À l’heure où le féminisme subit les assauts du néo-conservatisme et du néo-libéralisme, autant au Québec qu’ailleurs, la publication de cet ouvrage est une bouffée d’air pour celles et ceux qui croient au développement voire au renouvellement d’une pensée féministe critique, inclusive et solidaire. Les Éditions du Remue-ménage rassemblent ici des textes publiés par Diane Lamoureux dans des cadres divers qui tissent habilement les liens complexes entre théories philosophiques, transformations politiques et sociales, et pratiques militantes au Québec. Professeure de philosophie et de sociologie politique à l’Université Laval, Diane Lamoureux n’a jamais versé dans l’élitisme universitaire. Au contraire, elle défend une pensée féministe radicale, solidaire des exclus et exclues de tous horizons, et qui puise dans la pratique militante à la fois le courage et la validation théorique. Les articles s’articulent autour de deux tensions qui sont au fondement des débats féministes depuis leurs origines. Le premier « paradoxe (p. 106) » concerne le contenu des revendications féministes. Les féministes cherchent à susciter une prise de conscience, d’abord chez les femmes, qu’il existe bel et bien une nature commune aux sexismes subis par chacune dans sa situation particulière. Au bout du compte, le but de cet éclairage est la libération des femmes comme personnes différenciées et leur autonomie en tant que citoyennes. Cela suppose qu’elles aient les capacités de s’extraire d’une catégorisation et de toute assignation identitaire ; or le fait de souligner la communauté des oppressions dont les femmes font l’expérience, n’est-ce pas là renforcer une catégorisation sociale dont elles souhaitent justement se départir ? Comment comprendre et agir contre les injustices qui s’adressent systématiquement à un groupe social sans tomber dans le piège d’homogénéiser les expériences vécues ? La deuxième tension découle directement de ce qui précède et concerne la constitution d’un mouvement social pluraliste. Plus sa réalisation devenait possible — grâce aux acquis juridiques, sociaux et politiques du mouvement féministe québécois des années 1960 aux années 1980 — plus le processus d’individuation des femmes se traduisait par des différends au sein des groupes de « femmes » (p. 153) et rendait difficile la capacité des femmes à « faire mouvement ». Il fallait démontrer que la pluralité et le dissensus sont des signes d’émancipation politique des femmes à travers leurs différences singulières, et couper définitivement l’herbe sous le pied des détracteurs qui profitaient de la situation pour opposer les « féministes » aux « femmes ». Comment alors définir une fin commune sans brimer les voies dissidentes ? Comment inclure la diversité et les divergences d’opinions sans nuire à la représentation et à la réalisation efficace du projet féministe ? Finalement, comment « agir sans [un] « nous » (p. 147) » ? Chaque article constitue une manière différente de répondre à ces enjeux. La position de Lamoureux est aussi originale que radicale. Critique de l’idée d’une « troisième vague féministe » (p. 191), inspirée par Hannah Arendt, Simone de Beauvoir et Françoise Collin, mais aussi par la théorie critique de Michel Foucault, Judith Butler, Jacques Rancière et Iris Marion Young, elle défend la subversion de toute tentative d’identification des femmes à un « Autre » subalterne, ayant comme point de mire l’acquisition du statut de sujet politique pour toutes. Les moyens n’étant pas dissociables des fins, le défi de cette lutte consiste justement à déterminer une méthode militante prenant acte de l’intersection des oppressions et de la singularité des expériences vécues, qui permettrait de former des coalitions solidaires respectueuses de l’autonomie de chaque partie. L’ouvrage s’ouvre avec un article intitulé « Comment l’égalité entre les femmes et les hommes est devenue une …
Diane Lamoureux, Les possibles du féminisme. Agir sans « nous », Les Éditions du Remue-ménage, Montréal, 2016[Record]
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Margaux Ruellan
Université de Montréal