Abstracts
Résumé
L’objectif de cet article est de montrer qu’afin de penser la relation entre littérature et les humanités médicales, il faut revenir sur les termes de cette relation pour en improviser d’autres dans le sillage d’un texte important de Eve Kosofsky Sedgwick écrit à la fin des années 1990, marqué à la fois par son expérience du cancer et son engagement auprès d’ACT UP (AIDS Coalition to Unleash Power). À une logique paranoïaque de la critique, Sedgwick oppose une logique de réparation. Lire de façon critique, explique Sedgwick, c’est se prémunir contre, se garder de. C’est faire en sorte de diminuer les effets de surprise et d’attachement. En mobilisant l’article de Georges Canguilhem, « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? » (1978), et le mémoire de Jean-Dominique Bauby paru la même année que le texte de Sedgwick, Le scaphandre et le papillon, l’article explore en quoi « réparer », ce n’est pas forcément revenir en arrière – par exemple, pour renier l’héritage herméneutique – mais peut-être envisager une autre relation au temps, à l’avant et à l’après, au temps comme horizon normatif, et en particulier au temps de la guérison. Se garantir de et se garder de c’est aussi, étymologiquement, guérir, explique Canguilhem. Bauby, lui, n’a pas guéri et ne guérira pas. Du moins, il ne guérit pas en termes qui signifient un mouvement de repli. Il développe une pédagogie du texte littéraire à l’ère de la réparation qui met l’accent sur l’affect et la surface.
Abstract
This article aims to show that, to rethink the relationship between literature and the medical humanities, it will be necessary to revisit the terms of this relationship in order to improvise others following an important text written by Eve Kosofsky Sedgwick in the late 1990s and marked by both her experience with cancer and her engagement with ACT UP (AIDS Coalition to Unleash Power). To the paranoid logic of criticism, Sedgwick opposes the logic of reparation. To read critically, Sedgwick explains, is to guard against, to beware of. It is a way to reduce the effects of surprise and attachment. Guided by an article by Georges Canguilhem, “Is a Pedagogy of Healing Possible?” (1978) and the memoir by Jean-Dominique Bauby, The Diving Bell and the Butterfly, published the same year as Sedgwick’s text, the present article explores how repair does not necessarily mean to turn back—for example, to deny the hermeneutic heritage—but perhaps to envision another relationship to time, to a before and an after, to time as a normative horizon, and in particular, to the time of healing. To protect oneself and to beware of is also, etymologically, to heal, explains Canguilhem. Bauby, for his part, did not and would not heal. At least, he did not heal in terms that meant a turning inward. He developed a pedagogy of the literary text in the time of reparation that stresses affect and surface.
Article body
Introduction : Humanités en santé, humanités en chantier
Cet article cherche à interroger ce que les humanités, traditionnellement comprises dans un sens philologique, peuvent avoir de médicales. Une réponse possible mais de plus en plus contestée dira qu’il en va précisément de la référence à l’humain et à l’humanisme conçu à son image. Dans ce scénario, la médecine moderne ne s’est constituée – et ce « avec l’efficacité qu’il faut lui reconnaître » ainsi que l’écrivait Georges Canguilhem en 1978 – qu’au prix d’une aliénation du corps malade et d’une certaine déshumanisation des sciences de la santé :
Quand un médecin parle de la maladie de Basedow, c’est-à-dire de goitre exophtalmique, il désigne un état de dysfonction endocrinienne dont l’énoncé des symptômes, le diagnostic étiologique, le pronostic et la décision thérapeutique sont soutenus par une succession de recherches cliniques et expérimentales, d’examens de laboratoire, au cours desquels les malades ont été traités non comme les sujets de leur maladie mais comme des objets[2].
Ce qu’une telle pratique peut coûter au corps malade comme au corps médical est appelé à devenir, sinon à définir, l’objet des humanités en médecine. Le rôle des humanités médicales dans cette configuration du savoir est essentiellement instrumental, voire ancillaire. D’une part, elles absorbent le pire des excès techniques et cliniques associés aux avancées de la biomédecine et, de l’autre, elles préservent ce qu’il reste d’un rapport biographique et émotionnel à la reproduction, à la naissance, à la mort, à la tristesse – et plus généralement au corps vécu dans sa relation aux sciences du vivant. Cependant, qu’en est-il dans ce scénario du rapport entre les humanités médicales et les humanités « tout court » ?
Dans la tradition kantienne dans laquelle s’inscrit la célèbre conférence prononcée par Erwin Panofsky en 1940, « L’histoire de l’art est une discipline humaniste », les humanités tout court sont essentiellement philologiques[3]. Elles définissent une relation à l’archive humaine, c’est-à-dire à un ensemble de traces peintes, sculptées, gravées et écrites – par opposition aux empreintes animales ou minérales. Si l’on s’en tient à ce scénario, ce que les humanités philologiques, définies par leur relation à la temporalité de la trace, peuvent avoir de médicales est suggéré par la perspective que l’historien britannique de la médecine David Armstrong adopte sur le statut des archives de la santé et leur relation au temps du corps[4].
L’archive en question rappelle la pratique médicale à ses pratiques d’écriture : enregistrement des naissances et des décès, saisie des antécédents médicaux, mesure des courbes de croissances, division du cours d’une vie, aussi courte soit-elle, en segments et sous-segments. À chaque segment et sous-segment sa spécialité : pédiatrie et gériatrie, médecine du travail et médecine palliative. Cela veut dire que le processus de vieillissement n’est plus naturel ou simplement inscrit dans le cours des choses mais à considérer, ou plutôt, évaluer, comme normal ou anormal. Ainsi la modernité médicale n’a-t-elle pas seulement consisté à ouvrir le corps au regard et au vocabulaire de la clinique, mais aussi à redessiner les contours du temps biographique pour penser la pathologie comme une temporalité du corps. On parlera ainsi de facteurs de risque, de maladies chroniques, aiguës, voire subaiguës, héréditaires, sporadiques, latentes, ou terminales.
Armstrong s’arrête là, évoquant les défis que pose pour les institutions de santé publiques la prolifération des données médicales à la fin du xxe siècle, mais l’histoire des pratiques médicales d’enregistrement se poursuit avec l’ère de l’habitronique et des moniteurs d’activité physique. Elle s’intensifie avec la démocratisation de l’accès aux données bio-rythmiques et se privatise. Certains verront dans ce phénomène l’occasion d’une reprise en main des patient·e·s sur l’archive de leur corps, et d’autres l’intensification d’un processus de pathologisation de la vie au quotidien, ainsi qu’en témoignent les travaux de Deborah Lupton[5]. Pour beaucoup, à cet égard, l’accès à leurs données bio-rythmiques et l’investissement personnel dans le self-monitoring constituent une réponse au désinvestissement du corps médical dans leur projet de santé – renforçant de ce fait l’idée de santé comme capital individuel et objet d’un investissement personnalisé[6].
