Abstracts
Résumé
L’auteure examine le traitement de l’incertitude causale dans les affaires de responsabilité médicale décidées par les tribunaux de dernière instance au Canada, en Angleterre et en Australie. Elle se penche notamment sur le raisonnement judiciaire à l’égard de trois concepts particuliers, soit la création ou l’augmentation du risque, la création fautive de l’incertitude causale et la perte de chance.
Une analyse de cette jurisprudence permet de constater que la possibilité de trouver la causalité ou la responsabilité prouvée sur la base de l’augmentation du risque de préjudice par le défendeur est généralement rejetée en matière médicale. Quant au raisonnement permettant d’inférer la causalité lorsque le défendeur possède une connaissance particulière des faits et que, par sa faute, il a rendu impossible l’évaluation du lien causal, il fut marginalement appliqué par la Cour suprême du Canada. Enfin, le texte s’attarde au traitement récent de la perte de chance en matière médicale et constate son rejet par tous les tribunaux d’instance supérieure étudiés.
Cette brève étude montre que, malgré l’expression d’une sensibilité à l’égard des difficultés rencontrées par les demandeurs dans la preuve de la causalité médicale en présence d’incertitude, les approches judiciaires dans les ressorts étudiés demeurent orthodoxes. L’étude permet également de réaliser la place importante que tient le droit comparé dans les décisions récentes des tribunaux supérieurs dans le domaine.
Abstract
In this paper the author discusses the treatment of uncertain causation in medical liability cases decided by the highest courts in Canada, England, and Australia. The author specifically focuses on judicial reasoning with regard to three particular concepts: creation of or increased risk, knowledge of causal facts, and loss of chance.
A review of this case law reveals that these courts generally decline to find causation or liability proven on the basis that the defendant increased the risk of injury. Also marginal are those instances in which causation has been inferred on the basis of the particular knowledge of the defendant. The Supreme Court of Canada has drawn such inferences only where the defendant has particular knowledge of the causal facts and, by his or her own negligence, has rendered the evaluation of the causal link impossible. Finally, this text addresses the recent treatment of loss of chance in medical liability cases, observing that all the courts studied have rejected this approach.
This brief review sheds light on the observation that, despite being sensitive to difficulties plaintiffs face in proving uncertain causation in medical liability cases, the courts studied continue to take orthodox approaches to causation. This study also allows the reader to observe the important place that comparative law has played in the high court decisions rendered in this field.
Article body
I pity the practitioners as well as the academics who have to make sense of our judgments in difficult cases.
Lady Hale, Sienkiewicz c. Greif (UK) Ltd, Cour Suprême du Royaume-Uni, 2011
Introduction
L’effet de l’incertitude scientifique sur la transformation du droit de la responsabilité civile se fait sentir avec acuité en ce qui concerne la preuve de la causalité. Depuis au moins trente ans, l’incertitude scientifique causale et les difficultés probatoires qu’elle engendre préoccupent en effet nos tribunaux et ont été l’occasion pour ces derniers d’envisager le développement d’exceptions aux principes traditionnels du droit de la preuve et de la théorie classique de la responsabilité. C’est le cas notamment dans le contexte de l’indemnisation des préjudices associés aux soins de santé modernes. Le lien entre le préjudice subi et l’acte médical fait en effet couramment l’objet de débats résultant de la complexité scientifique et factuelle des questions posées en raison, par exemple, de l’étiologie incertaine de la condition en cause, de son origine multifactorielle, de l’existence de risques thérapeutiques inhérents, ou du temps écoulé avant la manifestation du préjudice.
Le présent texte s’intéresse, au bénéfice des juristes civilistes, aux développements récents des tribunaux de dernière instance québécois, canadiens, anglais et australiens en matière de causalité médicale. Malgré cet accent, une brève incursion dans le domaine de la responsabilité industrielle anglaise sera nécessaire puisqu’il a inspiré certaines approches avant-gardistes ayant tenté une percée en matière médicale. Enfin, nous porterons notre attention sur le traitement judiciaire de l’incertitude scientifique plutôt que de l’incertitude purement factuelle, bien que cette distinction ne soit pas aisée et que ces deux types d’incertitude se chevauchent fréquemment[1]. Les approches judiciaires en réponse à l’incertitude causale dans les ressorts étudiés tendent à être orthodoxes. Pourtant, les juges se disent sensibles aux difficultés rencontrées par les demandeurs dans la preuve de la causalité médicale[2]. La Cour suprême du Canada exprime à plusieurs reprises la nécessité d’éviter d’être trop rigide dans l’évaluation de cette condition et invoque l’indépendance judiciaire relativement à la preuve scientifique[3]. Tout comme la Chambre des Lords — maintenant la Cour suprême du Royaume-Uni —, elle souligne que la précision mathématique ou scientifique n’est pas requise dans l’évaluation du lien causal[4]. De plus, la Cour suprême du Royaume-Uni a récemment pris ses distances quant à la preuve épidémiologique, l’acceptant comme un élément de preuve parmi d’autres, mais refusant de lui faire jouer un rôle central dans l’évaluation du lien causal[5]. La Cour suprême du Canada est également d’avis que le juge, bien qu’influencé par ceux-ci, n’est pas lié par les avis d’experts scientifiques exprimés « sous forme de probabilités statistiques ou d’échantillonnages »[6]. Elle justifie sa position par le fait que « [l]es conclusions scientifiques ne sont pas identiques aux conclusions juridiques » et que la causalité n’a pas à être déterminée avec une précision scientifique[7]. En Australie, la High Court observe elle aussi que l’on doit distinguer la causalité juridique de la causalité scientifique[8].
Les sections qui suivent examinent trois tendances envisagées par les plus hauts tribunaux des ressorts étudiés comme techniques possibles pour venir en aide aux victimes aux prises avec des difficultés de preuve du lien de causalité en matière médicale. Dans un premier temps, nous nous intéressons au rôle que le concept de risque joue dans l’évaluation judiciaire de la causalité (I). Nous abordons ensuite l’évaluation causale basée sur la connaissance particulière des faits par le défendeur et la création fautive de l’incertitude causale (II). Enfin, nous nous pencherons sur les développements récents concernant le concept de perte de chance médicale[9] (III). En plus de démontrer la réserve judiciaire à l’égard de ces approches, l’étude révèle une interaction fascinante entre les traditions juridiques et un phénomène que l’on observe plutôt rarement, soit une influence de la doctrine et de la jurisprudence civilistes sur les décisions des tribunaux de common law.
I. La causalité basée sur le risque
Une première technique est fondée sur le fait que le défendeur a créé ou augmenté le risque de préjudice pour le demandeur et que ce risque s’est réalisé. Ce raisonnement controversé est envisagé de façon distincte selon les ressorts. Au Canada, en Australie et au Québec, la création et l’augmentation du risque furent considérées comme le fondement possible de présomptions ou d’inférences de fait ou légales. En Angleterre, on traite le raisonnement basé sur l’augmentation du risque comme une adaptation du test de la causalité nécessitée par des considérations d’équité[10] ou comme un moyen de fonder une responsabilité sans causalité[11]. La Chambre des Lords s’oppose en effet à ce que l’on puisse, en présence d’incertitude causale, tirer des inférences que la preuve médicale n’appuie pas. Il s’agit ici d’une distinction importante entre les approches canadiennes et anglaises; la Cour suprême du Canada ne fait pas de cas de l’absence d’appui scientifique à une inférence de causalité[12].
A. Droit anglais : la naissance d’un concept
L’approche qui considère qu’une contribution « matérielle » (ou « substantielle ») au risque de préjudice pour la victime est suffisante pour prouver la causalité est née de la jurisprudence anglaise en matière de maladies industrielles[13]. Elle servit à l’origine, dans McGhee c. National Coal Board[14], à accorder une indemnisation à un travailleur ayant développé une dermatite en raison d’une exposition à de la poussière de brique. Son employeur avait fautivement omis de fournir des douches sur les lieux du travail avec, pour conséquence, que les travailleurs devaient attendre de rentrer chez eux avant de se débarrasser de la poussière de brique couvrant leur corps. L’étiologie incertaine de la dermatite ne permettait pas de déterminer si cette maladie pouvait résulter d’une accumulation d’abrasions sur la peau ou plutôt d’une seule abrasion, auquel cas la prise d’une douche sur les lieux de travail n’aurait probablement rien changé au cours de choses. Le test de causalité usuel en common law, le but-for test[15] (ou « test du facteur déterminant »), n’était donc pas rencontré selon la balance des probabilités. Pour les mêmes raisons, il était également impossible de déterminer si la faute de l’employeur avait contribué matériellement à la production du préjudice[16]. Par conséquent, la seule preuve disponible était que l’absence de douche avait augmenté le risque de développer une dermatite. En raison des circonstances particulières de cette affaire, la majorité de la Chambre des Lords accepte cette preuve comme suffisante pour démontrer la causalité[17]. Lord Reid et Lord Salmon sont d’opinion que lorsqu’il est impossible scientifiquement de prouver la causalité, aucune distinction utile n’existe entre la contribution matérielle au risque de préjudice et la contribution matérielle au préjudice lui-même[18]. Justifiant cette position, Lord Reid précise que le concept de causalité juridique n’est pas basé sur la logique ou la philosophie, mais sur le fonctionnement de l’esprit de l’homme ordinaire au quotidien[19].
