Article body

1. Introduction

L’approche éducative instaurée par Maria Montessori (1870-1952) concerne désormais tout le cours de la vie, de la prise en charge éducative des bambin⋅e⋅s au maintien de l’autonomie des personnes âgées. L’Association Montessori Internationale (AMI), fondée en 1929, demeure la référence quant à cette approche éducative dont se réclament 34 000 écoles réparties dans 140 pays à travers le monde (Poussin, 2017). Parmi les approches associées au courant de l’éducation nouvelle, elle est la seule à être diffusée auprès de publics variés sur tous les continents habités, (Viaud, 2017b). Considérant sa diffusion et sa présence grandissante au sein des systèmes scolaires publics, notamment aux États-Unis (National Center for Montessori in the Public Sector, 2014) et en France (Viaud, 2017a), il s’avère pertinent de se pencher sur ses effets sur les apprenant⋅e⋅s.

Une revue systématique (Gaudreau, 2022) des études empiriques à ce sujet, menées aux ordres d’enseignement préscolaire (30 études), primaire (23), secondaire (12), postsecondaire (2) ou à plus d’un ordre d’enseignement et publiées dans des revues scientifiques entre 2007 et 2021, révèle qu’elles obtiennent presque exclusivement des résultats favorables au groupe expérimental montessorien, ou équivalents entre les groupes comparés. Pour cinq dimensions, les résultats de plusieurs études lui sont unanimement favorables. Au niveau préscolaire, il s’agit de la lecture (Courtier et coll., 2021), notamment avec une grande fidélité de l’implantation (Lillard,2012 ; Lillard et Else-Quest, 2006 ; Lillard et Heise, 2016) et de l’activité physique (Byun et coll., 2013 ; Pate et coll., 2014) ; au primaire, des compétences sociales (Ahmad et Reba, 2018 ; Lillard et Else-Quest, 2006) et de la pensée divergente liée à la créativité (Besançon et Lubart, 2008 ; Besançon et coll., 2013 ; Denervaud et coll., 2019 ; Fleming et coll., 2019) ; au secondaire, du bienêtre à l’école (Rathunde et Csikszentmihalyi, 2005 ; Ruijs, 2017). Par ailleurs, des résultats favorables apparaissent chez des jeunes issu⋅e⋅s de milieux socioéconomiques défavorisés (Lillard et coll., 2017), des jeunes latino-américain⋅e⋅s vulnérables (Ansari et Winsler, 2020), des enfants réfugié⋅e⋅s (Tobin et coll., 2015) ainsi que des jeunes handicapée⋅s ou ayant des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation (Donabella et Rule, 2008 ; Kaya et Yildiz, 2019 ; Yildirim Dogru, 2015).

Ce corpus prometteur, mais encore exploratoire comporte des limites méthodologiques importantes. Notamment, le manque d’évaluation de la fidélité de l’implantation de l’approche Montessori dans les milieux scolaires desquels sont tirés les échantillons mine la validité interne des études et la fiabilité de leurs résultats. En effet, 18 études du corpus ne partagent aucune information à ce sujet (Ahmad et Reba, 2018 ; Ahmadpour et Mujembari, 2015 ; Bagby et coll., 2012 ; Bahatheg, 2017 ; Buldur et Gokkus, 2021 ; Denervaud, Hess, et coll., 2020 ; Dhiksha et Shivakumara, 2017 ; Dhiksha et Suresh, 2016 ; Guven et coll., 2020 ; Kaya et Yildiz, 2019 ; Kayili et Ari, 2011 ; Kayili et Kuscu, 2012 ; Laski et coll., 2016 ; Peng et Md-Yunus, 2014 ; Ruijs, 2017 ; Shankland et coll., 2010 ; Shankland et coll., 2009) alors que 35 études décrivent de façon sommaire les milieux scolaires desquels sont issus leurs échantillons, admettant ou laissant paraitre une fidélité variable de la mise en oeuvre de l’approche. Sept études ont eu lieu dans des écoles préscolaires ou primaires certifiées par l’AMI (Courtier et coll., 2021 ; Denervaud, Knebel et coll., 2020 ; Denervaud, Mumenthaler, et coll., 2020 ; Hojnoski et coll., 2008 ; Lillard et Else-Quest, 2006 ; Lillard et coll., 2017 ; Mix et coll., 2017), ce qui assure qu’elles satisfont ses critères (voir : https://ami-canada.com/essentialsummary.html). Cela dit, Hojnoski et coll. (2008) avancent qu’il demeure difficile de déterminer dans quelle mesure toutes les composantes de l’approche sont mises en oeuvre s’il n’y a pas d’évaluation formelle de la fidélité de son implantation.

