Some features and content are currently unavailable today due to maintenance at our service provider. Status updates

Comptes rendus

Alain Deneault, L’économie de la nature. Feuilleton théorique I, Montréal : Lux Éditeur, 2019, 142 pages ; L’économie de la foi. Feuilleton théorique II, Montréal : Lux Éditeur, 2019, 144 pages ; L’économie esthétique. Feuilleton théorique III, Montréal : Lux Éditeur, 2020, 160 pages ; L’économie psychique. Feuilleton théorique IV, Montréal : Lux Éditeur, 2021, 144 pages[Record]

  • Jonathan Veillette

…more information

  • Jonathan Veillette
    Université du Québec à Montréal

C’est à un élargissement du sens de la notion d’« économie » que nous convie Alain Deneault avec ses feuilletons théoriques publiés chez Lux Éditeur. Il s’agit de « reprendre l’économie aux économistes », ce qui implique de « dissocier économie et capitalisme » et économie et « intendance ». Le terme « économie », répète-t-il, a été « dévoyé » par les économistes qui en ont enfermé le sens, le repliant sur la seule science comptable, occultant ainsi les autres sens historiques de la notion. À travers ces six volumes — L’économie de la nature, L’économie de la foi, L’économie esthétique (2020), L’économie psychique (2021) et suivront : L’économie conceptuelle et L’économie politique —, Deneault procède à une archéologie de la notion, explore les « économies » de chacun de ces champs. Cet effort de synthèse entre ces « régions » de l’économie cherche à redonner à l’économie toute sa densité et le potentiel sémantique de la notion depuis ses origines. Le projet n’est pas simplement théorique, il recouvre une dimension politique : « [q]ue cette importante notion maintenant reprenne ses droits et regagne les champs de ses usages » (L’Économie de la foi, p. 11), appelle le « manifeste » qui sert d’introduction à chacun des feuilletons. Avant que « l’économie » n’en vienne à désigner une banale gestion comptable, avant que le sens de la notion ne soit confisqué par les tenants de la « science économique », il existait une économie de la nature, une pensée des relations au vivant qui exprimait une commune appartenance, une participation à cet ensemble. Ce n’est qu’une fois la notion d’« économie » dévoyée de son sens, que le terme « écologie » viendra combler le vide. Cette confiscation donne lieu à une regrettable dichotomie, opposant « économie » et « écologie », reléguant les préoccupations face au vivant et à la nature dans les marges d’une science comptable hégémonique. C’est l’histoire de cette confiscation du sens que l’auteur présente dans son Économie de la nature — avouons-le, le plus convaincant de cette série jusqu’à maintenant. Cela témoigne d’un abandon de la nature aux lois de la valorisation : si « l’économie de la nature » témoignait d’un respect pour la souveraineté du vivant, l’économie comptable cède à l’accumulation et à la marchandisation de notre environnement. Vers la fin du xviiie siècle, les naturalistes (Carl Von Linné, Gilbert White) qui reconnaissaient le caractère insaisissable des faits de nature, accordaient une importance aux contingences et s’en remettaient à une économie relationnelle de la nature vont se heurter à ceux qui se baptisent « les économistes » et introduisent une conception de la nature fondée sur la performance, la rentabilité et la productivité. Avec les physiocrates (Quesnay, de Mirabeau, etc.) — le terme se traduit littéralement par « gouverneurs de la nature féconde », rappelle Deneault — s’ouvre l’ère d’un rapport « impérial » face à la nature. Cette nature sauvage et incivilisée doit être domestiquée par l’homme. La raison instrumentale, les connaissances positives, les modalités opérationnelles et les colonnes comptables s’imposent. Ce nouvel utilitarisme transformera la nature en source de biens à produire, à consommer. Il faut quadriller, cadastrer, mettre en valeur, remplacer l’usage par l’échange. Ce passage d’une « économie de la nature » à « l’économisme », décrit Deneault, nous éloigne d’un rapport sensible aux choses ; lorsqu’on fait de la nature un « simple moyen par lequel atteindre des cibles comptables, c’est la nature qu’on pousse hors champ » (p. 61). C’est un « lien spirituel et vital au monde » qu’on …