Alors qu’au Canada et en Australie on interprète McGhee comme inférant la causalité sur la base de l’augmentation du risque, la Chambre des Lords s’oppose à une telle interprétation, insistant sur le fait qu’on ne puisse tirer des inférences que la preuve médicale n’appuie pas[20]. Seul Lord Hutton diverge, croyant que l’approche de McGhee est fondée sur une inférence judiciaire factuelle ou légale[21]. L’interprétation dominante au Royaume-Uni est que le recours dans McGhee au concept d’« augmentation matérielle du risque » constitue une nouvelle approche de la causalité nécessitée par des considérations d’équité[22]. Elle s’appliquerait en présence d’un seul agent de risque et de deux causes alternatives possibles du préjudice, une fautive et une innocente, émanant toutes deux d’un seul défendeur fautif, dans des circonstances où il est impossible d’identifier laquelle de ces causes a effectivement causé le préjudice.
Plusieurs années plus tard, cette approche est appliquée dans Fairchild c. Glenhaven Funeral Services, mettant en cause un problème de « causalité alternative »[23] en présence de plusieurs défendeurs fautifs. Trois travailleurs avaient développé un mésothéliome après des périodes de travail successives auprès de différents employeurs lors desquelles ils avaient été exposés fautivement à des fibres d’amiante[24]. Bien que cette maladie soit manifestement causée par l’amiante, la preuve médicale disponible au moment de l’affaire ne permettait pas de démontrer si une seule exposition à la fibre d’amiante à n’importe quel moment avait pu causer cette maladie. Par conséquent, il était possible, bien qu’incertain, qu’une seule période d’exposition à l’agent auprès d’un seul employeur ait causé la totalité du préjudice[25]. En d’autres termes, un des deux défendeurs avait assurément causé la maladie, mais il était impossible de déterminer lequel[26]. La Chambre de lords accepte cependant comme suffisante la preuve selon laquelle chaque défendeur a matériellement augmenté le risque (ou « substantiellement contribué au risque », selon Lord Hoffmann) de développer le mésothéliome en exposant fautivement les demandeurs à l’amiante. Cette approche est décrite comme une « adaptation » du test de la causalité pour des raisons d’équité[27]. Son application est cependant strictement limitée[28]. Lord Rodger la limite à deux situations, soit celle dans laquelle le préjudice découle d’un seul agent de risque émanant de la conduite fautive d’au moins un défendeur (comme dans Fairchild) et celle où les différentes causes du préjudice, fautives et innocentes, proviennent d’un seul défendeur (comme dans McGhee). Lord Hoffmann impose quant à lui cinq conditions : (i) un devoir existe dans le but spécifique de protéger les employés contre une exposition non nécessaire au risque de développer une maladie particulière; (ii) le devoir crée un droit d’obtenir l’indemnisation du préjudice relié à sa contravention; (iii) plus l’exposition à l’agent du dommage est importante, plus grand est le risque de contracter la maladie; (iv) sauf dans les cas où il n’y a eu qu’une seule exposition significative à l’amiante (l’agent du dommage), la science médicale ne peut prouver « quel amiante » (c’est-à-dire provenant de quel défendeur) a plus probablement que non causé la maladie; et (v) l’employé a contracté la maladie contre laquelle il aurait dû être protégé[29].
Subséquemment, dans Barker v. Corus[30], la Chambre des Lords est allée plus loin en appliquant ce raisonnement à un cas similaire, mais dans lequel une source additionnelle non fautive d’exposition à l’amiante était présente[31]. Elle a toutefois tenu les employeurs défendeurs responsables proportionnellement au risque qu’ils ont respectivement créé afin d’adoucir the roughness of justice engendrée par une règle de responsabilité conjointe et solidaire[32]. Ce faisant, Lord Hoffman qualifie le préjudice comme étant le risque créé[33]. La règle énoncée dans Barker fut cependant par la suite abolie par l’article 3 du Compensation Act 2006 qui rétablit la responsabilité conjointe et solidaire de Fairchild[34]. Notons que les problèmes de causalité alternative constatés dans Fairchild sont aisément réglés en common law canadienne par un renversement du fardeau de la preuve à certaines conditions énoncées dans Cook c. Lewis[35], une solution codifiée en droit québécois à l’article 1480 du Code civil du Québec. Jamais ce type d’analyse n’a été appliqué en responsabilité médicale anglaise et Lord Hoffmann et Lord Walker spécifient dans Barker que cette approche ne peut être étendue à de telles affaires[36]. En effet, les caractéristiques (et considérations de politiques générales) la justifiant en matière de maladies industrielles ne sont pas présentes dans les cas médicaux. Les problèmes d’incertitude causale dans ces affaires ne sont habituellement pas des problèmes de « causalité alternative » (comme dans Fairchild), c’est-à-dire des difficultés à attribuer l’agent coupable du dommage à un défendeur plutôt qu’à un autre. De plus, les litiges médicaux mettent habituellement en cause plusieurs agents de risques distincts et de différente nature provenant de sources multiples dont certaines sont indépendantes du comportement du défendeur. Par exemple, dans Wilsher c. Essex AHA[37], décidée avant les affaires Fairchild et Barker, le nouveau-né demandeur, prématuré, avait souffert de fibroplasie rétrocristallinienne causant sa cécité à la suite d’une trop grande administration d’oxygène dans son sang, causée par l’installation fautive d’un cathéter dans une artère plutôt qu’une veine. Cette faute avait augmenté le risque de souffrir de cette condition, auquel le bébé était cependant déjà soumis vu sa prématurité. Le préjudice pouvait donc résulter d’autres causes possibles associées à la prématurité et indépendantes de la faute du médecin-défendeur[38]. La Chambre des Lords insista pour que seules les règles traditionnelles relatives à la causalité trouvent application[39]. La validité de l’exclusion du raisonnement basé sur le risque dans les cas comme Wilsher, où des agents distincts de risque opèrent sans qu’il ne soit possible de déterminer lequel a véritablement causé le préjudice, a été réitérée dans Fairchild[40] et confirmée par la Chambre des Lords en 2004 dans Gregg v. Scott[41].
La distinction entre agent unique et agents multiples du préjudice semble désormais douteuse depuis la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni dans Sienkiewicz c. Greif[42]. Dans le cadre de ce recours, intenté par un travailleur souffrant de mésothéliome après une exposition professionnelle à l’amiante, la Cour suprême du Royaume-Uni a étendu la règle de Fairchild à une situation dans laquelle un seul défendeur-employeur était en cause et où les autres sources d’exposition à l’amiante étaient environnementales[43]. Plus précisément, la preuve statistique indiquait dans cette affaire que le défendeur avait augmenté, à hauteur de dix-huit pour cent, un risque déjà existant de contracter un mésothéliome dû à l’exposition environnementale[44]. Cette affaire ne risque toutefois pas de changer la position adoptée dans le domaine de la responsabilité médicale, même si sur le strict plan de la logique cela pourrait être le cas[45]. Sienkiewicz concerne, comme McGhee et Fairchild, la présence d’un agent de risque unique, l’amiante. De plus, le langage utilisé par certains juges laisse entrevoir une volonté, certes arbitraire, de restreindre l’applicabilité de la règle aux cas de mésothéliomes. Cependant, il faut admettre que Sienkiewicz c. Greif marque un élargissement de l’application du raisonnement basé sur l’augmentation du risque aux cas pour lesquels il existe des explications alternatives fautives et non fautives de la cause du préjudice, situation typique des affaires de responsabilité médicale.
Les approches développées dans McGhee et Fairchild ont laissé leur marque en droit canadien, bien que la Cour suprême en restreigne substantiellement l’application.
B. Droit québécois : la fréquentation puis le rejet
À la suite de certaines décisions de juges de la Cour d’appel du Québec[46], la Cour suprême du Canada met explicitement de côté le concept d’augmentation du risque comme fondement de l’évaluation causale en responsabilité médicale dans St-Jean c. Mercier[47]. Dans cette affaire, le demandeur avait été heurté par une automobile circulant à 90 km/h. Il fut immédiatement opéré par le défendeur, un chirurgien orthopédique. Bien que ce dernier soupçonna une fracture à la vertèbre D7, il conclut que cette fracture était soit stable, soit bénigne et qu’il pouvait procéder à la chirurgie. Deux jours plus tard, le patient commença cependant à démontrer des signes de déficit neurologique. Après avoir obtenu son congé de l’hôpital, il consulta un neurochirurgien qui diagnostiqua une paraparésie.
