Dans son ouvrage intitulé Des paillettes sur le compost. Écoféminismes au quotidien, Myriam Bahaffou aborde diverses façons d’exprimer et de vivre un écoféminisme intersectionnel et décolonial au quotidien. L’autrice approfondit les implications plurielles et parfois en tension des écoféminismes. Depuis sa positionnalité et sa propre histoire, elle tente de concrétiser et de resituer les écoféminismes pour aller contre les tendances de blanchiment, d’intellectualisation et de cooptation, notamment par les femmes blanches bourgeoises (p. 8). Comme elle le souligne, son livre est une manifestation de son débordement, d’un trop-plein et d’une nécessité de déranger pour faire trembler le statu quo. Le texte, qui se veut bien soutenu intellectuellement, est avant tout – et c’est sa richesse – situé et émotionnel. Bahaffou écrit à partir de réflexions personnelles et ordinaires, sans jamais oublier de les inscrire dans un contexte beaucoup plus large et sociétal, car le personnel est politique. En nous rappelant que son ouvrage est un processus, un patchwork, et non une finalité, elle explore donc les multiples manières d’être écoféministe au quotidien à travers le prisme de l’intersectionnalité et de la décolonialité. L’ouvrage débute en abordant la performance de genre au croisement de la performance de classe, notamment dans les luttes écologistes. Bahaffou y dénonce, par exemple, les injustices épistémiques perpétuées par un intellectualisme requis pour comprendre ce que l’on veut dire par « écoféminisme ». Les manières d’en parler, rappelle l’autrice, « excluaient de fait les personnes qui ne possédaient pas le bagage intellectuel nécessaire pour articuler les concepts propres au mouvement » (p. 17). Elle fait également une critique importante des milieux militants anticapitalistes et écolos (souvent blancs et aux origines bourgeoises) qui ont tendance à être, notamment, classistes, en se concentrant sur la possession matérielle comme indicateur d’une pureté militante. Or, comme le souligne l’autrice, « pour celleux qui ont grandi sans jamais manquer de rien, il est ainsi plus facile de se déposséder de ses biens, de faire des choix idéologiques d’une certaine indigence et d’une austérité écologique » (p. 19). En fonction des différentes classes sociales, elle met en relief de multiples rapports à l’argent, au matériel, à l’esthétisme, et ce, en raison de positionnalités sociales diverses. Dans ce contexte, examiner minutieusement les habitudes d’achat ne fait que renforcer une vision binaire et décomplexée et « ne peut que rendre l’affaire plus individuelle et culpabilisante, de façon à la faire osciller entre deux pôles binaires : honte ou fierté, pureté ou salissure, etc. » (p. 21). Cette manière d’atteindre une militance puriste tend à évacuer la complexité des classes, qui incluent les dynamiques, les histoires, les relations, les familles, les héritages (p. 20), mais également la façon dont « les personnes perdantes » du système capitaliste néolibéral – pour employer les termes de l’autrice – ont toujours su créer des savoirs, des manières de communiquer et de solidarité, de faire famille et de mettre en place des réseaux de soutien, depuis les espaces de pauvreté économique (p. 27). Bahaffou rappelle que les écoféministes ont été les premières, depuis leur positionnalité genrée et ancrée, notamment dans des pays soi-disant des Suds, à se trouver prises entre modernité coloniale et cultures endogènes. Elles ont dénoncé la pauvreté non pas comme une condition naturelle, mais tel un état d’appauvrissement systémique, utilisée pour légitimer l’exclusion et la violence d’un ordre économique et politique injuste, nourrissant des contestations révolutionnaires. Bahaffou poursuit en explorant les rapports intimes et décoloniaux relativement aux corps et à l’esthétisme à travers son expérience chez son esthéticienne, qu’elle analyse comme un espace de sororité écoféministe. Par la douleur de l’épilation et la compassion …
Myriam Bahaffou, Des paillettes sur le compost. Écoféminismes au quotidien, Lorient, Le Passager clandestin, 2022, 208 p.[Record]
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Katherine Robitaille
Université LavalJade St-Georges
Université Laval