L’idée d’humanités en santé (health humanities) suggère une autre relation entre humanités médicales et humanités tout court[7]. La désignation a été introduite pour repenser le projet institutionnel des humanités médicales, historiquement lié à la formation des docteur·e·s en médecine et laissant de côté les autres acteurs du soin oeuvrant à l’intérieur ou à l’extérieur du milieu clinique. Mais également pour repenser à la fois le support littéraire souvent très canonique des humanités médicales en faisant place à un horizon de textes et d’objets plus divers dans leur provenance géographique et dans leur mode d’expression, ainsi que ses contours cliniques, en faisant place au milieu de la santé (la salle d’attente, le domicile familial, la chambre d’écho d’un forum de patient·e·s en ligne, l’écran interactif, l’environnement comme facteur de bien-être ou de mal-être, etc.).
C’est à cette croisée des chemins entre humanités philologiques et humanités médicales, histoire du corps et histoire de la médecine, temps biologique et temps biographique, logique du vivant et logique du vécu, entre la clinique et ses ailleurs[8], que je situe la pratique d’écriture en milieu clinique développée par Jean-Dominique Bauby dans Le scaphandre et le papillon. Cette pratique d’écriture constituera un point de repère dans la formulation d’un autre scénario institutionnel et épistémologique dans la relation entre humanités médicales et humanités philologiques – autre que celui qui demande aux humanités d’humaniser la médecine, autre que celui qui ne fait pas de place pour les ambitions intellectuelles qui sont celles des sciences humaines et de la théorie littéraire, mais également autre par rapport au cadre dans lequel les études littéraires et culturelles ont défini leurs objets d’étude et la nature de leur savoir[9]. En d’autres termes, dans cet article je cherche moins à comprendre les humanités en santé comme un mélange instable et suspect à cheval entre deux cultures – scientifique et littéraire, clinique et critique, professionnelle (ou vocationnelle) et libérale – qu’en relation avec un débat interne aux études littéraires et culturelles sur la tonalité critique adoptée par ces disciplines à l’exclusion d’autres modalités interprétatives. L’objectif est de montrer qu’afin de repenser la relation entre les humanités philologiques et les humanités médicales, il faut d’abord revenir sur les termes de cette relation à l’idée de critique et à sa négativité pour considérer d’autres formes de relation au texte dans le sillage d’un essai important de Eve Kosofsky Sedgwick – paru dans sa version la plus développée la même année que Le scaphandre et le papillon – et marqué à la fois par l’engagement de son autrice aux côté d’ACT UP et par sa propre expérience avec le cancer métastatique du sein dont elle décédera en 2009.
Un corps en chantier : le cas Bauby
Publié en 1997 et adapté à l’écran par Julian Schnabel dix ans plus tard, Lescaphandre et le papillon est à la fois un texte clinique et littéraire : clinique au sens étymologique du terme, puisqu’écrit, ou plutôt coécrit, dans une expérience de l’alitement et d’un repositionnement radical du corps suite à un accident cardiovasculaire qui ôte à son auteur l’usage de la parole et du corps ; et littéraire pour des raisons qui ont trait aux ressources interprétatives qui l’attachent précisément à ce repositionnement radical du corps. Il s’agit également d’un récit collaboratif, dans la mesure où il a été composé sous la forme d’un monologue intérieur transcrit à partir du mouvement de la paupière gauche dont Jean-Dominique Bauby a conservé l’usage. Bauby explique : « Le système est assez rudimentaire. On m’égrène l’alphabet version ESA… jusqu’à ce que d’un clin d’oeil j’arrête mon interlocuteur sur la lettre qu’il doit prendre en note[10]. » Un bref chapitre est consacré à cet alphabet réarrangé selon la fréquence d’usage des lettres dans la langue française, et qui rattache le sujet au monde qui pourrait le croire mort (LSELP, p. 87-89).
Parce que le médium linguistique est plus que la somme des parties qui le composent, la dimension philologique du récit de Bauby n’est pas à chercher du côté d’une relation critique aux traces, opposant par exemple traces au statut de signes et traces au statut de marques qui relèvent de l’accident, mais dans l’investissement affectif du discours et l’immense effort de concentration qui se traduit par la restitution d’un texte réchappé d’un accident situé à la croisée de deux « contingences », l’une personnelle, l’histoire de Jean-Dominique, et l’autre, technique, qui le dépasse[11].
Le projet d’écriture est résolument autobiographique, mais le récit qui en résulte – après deux cent mille battements de paupière – semble suffisamment hors du commun pour que l’éditeur de la traduction américaine ait cru bon d’ajouter un sous-titre : « Mémoires de la vie dans la mort ». Le prologue précise les termes de cette relation d’inclusion paradoxale :
[…] ma vie a basculé le vendredi 8 décembre de l’an passé. Jusqu’alors je n’avais jamais entendu parler du tronc cérébral. Ce jour-là j’ai découvert de plein fouet cette pièce maîtresse de notre ordinateur de bord, passage obligé entre le cerveau et les terminaisons nerveuses, quand un accident cardiovasculaire a mis ledit tronc hors circuit. Autrefois, on appelait cela « transport au cerveau » et on en mourait en toute simplicité. Le progrès des techniques de réanimation a sophistiqué la punition. On en réchappe mais flanqué de ce que la médecine anglo-saxonne a justement baptisé le locked-in syndrome : paralysé de la tête aux pieds, le patient est enfermé à l’intérieur de lui-même avec l’esprit intact et les battements de sa paupière gauche pour tout moyen de communication (LSELP, p. 9-10).
La survie clinique, cependant, aussi techniquement remarquable soit-elle d’un point de vue biomédical, n’est d’un point de vue narratif que le début de l’aventure intérieure de Bauby. Le retour à la conscience s’accompagne certes d’un retour à un corps rendu plus intelligible qu’auparavant par la leçon d’anatomie qui nomme la lésion cérébrale, mais c’est un corps que le patient ne reconnaît plus comme le sien. La leçon d’anatomie rend compte du mécanisme physiologique de l’accident cardiovasculaire et de ses conséquences, mais la lésion qu’elle décrit et localise ne fait partie du récit qu’en donne le patient que sur le mode d’une absence d’articulation. Elle ne dit rien non plus sur le fait que ce corps soit habité, et encore moins sur ce qui le rend habitable. C’est pourquoi on pourrait également sous-titrer, et donc qualifier les ambitions narratives du récit de Bauby, à l’aide de la catégorie introduite par Jason Tougaw : « mémoires neurologiques » (brain memoirs) pour rendre compte d’une écriture autobiographique qui se concentre sur la relation entre corps et esprit dans un contexte neuroscientifique.