Le demandeur ne réussit pas à convaincre la Cour suprême du Canada que cette paraparésie fut causée par l’omission fautive du défendeur d’ordonner son immobilisation et de demander des tests neurologiques qui auraient pu confirmer la fracture vertébrale. La Cour suprême du Canada préféra le témoignage des experts du défendeur selon lequel le dommage neurologique était complet au moment où le patient fut admis à l’hôpital, mais que ses manifestations avaient été retardées et que, par conséquent, l’accident était seul responsable du préjudice subi[48]. En obiter, le juge Gonthier traite de la possibilité de présumer la causalité sur la base du fait que le défendeur a créé un risque et que le préjudice a été subi dans l’aire du risque crée. Refusant d’adopter cette position, il laisse entendre que les seules présomptions judiciaires possibles sont celles permises par l’article 2849 du Code civil du Québec, c’est-à-dire les présomptions de fait basées sur l’évaluation discrétionnaire de la preuve par le juge :
[I]l ne suffit pas de montrer que le défendeur a créé un risque de préjudice et que le préjudice s’est ensuite réalisé dans l’aire de risque ainsi créée. Dans la mesure où cette notion est un moyen de preuve distinct comportant une norme moins exigeante à satisfaire, l’arrêt Snell et sans aucun doute l’arrêt Laferrière [...] auraient dû mettre fin à ces tentatives de contourner les règles de preuve traditionnelles selon la prépondérance des probabilités[49].
Il estime que cette technique constitue une tentative inacceptable de contourner le standard de preuve adopté en droit québécois, soit la prépondérance de preuve[50] héritée de la common law[51]. Le juge Gonthier profita également de cette décision pour corriger l’interprétation d’une opinion qu’il avait énoncée en 1990 dans Laferrière c. Lawson. En conclusion de ce jugement portant sur la perte de chance, il avait écrit : « Dans certains cas, lorsqu’une faute comporte un danger manifeste et que ce danger se réalise, il peut être raisonnable de présumer l’existence du lien de causalité, sous réserve d’une démonstration ou d’une indication contraire » [nos italiques][52]. Subséquemment, plusieurs tribunaux inférieurs s’étaient appuyés sur cet énoncé pour présumer la causalité en présence, souvent, d’une simple création de risque[53]. Le juge Gonthier rectifia le tir en soutenant que :
Cet énoncé ne fait que répéter la règle traditionnelle applicable aux présomptions, et ne crée pas d’autres moyens de preuve en droit civil québécois relativement à l’établissement d’un lien de causalité. La Cour d’appel a eu raison de considérer que cet extrait avait trait aux présomptions dans le cadre des règles traditionnelles de causalité[54].
Pour le juge Gonthier, la référence à la création d’un danger n’est justifiée que dans le contexte de l’évaluation de présomptions de fait, donc comme un élément de fait parmi d’autres pouvant justifier une présomption. Les réserves invoquées par le juge Gonthier dans St-Jean c. Mercier sont donc liées à une interprétation stricte des présomptions que le pouvoir judiciaire peut légitimement reconnaître, ces dernières étant restreintes, selon lui, aux présomptions de fait inspirées de l’ensemble de la preuve[55]. Une telle position orthodoxe transparaît de la jurisprudence canadienne de common law.
C. Droit canadien : un rejet inspiré du droit civil
La common law canadienne, à la suite de St-Jean c. Mercier, abandonne une pratique qui s’était répandue dans les décisions de certaines cours d’appel provinciales au lendemain de McGhee. Sur la base de cet arrêt, certains tribunaux admettent en effet que l’augmentation matérielle d’un risque puisse servir de fondement à une inférence de causalité. Cette position trouvait généralement appui sur un énoncé célèbre du juge Sopinka dans Snell c. Farrell selon lequel le juge peut inférer la causalité de la preuve, en se fondant sur le « bon sens » (common sense), même en l’absence d’une preuve positive ou scientifique de celle-ci[56]. Le juge Sopinka écrivait :
[I]l n’est pas essentiel d’obtenir une opinion médicale positive pour justifier une conclusion de causalité. En outre, ce n’est pas faire des conjectures mais appliquer le bon sens que de faire une telle déduction lorsque, comme en l’espèce, les circonstances, autres qu’une opinion médicale positive, le permettent[57].
Il ajouta que la raison à cela tient principalement aux différents standards en vertu desquels la science et le droit évaluent la causalité[58]. Ces affirmations furent depuis réitérées en tout ou en partie maintes fois par les tribunaux canadiens, dont récemment par la Cour suprême du Canada dans Ediger c. Johnston[59].
Malgré le langage civiliste de St-Jean c. Mercier, certains tribunaux des provinces de common law l’acceptent comme l’autorité en la matière[60], fermant ainsi la porte à la possibilité de recourir à l’augmentation du risque comme fondement d’une inférence de causalité. Bien que la décision dans St-Jean cite l’affaire de common law Snell c. Farrell, elle est cependant essentiellement fondée sur des considérations civilistes concernant le pouvoir du juge de créer des règles de droit substantielles portant sur la causalité. Tel que nous l’avons vu, la Cour suprême y exprime des réserves non pas à l’égard des présomptions ou indices inspirés de l’ensemble de la preuve, mais plutôt quant à la création prétorienne de règles juridiques permettant de démontrer la causalité par la seule augmentation du risque[61]. Cette vision restrictive du rôle du juge peut s’expliquer par la lettre du Code civil du Québec selon laquelle les présomptions légales sont uniquement celles qui découlent de la « loi » et donc, selon une certaine interprétation, d’un « texte de loi »[62]. Une doctrine contemporaine à l’arrêt, non citée mais l’ayant sans doute inspiré[63], veut que le juge civiliste n’ait pas la discrétion de développer des présomptions de type « légales », basées sur des postulats généraux prédéterminés érigés en règles juridiques. Les présomptions judiciaires seraient donc restreintes selon St-Jean c. Mercier à celles fondées sur des inductions basées sur les faits particuliers de chaque espèce. L’influence de cet arrêt sur le raisonnement judiciaire de common law peut donc surprendre puisque ces limites, si elles peuvent être légitimement invoquées en droit québécois, ne semblent pas s’appliquer en common law où le juge est libre de telles créations.
La jurisprudence subséquente de la Cour suprême du Canada confirme cette impression. En 2007, dans Hanke c. Resurfice Corp[64], la Cour a affirmé fermement que la causalité doit être prouvée en vertu du test du facteur déterminant)[65], en particulier dans les affaires impliquant des causes multiples. En obiter, elle énonça, s’appuyant sur une de ses décisions antérieures[66], que le test du facteur déterminant peut être remplacé dans certains cas exceptionnels et pour des raisons d’équité, par le test de la « contribution appréciable » (material contribution)[67]. L’application de cette approche alternative est restreinte, dans un premier temps, aux cas où il est impossible pour le demandeur de prouver au moyen du test du facteur déterminant que la négligence du défendeur lui a causé un préjudice. Cette impossibilité doit être attribuable à des facteurs qui échappent au contrôle du demandeur; par exemple, les limites de la science[68]. Dans un deuxième temps, il doit être clair que le défendeur a manqué à une obligation de diligence envers le demandeur, l’exposant ainsi à un risque de préjudice déraisonnable, et que le demandeur doit avoir subi le type de préjudice en question. En d’autres termes, le préjudice causé au demandeur doit découler du risque créé par le manquement du défendeur[69].
Cet obiter a soulevé des débats sur lesquels nous ne nous attarderons pas. Soulignons brièvement qu’on a pu légitimement se demander si cette décision, en raison de la formulation de la deuxième condition, permet dans les cas visés d’inférer la causalité sur la base d’une simple contribution appréciable au risque de préjudice par le défendeur. Des décisions subséquentes de tribunaux inférieurs précisent cependant que la Cour suprême du Canada n’a pas voulu modifier l’état du droit canadien sur la question et réaffirment la prédominance du test du facteur déterminant en responsabilité médicale canadienne[70]. De plus, les tribunaux appliquent subséquemment l’exigence d’impossibilité de preuve restrictivement. Ils rappellent, par exemple, que le fait que la théorie de causalité du demandeur soit difficile à prouver ou que les parties aient présenté des théories divergentes n’est pas une base suffisante pour faire exception au test du facteur déterminant[71]. Enfin, le ratio de St-Jean c. Mercier continue d’être accepté par les tribunaux de common law après Resurfice c. Hanke[72].
En juin 2012, la Cour suprême du Canada précise dans Clements c. Clements[73], que la condition d’impossibilité de preuve ne s’applique que dans les cas où il est véritablement impossible de déterminer ce qui a causé le préjudice, notamment — selon la Cour — lorsqu’il est impossible de prouver ce qu’une personne particulière aurait fait en l’absence de faute[74] et dans les cas posant des problèmes de causalité alternative[75] impliquant une pluralité de défendeurs fautifs, comme dans Fairchild[76]. De plus, elle affirme que la deuxième condition posée par Resurfice réfère bel et bien au test de la contribution appréciable au risque et non au préjudice. Dans les cas d’impossibilité de preuve susmentionnés, on trouvera les deux défendeurs responsables conjointement et solidairement sur le fondement de leur augmentation respective du risque de préjudice. Cette décision est surprenante en ce qui concerne son application aux cas de causalité alternative puisque la common law canadienne avait déjà une solution à cette difficulté depuis 1951, soit le renversement du fardeau de la preuve[77].