De plus, le nom « Montessori » n’étant pas légalement protégé, toute garderie ou école peut l’adopter, peu importe ses pratiques pédagogiques. Kolly (2018) note d’ailleurs que le qualificatif « Montessori » est rarement interrogé, comme s’il suffisait à définir les pratiques pédagogiques en place, alors qu’en y regardant de plus près l’hétérogénéité règne en ce qui a trait aux techniques employées, au respect du matériel originel, à la formation suivie par les enseignant⋅e⋅s ou encore à la philosophie dans laquelle l’approche pédagogique est pratiquée.

La présente étude aborde ce problème en posant la question générale suivante : comment dépasser la limite méthodologique que représente le manque d’évaluation de la fidélité de l’implantation de l’approche éducative Montessori dans les milieux scolaires étudiés ?

2. Contexte théorique

Cette étude mobilise les concepts de fidélité de l’implantation et de curriculum, puis s’appuie sur notre modèle logique de la mise en oeuvre d’un curriculum éducatif incluant les facteurs contextuels influents.

2.1 Fidélité de l’implantation

Le concept de fidélité de l’implantation s’inscrit dans le cadre de la recherche sur la mise en oeuvre. Il s’agit désormais d’un enjeu de l’évaluation de programmes dans divers domaines, dont l’éducation (Century et coll., 2010 ; Dhillon et coll., 2014). Selon Century et Cassata (2016), la recherche sur la mise en oeuvre est définie comme l’étude systématique : 1) de la mise en oeuvre d’une innovation dans des milieux contrôlés ou de pratique régulière ; 2) des facteurs contextuels qui influent sur la mise en oeuvre ; 3) des relations entre la mise en oeuvre de l’innovation, les facteurs contextuels influents et les résultats obtenus. L’innovation en question peut être un programme, une intervention, une technologie, une approche, une méthode, une stratégie ou une politique. Ces études posent les questions : que fait-on ? Est-ce que cela fonctionne ? Pour qui ? Où ? Quand ? Comment ? Et pourquoi ?

La recherche sur la mise en oeuvre apparait incontournable pour fonder les pratiques éducatives sur des données probantes puis assurer une gestion axée sur les résultats (Century et Cassata, 2014 ; Gale et coll., 2020 ; O’Donnell, 2008 ; U.S. Department of Education, 2003). Ainsi, elle devient une exigence de plusieurs organismes subventionnaires, puisqu’il s’agit de leviers pour bonifier la scientificité des études réalisées (Balu et Quint, 2014 ; Century et Cassata, 2014 ; Dhillon et coll., 2014 ; Goodson et coll., 2014 ; Hulleman et Cordray, 2009 ; Mowbray et coll., 2003 ; Nelson et coll., 2012 ; O’Donnell, 2008).

Au cours des dernières décennies, des cadres conceptuels pour l’évaluation de la mise en oeuvre d’un programme ont été proposés par des chercheur⋅se⋅s de différentes disciplines (Aarons et coll., 2011 ; Carroll et coll., 2007 ; Damschroder et coll., 2009 ; Dane et Schneider, 1998 ; Domitrovich et coll., 2008 ; Dunst et coll., 2013 ; Dusenbury et coll., 2003 ; Fixsen D. et coll., 2009 ; Lastica et O’Donnell, 2007 ; Mowbray et coll., 2003 ; Resnick et coll., 2005 ; Ruiz-Primo, 2006 ; Saunders, 2016 ; Wandersman et coll., 2008 ; Wang et coll., 1984). De ces propositions disparates a émergé le besoin d’un cadre conceptuel consensuel, exhaustif, cohérent et clair, comprenant l’ensemble des définitions nécessaires et permettant d’engendrer des connaissances cumulatives (Century et Cassata, 2014 ; Damschroder et coll., 2009 ; Dhillon et coll., 2014 ; Nelson et coll., 2012 ; O’Donnell, 2008 ; Sanetti et Kratochwill, 2009 ; Saunders, 2016). Une équipe de chercheur⋅se⋅s de l’organisation Outlier – Research et Evaluation, associée au centre de recherche UChicago STEM Education de l’Université de Chicago, a développé un cadre conceptuel de la mise en oeuvre d’une innovation (Innovation implementation framework) (Cassata et coll., 2015 ; Century et Cassata, 2014 ; Century et coll., 2012 ; Century et coll., 2008 ; Century et coll., 2010), sur lequel est fondé le modèle conceptuel conçu pour notre étude. Ce cadre conceptuel comprend deux dimensions : les composantes essentielles de l’innovation et les facteurs contextuels influant sur sa mise en oeuvre.