La référence neurologique ne vient pas mettre fin à l’aventure autobiographique en lui substituant une leçon d’anatomie qui aurait le dernier mot sur la vie, la mort, ou le soi, mais bien la relancer, de la même façon que l’autoportrait anatomique de Montaigne à la fin de « De l’exercitation » (ii, 6) vient relancer le mouvement introspectif qui lui a donné lieu : « Je m’estalle entier : c’est un SKELETOS où, d’une veue, les veines, les muscles, les tendons paroissent, chaque piece en son siege. L’effect de la toux en produisoit une partie ; l’effect de la palleur ou battement de coeur, une autre, et doubteusement[12]. » Cet essai de Montaigne a d’ailleurs plus d’une chose en commun avec Le scaphandre et le papillon. Après tout, il y est aussi question d’accident et de récit de vie et de mort, d’un accident de cheval en l’occurrence qui plonge l’auteur dans un coma, et du réveil douloureux qui suit. Comme pour le cas Bauby en humanités médicales, le cas Montaigne – cas au sens de casus et au sens de chute – devient lui aussi le prétexte à une réflexion sur l’exemplarité accidentelle du récit de vie et de mort chez son auteur.
Dans Lescaphandre et le papillon, il faut attendre l’avant-dernier chapitre (« A day in the life ») pour que refasse surface la mémoire des heures qui ont précédées l’accident cardiovasculaire. La reconstitution de la journée fatidique est elle-même ponctuée d’autres souvenirs, y compris celui d’un accident de la route dont le jeune Jean-Dominique fut le témoin alors qu’il était lycéen. Cette remémoration navigue en eaux troubles entre le passé qui revient à la mémoire et les marques d’un futur qui hésite entre préfiguration (« cet ultime repas » ; LSELP, p. 129) et spéculation (« De quelles chansons se souviendra Théophile quand il aura quarante-quatre ans ? » ; LSELP, p. 131). Le moment de la perte de conscience (« Et je sombre dans le coma » ; LSELP, p. 133) a beau être situé le plus exactement possible dans une séquence narrative, il appartient à une temporalité qui demeure hors récit et pour ainsi dire hors sujet dans le processus de remémoration. D’où l’importance de la scène du réveil qui ouvre le récit, rejoue la reprise de conscience initiale et vient répondre à la question de l’entrée dans le récit – mais par quel bout commencer ? – en assignant les limites respectives mais toujours provisoires du biologique et du biographique[13].
Si la scène du réveil a quelque chose de proustien (« Ma chambre sort doucement de la pénombre. Je regarde en détails les photos des êtres chers, les dessins d’enfants, les affiches » ; LSELP, p. 9), elle ne serait pas non plus entièrement déplacée dans le cadre d’une méditation cartésienne qui a mal tourné (« paralysé de la tête aux pieds, le patient est enfermé à l’intérieur de lui-même avec l’esprit intact et les battements de sa paupière gauche pour tout moyen de communication »), à la différence que le sujet pensant dans Le scaphandre et le papillon est d’abord un patient dont la survie dépend entièrement de la sollicitude de toute une équipe de soin[14]. Il ne lui est pas possible de feindre de n’avoir aucun corps et de n’être en aucun monde ni aucun lieu[15]. À l’immédiateté du « je pense » cartésien répond l’effet prothèse du « j’écris » de Jean-Dominique.
La dimension collaborative du texte reflète les gestes de la physiothérapeute qui créent des points de contact entre surface massée et surface messagère : « De ses doigts tièdes, Brigitte parcourt tout mon visage, la zone stérile qui me semble avoir la consistance d’un parchemin et la partie innervée où je peux encore froncer un sourcil » (LSELP, p. 22). Dans cet exemple, le texte assure une continuité de substitution entre deux états incompatibles du corps : le corps d’avant et le corps d’après l’accident, le corps parcheminé et son récit en voie de transcription. Parce que le lent processus d’écriture va de pair avec le lent processus de rééducation, le processus de rééducation fait partie intégrante de l’effort compositionnel et mémoriel qui sous-tend l’arc narratif avec ses vingt-neuf chapitres-vignettes (en incluant le prologue).
Tout dans Le scaphandre et le papillon n’est pas cependant orienté vers le passé et la mémoire du corps qui n’a pas survécu à l’accident. Loin de là. L’attention aux stimuli olfactifs, auditifs et affectifs, ainsi que leur analyse, absorbent une grande partie de l’énergie narrative déployée par l’auteur. Les bruits du quotidien, la couleur des briques après la pluie, l’odeur grasse des frites composent un vocabulaire sensoriel qui dessine les contours d’un présent de la convalescence et de l’immobilité. Pour Bauby l’idée de continuité temporelle n’est pas indexée sur la disponibilité d’un futur donné d’avance, que ce soit l’expression grammaticale du futur, ou son expression médicale sous la forme d’un pronostic, mais plutôt sur le processus de remémoration. Ainsi, le temps du souvenir n’est-il pas exclusivement le passé, mais un présent biomédical dans lequel il faut renégocier au jour le jour les contours du biologique et du biographique assignés par la logique du vivant et de la survie, et ceux associés au vécu d’un gourmet. Bauby explique : « Par le biais d’une sonde reliée à l’estomac, deux ou trois flacons d’une substance brunâtre m’assurent mon lot quotidien de calories. Pour le plaisir, j’ai recours à la mémoire vive des goûts et des odeurs, un inépuisable réservoir de sensations » (LSELP, p. 41-42). Le témoignage d’un spécialiste d’ergothérapie à l’université de Cardiff apportera un éclaircissement sur ce que j’entends par ce lien, qu’il soit implicitement admis ou explicitement refusé, entre temps biomédical et temps du récit de soi.
Dans une réflexion sur le refus de sa mère d’être alimentée par gastrostomie percutanée endoscopique (ou GPE), Dikaios Sakellariou écrit : « [Elle] désirait garder son corps intact, ce qui pour elle voulait dire pas de GPE, même si la GPE était ce qui avait été recommandé peu après le diagnostic de maladie du motoneurone[16]. » Pour elle, la GPE n’est pas une technologie avec laquelle elle se voit vivre. Le futur, ou plutôt l’idée de continuité dans le temps, n’est pas du côté d’une procédure médicale qui la maintient en vie et devra donc s’écrire différemment. Nous touchons là à l’idée de réparation chez Sedgwick.