En Australie, la High Court expérimente elle aussi le raisonnement fondé sur l’augmentation du risque en responsabilité médicale, démontrant à son égard une certaine ouverture qui s’apparente à celle du juge Gonthier dans St-Jean c. Mercier.
D. Droit australien : admissibilité discrétionnaire
Dans Naxakis c. Western General Hospital[78], la High Court se penche sur un retard dans le diagnostic d’une rupture d’anévrisme subie par un écolier ayant reçu un coup à la tête. Les juges Callinan et Gaudron y approuvent la position[79] voulant que lorsque la faute du défendeur a augmenté le risque de préjudice et que ce risque se réalise, la conduite du défendeur ait matériellement contribué au préjudice, à moins de preuve contraire, et ce, même si d’autres facteurs ont aussi participé au risque[80]. Dans une telle situation, la juge Gaudron ajoute que le juge des faits — ici le jury — est justifié de conclure que l’acte ou l’omission a causé le préjudice, à moins que le défendeur ne prouve que sa conduite n’a eu aucun effet ou que le risque se serait réalisé et aurait mené au même préjudice de toute façon. Des décisions de tribunaux inférieurs ont par la suite interprété cet énoncé comme laissant à la discrétion du juge des faits la décision d’inférer la causalité sur cette base[81].
Le concept de création ou d’augmentation du risque comme moyen permettant de faciliter l’évaluation du lien de causalité en matière médicale reste donc d’application très marginale et est, en général, rejeté par les tribunaux de dernière instance. Il est intéressant de noter, à cet égard, l’interaction entre les deux traditions juridiques étudiées. La technique envisagée ici résulte de l’influence d’affaires anglaises sur le raisonnement judiciaire non seulement australien et canadien, mais également québécois. De plus, on note l’influence que les développements de droit civil québécois ont sur la jurisprudence de common law canadienne dans ce domaine.
II. Création fautive de l’incertitude causale
Une autre technique ayant fait surface principalement en common law canadienne introduit un raisonnement très intéressant essentiellement basé sur l’équité. Elle énonce que si la faute du défendeur a causé l’incertitude causale et que le défendeur est la partie la mieux placée pour expliquer la chaîne des évènements, le juge peut présumer la causalité sur cette base. Cette technique, qui n’est pas nouvelle[82], est appliquée par la Cour suprême du Canada en 1990. Dans l’affaire Snell c. Farrell[83], aucun des experts scientifiques n’avait été en mesure de déterminer la cause d’une atrophie du nerf optique dont la patiente avait souffert après une chirurgie visant à lui retirer une cataracte. Après l’anesthésie, l’ophtalmologue-défendeur continua fautivement la procédure malgré la présence d’un saignement rétrooculaire. Ce n’est que neuf mois plus tard, lorsque le sang dans l’espace entre la rétine et la face postérieure du cristallin se fut dégagé, que le défendeur constata la perte de la vision de l’oeil gauche de sa patiente. Une des causes de l’atrophie du nerf optique ayant entraîné ce préjudice pouvait être la survenance d’une hémorragie rétrooculaire dont l’existence n’était pas déterminée, dans ce cas-ci, mais qui avait pu survenir par la faute du défendeur. L’atrophie pouvait toutefois aussi découler d’autres conditions dont souffrait la patiente, soit le glaucome, l’hypertension et le diabète. S’inspirant des écrits de Wigmore, le juge Sopinka a accepté d’inférer la causalité, se fondant sur le fait que le défendeur possédait une connaissance particulière des faits et que, dans ces cas, « il suffit de très peu d’éléments de preuve affirmative de la part du demandeur pour justifier une déduction de causalité en l’absence de preuve contraire »[84]. Le juge Sopinka s’est également appuyé sur le fait qu’en poursuivant fautivement l’intervention, le défendeur a rendu impossible, pour sa patiente ou pour toute autre personne, de déceler le saignement qui aurait causé, selon la demande, le préjudice[85].
Une telle décision aurait dû marquer l’imaginaire juridique. Cette partie du jugement, pourtant la ratio decidendi de celui-ci, passe toutefois presque inaperçue dans la jurisprudence subséquente. On n’en trouve la trace que dans quelques jugements canadiens et québécois[86], et jamais la Cour suprême ne revient sur cet aspect central de la décision qui offre pourtant une justification prometteuse pour une inférence de causalité, de nature probablement légale, basée sur l’équité en matière probatoire[87]. Seule sa décision de 2013 dans l’affaire Ediger c. Johnston y fait succinctement — et vaguement — allusion lorsque, citant Snell c. Farrell, les juges Rothstein et Moldaver écrivaient que « [p]our déterminer si la preuve déposée par le défendeur [pour contrer une inférence qui lui est défavorable] est suffisante, le juge des faits doit tenir compte de la preuve que chaque partie est en mesure de produire »[88].
Une dernière approche, le recours à la perte de chance en matière de responsabilité médicale, a fait couler beaucoup d’encre ces dernières années en raison de décisions anglaises et australiennes majeures la rejetant, non sans quelques nuances et dissidences.
III. Des nouvelles de la perte de chance médicale
A. Rejet catégorique du la Cour suprême du Canada... en droit civil québécois
La question est limpide en droit civil québécois : la perte de chance en matière médicale est rejetée par la Cour suprême du Canada. Cette dernière refuse, dans Laferrière c. Lawson[89], de la traiter comme un type de préjudice, la considérant plutôt comme un moyen injustifié de détourner l’absence de preuve de la causalité selon la prépondérance des probabilités. Dans cette affaire, la patiente était décédée à la suite de l’omission du défendeur de l’informer des résultats d’une biopsie ayant démontré qu’elle avait un cancer du sein. Il fut cependant établi qu’elle avait moins de 50 pour cent de chances de survie au moment de la commission de cette faute. Le refus d’admettre l’indemnisation de la perte de chance dans cette affaire est basé sur une intéressante revue de droit comparé portant une attention particulière aux écrits des juristes québécois, français et belges. Pour la Cour, un raisonnement basé sur la perte de chance est admissible seulement dans les cas exceptionnels d’évaluation de pertes futures ou hypothétiques lorsqu’aucun facteur causal autre que la faute du défendeur ne peut être identifié, ou dans le cas de la perte d’un billet de loterie lorsque le préjudice ne peut être compris que « sous le rapport de probabilités ou de statistiques » et où il est « presque impossible de dire si la chance se serait réalisée et comment cela se serait produit »[90]. Le juge Gonthier, pour la majorité, refuse d’appliquer le raisonnement aux cas où il existe des doutes sérieux sur le rôle causal du défendeur en présence d’autres facteurs de causalité identifiables :
Même si notre compréhension des matières médicales est souvent limitée, je ne suis pas prêt à conclure qu’il faut, pour les fins de la causalité, traiter les états médicaux particuliers comme l’équivalent d’éléments diffus de pure chance, semblables aux facteurs indéterminés du destin ou du hasard qui influent sur le résultat d’une loterie [nos italiques][91].
Le droit québécois n’aurait d’ailleurs nul besoin de cette technique — au contraire du droit français — en raison de son standard de preuve plus flexible qui n’exige que la prépondérance des probabilités[92]. Par contre, la Cour suprême du Canada accepte dans cette affaire d’indemniser la patiente pour sa perte de qualité de vie, et l’augmentation de ses souffrances, angoisses et frustrations[93]. Cette concession bénéficie subséquemment aux demandeurs dans les cas d’omission ou de délai de traitement lorsque les experts ne sont pas en mesure de déterminer ce qu’aurait été la progression de la maladie s’il y avait eu traitement ou lorsqu’il est démontré que celle-ci aurait connu la même évolution[94].
La common law canadienne, après Lawson, considère le dossier clos : la perte de chance n’est pas admissible en responsabilité médicale pour pallier les difficultés de preuve de la causalité[95]. Encore une fois[96], les tribunaux de common law, sans doute séduits par la clarté de la position adoptée, ne font aucun cas du fait que la décision est basée sur une étude exhaustive de la doctrine de droit civil. Il faut admettre cependant que dans la mesure où la position énoncée dans Laferrière c. Lawson est justifiée par le désir de ne pas passer outre au standard déjà flexible et généreux de la balance des probabilités, l’adoption de la position se justifie similairement en common law d’où est issu ce standard de preuve incorporé en droit québécois.
La clarté du droit canadien contraste avec les hésitations du droit anglais et son rejet « nuancé » de la perte de chance en matière médicale.
