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Témoignage

Le ViragePrix d’écriture Louis-Guérette[Record]

  • Mylène Wilhelmy

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  • Mylène Wilhelmy
    Résidente II

À l’urgence psychiatrique, tous les jours entrent et sortent des gens qui parlent trop fort, trop vite, qui se rebaptisent chanteurs célèbres ou qui combattent des démons invisibles. Tous les jours, on côtoie la maladie sous toutes ses formes. On la reconnaît dans un ensemble de symptômes qui évoquent pour nous un diagnostic. On questionne des patients, on temporise des crises. On perçoit la souffrance même quand elle se déguise. Ultimement, on veut aider. Et on sait un peu comment s’y prendre. On a un plan, on suit des étapes. Même si le parcours n’est pas le même pour chacun, on entrevoit un peu la suite. C’est notre travail, notre quotidien. En naviguant dans la turbulence, on s’habitue à manier la barre. Mais sur le bateau en détresse, il y a aussi le reste de l’équipage. Des proches, ceux qui sont là depuis le début, témoins impuissants de la tempête qu’ils n’ont pas vue venir et dont on sous-estime trop souvent l’impact sur eux. Nos patients nous arrivent les bagages pleins de leurs expériences, riches de leur vie bien entamée. Ils sont des pères, des mères, des frères, des enfants, des amis, des gens qui comptent pour d’autres. Parce qu’il y a bien un « avant » la maladie. Avant l’hôpital, avant nous. Mais cette partie de leur histoire, nous ne l’avons pas connue. Nous ne vivons pas le changement, la transition. Seuls les proches traversent cette étape, en saisissent toutes les subtilités et l’ampleur des pertes. Ils cheminent dans l’incompréhension, sans savoir où la route les mènera, ni même si le brouillard, un jour, se lèvera. Mon récit, basé sur des faits vécus, témoigne du parcours d’un fils et de sa mère, avant, pendant et après le virage fatidique. La vie a tendance à se dérouler sous nos yeux comme un flot continu, sans début ni fin, sans pause ni recul. Mais je me souviendrai toujours d’un moment, sans doute très bref, vers mes huit ou neuf ans, où j’ai senti que ma vie devenait une photo. Je vivais un moment qui deviendrait un souvenir, et comme de fait, je ne l’ai jamais oublié. Un moment de pur bonheur. Au parc en face de mon école primaire, mon équipe de baseball jouait un match sans grande importance. J’étais assis sur le long banc en bois chauffé par le soleil du midi, où les chandails vert et jaune s’alignaient en attendant leur tour au bâton. Mon père, le grand gourou, se tenait accroupi à côté d’un des nôtres, lui tendant une fiche gribouillée de X et de flèches. Sa voix grave portait jusqu’à mes oreilles, se mêlant aux cris des spectateurs entassés dans l’estrade de l’autre côté du terrain. Au pied du monticule métallique, étendue dans l’herbe verte, ma petite soeur avait disposé ses poupées autour d’un pique-nique en pâte à modeler. Et tout juste derrière, assise au premier rang, il y avait ma mère. Celle qui affichait fièrement les couleurs de notre équipe. Celle qui avait préparé une collation de galettes et de fruits pour sustenter notre appétit de vainqueurs, qu’on gagne ou qu’on perde. Celle dont la chevelure rousse bouclée reflétait de chauds éclats de cuivre, comme une couronne autour de son visage souriant. Elle discutait avec une femme à côté d’elle, sans détourner le regard du jeu. Je ne saurais dire ce qui est arrivé d’autre cette journée-là, ni même si mon équipe a remporté ou non cette partie. Mais chaque fois que j’y pense, je ressens, comme si j’y étais, la sérénité de ce moment précis, le sentiment de bonheur, de sécurité, qui semblait vouloir dire …