pas prémédité de commencer par-là, mais c’est certainement ce qu’il y avait de plus tangible pour entrer dans la recherche de terrain. Lucie y a vu rapidement des objets anthropomorphes, intéressants graphiquement. Nous avions trouvé nos compagnons d’aventure et surtout nos narrateurs principaux. Dans un second temps, j’ai raconté des fragments d’expérience de terrain à Lucie. Au fur et à mesure où je parlais, elle me dessinait, faisait des esquisses de sa représentation mentale de mes propos. Et pour finir, une fois que nous avons défini le lieu où se déroulait le récit illustré, les photos ont finalisé cette vision d’ensemble. Les images, les objets, les récits et les photos du terrain constituent de la « nourriture à dessin », m’a confié Lucie plus tard.
Nous avons avancé aussi selon nos centres d’intérêt. Pour Lucie, le projet qui reliait l’histoire de la fabrique textile à la fabrication numérique était le plus évocateur. Elle avait envie de dessiner du textile, des machines et des artefacts. Ça tombait bien puisque que c’est le plus gros projet que j’ai mené sur place. J’étais toujours en contact avec Oriol et la Fab Casa del Mig était le lieu où j’avais réalisé le plus d’observations participantes et d’ateliers.
Ainsi, nous avions un lieu, les personnages humains et artéfactuels, un projet sur lequel mettre l’accent. Malgré cette heureuse avancée, nous nous heurtions souvent à savoir ce que nous devions créer en premier : le texte de l’article ou les illustrations ? Nous ne voulions pas que le dessin illustre le texte de l’article. Ça n’aurait présenté que peu d’intérêt pour décentrer la recherche, la présenter sous un nouvel angle et pour expérimenter les possibles de l’illustration. Nous avons fait le choix d’accompagner les illustrations de quelques mots pour nourrir, sans toutefois cadenasser, l’imaginaire des lectrices et des lecteurs.
Nous avons donc scénarisé, puis découpé le récit illustré en huit planches, en nous interrogeant constamment sur la manière d’intégrer la valeur scientifique et factuelle dans cette fiction ethnographique illustrée. Lucie a réalisé des esquisses sur son cahier à dessin afin de créer des planches plus abouties sur sa tablette. Nous avons fait énormément d’allers-retours entre chaque dessin pour réfléchir et échanger sur le sens qui se dégageait de chaque planche. Manier la fiction et la justesse nous a donné du fil à retordre. Nous devions déterminer à quel moment un élément pouvait relever de la fiction et quand un autre ne le pouvait pas, évacuant ainsi le risque de communiquer une fausse information mais si vraisemblable qu’elle aurait créé de la confusion.
À l’issue du processus, Lucie avait l’impression d’avoir voyagé avec moi sur ce terrain. Nous nous sommes rendu compte que l’illustration a réhabilité l’aventure humaine à la base de toute recherche de longue durée. Or, la dimension relationnelle n’est pas toujours simple à décrire dans les textes académiques. Nous avons fait le constat comme d’autres avant nous que « la complexité de la réalité ethnographique […] déborde constamment les ressources de la langue et du récit. » (Simon et Bibeau 2004, 8). Nous avions la sensation, par les anecdotes illustrées toutes inspirées de faits réels, que nous faisions une sorte de making-of décomplexé de ce terrain ethnographique. Comme chercheuse, j’ai aussi eu l’heureuse surprise de constater que les réflexions sur la scénarisation et les choix à faire dans le processus d’illustration m’ont apporté un éclairage nouveau pour l’analyse de mes données.