B. Angleterre : rejet... avec dissidence
En Angleterre, après avoir évité la question[97], la Chambre des Lords se prononce enfin en 2004 directement sur la question dans Gregg v. Scott, et rejette l’utilisation de la perte de chance... dans ce cas-ci[98]. La décision est toutefois ponctuée de fortes dissidences de Lord Nicholls et de Lord Hope[99]. De plus, le patient, affligé d’un cancer, avait survécu à ce dernier et était vivant au moment du jugement. Il n’avait donc pas complètement perdu ses chances comme ce fut le cas de la patiente dans Laferrière. Le défendeur avait omis fautivement de diagnostiquer une masse cancéreuse sous le bras de son patient, retardant de neuf mois le traitement. Ce retard permit à la tumeur de grossir et à la maladie de s’étendre ailleurs, réduisant les chances de survie du patient pendant dix ans sans morbidité de 42 pour cent au moment de la consultation, à 25 pour cent à la date du procès.
Citant la décision de droit civil québécois Laferrière c. Lawson, Lord Hoffmann affirme que le principe de la perte de chance n’a aucune application à moins que cette perte puisse manifestement être attribuée à la faute du défendeur, ce qui n’est pas selon lui le cas ici puisque les chances du patient d’être guéri au moment de la faute étaient de moins de 50 pour cent[100]. De plus, l’adoption d’un standard de preuve basé sur la possibilité d’un lien de causalité, plutôt que sa probabilité est, pour Lord Hoffmann, si éloigné de l’état actuel du droit qu’elle constituerait un acte législatif réservé au Parlement[101]. À l’appui de cette conclusion, il prend en considération les conséquences que cette adoption pourrait avoir sur les compagnies d’assurance et le système de santé public anglais, le National Health System[102]. Baroness Hale of Richmond s’inquiète quant à elle de la possibilité que toute affaire puisse être reformulée en termes de perte de chance[103]. De plus, elle exprime des réserves quant à la possible coexistence du standard de la balance de probabilités et de la perte de chance. En effet, cette coexistence pourrait selon elle permettre au demandeur de recouvrer 100 pour cent de son préjudice s’il réussit à rencontrer le standard de preuve selon la balance de probabilités, tout en obtenant une indemnisation réduite pour sa perte de chance lorsque ce standard n’est pas rencontré[104]. Par contre, si l’on devait conclure que les deux approches ne peuvent coexister, les demandeurs qui, sous la balance des probabilités, obtiennent une réparation entière ne pourraient qu’obtenir une réparation proportionnelle. Cette réalité constitue, pour Baroness Hale, un recul et complique la preuve d’expert[105]. Quant à lui, Lord Phillips réaffirme sa confiance envers le standard de la balance de probabilités et refuse de porter atteinte à la cohérence de la common law par le développement de tests particuliers de causalité servant à faire face à l’injustice de certaines situations particulières[106]. Il se montre toutefois prêt à certaines concessions et considère que l’indemnisation pour la perte de chance est admissible lorsque le préjudice final — ici l’absence de survie sans maladie pendant dix ans — est survenu, mais pas lorsqu’il est toujours prospectif, comme dans le cas présent[107]. L’objection de la Cour à la perte de chance, ponctuée des concessions de Lord Phillips, n’est toutefois pas unanime.
Lord Nicholls, dans une dissidence étoffée[108], croit qu’un recours est essentiel dans un cas comme celui-ci. Il considère la règle du « tout ou rien », associée au standard de preuve selon la balance des probabilités, adéquate pour la détermination d’évènements survenus dans le passé. Il la critique toutefois comme étant irrationnelle et non défendable dans les cas de détermination de possibilités futures et de ce qui serait arrivé dans le futur en l’absence d’un évènement survenu dans le passé[109]. Il affirme que peu importe que la perte de la chance de guérison soit au-dessus ou au-dessous de 50 pour cent, le patient a perdu quelque chose ayant une valeur, la perte d’une chance de guérison de 45 pour cent n’étant pas moins réelle que la perte d’une chance de 55 pour cent[110]. Refuser l’indemnisation dans le second cas viderait de substance le devoir du médecin envers son patient chaque fois que cette chance est sous la barre des 50 pour cent + 1[111]. Il impose toutefois des conditions, étant conscient des possibilités de responsabilité illimitée (« floodgates ») et du danger d’augmenter le fardeau financier du système de santé publique. Il limite l’application de la perte de chance aux cas où les chances de guérison du patient sont marquées par un degré important d’incertitude médicale; où le patient souffre déjà d’une maladie ou d’un accident au moment de la faute (et, donc, l’essence du devoir du médecin est de l’aider à tenter sa chance d’éviter le préjudice); et où le patient a une chance raisonnable de guérison à ce moment dont la diminution est significative[112]. Le rejet de la Chambre des Lords est donc récent et non unanime. De façon similaire, en Australie, la High Court a attendu jusqu’en 2010 avant d’émettre une opinion ferme sur l’admissibilité de la perte de chance en matières médicales.
C. Australie : rejet en 2010... inspiré du droit civil
L’Australie rejeta aussi la technique en 2010 dans l’affaire Tabet c. Gett[113], après avoir abordé la question en 1999, en obiter, dans Naxakis c. Western General Hospital[114]. Dans cette dernière affaire, le juge Callinan, dans un jugement ordonnant un nouveau procès, accorde un rôle à la perte de chance pourvu qu’elle ne soit pas éloignée (remote) ou très mince, mais plutôt réelle et of some substance, même si elle se situe sous la barre des 50 pour cent. Dans le cas contraire cependant, la balance des probabilités trouve application et le patient doit être indemnisé entièrement[115]. La juge Gaudron, quant à elle, observe que, d’un point de vue philosophique ou logique, définir le préjudice comme constituant la perte d’une chance est correct et que la règle du tout ou rien à laquelle mène le standard de preuve selon la balance de probabilités produit, au mieux, a rough justice[116]. Elle exprime cependant des réserves. Entre autres, elle souligne la difficulté d’évaluer la valeur de la chance, un exercice qu’elle croit fondé sur la spéculation et l’analyse statistique et qui ne dit rien sur la chance personnelle qu’avait le patient[117]. Elle signale également que le recours à la perte de chance pourrait jouer contre le demandeur dans les cas où cette chance est de plus de 50 pour cent[118]. Enfin, elle considère que les problèmes de preuve de la causalité en matière médicale ont été exagérés et que le concept de perte de chance n’est pas nécessaire pour les surmonter[119].
En 2010, Tabet c. Gett vient mettre un frein à certaines décisions des tribunaux d’appel (entre autres des états de Victoria et du New South Wales[120]) ayant accepté l’introduction de ce concept en responsabilité médicale. Dans cette affaire, une fillette de six ans, atteinte d’une tumeur au cerveau, avait subi un dommage cérébral suite à l’omission fautive du médecin-défendeur d’ordonner un tomodensitogramme (CT scan). Cette omission avait causé un retard d’une journée dans le diagnostic de la tumeur. Pendant cet intervalle, la situation de la patiente s’était détériorée. Atteinte d’un dommage cérébral irréversible, elle poursuivit le médecin l’ayant traitée. Il n’y avait cependant aucune preuve permettant de déterminer si un traitement plus hâtif aurait pu éviter ou diminuer l’atteinte cérébrale. Le juge de première instance estima néanmoins que la preuve médicale démontre que, plus le retard est important entre la détérioration et l’intervention neurochirurgicale, plus probable devient le dommage. Il décida que le dommage a découlé à la fois de ce retard — dans une proportion de 25 pour cent — ainsi que d’autres facteurs non fautifs, soit la tumeur elle-même, une hydrocéphalie, la chirurgie et le traitement subséquent. Cependant, n’étant pas convaincu qu’un diagnostic plus précoce aurait permis d’éviter la détérioration de la condition de la fillette, le juge de première instance conclut qu’il lui a fait perdre une chance, évaluée à 40 pour cent[121], d’éviter cette détérioration qui a participé à la hauteur de 25 pour cent au préjudice final. Cette décision est infirmée par la Cour d’appel du New South Wales qui divergea ainsi de sa jurisprudence antérieure.
