Dans son ouvrage intitulé Dynamiques d’oppression : durée et reproduction. Essai sur le mouvement et la pensée qui veut s’affranchir, paru en 2023, Louise Fines livre une étude historique des mécanismes de reproduction de systèmes de dominations concomitantes : la domination coloniale à l’encontre des enfants et des populations autochtones au Canada et celle des femmes dans les sociétés contemporaines. L’ouvrage s’inscrit dans la continuité des réflexions de Fines (2022) sur les structures de pouvoir et sur « la répétition d’atteintes graves perpétrées à l’encontre des groupes vulnérables » (p. 59). L’autrice se donne l’objectif d’exposer et de « comprendre le maintien de dominations susceptibles d’affecter des communautés entières de génération en génération » (p. 15). Elle cherche à saisir comment des « structures de domination (de pouvoir) » (ibid.) – le colonialisme et le patriarcat – se perpétuent (ibid.) : « Quelles stratégies facilitent le maintien et la continuité de dominations qui ont pris leur marque depuis des décennies? Quels mécanismes interviennent à toutes les étapes du renforcement de ces dominations? » De plus, elle se pose la question suivante (ibid.) : « Quels sont les justificatifs […] évoqués par les acteurs qui travaillent sans relâche à la consolidation de ces dominations au fil du temps et des lieux occupés? » En cela, Fines s’intéresse aux discours de la domination et à ses justifications. Elle prête attention particulièrement aux difficultés éprouvées par les lanceuses et les lanceurs d’alerte, c’est-à-dire celles et ceux qui ont tenté d’avertir les autorités en place de ces inégalités. Elle soulève la question suivante (p. 15) : « Comment les autorités (législatives, politiques, judiciaires, policières, religieuses, régulatrices, commerciales) participent-elles à la reproduction de dominations limitant le respect des droits et libertés de segments importants de la société? » Au départ de sa réflexion, Fines revient sur deux événements ayant eu lieu en Amérique du Nord; elle a alors en tête la question suivante (p. 7) : « Qu’est-ce que [c]es manifestations récentes nous disent quant à la manière dont sont gérés des événements historiques? » L’autrice mobilise deux perspectives théoriques susceptibles d’expliquer le maintien des dominations et leur impunité : « la noble cause de la corruption et le syndrome du Seigneur des mouches » (p. 12). Une série de questions se trouve à l’origine de sa démarche (p. 7) : Pour y répondre, Fines sélectionne six études de cas, autant de « pans (occultés) de l’Histoire qui méritent indubitablement le détour » (p. 18), qu’elle analyse à partir du paradigme du jeu (Ost et van de Kerchove 1992 et 1993). Elle adopte dans son ouvrage un « schéma historique » (p. 18) afin de revenir sur les « événements qui ont marqué le parcours d’un peuple ou d’un groupe de personnes spécifiques pour comprendre précisément des décisions qui sont prises (ou qui ne sont pas prises), alors que leur vie est en jeu, pour comprendre, donc, la non action : le laisser-faire » (p. 16). Fines procède à l’analyse approfondie de ces études de cas, choisies pour le caractère concomitant des formes de domination à l’oeuvre (colonialisme, patriarcat, religion) et des mécanismes de leur reproduction (mise à l’écart des lanceurs et des lanceuses d’alerte, report des prises de décision, conflits dans la désignation de l’organisme responsable). D’un point de vue méthodologique, l’autrice triangule des données récoltées à partir de travaux scientifiques, de rapports gouvernementaux et judiciaires, mais aussi de bases de données et de récits qui renvoient aux expériences des protagonistes. En diversifiant les sources et en centrant sa recherche sur les expériences des populations dominées, elle …
Appendices
Références
- CHRYSSOMALIS, Jessica, 2019 « Louise Fines, Les systèmes d’abus au pouvoir », Lectures, [En ligne], [doi.org/10.4000/lectures.39155] (17 mars 2025).
- FINES, Louise, 2022 Domination et résistances. Essai sur la spatialité. Paris, L’Harmattan.
- VAN DE KERCHOVE, Michel, et François OST, 1993 « L’idée de jeu peut-elle prétendre au titre de paradigme de la science juridique? », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 30 : 191-216, [En ligne], [doi.org/10.3917/riej.030.0191].
- VAN DE KERCHOVE, Michel, et François OST, 1992 Le droit ou les paradoxes du jeu. Paris, Presses universitaires de France, coll. « Les voies du droit ».
- WEBER, Max, 1964 L’Éthique protestante et l’esprit du Capitalisme, suivi d’un autre Essai. Paris, Plon (traduction de l’allemand par Jacques Chavy) [1re éd. : 1904-1905].