Une anthropologue chez les makers : trouver le point de rencontre
Récemment, alors que je faisais une rencontre vidéo avec Oriol, coordinateur du makerspace, pour lui montrer les derniers dessins de Lucie, Ricard le technicien est arrivé. C’est avec lui que j’ai réalisé chacune des épreuves des Olympiades dessinées. Bien sûr, dans la réalité, il ne s’agissait pas d’épreuves mais plus d’un souci d’intégration de l’équipe du makerspace. Toutefois, je me devais de m’impliquer et j’ai pris cette responsabilité au sérieux. Pour être honnête, j’ai aimé tout ce que j’ai appris auprès de Ricard, Oriol et tous les makers. Lors de cet appel vidéo, Ricard me salue et rit de tous les livres qu’il y a chez moi, alors que je vois toutes les machines derrière eux dans l’espace de fabrication numérique. Oriol lui dit en blaguant : « Savais-tu que Sandrine était intelligente ? ». Ricard lui répond : « Intelligente, je ne sais pas, mais courageuse certainement ! ». Cela est emblématique de la camaraderie et de l’atmosphère qui régnait entre nous. Les makers se demandaient souvent si je n’étais pas tombée sur la tête quand j’ai décidé de venir du Canada en pleine pandémie pour faire une étude sur leurs pratiques. Le ton de la dérision présent dans les illustrations est fidèle à ce que nous vivions et à notre manière de déjouer avec plaisir les impasses qui auraient pu naître de nos différences.
Le projet de Mémoire historique
Le projet de Mémoire historique relaté dans le récit illustré ci-dessous est l’histoire d’une recherche ethnographique et de rencontres assez singulières. Comme la première illustration le montre avec humour, j’ai débarqué dans le makerspace en ne connaissant personne. Ma casquette d’anthropologue ne rassurait ni ne convainquait les makers sur la raison d’être de ma présence !
Comme j’avais prévu de passer du temps dans la Fab Casa del Mig pour étudier les impacts sociopolitiques de la participation des makers, ainsi que la nature de leurs créations et les caractéristiques de cette communauté, j’avais décidé d’arriver avec l’idée d’un projet. Ce projet, s’il se réalisait, me donnerait de bonnes raisons de revenir souvent et d’interagir avec plusieurs actrices et acteurs. À force de constater que divers espaces de fabrication numérique se trouvaient dans d’anciennes usines, j’ai eu envie de réfléchir aux relations entre fabrication industrielle et fabrication numérique. Après tout, de nombreux protagonistes de l’univers des technologies voyaient la fabrication numérique comme une nouvelle révolution industrielle (Anderson 2012 ; Gershenfeld 2005 ; Menichinelli 2015). Cela la plaçait dans une continuité par rapport aux changements liés à l’industrialisation du textile, facilité par l’arrivée des machines à vapeur et la mécanisation de la production demeurée jusque-là artisanale.
Mais que pouvait apporter la mise en dialogue de la fabrication industrielle avec la fabrication numérique ? C’est cette idée (qui n’avait encore rien d’un projet) que j’ai soumise à Oriol, en décembre 2020, lors de l’une de nos premières rencontres. Il était emballé. Ça faisait longtemps qu’il voulait trouver un moyen de mettre en valeur l’histoire de l’ancienne usine textile de l’España Industrial où se trouve le makerspace. Il regrettait qu’aucune signalétique ne permette d’avoir de l’information sur ce pan important de l’histoire.
Nous avons souvent discuté de ce projet. Oriol me proposait de faire une exposition temporaire du résultat de mes recherches sur ce sujet. Cela ne me semblait pas la meilleure idée car je n’avais pas les compétences d’une historienne. Finalement, nous nous sommes orientés vers un projet plus pérenne. Dans le cadre d’un concours, nous avons co-rédigé une demande de bourse auprès de la ville de Barcelone : « Becques Premis Barcelona 2020 ». Malgré l’exceptionnelle affluence de projets, nous avons obtenu un financement de 10 000 euros. Participer à l’écriture du document m’a permis d’en apprendre davantage sur l’histoire de cet espace de fabrication numérique, mais aussi sur l’histoire du quartier ouvrier d’implantation, Sants, et enfin, sur l’usine textile, les luttes des riverains et le coopérativisme. La mise en oeuvre du projet, qui s’est prolongée au-delà de la fin de mon terrain, a été portée par l’équipe de la Fab Casa del Mig. Oriol décrit le projet selon quatre aspects :
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Une partie du projet implique de travailler avec les écoles ;
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Un axe est la partie muséographique Memoria historica à laquelle j’ai été plus souvent associée ;
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Une visite guidée de l’ancienne usine en réalité virtuelle avec l’application CoSpaces ;[8]
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Et une visite guidée avec des codes QR: quand ils sont scannés à différents endroits du parc, des éléments d’information historiques et contextuelles sont donnés via un site web.