La juge Kiefel, avec l’approbation des juges Hayne, Bell et Crennan, rejette le recours à la perte de chance. Elle exprime son accord avec l’opinion du juge Gonthier dans Laferrière c. Lawson selon laquelle la perte de chance est un concept artificiel qui détourne l’attention du lien entre le dommage et la faute[122]. Elle souligne, notamment après une revue des critiques de la doctrine française, que le standard de preuve selon la balance des probabilités est déjà une exigence peu sévère qui ne requiert ni certitude ni précision[123] et qui sert à accommoder un certain niveau d’incertitude dans la preuve[124]. Elle se reporte à l’observation du juge Gonthier selon laquelle les positions quant à la perte de chance observées en France et au Québec s’expliquent par des distinctions au niveau du standard de preuve requis, le Québec ayant adopté la balance des probabilités[125]. Elle réfère à l’inférence du juge Sopinka dans Snell c. Farrell[126], remarquant que la common law se montre prête à s’adapter dans son traitement de la preuve de la causalité dans les cas où celle-ci est difficile, tel que par le biais d’inférences de fait[127]. Enfin, elle souligne que l’adoption d’un test de causalité basé sur des possibilités plutôt que des probabilités serait un changement trop radical du droit et qu’il faudrait de sérieuses raisons de politique judiciaire pour l’adopter, celles-ci n’étant pas présentes en l’espèce[128]. Pour sa part, le juge Gummow offre son soutien au principe du tout ou rien associé à la balance des probabilités. Bien qu’il admette qu’il produise souvent a rough justice, ce standard résulte de la volonté du droit d’établir un certain équilibre entre les intérêts respectifs des parties. Il reconnaît que le concept de perte de chance peut servir à maintenir les standards de pratique dans les cas où le patient se présente avec une chance de guérison de moins de 50 pour cent, mais cet avantage est, pour lui, contrebalancé par la menace de la médecine défensive[129]. Enfin, la juge Crennan exprime aussi des inquiétudes quant à la perspective d’encourager la médecine défensive, et quant à l’impact de la perte de chance sur le système de santé public et le système d’assurance médicale privé, ainsi que sur les assurances de responsabilité professionnelles des médecins[130]. Elle conclut également que le changement proposé est trop radical et doit être réservé au parlement[131]. L’approche prédominante des tribunaux de dernière instance du Canada, de l’Angleterre et de l’Australie est donc antagoniste à l’admissibilité de la perte de chance médicale comme préjudice indemnisable. Cette position semble avoir été en partie, dans le cas de l’Australie et du Canada, inspirée par la décision de droit civil québécois Laferrière c. Lawson. Remarquons cependant que la High Court australienne et, plus encore, la Chambre des Lords du Royaume-Uni se montrent moins strictes dans leur prise de position que la Cour suprême du Canada.
Conclusion
Notre brève étude démontre que les positions des plus hauts tribunaux du Canada, de l’Angleterre et de l’Australie demeurent orthodoxes à l’égard de l’incertitude causale en matière de responsabilité médicale. Les juges se montrent réfractaires à faire reposer la preuve de la causalité, ou la responsabilité, sur le seul fondement de la création ou de l’augmentation d’un risque par le défendeur. Même en Angleterre, d’où est issu ce raisonnement, il a été strictement restreint et la Chambre des Lords (maintenant la Cour suprême du Royaume-Uni) refuse de l’étendre aux affaires médicales. Bien que la Cour suprême du Canada ait introduit, dans Snell c. Farrell, l’idée intéressante de faire reposer le poids de l’incertitude causale sur la partie l’ayant fautivement créée, cette idée est restée d’application marginale. Enfin, la Cour suprême du Canada, la Chambre des Lords au Royaume-Uni et la High Court en Australie s’entendent pour refuser l’indemnisation de la perte de chance de guérison ou de survie en matière médicale.
Par contre, certaines tendances sont à surveiller pour le futur. En Angleterre, le refus d’admettre la perte de chance est qualifié d’une forte dissidence de Lord Nicholls dont la qualité de l’analyse pourrait influer sur les décisions futures. De plus, il transparaît des décisions canadiennes et australiennes, en particulier, une volonté d’admettre un raisonnement basé sur l’augmentation du risque comme élément de fait pertinent permettant de fonder des inférences factuelles discrétionnaires. Enfin, notons la création fautive de l’incertitude causale comme justification intéressante sur le plan de l’équité. Bien qu’elle ait peu attiré l’attention des tribunaux (et des plaideurs), parions que dans les cas appropriés elle pourra servir de justification pour faire exception à une stricte application des règles de preuve classiques de la causalité.
Appendices
Notes
-
[1]
Par conséquent, l’étude des importantes affaires anglaise (Chester v Afshar, [2004] UKHL 41, [2005] 1 AC 134) et australienne (Chappel v Hart, [1998] HCA 55, [1998] 195 CLR 232) qui traitent de la causalité dans le contexte du consentement éclairé est exclue.
-
[2]
Voir par ex Snell c Farrell, [1990] 2 RCS 311 aux pp 322-23, 72 DLR (4e) 289 [avec renvois aux RCS].
-
[3]
Ibid aux pp 328-29. Voir aussi Laferrière c Lawson, [1991] 1 RCS 541, 78 DLR (4e) 609 [avec renvois aux RCS].
-
[4]
Voir Athey c Leonati, [1996] 3 RCS 458 au para 16, 140 DLR (4e) 235; Snell c Farrell, supra note 2 aux pp 328-29; Martel c Hôtel-Dieu de St-Vallier, [1969] RCS 745 à la p 749, 14 DLR (3e) 445 [Martel]; Alphacell Ltd v Woodward, [1972] AC 824, [1972] 2 All ER 475 HL (Eng), Lord Salmon.
-
[5]
Voir Sienkiewicz v Greif, [2011] UKSC 10, [2011] 2 AC 229.
-
[6]
Laferrière c Lawson, supra note 3 à la p 606.
-
[7]
Ibid. Commentant cette approche « robuste et pragmatique », le juge Rouleau de la Cour d’appel de l’Ontario rappelle cependant qu’il ne s’agit pas d’un test de causalité, mais bien d’une façon d’aborder la preuve portant sur la causalité et non d’un substitut de cette dernière (Aristorenas v Comcare Health Services, [2006] 83 OR (3e) 282 au para 54, 274 DLR (4e) 304 [Aristorenas]). Le juge Rouleau réfère ici à la description de l’approche développée dans McGhee v National Coal Board ([1972] 3 All ER 1008, [1973] 1 WLR 1 HL (Eng) [McGhee avec renvois aux All ER]), utilisée par Lord Bridge dans Wilsher v Essex AHA ([1988] AC 1074, [1988] 1 All ER 871 HL (Eng) [Wilsher avec renvois aux AC]).
-
[8]
Voir Naxakis v West General Hospital, [1999] HCA 22 au para 36, [1999] 197 CLR 269 [Naxakis]; Laferrière c Lawson, supra note 3 à la p 609.
-
[9]
L’on pourrait argumenter que le ressort à la perte de chance ne vise pas à répondre à l’incertitude causale, mais bien à permettre une indemnisation de la victime en l’absence de preuve d’un lien causal entre la faute et le préjudice ultime. Cependant, nous croyons que cette technique a aussi son utilité en présence d’incertitude (voir la partie III, ci-dessous). En outre, nous ne développerons pas sur une autre technique d’intérêt, mais sur une d’utilisation marginale, soit le renversement du fardeau de la preuve.
-
[10]
Voir Fairchild v Glenhaven Funeral Services, [2002] UKHL 22, [2003] 1 AC 32 [Fairchild].
-
[11]
Voir Barker v Corus UK Ltd, [2006] UKHL 20, [2006] 2 AC 572 [Barker].
-
[12]
Voir la partie I-C, ci-dessous.
-
[13]
Nous ne discutons pas ici des cas où la création ou l’augmentation du risque servent de faits parmi d’autres à considérer pour justifier une présomption de fait ou une inférence de fait indiquant que la causalité est prouvée. Sur la question des inférences discrétionnaires de causalité, voir Russell Brown, « The Possibility of “Inference Causation”: Inferring Cause-in-Fact and the Nature of Legal Fact-Finding » (2010) 55 : 1 RD McGill 1.
-
[14]
Supra note 7.
-
[15]
Ce test requiert la démonstration que le préjudice ne serait pas survenu en l’absence de la faute du défendeur.
-
[16]
Le test de la contribution matérielle au préjudice (Bonnington Castings Ltd v Wardlaw, [1956] AC 613, [1956] 1 All ER 615) est une solution de rechange au but-for test, applicable dans certains cas restreints, dont la nature diffère selon les ressorts et dont le champ d’application est débattu. Notons que ce test requiert la preuve que la faute du défendeur a contribué de façon plus qu’anodine au préjudice, même si d’autres causes y ont aussi contribué.
-
[17]
Plus précisément, elle accepte de traiter une contribution matérielle au risque comme étant équivalente à une contribution matérielle au préjudice même.
-
[18]
Voir McGhee, supra note 7 à la p 1010.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
Voir Fairchild, supra note 10 aux para 21, 35, Lord Bingham; ibid au para 70, Lord Hoffmann; ibid au para 150, Lord Rodger.
-
[21]
Ibid aux para 100, 102.
-
[22]
Ibid au para 21. Toutefois Lord Hutton traite plutôt cette approche comme introduisant une inférence légale de causalité (ibid aux para 106–09).
-
[23]
Nous empruntons ce terme à Christophe Quézel-Ambrunaz, « La fiction de la causalité alternative : Fondement et perspectives de la jurisprudence “Distilbène” » [2010] D 1162.
-
[24]
Il y aurait également eu des expositions environnementales, un fait qui semble avoir été ignoré par la Cour (voir Jane Stapleton, « Lords a’Leaping Evidentiary Gaps » (2002) 10 : 3 Torts LJ 276 à la p 281).