D’une part, ce cadre conceptuel développé par l’Université de Chicago guide la détermination, la définition et l’organisation des composantes essentielles structurelles et interactionnelles de l’innovation étudiée (Century et Cassata, 2014). Les composantes essentielles structurelles sont subdivisées en deux catégories : les composantes structurelles procédurales et les composantes structurelles éducatives. Les premières regroupent les éléments liés à la conception et à l’organisation de l’innovation (par exemple, descriptions détaillées de la planification et du déroulement des leçons et des activités des apprenant⋅e⋅s, durées, séquences, fréquences, modalités évaluatives, modalités de différenciation pédagogique, matériel didactique, organisation physique de l’environnement, contenus) ; les secondes énoncent les connaissances nécessaires à la mise en oeuvre par les utilisateur⋅rice⋅s (par exemple, informations relatives aux stratégies pédagogiques, objectifs, normes et référentiels) (Century et Cassata, 2014 ; Century et coll., 2012 ; Outlier Research & Evaluation, 2015). Les composantes essentielles interactionnelles, correspondant aux processus, comprennent les pratiques, les interactions et les comportements attendus des différents groupes d’acteur⋅rice⋅s lors de la mise en oeuvre des composantes structurelles (Century et Cassata, 2014). En éducation, il s’agirait d’enseignant⋅e⋅s (composantes interactionnelles pédagogiques), d’apprenant⋅e⋅s (composantes interactionnelles d’engagement), de directeur⋅rice⋅s, de parents ou d’autres intervenant⋅e⋅s.

D’autre part, le cadre conceptuel de l’Université de Chicagonous permet d’inclure les facteurs contextuels influant sur la mise en oeuvre de l’innovation en question, reconnus comme de nécessaires variables modératrices (Dhillon et coll., 2014 ; Saunders, 2016 ; U.S. Department of Education, 2019). Les chercheur⋅se⋅s de l’organisation Outlier – Research and Evaluation ont réalisé une revue systématique de 572 sources scientifiques relatives aux facteurs influant sur la mise en oeuvre d’un programme pour repérer, organiser puis définir les facteurs constamment soulevés (Century et coll., 2012). Leur modèle des facteurs contextuels influant sur la mise en oeuvre d’une innovation éducative, ainsi élaboré, comprend 61 facteurs contextuels regroupés en quatre catégories principales : 1) les caractéristiques de l’innovation ; 2) les caractéristiques des acteur⋅rice⋅s impliqué⋅e⋅s ; 3) les caractéristiques de l’organisation ; 4) les éléments de l’environnement (Century et Cassata, 2014). Une cinquième catégorie de facteurs, qui chevauche les « caractéristiques des acteur⋅rice⋅s impliqué⋅e⋅s » et les « éléments de l’environnement », concerne les réseaux en place, reliant les individus de différentes organisations.

Par ailleurs, selon Mills et Ragan (2000), Mowbray et coll. (2003) ainsi que Songer et Gotwals (2005), le processus d’évaluation de la fidélité de l’implantation d’une innovation se décline en cinq étapes : 1) la détermination, l’organisation et l’opérationnalisation des composantes essentielles et des facteurs contextuels influents ; 2) le développement d’instruments pour l’évaluation ; 3) la validation des instruments développés ; 4) la collecte des données ; 5) l’analyse des données. La présente étude s’inscrit dans la première étape, où il est notamment recommandé de générer un modèle logique, un outil fréquemment utilisé pour l’évaluation de programme (Balu et Quint, 2014 ; Brandt et coll., 2014 ; Century et Cassata, 2016 ; Culclasure et coll., 2019 ; Dhillon et coll., 2014 ; Frechtling, 2007 ; Goodson et coll., 2014 ; Rossi et coll., 2019 ; Saunders, 2016). Un modèle logique est une représentation graphique de la théorie du changement inhérente à un programme (Frechtling, 2007). Il est élaboré de façon itérative, en collaboration avec les concepteurs du programme ou les personnes impliquées dans sa mise en oeuvre (Balu et Quint, 2014 ; Century et coll., 2010 ; Goodson et coll., 2014 ; Rossi et coll., 2019).

Culclasure et coll. (2019) ont récemment proposé un modèle logique de l’éducation Montessori, exposant les liens entre les composantes essentielles, les activités principales et les résultats attendus de l’approche Montessori. Il constitue un jalon important pour dépasser l’utilisation de critères structurels uniquement, comme ceux retenus par l’AMI pour certifier les écoles. En effet, Culclasure et coll. (2019) reconnaissent l’importance d’évaluer également la mise en oeuvre des processus, c’est-à-dire les actions des éducateur⋅rice⋅s, leurs interactions avec les enfants et les actions de ces dernier⋅ère⋅s pour mieux saisir les effets de cette approche éducative. Toutefois, ce modèle décrit l’approche Montessori de la petite enfance au niveau secondaire, ce qui limite le niveau de détail obtenu pour chaque ordre d’enseignement. Pour approfondir ce travail et y ajouter les facteurs contextuels influant sur la mise en oeuvre, la présente étude emprunte une avenue inédite. Il s’agit, d’une part, de se tourner vers la référence fondamentale quant à la version officielle et actuelle de l’approche Montessori, soit la formation initiale des enseignant⋅e⋅s offerte par l’AMI ; d’autre part, de mobiliser le Modèle des facteurs contextuels influant sur la mise en oeuvre d’une innovation éducative développé par Century et Cassata (2014) pour déterminer les facteurs contextuels influant sur la mise en oeuvre du volet primaire (6 à 12 ans) du curriculum Montessori.