Chantier de lecture : le cas Sedgwick
Avec son titre presque légendaire – « Lecture paranoïde et lecture réparatrice, ou, T’es tellement paranoïde, tu penses sans doute que cet essai est sur toi » – l’essai de Sedgwick est un classique de la théorie queer, mais c’est également un texte clef pour comprendre l’émergence d’une nouvelle tonalité affective en critique littéraire, plus effacée, plus humble, moins formaliste – d’autres diront affaiblie, dépolitisée, désengagée – comparée aux ambitions idéologiques de la génération précédente qui investissait dans le pouvoir de la critique, comme pouvoir de faire une différence, de constituer une résistance idéologique aux avancées culturelles et politiques du capitalisme tardif[17]. Quoi que la postérité ait fait de son essai, le propos de Sedgwick ne visait cependant pas à désarmer un discours critique mais précisément à penser ses tonalités affectives. Dans The Limits of Critique, Rita Felski se penche sur la difficulté qu’il y a à envisager le travail d’interprétation autrement que sous le mode d’une relation négative au texte[18]. Produire du savoir en études littéraires et culturelles c’est souscrire à l’hypothèse selon laquelle l’objet de lecture ne dit jamais tout. Il reste toujours quelque chose à lire pour peu que l’on s’y prenne bien, à condition de prendre ses distances sous couvert de théorie avec l’objet de l’analyse, ou au contraire de se rapprocher le plus possible de lui. C’est en relation avec l’idée de tonalité affective qu’il faut comprendre l’opposition entre lecture paranoïde et lecture réparatrice.
À une logique paranoïde de la critique, Sedgwick oppose une logique de la réparation. La généalogie de l’opposition est freudienne. Freud lui-même évoque en 1919 un certain lien de parenté entre délires paranoïdes et systèmes philosophiques[19]. Dans son ouvrage monumental sur Freud, Paul Ricoeur oppose quant à lui une herméneutique de la foi en contexte théologique à une herméneutique du soupçon qu’il associe à Freud (en compagnie de Marx et de Nietzsche)[20]. Enfin, Sedgwick reprend à Melanie Klein sa théorie de l’oscillation entre position paranoïde (défensive) et position dépressive (orientée vers la réparation, y compris de la réparation de quelque chose qui n’a jamais existé en tant que telle et en tant que tout)[21]. Lire de façon paranoïde c’est se prémunir contre, se garder de. C’est faire en sorte de diminuer à la fois les effets de surprise et d’attachement au texte. C’est aussi avoir l’erreur en horreur. Réparer, à l’inverse, ce n’est pas forcément faire comme si rien ne s’était passé, ou revenir en arrière, mais envisager une autre relation au temps, à l’avant et à l’après, au temps comme horizon normatif, et en particulier au temps de la guérison comme retour à un état antérieur.
À l’inverse du développement sur la lecture paranoïde, les dernières pages de l’essai de Sedgwick, dans lequel il est finalement question de pratiques réparatrices de lecture, sont plus anecdotiques qu’analytiques dans leur démarche. Sedgwick ne nous dit pas comment réparer ou quoi réparer, ni même ce qu’il en est de cette logique réparatrice, sinon par la négative – comme une pratique de lecture qui ne serait pas entièrement définie par une position paranoïde –, et à travers des exemples personnels et littéraires qui gravitent autour d’une série de hoquets temporels dans lesquels la relation entre passé, présent et futur se retrouve suspendue pour un bref moment de surprise. Pour la littérature, Sedgwick se tourne vers Proust et en particulier vers la scène du Temps retrouvé dans laquelle le narrateur de la Recherche se rend à l’évidence de sa vieillesse[22]. Il est vrai que vieillir a à la fois quelque chose d’inévitable et pourtant d’abstrait. Les signes de sa vieillesse sont visibles partout, à fleur de peau, sous la forme d’une pile de lettres qui se sont amassées, et dans l’épaisseur narrative du récit lui-même, mais cette accumulation n’est pas forcément lisible comme une relation à soi. C’est une chose pour lui de réaliser que ses contemporains aient pris un coup de vieux. C’en est une autre que de se reconnaître dans cette contemporanéité. Ou, sous un autre angle, s’il est une chose de se retrouver confronté aux marques de l’âge, il en est une tout autre de comprendre de quoi le vieillissement ressort quand son rapport aux âges de la vie n’est pas, ainsi que le souligne Sedgwick, organisé par un scénario générationnel hétéronormatif[23].
La même chose est vraie pour Bauby, au sens où l’altération de l’image de soi est si soudaine qu’elle en est ahurissante au premier abord, quand, au détour d’un couloir, il surprend le reflet de son visage dans une vitrine : « Pendant une minute j’ai fixé cette pupille dilatée sans comprendre que c’était tout simplement moi. Une étrange euphorie m’a alors envahi. Non seulement j’étais exilé, paralysé, muet, à moitié sourd, privé de tous les plaisirs et réduit à une existence de méduse, mais en plus j’étais affreux à voir » (LSELP, p. 31). L’évidence du changement corporel auquel il se retrouve confronté ne correspond pas à un âge de la vie. Elle ne se traduit pas en termes générationnels ou de sénescence. Bauby n’a pas vieilli et ne vieillira pas. La quatrième de couverture nous informe qu’« il s’éteint le 9 mars 1997 », deux jours après la publication du livre. L’état de dépendance presque foetale évoqué par l’épisode hebdomadaire du bain qui le « plonge à la fois dans la détresse et la félicité » (LSELP, p. 22) suggère par ailleurs un mouvement inverse, mais qui ne correspond pas non plus à un mouvement de rajeunissement. À quarante-deux ans, il partage désormais les conditions d’existence et l’isolement physique de son père, âgé de quatre-vingt-douze ans.
Au reflet inattendu, douloureux et hilarant dans lequel Jean-Dominique apprend malgré lui à se reconnaître répond l’arrangement « de photos de toutes les époques glissées dans le cadre d’un grand miroir » (LSELP, p. 50) dans l’appartement parisien où son père se retrouve confiné. Le miroir ne reflète rien ni personne en particulier. Il ne fait que rassembler trois images et trois générations d’enfants – le père avant la Grande Guerre en costume de marin, la fille de Jean-Dominique à huit ans, et Jean-Dominique lui-même à onze ans. La dimension réparatrice du récit n’est pas dans un mouvement de retour en arrière mais plutôt dans ces moments d’arrêt sur image – la minute qui est nécessaire à Jean-Dominique pour déchiffrer son reflet, la nature morte au miroir et aux photographies dans l’appartement du père, et le dessein de sa fille dans lequel il croit voir le signe mathématique de l’infini (LSELP, p. 80-81) – où sont renégociés les termes d’une contemporanéité dans laquelle il finit par reconnaître les contours de son présent.
