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Comptes rendus

Eva C. Karpinski. Borrowed Tongues: Life Writing, Migration, and Translation. Waterloo, Ontario, Wilfrid Laurier University Press, 2012, 271 p.[Record]

  • Aurelia Klimkiewicz

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  • Aurelia Klimkiewicz
    Université York

Consacré à l’analyse des écrits autobiographiques des femmes migrantes, l’ouvrage d’Eva C. Karpinski pose le problème d’autoreprésentation qui se fait dans la langue de l’autre qu’elle appelle empruntée (borrowed). À cet égard, le choix terminologique n’est pas innocent, car il renvoie aux relations de pouvoir ancrées dans les inégalités historiques, économiques, raciales ou encore celles liées à l’identité sexuelle. En s’inscrivant dans le paradigme poststructuraliste qui prône l’inachèvement de la production du sens et en s’appuyant plus précisément sur les postulats déconstructivistes, féministes, postcoloniaux, culturalistes et traductologiques, l’auteure propose de cerner le rôle que la traduction assume dans la production des récits de vie relatant différentes expériences de migration, ainsi que d’identifier les stratégies d’écriture qui font appel aux procédés de transfert alors que la mise en récit de soi se fait dans la langue empruntée. Clairement interdisciplinaire, la démarche de Karpinski permet de dévoiler les mécanismes de la construction identitaire (approche culturaliste) et, par conséquent, d’aborder la traduction en déjouant l’opposition entre le soi et l’autre, opposition forçant à maintenir la frontière qui, par le fait même, facilite l’exclusion ou l’enfermement de l’autre dans un lieu figé (approche féministe). Examiner les questions pour lesquelles on s’aligne sur telle ou telle identité donne par contre la possibilité de scruter la traduction en tant que partie intégrante de la formation des représentations et des échanges culturels (approche postcoloniale). Dans son analyse, l’auteure aborde donc la traduction à partir de la position épistémologique décentrée en empruntant à Derrida son concept de « supplément » pour parler de la femme migrante qui doit forger son propre lieu énonciatif en fonction de la situation linguistique, culturelle, identitaire ou existentielle au nom de laquelle elle s’exprime en tant que femme survivante, colonisée, non occidentale, non blanche, etc., aux prises avec l’absence d’un genre discursif ou textuel qui rendrait possible la mise en récit de son expérience. Contrairement à l’autobiographie qui est un produit de la société patriarcale, le récit de vie s’impose justement comme forme d’écriture libre et malléable, ayant la capacité d’accueillir la diversité des expériences de celles qui sont exclues de l’histoire officielle. À la différence de l’assimilation dont l’objectif est d’effacer la différence, le concept de positionnement sert à témoigner des tensions identitaires et des problèmes d’appartenance. C’est pourquoi au coeur de l’analyse de Karpinski se trouvent des éléments qui récusent la traduction transparente, car dans le contexte de migration, l’emprunt, l’intraduisible et l’inassimilable résistent à la circulation fluide du sens (du locuteur vers l’interlocuteur, de l’original vers la copie traduite) en déployant un réseau de références plus complexes et plus chaotiques qui fait voir l’impossibilité de production, de reproduction et de divulgation du sens à partir d’un seul centre d’énonciation. Une vision du monde unique et monologique ne peut exister que lorsqu’elle se sert de la violence physique, économique ou symbolique. La traduction non transparente témoignerait donc de la résistance à gommer cette violence ainsi que de la nécessité de contester la redistribution des rôles selon les mêmes règles établies par le plus fort. Dans ce contexte, comment situer la traduction alors que l’accent est mis sur la parole de la femme migrante qui doit forger son propre genre littéraire (le récit de vie au féminin), qui doit s’approprier une langue qui n’est pas la sienne (la langue patriarcale/étrangère/coloniale) et qui est forcée de créer un lien social malgré les barrières linguistiques, culturelles et même existentielles dans le cas de celles qui ont survécu les traumatismes liés aux événements tels que la guerre, le génocide, le camp de réfugiés, le viol, le racisme ou l’exclusion ? Tout d’abord, il …