2.2 Curriculum

Même si Maria Montessori utilisait l’expression « pédagogie scientifique » pour référer à son approche, l’opérationnalisation du concept de pédagogie s’est avérée infructueuse pour guider la présente étude. Nous avons plutôt choisi de désigner l’approche éducative Montessori par le concept de curriculum, comme d’autres avant nous (par exemple, Aghajani et Salehi, 2021 ; Ansari et Winsler, 2014, 2020 ; Bahatheg, 2017 ; Brown et Lewis, 2017 ; Burbank et coll., 2020 ; Casquejo Johnson, 2016 ; Courtier et coll., 2021 ; Debs et Brown, 2017 ; Denervaud et coll., 2019 ; Denervaud, Knebel, et coll., 2020 ; Hojnoski et coll., 2008 ; Kirkham et Kidd, 2017 ; Laski et coll., 2016 ; Lillard et coll., 2017 ; Mallett et Schroeder, 2015 ; Mix et coll., 2017 ; Peng et Md-Yunus, 2014 ; Reed, 2008).

Depuis le début du 20e siècle, le concept de curriculum est central dans la littérature anglophone en sciences de l’éducation, mais il a été peu utilisé avant le début du 21e siècle dans la littérature franco-européenne (Lenoir, 2006). Ce décalage historique se traduit par l’émergence de deux courants qui véhiculent des définitions différentes et génèrent certaines incohérences (Jonnaert et coll., 2009). Le courant anglophone, influencé par l’éducation nouvelle et par le pragmatisme de Dewey, a le souci de la fonctionnalité et place l’élève au centre de ses apprentissages (Lenoir, 2006). Voici les caractéristiques du concept de curriculum au sein de ce courant :

  1. Il est général et dépasse les programmes d’études qu’il inclut ;

  2. Il est pragmatique et propose des situations qui font référence aux expériences de vie des apprenants et qui ont donc du sens pour eux : la notion de sens devient importante dans ce courant ;

  3. Il a pour finalité le développement personnel et l’insertion sociale des apprenants ainsi que leur adhésion à des normes et des valeurs. (Jonnaert et coll., 2009, p. 28)

La littérature franco-européenne utilise généralement une acception plus restreinte du concept de curriculum : 1) il est centré sur les savoirs scolaires ; 2) il vise la programmation des contenus d’enseignement ; 3) il se superpose à d’autres notions : programmes d’études, programmes de formation, référentiels ou socles de compétences, etc. (Jonnaert et coll., 2009, p. 29).

Ce dernier point génère une certaine confusion (Jonnaert et coll., 2009). Un rapport d’inclusion hiérarchique apparait nécessaire, ce qui implique que « tous les programmes d’études inclus dans un même curriculum partagent les mêmes caractéristiques et les mêmes orientations que leur impose le curriculum : le curriculum oriente les programmes d’études qu’il inclut » (Jonnaert et coll., 2009, p. 31).

Dans cette perspective, un curriculum devient « un ensemble d’éléments à visée éducative qui, articulés entre eux, permettent l’orientation et l’opérationnalisation d’un système éducatif à travers des plans d’action pédagogiques et administratifs » (Jonnaert et coll., 2009, p. 35).

Voici une liste non limitative des principaux éléments constitutifs d’un curriculum, selon Jonnaert et coll. (2009) et Raynal et Rieunier (2010) :

  • Public visé : caractéristiques des apprenant⋅e⋅s.

  • Finalités : énoncés de principe véhiculant des valeurs qui répondent à de vastes questions telles que : quel type de citoyen⋅ne voulons-nous former ? Pour quelle société ?

  • Objectifs : énoncés d’intention visant à réguler l’action de manière à tendre vers les finalités établies.

  • Conception de l’apprentissage : ensemble de principes relatifs à l’apprentissage (centré sur l’apprenant⋅e ou sur l’enseignant⋅e, basé sur la construction ou la transmission des savoirs, etc.).

  • Rôles et statuts du personnel scolaire : définition de la fonction de l’enseignant⋅e et des autres acteur⋅rice⋅s scolaires, de leur formation, de l’organisation de leur profession, etc.

  • Parcours scolaire : organisation temporelle du parcours scolaire en matière de cycles, d’années scolaires, de périodes, etc.

  • Contenus : domaines d’apprentissage, savoirs, compétences, attitudes, valeurs, savoir-faire, etc.

  • Matériel didactique : orientations à donner au contenu et à la forme des ensembles didactiques (manuels scolaires, cahiers d’activités, guides pédagogiques, matériels divers, etc.).

  • Modalités évaluatives : formes d’évaluation des apprentissages et mesures concernant la sanction des études.