La Fab Casa del Mig reçoit régulièrement des groupes scolaires avec qui sont menés des projets sur le long terme. Au cours des années 2021 et 2022, des enfants de 11 et 12 ans ont fabriqué les engrenages de la partie muséographique en utilisant la conception en 3D et la découpeuse laser (2). Les enfants un peu plus âgés (13-14 ans) ont travaillé avec la réalité virtuelle pour reproduire l’usine dans l’application (3). Le quatrième volet fait suite au recueil des témoignages de personnes ayant travaillé dans l’usine textile. J’ai réalisé avec Oriol le tract d’appel à témoignages. J’étais présente lors de la première entrevue avec Montserrat, 93 ans, habitante de Sants qui a travaillé dans l’España Industrial dans les années 1940. C’est Agus Giralt qui a mené l’entrevue, un historien du quartier ayant contribué à définir les dates importantes de l’histoire de l’industrie textile, les mettant sur la frise chronologique dans l’espace muséographique. Montserrat avait 14 ans quand elle travaillait à l’usine, elle faisait du filage à partir du coton. Elle a parlé d’une machine impressionnante qui faisait des allers-retours d’un bout à l’autre de la pièce.
Dans une entrevue du 3 décembre 2021, Oriol m’a dit : « le patrimoine industriel et la fabrication numérique sont deux univers que j’adore. Pouvoir réunir les deux et montrer comment appliquer la fabrication numérique, c’est merveilleux. »[7]. Il a ajouté :
L’objectif est que les habitants du quartier, les écoles, les usagers puissent comprendre et se faire expliquer l’importance et l’histoire des usines, et ce que représentent 150 ans d’usine. Je me rends compte qu’il y a très peu d’usines qui ont duré 150 ans. Donc, on peut expliquer toute l’histoire de ce quartier, du point de vue de l’usine. [...]
Le fait est que cette usine a vu naître ce village [Sants], parce que ce village n’était rien avant. Grâce aux usines, il a commencé à grandir, il s’est uni à Barcelone, il a vu les révolutions sociales, il a vu les changements sociaux, la dictature, les guerres. Cette usine a vu tous ces changements : les changements technologiques, les changements sociaux, de n’importe quelle perspective anthropologique ou historique, tout peut être expliqué à partir de l’usine.
Lors d’une seconde entrevue le 17 février 2022, Oriol a précisé que la partie muséographique était prête à être installée dans le vestibule de l’espace annexe du makerspace. Sur trois murs hauts de plafond seront collés de grands vinyles avec les photos de l’intérieur de l’ancienne usine où les machines sont bien visibles. En fouillant dans les archives, il a remarqué que peu de gens avaient été photographiés en train de travailler à l’intérieur de l’usine. Des engrenages et des poulies seront installés devant les photos. Depuis l’installation, il est possible de les manier mécaniquement. Les engrenages ont fait l’objet d’une conception en 3D par les élèves, puis d’une mise en forme avec la découpeuse laser. Oriol a expliqué :
Artur, l’ingénieur/maker qui s’occupe de la conception pour nous, a déjà fabriqué des poulies découpées au laser qui se déplacent entre elles. C’est mécanique et les enfants aiment ça, ils interagissent et c’est bien.
Il y aura aussi des vidéos dans l’espace muséographique afin de montrer la vie de l’usine. Et enfin il y aura une chronologie des faits marquants de l’usine dont la réalisation a été confiée à une entreprise spécialisée. Un bouton activera des images et des vidéos pour chaque date mentionnée dans la chronologie.