Car le contemporain n’est pas donné, il est produit[24]. Une lecture réparatrice, ou du moins une pratique de lecture qui ne serait pas entièrement absorbée par une position paranoïaque, produit du contemporain. Elle examine la contemporanéité de positions narratives qui a priori ne le sont pas, ou encore elle se retrouve à devoir dissocier des a priori narratifs. Ainsi, le récit de Bauby se conclue-t‑il sur l’affirmation d’une nouvelle relation au milieu clinique qui prend soin de lui (« j’ai bel et bien débuté une nouvelle vie, et c’est là, entre ce lit, ce fauteuil, ces couloirs, qu’elle se passe et nulle part ailleurs » ; LSELP, p. 135). Relation au temps cyclique du calendrier qui n’est plus le sien (« je savoure la dernière semaine d’août d’un coeur presque léger car, pour la première fois depuis longtemps, je n’ai pas cette horrible impression d’un compte à rebours » ; LSELP, p. 136), et au temps développemental de la rééducation (« J’arrive à grogner la petite chanson du Kangourou, hymne étalon de mes progrès en orthophonie » ; LSELP, p. 135)
Se garantir et se garder de, c’est aussi, étymologiquement, guérir, explique Canguilhem[25]. Bauby, lui, ne guérira pas, du moins pas en ces termes qui signifient le repli (« restaurer, restituer, rétablir, reconstituer, récupérer, recouvrer[26] »). Le repli sur soi, sur une position antérieure, sur une version antérieure de soi, n’est pas une option. Bauby développe une pédagogie du récit qui met l’accent sur les affects ordinaires et les effets de surface – jeux d’ombre et de lumière, de textures, reflets, reliques photographiques, cinématographiques et littéraires, mais aussi l’émouvante nature morte au cahier bleu, à la trousse, et aux mouchoirs qui conclut le récit (LSELP, p. 136-137) – car ce qu’il lui fait réparer c’est d’abord son lien avec le monde[27].
Le tour de force de Bauby a été de transformer le locked-in syndrome en un point de vue sur lui-même et sur le monde – en particulier le monde hospitalier qui le fait vivre et le condamne à se survivre. La perspective est moins systématique, au sens où Le scaphandre et le papillon considère la médecine (occidentale et allopathique) en général et en relation avec d’autres discours sur la guérison – par exemple dans le chapitre « La prière » –, que chronique, parce qu’organisée autour d’une série d’évènements (la visite d’un être cher, une épiphanie, l’écriture d’un livre) et de non-évènements (une séance de rééducation, un trait d’esprit qui tombe à plat, un appel téléphonique qui se termine en sanglots, ou encore un après-midi passé dans la solitude). L’effet de mise à distance qui fait ici et là sa tonalité critique ne répond pas toujours aux automatismes de l’ironie dirigée contre le corps médical. Certes, s’il perd l’usage de son corps, Bauby ne perd rien de son mordant. Il sait cependant que « le trait le plus fin s’émousse et tombe à plat quand il faut plusieurs minutes pour l’ajuster » (LSELP, p. 76). Les termes d’une défamiliarisation radicale lui sont pour ainsi dire donnés, mais ils ne sont jamais pour autant entièrement maîtrisés, ni même maîtrisables à cet égard. Ils font l’objet d’un apprentissage dont le récit et son adaptation à l’écran sont à la fois le produit et le médium. Dans la dernière section de l’article, je souhaiterais aller plus loin dans la réflexion sur l’idée de réparation en considérant le travail d’adaptation cinématographique comme une forme de lecture réparatrice.
Guérir, réparer, adapter
Dans un classique des humanités médicales dont la première version est à peu près contemporaine du récit de Bauby et de l’article de Sedgwick, Arthur Frank écrit : « Les histoires que nous racontons ont le pouvoir de guérir [heal][28]. » Au premier abord, l’optimisme d’une telle affirmation est intimidant. On pourrait lui préférer l’idée d’un pouvoir de « soigner, » dans une traduction légèrement atténuée, ou alors il faudra l’entendre à la lumière d’une autre proposition que j’emprunte à un ouvrage récent de Bharat Jayram Venkat : « [L]a question de ce qui fait l’objet de la guérison – une maladie, un corps, un peuple, une relation, une société, une attitude, une population, un environnement – révèle le fait que la guérison [cure] puisse être inévitablement et toujours une métaphore au référent difficile à saisir[29]. » De même, dans Le scaphandre et le papillon l’idée de guérison initie un mouvement métaphorique entre papillon et battement de paupière, entre circonstances personnelles et circonstances techniques et historiques (pour revenir au propos de Nancy dans L’intrus), entre « l’espoir d’un jour et l’échec, à la fin [qui ne dit pas] non à l’espoir d’un jour », mais aussi entre la voix du récit dans laquelle le patient cherche à se reconnaître et celle issue des cordes vocales[30].
Il n’y a rien de vraiment novateur à associer réparation et narration (y compris dans sa forme la plus lyrique), ou à établir un parallèle entre l’existence du récit et celle du trauma, de la séparation, ou d’une forme ou une autre d’entropie. Pour ce qui est du travail de lecture, il ne s’agit que d’un point de départ. Encore faut-il pouvoir rendre compte des modalités d’une telle association et de ses enjeux, des formes qu’elle a su prendre, ou de celles qu’elle n’a pas prises. La logique réparatrice dans le récit de Bauby est singulière parce qu’elle ne passe pas par la voix, ou du moins pas directement, même si d’un point de vue clinique la voix est le lieu d’une réparation possible. Nous apprenons ainsi que « [c]’est du côté des voies respiratoires qu’il faut chercher d’éventuelles améliorations. À long terme, on peut espérer récupérer une alimentation plus normale […] une respiration naturelle et un peu du souffle qui fait vibrer les cordes vocales » (LSELP, p. 18). Mais quand bien même, cela ne veut pas dire forcément que le récit de Bauby est par le même biais le lieu d’une reconnaissance.