Un curriculum peut être perçu selon trois niveaux d’interprétation différents : le curriculum théorique (ou officiel) ; le curriculum implanté dans les classes par les enseignant⋅e⋅s ; et le curriculum maitrisé, soit les acquis des apprenant⋅e⋅s (Jonnaert et coll., 2009 ; ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2005). Perrenoud (1993) distingue également le « curriculum caché (ou implicite) », qui désigne l’ensemble des processus et des effets non explicitement formulés par le curriculum officiel, mais faisant tout de même partie de l’expérience scolaire.

Cette étude porte sur le premier niveau d’interprétation du curriculum Montessori, soit le curriculum théorique, pour décrire les éléments nécessaires au développement d’instruments d’évaluation de la fidélité de son implantation.

2.2.1 Modèle conceptuel original

Pour concevoir le modèle conceptuel qui soutient la réalisation de la présente étude, soit le modèle logique de la mise en oeuvre d’un curriculum éducatif incluant les facteurs contextuels influents (tableau 1), nous avons d’abord arrimé les différents éléments qui constituent un curriculum éducatif selon Jonnaert et coll. (2009) et Raynal et Rieunier (2010) au cadre conceptuel de la mise en oeuvre d’une innovation développé par Century et ses collaborateur⋅rice⋅s (Cassata et coll., 2015 ; Century et Cassata, 2014 ; Century et coll., 2012 ; Century et coll., 2008 ; Century et coll., 2010). Nous avons ensuite agencé le tout de manière à correspondre à la structure de base d’un modèle logique, qui comprend des intrants, des activités, des extrants, des résultats, des retombées et un contexte (Frechtling, 2007 ; Knowlton et Phillips, 2013). Comme l’indiquent les flèches, ce modèle conceptuel se lit de gauche à droite : les composantes structurelles éducatives déterminent les composantes structurelles procédurales, desquelles découlent les composantes interactionnelles. Une flèche dirigée vers la gauche part toutefois des « composantes interactionnelles – autres acteur⋅rice⋅s » pour aller vers les « composantes interactionnelles d’engagement », puisque les pratiques, interactions et comportements attendus des apprenant⋅es sont considérés comme les extrants de ce modèle logique. Les objectifs et les finalités se trouvent à gauche du modèle proposé, puisque les acteur⋅rice⋅s impliqué⋅e⋅s (enseignant⋅es, directeur⋅rice⋅s, parents, intervenant⋅e⋅s, partenaires) doivent les connaitre pour agir en ce sens. L’atteinte de ces objectifs et finalités se situe à l’extrême droite du modèle logique.

Tableau 1

Modèle logique de la mise en oeuvre d’un curriculum éducatif incluant les facteurs contextuels influents

Modèle logique de la mise en oeuvre d’un curriculum éducatif incluant les facteurs contextuels influents

-> See the list of tables

2.2.2 Objectif spécifique

Comme mentionné précédemment, l’une des plus grandes limites méthodologiques du corpus d’études qui concernent les effets du curriculum Montessori sur les apprenant⋅e⋅s est le manque d’évaluation de la fidélité de son implantation dans les milieux scolaires desquels sont tirés les échantillons, ce qui nuit à la validité des résultats obtenus et concourt à leur hétérogénéité. La présente étude contribue à remédier à ce problème en permettant de compléter et de valider les fondements nécessaires à la conception d’instruments d’évaluation de la fidélité de l’implantation du volet primaire du curriculum Montessori (VPCM) en milieu scolaire. Afin de représenter schématiquement et d’opérationnaliser les résultats de recherche, cette étude vise l’objectif spécifique suivant : élaborer un modèle logique détaillé exposant les composantes essentielles du volet primaire (6 à 12 ans) du curriculum Montessori ainsi que les facteurs contextuels influant sur sa mise en oeuvre.

3. Méthodologie

3.1 Type de recherche

Cette recherche s’inscrit dans le domaine de l’évaluation de programme, plus précisément dans le courant de l’évaluation basée sur la théorie, associé à l’épistémologie du réalisme critique (Avenier et Thomas, 2011, cités dans Devaux-Spatarakis, 2014 ; Pawson, 2013 ; Pawson et Tilley, 1997 ; Robert et Ridde, 2013). Il s’agit d’une étude de cas, reconnue comme une approche méthodologique particulièrement utile pour articuler la théorie du changement inhérente à un programme (Rossi et coll., 2019).

3.2 Collecte des données

Premièrement, la collecte de données a consisté en l’observation participante d’une formation initiale des enseignant⋅e⋅s au VPCM, offerte par un centre accrédité par l’AMI. Notre choix s’est porté sur le Centre de Formation Montessori Francophonie (CFMF). La formation complète a été suivie par la première auteure de cet article en 2019-2021, ce qui représente plus de 720 heures de cours et de pratique supervisée dans les locaux du CFMF ainsi que 210 heures de stage dans des écoles primaires Montessori approuvées par l’équipe du CFMF. Le diplôme de l’AMI obtenu au terme de la formation témoigne d’une présence prolongée sur le terrain et d’une compréhension juste des composantes essentielles du VPCM théorique actuel.

