Abstracts
Résumé
En s’appuyant sur les récits de jeunes étiquetés (Becker, 1963) comme « invisibles », cet article vient déconstruire la catégorie d’action publique « jeunes invisibles » en mettant en lumière les rapports différenciés qu’ils entretiennent avec les institutions chargées de les encadrer. Cette contribution s’appuie sur les premiers résultats d’une recherche menée auprès de jeunes identifiés comme tels par les professionnels des missions locales d’une région française, depuis le printemps 2020 dans un contexte marqué par la crise sanitaire, économique et sociale. Injonction biographique incorporée (Astier et Duvoux, 2006), les jeunes enquêtés se présentent à la fois comme coupables (mauvais élèves, trafiquants) et comme victimes (d’accidents de la vie, de violences familiales) à la sociologue. L’analyse de leurs récits permet d’appréhender l’invisibilité sous l’angle d’un processus plus que d’un état (visibles/invisibles) et de mettre au jour les mécanismes qui les conduisent à se rendre visibles ou non. Trois figures de jeunes émergent alors : le « bon élève » qui répond aux attentes de l’institution, le jeune « sur le fil » qui oscille entre l’adhésion aux propositions des professionnels et le maintien des supports extérieurs et, enfin, le jeune « hors-jeu » qui adopte un usage stratégique des institutions. De manière plus globale, l’analyse des rapports des jeunes aux institutions, au travail et à la famille permet d’observer leurs circulations dans l’espace social, et plus spécifiquement dans les zones de vulnérabilité et de désaffiliation (Castel, 1995).
Mots-clés :
- jeunes invisibles,
- catégorie d’action publique,
- vulnérabilité,
- désaffiliation,
- mission locale
Abstract
Drawing on the life narratives of young people labelled (Becker, 1963) as “invisible,” this article deconstructs the public policy category of “invisible youth” by exploring young people’s differentiated relationships with the institutions responsible for their care. The analysis is based on the initial results of a study conducted with such young people by youth workers at local employment and social integration centres in France, a study launched in the spring of 2020 amid public health, social, and economic crises. Faced with a so-called biographical injunction (Astier, Duvoux, 2006), the young research participants described themselves as both culprits (bad students, drug dealers) and victims (of hardship, of family violence). Analyzing their stories makes it possible to gain an understanding of invisibility as a process rather than a state (visible/invisible), and to describe the factors that lead young people to make themselves visible (or not). The article identifies three broad categories of youth: “good students,” who meet institutional expectations; young people who are “on the edge,” oscillating between following the advice of professionals and relying on external supports; and, finally, “outsiders,” who makes strategic use of institutional resources. More broadly, the analysis of young people’s relationships with institutions, work, and family provides a window on their movements within social space, especially in situations of vulnerability and disaffiliation (Castel, 1995).
Keywords:
- invisible youth,
- public policy categories,
- vulnerability,
- disaffiliation,
- youth services centres
Appendices
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