Oriol a conclu le projet dans ces termes :
Nous avons une arme très puissante dans ce monde, qui est la technologie, et la technologie est super stimulante pour les enfants. En utilisant CoSpaces, ils jouaient. Ils faisaient de la conception 3D, de la réalité virtuelle. Ils ne sentaient pas qu’ils étaient en train de faire un cours. Ils jouaient, mais en regardant l’architecture, en regardant les plans, en essayant de comprendre à quoi ressemblait l’usine. Ils apprenaient, mais ils jouaient. C’est ce qu’il faut faire. Ces outils sont très puissants. Les enfants aiment sortir de l’école et venir ici pour dire « Ah, Oriol, on va faire Tinkercad[9] ». Ils me connaissent déjà, ils connaissent les imprimantes 3D, ils sentent que c’est à eux. Je pense donc que la technologie est un merveilleux outil et les écoles sont très en retard dans ce domaine. C’est donc une bonne chose que nous puissions les aider. C’est un formidable outil pédagogique et éducatif.
La collaboration pour cet article illustré
Au moment d’écrire ces lignes, nous sommes à la fin du mois de février 2024. Cela fait déjà deux ans que je suis revenue de Barcelone. Ce matin, Lucie et moi nous faisons une rencontre vidéo avec Oriol pour lui présenter les cinq premiers dessins non colorés, ainsi que la sixième et la septième planche à l’état de croquis. Auparavant, nous avions déjà validé avec lui l’idée générale et obtenu son accord pour sa présence et l’apparence de son « personnage ». Mais c’est la première fois que nous lui présentons les illustrations. Il est dans la Fab Casa del Mig et Lucie découvre le lieu qu’elle avait dessiné sur photos et l’interlocuteur derrière son personnage principal. C’est un moment émouvant : entre Lucie qui cherche à retrouver ce qu’elle avait dessiné dans le makerspace et Oriol qui tente de repérer les artefacts de l’espace maker dans les dessins. C’est un échange fantastique.
Lorsque nous lui présentons le premier dessin, nous rions beaucoup. Oriol trouve l’idée de mon arrivée en Indiana Jones géniale. En feignant mon absence lors de l’appel vidéo, il explique à Lucie :
Tu vois, Sandrine arrive à la Fab Casa del Mig pour faire une étude sur les makers. Je me dis qu’elle doit travailler en informatique ou quelque chose comme ça. Mais non, elle ne connaît rien de l’électronique, rien de la soudure et tout ça. Elle arrive comme ça du genre : « je suis anthropologue et je lis des livres ». Imagine notre surprise !
Bien sûr, je ne me suis jamais présentée comme ça, mais c’est la manière dont Oriol grossit le trait pour expliquer l’incongruité de notre rencontre et pour conforter Lucie en disant que son illustration en Indiana Jones était parfaite ! Voici un exemple où la fiction dessinée, en recourant à l’imagerie populaire et à la figure de style de la métaphore, donne de la force à l’idée d’une arrivée dans un univers où je n’étais pas attendue, où mon rôle n’était pas immédiatement évident. En bref, la fiction dessinée et l’analogie avec Indiana Jones expriment l’incongruité de ma présence et la force du choc des cultures qui caractérisent souvent l’insertion d’anthropologues sur leurs terrains de recherche.
Nous expliquons à Oriol le contexte de publication de l’article. De son côté, il nous montre comment le projet de Mémoire historique a évolué. Il intervient maintenant dans différents établissements scolaires en présentant la manière dont les industries textiles ont fait grandir le quartier de Sants, comment l’arrivée des machines n’a pas suscité l’enthousiasme de tout le monde en abordant les mouvements technocritiques des luddites[10]. Il évoque aussi les liens entre les différentes phases de développements techniques comme l’importance de la vapeur dans les révolutions sociales et les bouleversements contemporains liés la fabrication numérique, l’internet des objets et l’intelligence artificielle. Il nous montre des modules imprimés en 3D des bâtiments qui composaient la España Industrial. Quand l’ensemble sera imprimé, il sera exposé dans la partie muséale dédiée à l’histoire de l’usine. C’est impressionnant de voir Oriol, coordinateur du makerspace, devenu un expert en médiation historique, patrimoniale et même en histoire des techniques et des mouvements sociaux du quartier d’implantation de la Fab Casa del Mig.
Oriol confie que ce projet a changé la vie du makerspace. L’espace de fabrication numérique suscite désormais une fréquentation plus importante du public et un intérêt grandissant chez les édiles qui apprécient des réalisations concrètes d’activités arrimées avec le territoire ! Oriol répète souvent que notre collaboration était un « win-win ». Depuis que je sais qu’Indiana Jones affirme, dans La dernière croisade : « Je suis comme la poisse, j’arrive là où on ne m’attend pas », je suis heureuse de savoir que la comparaison avec mon arrivée comme anthropologue chez les makers s’arrête là !