L’échantillonnage intentionnel correspond au groupe naturel (Savoie-Zajc, 2018) associé à cette formation, soit : le directeur du CFMF (formateur certifié par l’AMI) ; trois apprenti⋅e⋅s formateur⋅rice⋅s ; un⋅e autre formateur⋅rice et quatre enseignant⋅e⋅s invité⋅es comme conférencier⋅ère⋅s ; les cinq enseignante⋅s, quatre assistant⋅e⋅s et environ 150 enfants des classes dans lesquelles ont été réalisés les stages, ainsi que d’autres membres du personnel présents ponctuellement ; les 38 autres étudiant⋅e⋅s ayant suivi la formation.

Les données qualitatives collectées sont de source primaire et de forme textuelle (Dionne, 2018) : les albums officiels du directeur de la formation, comprenant les 1 293 présentations (leçons) du VPCM ; les textes et les livres prescrits ; les résumés illustrés des présentations, validés par l’équipe du CFMF ; les notes de terrain prises dans un journal de bord.

Deuxièmement, un questionnaire nommé Facteurs susceptibles d’influencer la mise en oeuvre de la pédagogie Montessori au primaire  (versions française et anglaise), fondé sur le Modèle des facteurs contextuels influant sur la mise en oeuvre d’une innovation éducative élaboré par Century et Cassata (2014), a été mis en ligne sur la plateforme LimeSurvey. Les répondant⋅e⋅s y ont indiqué, sur une échelle de Likert, dans quelle mesure chacun des 43 facteurs est susceptible d’exercer une influence positive ou négative sur la mise en oeuvre (1- Aucune influence ; 2- Faible influence ; 3- Forte influence ; 4- Ne sais pas). Un espace réservé aux commentaires facultatifs a permis aux répondant⋅e⋅s de préciser ou de justifier leur réponse pour chaque facteur. En outre, une question ouverte leur a offert la possibilité d’indiquer d’autres facteurs contextuels influents non inclus dans le questionnaire.

Grâce à un échantillonnage non probabiliste de type intentionnel (Gaudreau, 2011), le questionnaire a été rempli par 74 répondant⋅e⋅s, dont 11 sont des formateur⋅rice⋅s certifié⋅e⋅s par l’AMI et 63 sont des enseignante⋅s formé⋅e⋅s par l’AMI. L’échantillon comprend 58 femmes et 16 hommes, qui ont en moyenne 13,45 années d’expérience professionnelle, avec un écart type de 12,58, et travaillent dans 27 pays différents (certain⋅e⋅s ont indiqué plusieurs pays). Cinquante-quatre enseignant⋅e⋅s (85,71 %) travaillent dans une école Montessori privée. Quarante-six enseignant⋅e⋅s (73,02 %) travaillent dans une école officiellement associée au curriculum Montessori.

3.3 Analyse des données

D’une part, les données collectées par observation participante ont subi une analyse de contenu de type mixte, s’inscrivant dans une logique inductive délibératoire, qui consiste à utiliser le modèle conceptuel conçu pour cette étude comme grille d’analyse initiale et de l’enrichir de catégories émergentes au fil du traitement des données (Dionne, 2018 ; Savoie-Zajc, 2018). Ainsi, les ressources documentaires et les notes de terrain ont été lues, puis codées à l’aide du logiciel d’analyse qualitative NVivo, selon les catégories de la grille d’observation et d’analyse suivante (la présence des thèmes de l’éducation pour la paix et de la justice sociale ne peut pas être discutée dans le cadre de cet article).

Tableau 2

Grille d’observation et d’analyse

Grille d’observation et d’analyse

-> See the list of tables

Une fois le premier codage des données complété, les extraits de textes compris dans chaque catégorie ou sous-catégorie ont été analysés conjointement afin de générer une description détaillée de chacune des composantes structurelles du VPCM, comme recommandé par Saunders (2016). La « rédaction du cas » ainsi créée a été lue et validée par le directeur du CFMF, Benoit Dubuc, qui a renoncé à l’anonymat pour être associé publiquement à cette recherche. À la suite de la rédaction de cette présentation détaillée des composantes du VPCM théorique, une seconde phase d’analyse a visé à définir plus succinctement chacune des composantes structurelles incluses dans le modèle logique résultant. Les composantes interactionnelles, quant à elles, ont été reportées directement dans le modèle logique et classées en concordance avec les composantes structurelles procédurales.

D’autre part, une analyse statistique descriptive des données quantitatives issues du questionnaire a permis de déterminer les facteurs contextuels ayant une forte influence ou une faible influence sur la mise en oeuvre du VPCM selon les répondant⋅e⋅s. Nous avons utilisé le mode, soit la valeur apparaissant le plus souvent dans la distribution (Gaudreau, 2011), pour déterminer l’importance de l’influence de chaque facteur. Nous avons également réalisé une synthèse des données qualitatives complémentaires, soit les commentaires facultatifs des répondant⋅e⋅s et leur réponse à la question ouverte, afin d’approfondir la compréhension des résultats quantitatifs.