-
[25]
Notons que, selon la preuve dans l’affaire australienne Amaca Pty Ltd v Booth, la théorie dite de la « fibre unique » n’est scientifiquement plus valide ([2011] HCA 53 aux para 79-80, 246 CLR 36,).
-
[26]
Ce type de situation est qualifié de over-determination en common law. Voir par ex Sandy Steel et David Ibbetson, « More Grief on Uncertain Causation in Tort » (2011) 70 : 2 Cambridge LJ 451 à la p 452.
-
[27]
Voir Fairchild, supra note 10 aux para 21-22, Lord Bingham of Cornhill. Contra Wilsher, supra note 7, Lord Bridge (qui la traite comme le fondement d’une inférence); Fairchild, supra note 10 aux para 144, 150, Lord Rodger.
-
[28]
Ibid aux para 73, 34, 43, 118, 169-70.
-
[29]
Ibid au para 61.
-
[30]
Supra note 1111.
-
[31]
Il y avait trois sources de l’agent du risque (l’amiante), soit l’emploi auprès de deux défendeurs fautifs dont l’un était en faillite et sans assureur connu, ainsi qu’une source non fautive indépendante de la conduite des défendeurs et n’étant pas sous leur contrôle.
-
[32]
Barker, supra note 11 au para 43, Lord Hoffmann. Voir aussi ibid au para 109, Lord Walker; ibid aux para 125, 127, Baroness Hale.
-
[33]
Ibid, Lord Hoffmann. Voir toutefois ibid, Baroness Hale (bien qu’elle donne son accord à l’indemnisation proportionnelle); ibid, Lord Rodger, dissident.
-
[34]
Compensation Act 2006 (R-U), c 29 [CA 2006]. Les articles pertinents sont entrés en vigueur le 1er décembre 2006. Cette législation rétablit l’autorité de Fairchild (supra note 10) avec comme résultat que dans les situations du type de celles rencontrées dans McGhee (supra note 7), Fairchild (supra note 10) et Barker (supra note 11), les défendeurs sont conjointement et solidairement responsables de toute contribution non anodine au risque, permettant ainsi au demandeur de réclamer 100 pour cent des dommages-intérêts qui lui sont accordés, auprès de l’un ou l’autre des défendeurs (art 3(2) CA 2006). Le défendeur s’acquittant du paiement des dommages peut ensuite se retourner contre ses codéfendeurs pour obtenir d’eux une contribution calculée en proportion de la période d’exposition à l’agent du risque pour laquelle chacun est responsable, ou sur une autre base (art 3(3)-(4) CA 2006).
-
[35]
Cette décision semble cependant réinterprétée par Clements c Clements (2012 CSC 32, [2012] 2 RCS 181). Voir la partie I-C, ci-dessous à ce sujet.
-
[36]
Supra note 11 au para 24, Lord Hoffmann; ibid au para 114, Lord Walker. Voir aussi ibid aux para 39, 57, Lord Scott.
-
[37]
Supra note 7. Lord Bridge semble faire une distinction entre McGhee (supra note 7) et Wilsher (supra note 7) basée sur les faits particuliers de cette première affaire.
-
[38]
Voir Lara Khoury, Uncertain Causation in Medical Liability, Oxford, Hart, 2006 aux pp 152-53.
-
[39]
Celui-ci nécessite, selon la Cour, d’au moins prouver une contribution matérielle de la négligence du défendeur au préjudice (Wilsher, supra note 7 à la p 1090, Lord Bridge).
-
[40]
Supra note 10 au para 21, Lord Bingham; ibid au para 118, Lord Hutton.
-
[41]
[2005] UKHL 2 au para 78, 2 AC 176, Lord Hoffmann. Voir aussi ibid au para 174, Lord Phillips, dissident sur une autre question.
-
[42]
Supra note 5.
-
[43]
Par contre, Jane Stapleton remarque que l’exposition environnementale était probablement due à une cause fautive non identifiée (« Factual Causation, Mesothelioma and Statistical Validity » (2012) 128 : 2 Law Q Rev 221 à la p 222) [Stapleton, « Factual Causation »].
-
[44]
Voir Steel et Ibbetson, supra note 26 à la p 451. Dans cette affaire, les défendeurs avaient argumenté que la causalité devait être évaluée, selon la balance des probabilités, sur le fondement d’une approche basée sur double the risk. L’argument fut cependant rejeté par la Cour suprême du Royaume-Uni (Sienkiewicz c Greif, supra note 5). Pour une intéressante critique du traitement de cet argument par la Cour, voir Stapleton, « Factual Causation », supra note 43.
-
[45]
Voir d’ailleurs à ce sujet Steel et Ibbetson qui argumentent qu’en présence d’incertitude causale, il n’y a aucune raison logique d’exclure l’application de Barker (supra note 11) aux affaires de responsabilité médicale (supra note 26 à la p 467).
-
[46]
La fréquentation du concept est surtout le fait du juge Beauregard de la Cour d’appel du Québec. Le juge Beauregard n’a en effet pas hésité à s’inspirer de l’affaire McGhee (supra note 7) en matière de responsabilité médicale québécoise (voir par ex Gburek c Cohen, [1988] RJQ 2424 à la p 2447, [1989] 18 QAC 1).
-
[47]
2002 CSC 15, [2002] 1 RCS 491.
-
[48]
Ibid aux para 90, 95. Ironiquement, la Société d’assurance automobile du Québec, qui gère un fonds d’indemnisation sans égard à la responsabilité en faveur des victimes d’accidents de la circulation, avait aussi refusé d’indemniser le demandeur, jugeant que son préjudice était le résultat de la faute du médecin défendeur. Suite à la décision de la Cour supérieure ayant statué que l’accident d’automobile était la cause des blessures, elle modifia sa décision et l’indemnisa (ibid au para 16).
-
[49]
Ibid au para 116.
-
[50]
Ibid.
-
[51]
Sur la perte d’influence du droit français sur le droit québécois en matière de preuve, voir Yves-Marie Morissette, « L’influence du droit français sur le droit de la preuve au Québec » dans H Patrick Glenn, dir, Droit québécois et droit français : communauté, autonomie, concordance, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1993, 423. Sur l’influence du droit anglais sur la preuve civile au Québec, voir aussi Jean-Claude Royer, La preuve civile, 4e éd, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2008 aux para 43, 48, 56–65.
-
[52]
Supra note 3 à la p 609.
-
[53]
Voir Khoury, supra note 38 aux pp 174-76.
-
[54]
St-Jean c Mercier, supra note 47 au para 116.
-
[55]
Voir la partie I-C, ci-dessous.
-
[56]
Supra note 2 à la p 336.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
Ibid à la p 330. Voir aussi Athey c Leonati, supra note 4 au para 16.
-
[59]
2013 CSC 18 au para 36, [2013] 2 RCS 98.
-
[60]
Voir par ex Allen (Tuteur à l’instance) v University Hospitals Board, 2002 ABCA 195 au para 19, 312 AR 59; Jackson v Kelowna General Hospital, 2006 BCSC 279 au para 33 (disponible sur CanLII), inf par 2007 BCCA 129, 277 DLR (4e) 385 [Jackson]; McPherson v Bernstein, 2005 CanLII 18716 au para 205, 2005 CarswellOnt 2165 (WL Can) (Ont Sup Ct); O’Grady v Stokes, 2005 ABQB 247 au para 123, 375 AR 109.
-
[61]
Ce genre de postulat ne semble pas embarrasser les tribunaux judiciaires français, civilistes eux aussi (voir Khoury, supra note 38 aux pp 207-11).
-
[62]
Art 2847 CcQ.
-
[63]
Voir Robert P Kouri, « From Presumptions of Fact to Presumptions of Causation: Reflections on the Perils of Judge-made Rules in Quebec Medical Malpractice Law » (2001) 32 RDUS 213 aux pp 236, 240.
-
[64]
2007 CSC 7, [2007] 1 RCS 333 [Resurfice].
-
[65]
Ibid aux para 21-22. Cette affirmation est réitérée dans Clements c Clements (supra note 35 aux para 8,13) et Ediger c Johnston (supra note 59 au para 28).
-
[66]
Voir Athey c Leonati, supra note 4.
-
[67]
Voir Resurfice, supra note 64 au para 24.
-
[68]
Ibid au para 25.
-
[69]
Ibid.
-
[70]
Voir par ex Ball v Amendola, 2009 CanLII 55309, [2009] OJ no 4114 (QL) (Sup Ct).
-
[71]
Voir par ex Rollin v Baker, 2009 CanLII 1373, [2009] OJ no 225 (QL) (Sup Ct), inf en partie par 2010 ONCA 569, 323 DLR (4e) 71.
-
[72]
Voir par ex VAH v Lynch, 2008 ABQB 448, [2008] 449 AR 1.
-
[73]
Supra note 35.
-
[74]
Voir par ex Walker, Succession c York Finch General Hospital, 2001 CSC 23, [2001] 1 RCS 647.