Notre expérimentation au croisement de la fiction, du dessin et de l’écriture se heurte à une contradiction de taille : nous l’avons réalisé sur un ordinateur et une tablette graphique qui, par leurs conditions de production, les matériaux utilisés et leur obsolescence, remplissent tous les critères des technologies zombies ! Malgré cela, cette exploration multimodale montre la force de la fiction et du dessin, en compléments du texte, pour mettre l’emphase sur un aspect fondamental de ce terrain ethnographique dans un makerspace à Barcelone. Grâce à la fiction, la matérialité est incarnée et le fil narratif se trouve entre les mains des artefacts qui occupent le centre de l’histoire. Le dessin expose la relation entre objets et humains. Il donne une voix aux artefacts et les met en mouvement, tout en informant visuellement les lecteurs et les lectrices sur la place importante des machines et des choses dans les makerspaces. L’illustration trace aussi un trait d’union entre des univers moins disjoints qu’ils n’y paraissent : en effet, la dimension productive et matérielle devient la partie tangible des imaginaires sociotechniques communs entre la fabrication industrielle et numérique.
Parties annexes
Remerciements
Nous remercions toutes les personnes qui ont lu et commenté le texte et les illustrations en vue de les améliorer, à commencer par les évaluatrices et les évaluateurs anonymes de cet article.
Notes
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[1]
Ce terme désigne des espaces de fabrication numérique et d’électronique généralement ouverts au public. La fabrication numérique implique une conception par ordinateur et une réalisation d’objets par des machines : imprimantes 3D, découpeuse laser, brodeuse numérique, etc. Dans cet article, nous utiliserons indifféremment « makerspaces » et « espaces de fabrication numérique ».
-
[2]
Pour en apprendre davantage sur la fabrication numérique à Barcelone et lire une ethnographie plus détaillée de la Fab Casa del Mig, voir l’article « Fabrication numérique à Barcelone : les effets sociopolitiques de la participation lors des Mercredis Makers » paru dans la revue Les enjeux de l’information et de la communication (Lambert 2023b).
-
[3]
Le maker sera défini comme : « un membre de cette nouvelle génération de concepteurs, capables aussi bien de fabriquer des objets en utilisant des outils traditionnels que d’en effectuer la conception sur ordinateur, d’en programmer les fonctionnalités et d’y inclure une partie d’électronique » (Bosqué 2021, 19).
-
[4]
J’emprunte les concepts d’archipélisation à Édouard Glissant (1997) et celui de mises en relations à l’essayiste et romancier Patrick Chamoiseau (1997), tous deux penseurs de la créolité.
-
[5]
Dans ce texte, nous utilisons les mots « illustration » et « dessin » de manière indifférenciée.
-
[6]
J’ai également fait un bref récit de mes propres mésaventures de terrain liées notamment à la pandémie de COVID-19 dans la première partie de cet article : « Ethnographie en période de pandémie et mobilisation des Coronavirus Makers à Barcelone. Le fleurissement des solidarités impromptues », paru dans Anthropologica (Lambert 2023a) en m’inspirant aussi de Yates–Doerr (2020) et Sheild Johansson et Montesi (2021).
-
[8]
CoSpaces est un programme qui permet de créer des environnements en 3D, qu’il est possible de visiter en réalité virtuelle. Une interface simplifiée de code est disponible pour animer les objets.
-
[7]
Les entrevues ont été réalisées par Sandrine Lambert en espagnol (castillan).
-
[9]
Tinkercad est un programme gratuit et en ligne de modélisation 3D.
-
[10]
Sur les révoltes luddites et les bris de machines pendant l’industrialisation, voir aussi (Biagini et Carnino 2010 ; Bourdeau, Jarrige et Vincent 2006 ; Hobsbawm, Rate, et Minard 2006 ; Sale 2006 ; Barrillon 2008 ; Mueller 2021).
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