3.4 Considérations éthiques

Cette étude a été approuvée par le Comité d’éthique de la recherche en éducation et en psychologie (CEREP) de l’Université de Montréal (certificat éthique no. CEREP-19-090-D).

4. Résultats

Le modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre, dont les versions réduite (tableau 3) et détaillée (tableau 4) se trouvent dans le fichier complémentaire mis en annexe, constitue la représentation schématique et opérationnelle des résultats de recherche. Le format de cet article ne permet pas d’exposer la « rédaction du cas » dans son ensemble. Le fichier complémentaire comprend toutefois la description synthétique des composantes structurelles éducatives (tableau 5) et procédurales (tableau 6) qu’on trouve dans les deux colonnes de gauche du modèle. Les composantes interactionnelles ont quant à elles été directement reportées dans la version détaillée du modèle logique, dans laquelle elles sont mises en valeur, classées selon les composantes structurelles procédurales. À la fin du modèle logique se trouvent les 17 facteurs contextuels ayant le plus d’influence sur la mise en oeuvre du VPCM, soit ceux auxquels au moins 80 % des répondant⋅e⋅s au questionnaire ont attribué une forte influence. Ces facteurs sont classés par ordre décroissant d’influence, selon la catégorie à laquelle ils appartiennent, c’est-à-dire : les caractéristiques des acteur⋅rice⋅s impliqué⋅es (éducateur⋅rice⋅s, enfants, directeur⋅rice⋅s, assistant⋅e⋅s, parents), les caractéristiques de l’école et les caractéristiques de l’environnement.

Tableau 3

Version réduite du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Version réduite du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 3 (continuation)

Version réduite du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

-> See the list of tables

Tableau 4

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

Tableau 4 (continuation)

Version détaillée du Modèle logique du volet primaire du curriculum Montessori incluant les facteurs contextuels ayant la plus forte influence sur sa mise en oeuvre

-> See the list of tables

Tableau 5

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Tableau 5 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Tableau 5 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Tableau 5 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Tableau 5 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Tableau 5 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Tableau 5 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

Tableau 5 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles éducatives du VPCM

-> See the list of tables

Tableau 6

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

Tableau 6 (continuation)

Description synthétique des composantes structurelles procédurales du VPCM

-> See the list of tables

5. Discussion

Le modèle logique de l’éducation Montessori de Culclasure et coll. (2019) comprend des composantes structurelles et interactionnelles concernant l’ensemble du curriculum Montessori, ainsi que des composantes ciblées pour les quatre volets inclus dans le modèle, soit : nourrisson⋅ne⋅/ bambin⋅e, petite enfance, primaire et secondaire. Ce choix a l’avantage de mettre en lumière les composantes transversales du curriculum, mais il limite le niveau de détail associé à chaque volet, ce qui rend le modèle logique insuffisant pour soutenir la deuxième étape du processus d’évaluation de la fidélité de l’implantation de l’approche Montessori, soit le développement d’instruments pour l’évaluation. En effet, si Murray et coll. (2019) ont explicitement associé les items de leurs questionnaires destinés aux enseignant⋅e⋅s et portant sur les pratiques Montessori aux intrants (Inputs) du modèle logique de Culclasure et coll. (2019), au moment de générer leurs items, elleil⋅s ont tout de même dû retourner à des sources similaires à celles utilisées pour créer le modèle en question. La version détaillée du modèle logique proposé dans la présente étude comble cette insuffisance en se focalisant sur le VPCM. De plus, le texte descriptif exposant les composantes retenues permettra à des chercheur⋅se⋅s non initié⋅es à l’approche éducative Montessori de mieux interpréter le modèle logique proposé et de l’utiliser, ce qui n’est pas le cas dans l’article de Culclasure et coll. (2019). Notre modèle logique inclut également les facteurs contextuels influant sur la mise en oeuvre du VPCM, ce qui représente une contribution originale de la présente étude. Enfin, Culclasure et coll. (2019) suggèrent que de futurs travaux visant à bonifier leur modèle portent une attention particulière aux thèmes de l’éducation pour la paix et de la justice sociale, ce que fait la présente étude. Cela dit, contrairement à elleseux, nous n’avons pas identifié les meilleures façons d’évaluer la mise en oeuvre des composantes retenues ni les effets du VPCM sur les apprenant⋅e⋅s.

Par ailleurs, aucun de ces deux modèles logiques ne comprend de flèches exposant avec précision les relations causales présumées entre les différentes composantes retenues. Un pas supplémentaire pourrait donc être fait afin d’exposer la « théorie du programme », pour reprendre la terminologie de Weiss (1997), soit les mécanismes causaux censés intervenir entre la mise en oeuvre des composantes interactionnelles et l’apparition des résultats escomptés.