Le statut de cette voix n’est pas passé sous silence, comme en témoigne le chapitre « La voix off » avec sa mise en abyme du projet narratif de Bauby sous une forme dramatique et impersonnelle dans laquelle il serait question des tribulations existentielles d’un certain monsieur L., lui aussi victime du syndrome d’enfermement, que « [l’]on pourra suivre […] aux premières loges grâce à une voix off reproduisant (son) monologue intérieur » (LSELP, p. 61). Ce passage ouvre depuis l’intérieur le récit sur son futur cinématographique : non seulement à travers l’adaptation du texte à l’écran, mais à travers l’adaptation à l’écran d’une relation singulière entre le corps et la voix. Adapter Le scaphandre et le papillon à l’écran c’est en cela rejouer l’enfance silencieuse du cinéma, avec ses corps privés de voix – à la différence cependant que l’enfance cinématographique sur laquelle ouvre le récit de Bauby se retrouve également privée des gesticulations et mimiques suppléant au défaut d’expression verbale dans le cinéma des premiers temps.
On conçoit bien la difficulté qu’il y a dans l’adaptation cinématographique d’un texte essentiellement introspectif comme Le scaphandre et le papillon. L’introspection est en effet moins le résultat d’un choix assumé qu’une conséquence de l’accident cardiovasculaire. L’auteur se voit condamner à l’introspection quand bien même il cherche à renouer avec le monde qui l’entoure, mais à une distance telle qu’elle demeure difficile à appréhender. Et pourtant, j’avancerais l’idée que la dimension introspective du récit de Bauby relève déjà, dans sa conception, du dispositif cinématographique dans sa relation à la voix. Pourquoi ? Parce que, comme l’a soutenu Mary Ann Doane, la relation du corps à la voix au cinéma n’est pas donnée comme telle. Elle n’a rien de naturelle. L’unité que cherche à reproduire l’invention du corps parlant au cinéma est inventée, et sans cesse à réinventer, et cela qu’elle soit mise en place à travers une succession de plans en regard de la narration ou non[31]. L’adaptation du récit de Bauby par Schnabel repose en grande partie sur l’usage de la voix off – c’est-à-dire sur la mise en scène d’une voix narrative qui reproduit la voix d’un personnage que l’on ne voit pas à l’écran. Si l’utilisation de la voix off dans Le scaphandre et le papillon est une technique de narration, elle signifie également l’absence du corps de Bauby. Pas seulement une absence à l’écran mais une absence à la voix qui fait son deuil du corps que lui a retiré l’accident cardiovasculaire.
Dans l’adaptation de Schnabel, le retour de Bauby au langage par voix interposée ne se fait pas sans heurt, même si au premier abord l’évidence de la voix off nous est donnée. Le film s’ouvre sur un clignement d’objectif qui assimile la position de la caméra à celle du patient qui sort d’un coma dans une confusion totale. Il parle, nous l’entendons, mais l’équipe qui s’affaire autour de lui ne l’entend pas. Pour cela, il faudra attendre la mise en place d’une autre voie de communication. La voix off est donnée d’emblée pour permettre au film de se raconter, mais elle fait en parallèle l’objet d’un apprentissage sous la forme d’une récitation de l’alphabet ESARINT, ponctuée de clignements de paupière. Cependant, dans l’une de ces scènes d’apprentissage où l’orthophoniste parle pour le corps hors écran qui lui fait face et nous fait face par caméra interposée, l’usage de la voix off est suspendu pour laisser place au lent processus à travers lequel elle recueille patiemment les lettres sélectionnées par Bauby et les assemble avec une émotion à peine dissimulée en un « Je veux mourir ». Non seulement l’unité de présence entre la voix et le corps n’est pas donnée, mais à ce moment précis du film, elle n’apparaît plus réparable ni même concevable.
Bien que la scène ne figure pas dans le texte original, elle a quelque chose d’important à dire sur les principes fondateurs de la médecine narrative (narrative medicine) ainsi que l’observe très justement Megan Craig. Elle signale au récit de maladie sa limite comme projet thérapeutique qui vient mettre de l’ordre dans ce qui n’en a pas et n’en a jamais eu, ou dans ce qui n’en a plus : « Les premiers mots de Bauby viennent nous rappeler que le langage émerge d’un corps potentiellement blessé au-delà de sa capacité d’expression[32]. » Cette limite est nécessaire au mouvement pendulaire qui donne sens à la métaphore du scaphandre (comme mise à distance) et du papillon (comme présence à soi et aux autres). De même que pour Venkat, il n’y a pas de paradigme fondateur de la guérison, et de la même façon que l’idée de santé puisse faire figure de « non-état au regard du langage » en dépit des définitions que les institutions de santé publique se donnent, il n’y a pas de certitude narrative à retrouver en matière de santé[33]. En d’autres termes, toutes les logiques narratives, biographiques ou non, ne sont pas aristotéliciennes, à savoir, pourvues d’un début, d’un milieu et d’une fin. S’essayer au récit c’est déjà adopter une position de lecture réparatrice.
Conclusion
L’ambition de cet article a été de comprendre les humanités médicales comme une pratique critique en humanités philologiques, c’est-à-dire comme un développement historique au sein des humanités, plutôt que comme une échappatoire ou un compromis portant atteinte au noyau d’une identité disciplinaire qui jusqu’à présent – un présent déjà lointain – avait garanti le sérieux de l’entreprise philologique. Par philologie, j’entends moins une expertise associée à un travail de restitution ou d’édition des textes anciens dans laquelle beaucoup de chercheurs·euses en études littéraires ne se reconnaîtront sans doute pas, qu’une attitude envers l’objet déposé, ou encore une certaine attention pour l’empreinte dans sa relation au temps et aux processus qui cherchent à lui donner sens.
L’opposition entre lecture paranoïde et lecture réparatrice est donc à nuancer, ainsi que le souligne Robyn Wiegman. Ce sont deux expressions contraires d’une même passion interprétative : l’une privilégiant le détachement et la mise à distance, au risque de réduire son objet en cendres, et l’autre la mise en contact et l’attachement, au risque de passer pour naïve et surannée[34]. Le problème avec la lecture réparatrice c’est qu’elle est présentée comme un retour en arrière, comme une forme de régression des études littéraires d’avant le tournant linguistique, d’avant la déconstruction, d’avant les avancées de la sémiotique, et d’un reniement de tout ce qu’il en a coûté aux études littéraires, et plus largement aux sciences humaines, de se constituer une position de crédibilité dans l’université de recherche.