-
[75]
Voir par ex Barker c Montfort Hospital, 2007 ONCA 282 au para 51, 278 DLR (4e) 215; Monks v ING Insurance Co of Canada, 2008 ONCA 269 au para 86, 90 OR (3e) 689; Jackson, supra note 60 aux para 55-61. Un auteur réfère à la causalité alternative par l’expression causalité « circulaire » (Erik S Knutsen, « Causal Draws and Causal Inferences: A Solution to Clements v. Clements (and Other Causation Cases) » (2012) 39 : 2 Advocates’ Q 241 à la p 244).
-
[76]
Ou lorsque deux chasseurs tirent fautivement en direction de la victime, mais qu’une seule balle l’atteint sans qu’on puisse déterminer de quel défendeur elle provient, tel que dans Cook c Lewis ([1951] RCS 830, [1952] 1 DLR 1).
-
[77]
En vertu de la célèbre affaire Cook c Lewis (ibid), inspirée de l’affaire américaine Summers v Tice, 33 Cal (2e) 80, 199 P (2e) 1 (Sup Ct 1948).
-
[78]
Supra note 8. Il s’agissait dans cette affaire de savoir si la cause pouvait être confiée au jury. La Cour d’appel avait refusé d’infirmer le jugement du juge de première instance qui avait décliné de ce faire en raison de l’absence d’une preuve d’expert de l’existence d’une faute (ibid aux para 11, 13).
-
[79]
Cette position a été initialement prise par le juge McHugh dans l’affaire Chappel v Hart (supra note 1 au para 34), dissident sur une autre question.
-
[80]
Naxakis, supra note 8 aux para 26-27, juge Gaudron; ibid aux para 127-28, juge Callinan. Ces juges rendent un jugement majoritaire, mais aucun des autres juges ne se penche sur cette question précise.
-
[81]
Voir par ex Seltsam Pty Ltd v McGuinness, [2000] NSWCA 29 au para 109, 49 NSWLR 262; Sabatino (Tuteur à l’instance) v New South Wales & Ors, [2001] NSWCA 380 au para 70 (disponible sur AustLII). Voir aussi Queen Elizabeth Hospital v Curtis, [2008] SASC 344 aux para 50, 59 (disponible sur AustLII). Cette dernière affaire énonce que la question de savoir si la causalité peut être déterminée en vertu de la création ou de l’augmentation d’un risque dépend des circonstances de l’affaire et du reste de la preuve. Ce texte ne s’attarde pas au traitement de la causalité dans les législations australiennes portant sur la responsabilité civile. Sur ce sujet, voir Harold Luntz, « Loss of chance in Medical Negligence », en ligne: (2011) University of Melbourne Legal Studies Research Paper Series No 522 <ssrn.com/abstract=1743862> aux pp 10-13.
-
[82]
On en retrouve des traces dans un jugement datant du XVIIIe siècle; voir Blatch v Archer (1774), 1 Cowp 64, 983 ER 969 aux pp 969-970.
-
[83]
Supra note 2.
-
[84]
Ibid à la p 329.
-
[85]
Ibid à la p 336.
-
[86]
Voir par ex Heidebrecht v Fraser-Burrard Hospital Society, 1996 CanLII 2214 au para 105, 1996 CarswellBC 2112 (BC SC); Meringolo v Oshawa General Hospital et al (1991), 46 OAC 260 à la p 272 (disponible sur QL) (obiter); Crick v Mohan (1993), 142 AR 281 (disponible sur QL) (QB); Pierre (Tuteur à l’instance) v Marshall, [1994] 8 WWR 478 au para 105, 20 Alta LR (3e) 343 (QB); Dixon Estate v Holland, [1997] 1 WWR 130 au para 19 (disponible sur WL) (BC SC); Ostby v Bondar (1998), 218 AR 132 à la p 146, [1999] 1 WWR 581 (QB); Bigcharles v Dawson Creek, 2001 BCCA 350, 91 BCLR (3e) 82 aux para 27-29, juge Southin, dissident; Rogers v Grypma, 2001 ABQB 958 au para 311, 304 AR 201; Wilson v Byrne, 2004 CanLII 20532, [2004] OJ No 2360 au para 83 (Ont Sup Ct); Houde c Côté, [1987] RJQ 723 aux pp 729-30, 4 QAC 112, juge Beauregard.
-
[87]
Par exemple, le juge Rouleau de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Aristorenas (supra note 7), déclare avoir été prêt à avantager la partie demanderesse sur la base de la « façon décisive et pragmatique d’aborder les faits » décrite par le juge Sopinka dans Snell c Farrell (supra note 2 aux pp 324, 330) si on lui avait fourni une preuve adéquate, ce qui n’était pas le cas. Cette approche réfère, entre autres, selon le juge Rouleau, à la citation dans le texte du jugement de Snell c Farrell (supra note 2 à la p 324). De plus, en Australie, la High Court s’appuie dans quelques affaires sur cette justification, mais pas dans le domaine de la responsabilité médicale (voir Khoury, supra note 38 à la p 185).
-
[88]
Supra note 59 au para 36.
-
[89]
Supra note 3.
-
[90]
Ibid à la p 603.
-
[91]
Ibid à la p 605.
-
[92]
Ibid à la p 602.
-
[93]
Ibid aux pp 558, 610-12.
-
[94]
Voir par ex Massinon c Ghys, [1996] RJQ 2258 à la p 2273, [1996] RRA 1234 (CS); Harewood c Spanier, [2000] RRA 864 au para 68 (disponible sur CanLII); Tessier-Biron c Verrier, [2004] RL 127 aux para 45-47 (disponible sur CanLII), inf par 2006 QCCA 685 (disponible sur CanLII); Farrese c Fichman, [2005] RRA 588 aux para 236, 240 (disponible sur CanLII).
-
[95]
Au niveau des cours d’appel provinciales, voir par ex Cabral v Gupta, 83 Man R (2e) au para 9, 2 [1993] 1 WWR 648; Cottrelle v Gerrard (2004), 67 OR (3e) 737 aux para 25-36, 233 DLR (4e) 45; Armstrong v Centenary Health Centre (2005), 198 OAC 349 au para 93 (disponible sur CanLII).
-
[96]
Voir la partie I-C, ci-dessus.
-
[97]
Voir notamment Hotson v East Berkshire Area Health Authority, [1987] 1 AC 750, 3 WLR 232 (l’argument y fut plaidé, mais la Chambre des Lords évita d’y donner une réponse claire).
-
[98]
Supra note 41.
-
[99]
Voir Luntz, supra note 81 à la p 7 qui est d’opinion que cette décision ne ferme pas complètement la porte à cet argument.
-
[100]
Gregg v Scott, supra note 41 aux para 67-68, 71.
-
[101]
Ibid au para 90. Lord Phillips et Baroness Hale acquiescent.
-
[102]
Ibid.
-
[103]
Ibid aux para 215, 224.
-
[104]
Ibid au para 224.
-
[105]
Ibid.
-
[106]
Ibid au para 172.
-
[107]
Ibid aux para 188, 190-91.
-
[108]
Lord Hope est aussi dissident.
-
[109]
Ibid aux para 10, 12.
-
[110]
Ibid au para 3.
-
[111]
Ibid aux para 3-4.
-
[112]
Ibid aux para 48-53. Voir aussi ibid au para 115-16, Lord Hope.
-
[113]
[2010] HCA 12, 240 CLR 537.
-
[114]
Supra note 8.
-
[115]
Ibid aux para 129-30.
-
[116]
Ibid au para 30.
-
[117]
Ibid au para 35.
-
[118]
Ibid au para 33.
-
[119]
Ibid au para 31.
-
[120]
Voir par ex Gavalas v Singh, [2001] VSCA 23 (disponible sur AustLII); Rufo v Hosking, [2004] NSWCA 391, 61 NSWLR 678.
-
[121]
Réduit par la Cour d’appel à 15 % en raison d’une lecture différente de la preuve (voir Tabet c Gett, supra note 113 au para 107). La juge Kiefel exprime son accord avec le fait que la preuve ne permettait pas d’évaluer la chance perdue comme étant aussi élevée (ibid au para 118).
-
[122]
Ibid au para 142.
-
[123]
Ibid au para 145.
-
[124]
Ibid aux para 145, 148.
-
[125]
Ibid au para 146.
-
[126]
Basée sur la connaissance particulière des faits par le défendeur (ibid au para 149).
-
[127]
Ibid. Voir la partie II, ci-dessus.
-
[128]
Ibid aux para 148, 151. Voir aussi ibid au para 101, juge Crennan.
-
[129]
Ibid au para 59.
-
[130]
Ibid au para 102.
-
[131]
Ibid au para 102. Quant au juge Heydon, il évite la question en concluant que la preuve factuelle et scientifique n’avait pas démontré la perte d’une chance, rendant la question de l’admissibilité de cette dernière académique (ibid aux para 92-94, 97).