6. Limites de cette étude

Une première limite est l’influence importante du directeur du CFMF, Benoit Dubuc, sur une partie des données collectées dans le cadre de l’observation participante. En effet, les notes de terrain et les ressources documentaires sont teintées de sa vision du VPCM. De plus, il a assuré seul la validation de la « rédaction du cas ». Cela dit, les contributions des autres formateur⋅rice⋅s et les stages effectués par l’une des auteures ont permis une certaine triangulation des données.

Une autre limite découle de la situation sanitaire mondiale dans laquelle une partie de la collecte des données a été réalisée. La pandémie de COVID-19 a entrainé la réalisation de cinq semaines de formation (sur 31 semaines de collecte de données) par visioconférence, alors que l’AMI privilégie la formation en présentiel. Une semaine de pratique supervisée dans une école Montessori partenaire du CFMF a donc été ajoutée aux deux stages pratiques exigés pour que toutes les heures de pratique supervisée prescrites par l’AMI soient réalisées. Par ailleurs, la situation sanitaire pourrait aussi avoir affecté le nombre de répondant⋅e⋅s au questionnaire en ligne, qui est demeuré relativement bas malgré de nombreuses sollicitations. Cela dit, si 74 questionnaires ont été remplis, 205 ont été entamés (réponses non considérées), ce qui pourrait indiquer une longueur rébarbative de l’instrument.

7. Conclusion

Cette étude contribue à dépasser la limite méthodologique majeure du corpus de recherches menées sur les effets du curriculum Montessori, soit le manque d’évaluation de la fidélité de son implantation dans les écoles desquelles sont tirés les échantillons. En effet, des instruments créés à partir des fondements exposés dans notre modèle logique pourraient permettre aux chercheur⋅se⋅s d’évaluer la fidélité de l’implantation du VPCM dans des écoles se réclamant de l’approche Montessori et de déterminer la présence de certaines de ses composantes dans les milieux desquels sont tirés les groupes témoins, ce qui accentuera la validité interne des études réalisées. Notre étude concourt ainsi à éclairer la boite noire que représente une école primaire qui se réclame de l’approche Montessori, de manière à permettre aux chercheur⋅se⋅s d’être plus à même d’expliquer des résultats obtenus quant aux effets de cette approche sur les apprenant⋅e⋅s. Ultimement, les chercheur⋅se⋅s pourront interpréter leurs résultats au regard du type de mise en oeuvre (complète, partielle, adaptée) et des facteurs contextuels en place (favorables ou défavorables).

Le modèle conceptuel original conçu pour cette étude, soit le modèle logique de la mise en oeuvre d’un curriculum éducatif incluant les facteurs contextuels influents (tableau 1), pourrait être mobilisé pour guider une étude similaire portant sur un autre volet du curriculum Montessori ou une autre approche éducative.

Par ailleurs, une avenue pourrait s’avérer particulièrement intéressante pour poursuivre le développement du corpus d’études relatif au curriculum Montessori : le recours aux écoles laboratoires (lab schools) Montessori. Ce type d’écoles alternatives, lieux d’expérimentation pédagogique liés à la recherche et contribuant à la formation des enseignant⋅e⋅s, se rapproche, à certains égards, de l’« école d’application » (Haag, 2021), telle que l’École Montessori de Paris. Les écoles laboratoires accueillent généralement des enfants d’horizons socioéconomiques et culturels variés, afin que les recherches qui y sont menées soient représentatives de la population générale (Haag, 2021). À notre connaissance, il existe trois écoles laboratoires Montessori associées à une université aux États-Unis : la Xavier University Montessori Lab School (Cincinnati, Ohio), la Chaminade University Montessori Laboratory School (Honolulu, Hawaï) et la University Montessori School, associée à l’Université de Californie (campus Irvine). Ces universités, ainsi que l’Université de Hartford (Connecticut), l’Université du Nebraska (campus Kearney), la Barry University (Floride), la Trine University (Indiana), l’Université du Wisconsin (campus River Falls), la St.Catherine University (Minnesota) et la Lander University (Caroline du Sud) offrent d’ailleurs des formations universitaires en sciences de l’éducation fondées sur l’approche Montessori. Toutefois, seule l’Université de Vic (Barcelone, Espagne) offre une formation accréditée par l’AMI ; celle-ci porte sur le niveau préscolaire (0-6). La présente étude contribue donc à démocratiser l’accès au contenu des formations reconnues par l’AMI en ce qui a trait au niveau primaire, bien qu’elle ne prétende pas remplacer une telle formation, qui comprend notamment plusieurs heures de pratique supervisée et d’observation.

forme: 2408795.jpg
Joëlle Gaudreau
Doctorante, Université de Montréal

forme: 2408796.jpg
Christine Brabant
Professeure, Université de Montréal