Dans le scénario interprétatif que j’ai cherché à esquisser à partir du récit de Bauby et de l’essai de Sedgwick, les humanités médicales ne sont ni le futur (interdisciplinaire) des humanités, ni une abréviation méthodologique d’un immense répertoire disciplinaire devenu obsolète et encombrant. Elles constituent une dynamique dans le processus de resocialisation de la parole littéraire décrit par Alexandre Gefen dans le contexte de la littérature française du xxie siècle, alors qu’à la figure de l’écrivain·e qui n’a rien à dire succède une génération d’auteurs·trices qui parlent de trauma, de handicap, de précarité sociale et de pédagogie de la guérison[35]. Les humanités médicales sont en cela le lieu d’un retour sur la tension entre lecture paranoïde et lecture réparatrice, et de ce fait, une tentative de constituer les humanités médicales en une sorte de laboratoire critique dans lequel il est non seulement possible mais productif de parler de théorie littéraire – et, en l’occurrence, de faire résonner certaines propositions avancées par Sedgwick avec un récit qui lui est contemporain, et vice versa. Car, encore une fois, il ne s’agit pas d’abandonner le geste critique, mais bien de redéfinir l’étendue de ses tonalités affectives et expressives au-delà du répertoire de la mise à distance et des mécanismes de défamiliarisation. Il ne s’agit pas non plus d’exagérer le pouvoir thérapeutique du récit. Réparer c’est moins refaire un corps que l’accident de la vie a défait que lui donner une nouvelle archive.
Appendices
Note biographique
Vincent Bruyère est professeur agrégé dans le département de français et d’italien à l’Université Emory (Atlanta). Il est l’auteur de trois livres : La différence francophone paru en 2012 aux Presses universitaires de Rennes, Perishability Fatigue :Forays Into Environmental Loss and Decay paru en 2018 chez Columbia University Press, et Environmental Humanities on the Brink : The Vanitas Hypothesis paru en 2023 chez Stanford University Press. Son travail de recherche se situe à l’intersection entre les humanités environnementales et les humanités en santé. En 2021, il était enseignant invité à l’Institut d’études culturelles françaises de Dartmouth College.
Notes
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[1]
Je tiens à remercier Benjamin Gagnon Chainey et Daniel Laforest pour leurs commentaires sur une première version de cet article ainsi que les étudiantes qui ont participées à mon séminaire sur les humanités en santé au printemps 2023.
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[2]
Georges Canguilhem, « Les maladies » [1989], dans Écrits sur la médecine, Paris, Seuil, coll. « Champ freudien », 2002, p. 35.
-
[3]
Erwin Panofsky, « L’histoire de l’art est une discipline humaniste », dans L’oeuvre d’art et ses significations : essais sur les « arts visuels », trad. par Bernard et Marthe Teyssèdre, Paris, Gallimard, 1969. Sur la définition kantienne des humanités comme relation à la trace, je renvoie au chapitre de Samuel Weber, « Ambivalence: The Humanities and the Study of Literature », dans Institution and Interpretation, Stanford, Stanford University Press, 2001, en particulier p. 143.
-
[4]
David Armstrong, « The Temporal Body », dans Roger Cooter et John Pickstone (dir.), Companion toMedicine in the Twentieth Century, London, Routledge, 2003, p. 247-259.
-
[5]
Deborah Lupton, The Quantified Self: A Sociology of Self-Tracking, Cambridge, Polity, 2016.
-
[6]
Déjà au milieu des années 1990, Eve Sedgwick écrivait, dans le contexte américain d’accès aux soins de santé : « Je redoute moins d’être pathologisée par mon thérapeute que de voir disparaître ma couverture pour les problèmes de santé mentale, et c’est encore parce que j’ai la bonne fortune d’avoir une assurance santé » (« Paranoid Reading and Reparative Reading ; or, You’re So Paranoid, You Probably Think This Essay is about You », dans Touching Feeling: Affect, Pedagogy, Performativity, Durham, Duke University Press, 2003, p. 141 ; je traduis).
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[7]
Voir l’article pionnier de Susan Squier, « Beyond Nescience: The Intersectional Insights of Health Humanities », Perspectives in Biology and Medicine, vol. 50, no 3, 2007, p. 334-347.
-
[8]
Je reprends ici les termes du magnifique livre de Todd Meyers, The Clinic and Elsewhere:Addiction, Adolescents, and the Afterlife of Therapy, Seattle, University of Washington Press, 2013.
-
[9]
Ma position est en cela comparable à celle adoptée par l’équipe éditoriale de l’ouvrage dirigé par Céline Lefève, François Thoreau et Alexis Zimmer (Les humanités médicales. L’engagement des sciences humaines et sociales en médecine, Arcueil, Éditions Doin, coll. « La personne en médecine » 2020) et dans l’article programmatique de Julia Kristeva, Marie Rose Moro et coll. : « Pour repenser les fondations des humanités médicales […] il faut commencer par parler des bases de ce qui constitue les humanités » (« Cultural Crossings of Care: An Appeal to the Medical Humanities », Medical Humanities, no 44, 2018, p. 55 ; je traduis).
-
[10]
Jean-Dominique Bauby, Le scaphandre et le papillon, Paris, Robert Laffont, 1997, p. 26. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle LSELP, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[11]
Je reprends les termes de cette opposition à Jean-Luc Nancy lorsqu’il écrit au sujet de la transplantation cardiaque dont il a bénéficié dans les années 1990 : « On croise une contingence personnelle avec une contingence dans l’histoire des techniques. Plus tôt, je serais mort, plus tard, je serais autrement survivant » (L’intrus, Paris, Galilée, 2000, p. 14).
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[12]
Michel Eyquem de Montaigne, Les essais, éd. Pierre Villey et Verdun-Louis Saulnier, Paris, Presses universitaires de France, 1965, vol. 2, p. 379.
-
[13]
Cathy Caruth écrit dans un magnifique commentaire sur Au-delà du principe de plaisir que pour Freud « le trauma n’est pas seulement la répétition de la rencontre manquée avec la mort mais aussi la rencontre manquée avec sa propre survie. C’est l’acte incompréhensible de la survie – le fait de se réveiller vivant – qui répète et témoigne de ce qui demeure insaisissable dans la rencontre avec la mort » (Literature in the Ashes of History, Baltimore, Johns Hopkins University, 2013, p. 6 ; je traduis). Montaigne, lui aussi, est bien conscient du drame existentiel qui se joue autour de la scène de son réveil après l’accident dont il est victime dans l’essai pré-cité : « A l’adventure pourroit sembler inutile et contre nature la faculté du sommeil qui nous prive de toute action et de tout sentiment, n’estoit que, par iceluy, nature nous instruict qu’elle nous a pareillement faicts pour mourir que pour vivre, et, dès la vie, nous présente l’eternel estat qu’elle nous garde apres icelle, pour nous y accoustumer et nous en oster la crainte » (Montaigne, Les essais, ouvr. cité, p. 372).
-
[14]
René Descartes, « Quatrième partie », Discours de la méthode [1637], éd. Victor Cousin, Paris, Levrault, 1824, p. 159-160 : « Je connus de là que j’étois une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui pour être n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle ; en sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connoître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne lairroit pas d’être tout ce qu’elle est. »
-
[15]
René Descartes, Discours de la méthode, ouvr. cité, p. 159 : « Puis, examinant avec attention ce que j’étois, et voyant que je pouvois feindre que je n’avois aucun corps, et qu’il n’y avoit aucun monde ni aucun lieu où je fusse. »
-
[16]
Dikaios Sakellariou, « Creating In/Abilities for Eating », Somatosphere [En ligne], mis en ligne le 15 juin 2015, consulté le 5 septembre 2022, URL : http://somatosphere.net/2015/06/creating-inabilities-for-eating.html ; je traduis.
-
[17]
Sur la nouvelle modestie critique, voir Jeffrey J. Williams, « The New Modesty in Literary Criticism », Chronicle for Higher Education, 15 janvier 2015.
-
[18]
Rita Felski, The Limits of Critique, Chicago, Chicago University Press, 2015.
-
[19]
Sigmund Freud, « Preface to Reik’s Ritual: Psychoanalytic Studies » [1919], The Standard Edition of the Complete Psychological Work, éd. James Strachey, London, Hogarth Press, 1981, t. xvii, cité par Eve Sedgwick, « Paranoid Reading and Reparative Reading », ouvr. cité, p. 125.
-
[20]
Paul Ricoeur, De l’interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1995.
-
[21]
Eve Sedgwick, « Paranoid Reading and Reparative Reading », ouvr. cité, p. 128.
-
[22]
Marcel Proust, Le temps retrouvé, Paris, Gallimard, 1927, p. 88-89.
-
[23]
Eve Sedgwick, « Paranoid Reading and Reparative Reading », ouvr. cité, p. 147-148.
-
[24]
Paul Rabinow souligne le fait que la contemporanéité n’est pas un état donné mais le résultat d’un effort collectif ou d’un mouvement de coordination qui réorganise la relation entre passé, présent et futur (The Accompaniment: Assembling the Contemporary, Chicago, Chicago University Press, 2011, p. 177).
-
[25]
Georges Canguilhem, « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? », dans Écrits sur la médecine, ouvr. cité, p. 74-100.
-
[26]
Georges Canguilhem, « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? », ouvr. cité, p. 74-75.
-
[27]
Kathleen Stewart, Ordinary Affects, Durham, Duke University Press, 2007, p. 1-2 : « L’ordinaire est un assemblage à géométrie variable de pratiques et de savoir pratique. C’est à la fois une scène de vitalité et d’épuisement, le rêve d’échappée belle ou le rêve d’une vie simple. Les affects ordinaires correspondent au déferlement de diverses aptitudes à affecter et à être affecté qui donnent au quotidien la qualité d’un continuum relationnel de scènes, de contingences et d’émergences » ; je traduis.
-
[28]
Arthur W. Frank, The Wounded Storyteller: Body, Illness, and Ethics [2e ed.], Chicago, Chicago University Press, 2013, p. xx ; je traduis. Steven Miller, le traducteur américain de l’article de Georges Canguilhem (« Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? »), nous rappelle que le verbe « guérir » signifie à la fois « to heal » et « to cure ». La distinction qu’il établit dans sa traduction est instructive : il utilise « to cure » quand il s’agit d’un processus de guérison achevé et « to heal » quand le processus est en cours (Georges Canguilhem, « Is a Pedagogy of Healing Possible? », trad. par Seven Miller, dans Umbr[a]: Inucrable, no 1, 2006, p. 9-21 ; je traduis).
-
[29]
Bharat Jayram Venkat, At the Limit of Cure, Durham, Duke University Press, 2021, p. 21 ; je traduis.
-
[30]
Georges Canguilhem, « Une pédagogie de la guérison est-elle possible ? », ouvr. cité, p. 99.
-
[31]
Mary Ann Doane, « The Voice in the Cinema: The Articulation of Body and Space », dans Elisabeth Weis et John Belton (dir.), Film Sound:Theory and Practice, New York, Columbia University Press, 1985, p. 162-176.
-
[32]
Megan Craig, « Locked In », The Journal of Speculative Philosophy 22, no 3, 2008, p. 151 ; je traduis. Le chapitre « Cinecitta » – nommé d’après les célèbres studios de cinéma italiens auxquels Bauby assimile les terrasses de l’hôpital – propose une autre ouverture du récit vers l’écran où se dit également, à demi-mot, quelque chose de la scène imaginée par Schnabel dans laquelle Bauby dit par voix interposée qu’il veut mourir : « Je pourrais rester des journées entières à Cinecitta. Là je suis le plus grand réalisateur de tous les temps. Coté ville, je retourne le premier plan de La soif du mal. Sur la plage, je refais les travellings de La chevauchée fantastique, et au large je recrée la tempête des contrebandiers de Moonfleet. Ou alors […] je suis Pierrot le fou, le visage barbouillé de bleu et chapelet de dynamite enroulé autour de la tête. La tentation de craquer une allumette passe à la vitesse d’un nuage » (LSELP, p. 35).
-
[33]
Voir Daniel Laforest, « La littérature et les humanités médicales : examen d’une tension irrésolue », Tangence, no 125-126 (Publier à la tangence de la littérature, des arts et des sciences : spécial 40e anniversaire, dir. Hervé Guay et Roxanne Roy), 2021, p. 86.
-
[34]
Robyn Wiegman, « The Times We’re In: Queer Feminist Criticism and the Reparative “Turn” », Feminist Theory, vol. 15, no 1, 2014, p. 4-25. Voir aussi l’article hommage de Ellis Hanson, « The Future’s Eve: Reparative Reading after Sedgwick », South Atlantic Quaterly, vol. 110, no 1, 2011, p. 106.
-
[35]
Alexandre Gefen, Réparer le monde. La littérature française face au xxiesiècle, Paris, Éditions Corti, 2017, p. 10. Pour Gefen le problème n’est pas de déterminer si oui ou non la littérature soigne et les récits peuvent guérir mais de voir que le repositionnement du littéraire qu’il observe dans le champ contemporain s’organise autour d’un discours thérapeutique. Bauby et Sedgwick sont brièvement mentionnés dans l’ouvrage.
Bibliographie
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